mardi 20 avril 2010

"La proclamation de l'aujourd'hui"





Hébreux 3, 12-19
12  Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du Dieu vivant,
13  mais encouragez-vous les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l’aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché.
14  Nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale,
15  alors qu’il est dit: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération.
16  Quels sont, en effet, ceux qui entendirent et qui provoquèrent l’exaspération? N’est-ce pas tous ceux qui sortirent d'Égypte grâce à Moïse?
17  Et contre qui s’est-il emporté pendant quarante ans? N’est-ce pas contre ceux qui avaient péché, dont les cadavres tombèrent dans le désert?
18  Et à qui jura-t-il qu’ils n’entreraient pas dans son repos, sinon à ces indociles?
19  Et nous constatons qu’ils ne purent pas entrer à cause de leur incrédulité.
*

Voilà un texte, lecture de ce jour, qui commence par une exigence sévère : « Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais ». Une mise en garde qui renvoie à l'exigence du repos ! Car le cœur mauvais et l'incrédulité en question concernent « la proclamation de l'aujourd'hui » (v, 13) à savoir « l'aujourd'hui » du jour du repos : « On verra bien s'ils entreront dans mon repos ! » vient de dire l'Épitre (v, 11) avant cette mise en garde. C'est « aujourd'hui » (ch. 4, v. 7) le jour du repos.

Une question avant d'aller plus loin : l'Épître donnant ici ce qui semble être un échec de Moïse mettrait-elle en concurrence Moïse et Jésus, et par ricochet le judaïsme et le christianisme, pour affirmer la supériorité du second sur le premier et par ricochet du christianisme sur le judaïsme. Ainsi l'Épître aux Hébreux serait une pierre à l’édifice de la « théologie de la substitution », qui a fait tant de dégâts dans l’histoire — théologie selon laquelle le christianisme serait venu remplacer un judaïsme relégué dans le passé…

Affirmons d’emblée que cette lecture est erronée : relisons le début du texte l'Épître qui débouche sur ce passage. L'Épître présente Jésus comme être céleste, préexistant, supérieur aux anges (ch.1) et venant de cette préexistence céleste à la rencontre de l’humanité (ch.2), précisément et concrètement en la descendance d’Abraham, pour lui signifier sa « vocation céleste » (ch.3, v.1).

Voilà qui nous situe d’emblée, non pas dans l’histoire où pérégrinent Abraham et ses descendants, dont les lecteurs de l'Épître, et Moïse comme fondateur de la religion qui est celle des lecteurs de l'Épître, mais dans la préexistence céleste de Jésus à laquelle aussi sont appelés ces lecteurs.

Ni substitution d’une religion à l’autre, ni supériorité d’une religion sur l’autre. Une seule religion, celle d’Israël, à qui son rite a été donné par Moïse, rite qui est celui des lecteurs, qui vaut pour tout ce temps, tant que ce temps dure. Et d’autre part un monde céleste qui a été manifesté en Jésus, forme du Royaume qui vient de façon imminente : le Royaume qui s’annonce, celui promis dès Abraham et dont la maison gérée par Moïse est l’insertion dans l’histoire et dans le temps, temps dans lequel Moïse nous apprend à vivre.

Et voilà que — c’est la confession de foi que l'Épître aux Hébreux invite ses lecteurs à garder — le temps céleste du Royaume promis, le temps de la fin de l’exil s’est approché.

Et l'an 70 est là, qui voit la destruction du Temple, fin de ce monde pour les témoins du Nouveau Testament, comme la destruction du premier Temple avait été la fin d’un autre monde. Anticipation de la fin du monde comme le déluge avait été la fin d’un premier monde (cf. 2 Pierre, ch. 3).

70, date autour de laquelle tourne l'Épître aux Hébreux (qui n'en parle pas explicitement, en étant pourtant imprégnée), comme tout le Nouveau Testament. Fin d’un monde, fin annoncée autour de laquelle va se mettre en place sur le rythme de la célébration des événements de la vie de Jésus (que l’on appellera « les faits chrétiens »), le rite de l’attente de la venue en gloire de Jésus. En naît une seconde religion, en rien supérieure à la première, simplement caractérisée par la foi que le Royaume espéré (et l’on sait l’importance thème de l’espérance dans l'Épître – cf. ch. 11) s’est approché, étant porté par Jésus.

C’est la foi scellée au dimanche de Pâques, dont ne parle pas explicitement l'Épître aux Hébreux, qui en est pourtant imprégnée : la foi à la résurrection de Jésus est devenue l’attestation de son être, le fondement de la foi à sa préexistence, et le moment inaugural du Royaume espéré. Comme pour les événements de 70, l'événement de Pâques est prégnant : la mention explicite de ce qui est évidemment sous-jacent, et dans l'esprit de tous n'a pas lieu d'être signalé !

Dès lors la religion de ceux qui croient que le Royaume éternel s’est approché en Jésus coexistera avec celle de ceux qui garderont le rite de Moïse en l’attente de la venue visible et tangible du Royaume de Dieu dans l’histoire.

Pas de supériorité d’un homme sur un autre, ni a fortiori d’une religion sur une autre, mais la foi à la venue d’un Royaume éternel, préexistant, au terme imminent d’une histoire, terme signifié par la destruction du Temple — le Royaume éternel étant, lui, annoncé par la manifestation dans le temps, au dimanche de Pâques, de celui qui est perçu par la foi comme le Prince préexistant de ce Royaume, homme comme nous... et homme céleste, divin, au-dessus des anges, et donc de tout homme, dont il est pourtant l'égal. L'entrée dans le repos de la foi est alors la réception de cette dignité éternelle du Fils dévoilée par lui comme étant celle de chacun !

Voilà donc une entrée dans le repos de Dieu proposée comme quelque chose de bien particulier — relevant de l’impossible, auquel s’oppose « l’incrédulité » — cet impossible donc qu’est la foi à autre chose. Telle est la vocation céleste qui nous est adressée en Jésus.

Vocation à entrer enfin dans son repos : le mot grec pour repos, « catapausis » (« catapause »), qui traduit l’hébreu « shabbath », désigne bien, comme l’hébreu, une cessation. (Il est frappant que cela soit aussi le sens de « nirvana » !) Cessation. Cessation de l’agitation, de ce qui exaspère. Cessation qui doit enfin advenir pour que cesse notre traversée du désert.

Une traversée qui évoque ceux « dont les cadavres tombèrent dans le désert » (Hé 3, 17) ; nous voilà qui traînons un quotidien pesant, sans horizon autre que cet horizon qui recule sans cesse. Nous voilà ancrés dans la nostalgie d’un hier semblable à l’Égypte des courges d’abondance. Telle est l’incrédulité qui bouche toute possibilité de repos : la cécité à tout autre horizon, contre laquelle sonne la voix de l’Esprit saint. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération », dit l’Épître citant le Psaume 95.

Au bout de l’horizon du temps, comme de la nostalgie des temps qui ne reviendront pas, il n’est que chemin de désert, et qu’hier emporté par le vent.

« Ils ne connaissent pas mes chemins », poursuit le Psaume 95 cité par l’Épître.

Alors, retentit par la voix de l'Esprit Saint une promesse renouvelée. À travers une mise en garde — « Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du Dieu vivant » (v. 12) — et une exhortation : « encouragez-vous les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l'aujourd'hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché. » (v. 13) — la promesse est que « nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale » (v, 14).

« Compagnons du Christ » : cette position à tenir est le don toujours actuel du repos en Dieu, qui met fin au « mauvais cœur » — dont on voit alors qu'il est tout simplement le fruit de la peur, de l'incrédulité, de l'idée que le don qui nous est ouvert serait hors d'atteinte, qu'il ne serait pas offert totalement dès à présent.

Psaume 136 :
1 Célébrez le Seigneur, car il est bon — car sa fidélité est pour toujours !
2 Célébrez le Dieu des dieux — car sa fidélité est pour toujours !
3 Célébrez le Seigneur des seigneurs — car sa fidélité est pour toujours !
4 Celui qui seul fait des choses grandes et étonnantes — car sa fidélité est pour toujours !
5 Celui qui fait le ciel avec intelligence — car sa fidélité est pour toujours !
6 Celui qui construit la terre sur les eaux — car sa fidélité est pour toujours !
7 Celui qui fait les grandes lumières, — car sa fidélité est pour toujours ! —
8 le soleil pour dominer sur le jour, — car sa fidélité est pour toujours ! —
9 la lune et les étoiles pour dominer sur la nuit — car sa fidélité est pour toujours !

16 Celui qui conduit son peuple dans le désert — car sa fidélité est pour toujours !

23 Celui qui se souvint de nous quand nous étions abaissés, — car sa fidélité est pour toujours ! —
24 qui nous arracha à nos oppresseurs — car sa fidélité est pour toujours !
25 Celui qui donne du pain à tous — car sa fidélité est pour toujours !
26 Célébrez le Dieu du ciel, car sa fidélité est pour toujours !

RP
Antibes,
Mardi 20 avril 2010


dimanche 11 avril 2010

Sortir du cocon - les Dix disciples et Thomas



Absolem

Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.

21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie."

22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l’Esprit Saint ;

23 ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."

24 Cependant Thomas, l’un des Douze, celui qu’on appelle Didyme, n’était pas avec eux lorsque Jésus vint.

25 Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur !" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n’enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"

26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d’eux et leur dit :
"La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas : "Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi."

28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."

29 Jésus lui dit : "Parce que tu m’as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."

30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.

31 Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.


*

Fil rouge du dernier et cinématographique Alice au Pays des merveilles : une chenille bleue, nommée Absolem, mélange sans doute d’Absalom (du nom d’un fils de David au destin ambigu et tragique) — et d’Absolu. Car Absolem a tout d’une figure d’absolu, étant, au Pays des merveilles, gardien des mystères du passé, du présent et de l’avenir. Les personnages du Pays des merveilles emmènent Alice voir Absolem pour qu’il puisse se prononcer : est-elle oui ou non la véritable Alice ? Alice et ses compagnons trouvent la chenille bleue confortablement installée sur un champignon, au cœur d’une forêt de champignons, fumant un narghilé, environnée par un nuage de fumée. Absolem pousse Alice à mieux comprendre qui elle est vraiment en l’obligeant à affronter cette question difficile : “Qui es-tu ?” On est au Pays des merveilles… renvoyant au rêve d’antan de l’enfant Alice. Mais l’Alice d’aujourd’hui est-elle Alice ?… Question qui vaut pour nous tous, bien sûr.

Fil rouge, la chenille bleue apparaît auparavant dans le monde réel, comme chenille posée sur l’épaule de l’hypothétique fiancé d’Alice… Alice qui sauve cette chenille bleue d’un écrasement probable. Au Pays des merveilles, elle quitte Absolem s’endormant en chrysalide, et on retrouve, retour dans le monde réel, un magnifique papillon bleu s’envolant de l’épaule d’Alice, cette fois, qui prend désormais son destin en mains…

La question d’Absolem est ainsi, d’une autre façon, celle que confrontent les Onze, ou les Dix plus Thomas, aux lendemains de Pâques…

C’était une illustration en entomologie imaginaire… pour dire que le temps des apparitions du Ressuscité peut s’illustrer par des paraboles animalières, entomologiques notamment. La résurrection nous semble bien impossible. Les disciples, et Thomas, en sont naturellement là. Une chenille peut-elle voler ? Non évidemment…

Les chenilles subissent une métamorphose complète et leur cycle de vie comporte quatre stades : l'œuf, la larve ou chenille, la nymphe ou chrysalide, et le papillon adulte ou imago.
Les femelles pondent, selon les espèces, de quelques œufs à plusieurs milliers. Lorsque les chenilles éclosent, elles commencent par manger la coquille de leur œuf. Ensuite, elles sont très souvent herbivores. Toutefois, certaines sont carnivores. Bref, c’est très divers.
On connaît leur corps mou, cylindrique. Elles muent en général quatre ou cinq fois avant de passer au stade de nymphe.

Chez l’homme, on connaît trois stades : le stade fœtal, puis notre stade, puis la tombe. Fin. Pour la chenille en sa tombe nymphale, les choses bougent…

Les chenilles de papillons nocturnes s'enroulent dans un cocon de soie, sécrétée par des glandes dites séricigènes, c’est-à-dire "à soie", qui sont des glandes salivaires modifiées. Les chenilles de papillons diurnes, en revanche, ne construisent pas de cocon : la chrysalide reste à l'air libre.
La majorité des espèces passe l'hiver sous forme de nymphes. Le développement est alors stoppé ; apparence de mort, c'est la diapause…
Pendant le stade nymphal ou chrysalide, le corps se transforme totalement.
La chenille de papillon subit de profondes transformations anatomiques, notamment la formation des ailes, des antennes, de la trompe. C'est la métamorphose, dont le résultat est un papillon sous sa forme adulte (imago). Les ailes de l'adulte se déplient et il s’envole.

*

Poursuivons nos comparaisons entomologiques : la cigale. La cigale – femelle -, quant à elle, après l'accouplement, à l'aide de son ovipositeur, situé à l'extrémité de l'abdomen, incise l'écorce des arbres pour y pondre ses œufs. Une femelle peut pondre jusqu'à six cents œufs. Les jeunes sans ailes, appelés nymphes, éclosent après six semaines environ et tombent sur le sol où ils s'enfoncent de quelques centimètres. Se nourrissant de la sève des racines, ils se développent lentement. Il leur faut parfois plusieurs années pour arriver à maturité. Quand ils émergent enfin, ils grimpent sur le tronc, s'y fixent et muent. Les adultes émergent de leur enveloppe nymphale, sèchent en quelques heures, s’envolent, s'accouplent et se nourrissent de plantes jusqu'à ce qu'ils meurent environ un mois plus tard.

Environ un mois avant de disparaître.

Comme, pour les disciples, le temps des apparitions du Christ, de Pâques à l’Ascension…

*

En attendant :
« Par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, »
Puis ils vont passer de la crainte (des Judéens, de la part de ces Galiléens : pas des juifs, dont ils sont eux-mêmes !) à la libération : « Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous." »

Revenons à nos insectes :
Certains papillons, en présentant de fortes ressemblances avec d'autres espèces (mimétisme dit batésien), bénéficient d'une protection passive contre les prédateurs. Chez de nombreux papillons, la coloration des ailes joue un rôle dans la protection contre les prédateurs. Certaines espèces sont difficilement détectables dans leur environnement forestier grâce aux motifs complexes qui ornent leurs ailes.

Ils se cachent. Comme les disciples, qui vont ensuite passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire : à la Mission : « Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie." » — Recevez l’Esprit Saint : et déliez ceux qui sont liés — cf. Matthieu 16, 19.

Jésus souffla sue eux comme pour l’envol d’une cigale ou d’un papillon sortant de sa chrysalide. Souffle de l’Esprit…

*

Thomas, lui, n’était pas là. Ils disent avoir vu. Mais y a-t-il un rapport entre ce qu’ils ont vu et le Crucifié ? Après tout : c’est cela que Thomas veut savoir.

Si l’on n’assiste pas à l’éclosion d’une cigale, on est en droit de se poser la question du rapport entre elle et sa lourde larve souterraine. J’ai assisté à une telle éclosion. Il faut vraiment l’avoir vu : c’est étonnant. Effectivement c’est le même insecte. Mais il faut avouer qu’on ne le dirait pas…

Ce sont les libellules qui illustrent la réponse qu’obtiendra Thomas…

Les libellules déposent leurs œufs dans l'eau, sur la tige des plantes aquatiques ; d'autres, notamment des demoiselles, incisent la tige des plantes à la surface de l'eau ou sous l'eau et y déposent des œufs de forme allongée. Dans toutes les espèces, les œufs donnent des larves aquatiques, qui peuvent subir une quinzaine de mues avant la métamorphose, donnant la forme adulte, ailée. Parce que les larves ressemblent beaucoup aux adultes (mis à part les ailes et le mode de vie), la métamorphose est dite incomplète. Chez les libellules, le stade larvaire dure de un à trois ans.

Comme pour les disciples le temps auprès de Jésus… Puis il est cloué. Et Thomas sera invité à toucher les plaies du Ressuscité !

Plaies dans les mains et le côté – avant et après résurrection ; métamorphose dite incomplète… Bref, c’est bien le même, en d’autres termes.

*

Cela s’est passé « huit jours plus tard » que le premier dimanche de Pâques, la première partie de notre texte nous l’a rappelé :

« Ce même jour qui était le premier de la semaine » ;
« Huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis » : ainsi commence la deuxième partie du texte, celle où Jésus ressuscité se montre à Thomas.

Dimanche de culte, les deux fois : les deux premiers dimanches de culte ; et comme pour tous les autres, le Christ est présent ; une présence alors visible, provisoirement ; une présence désormais invisible. Ou : la seule visibilité est celle des sacrements : voir et toucher… C’est cela qu’enseigne l’épisode de Thomas.

"Mon Seigneur et mon Dieu", confesse-t-il alors.

"La paix soit avec vous", a dit Jésus pour la troisième fois.

R.P.
Vence, 11.04.10


dimanche 4 avril 2010

Pâques - Et voici que, ce même jour...



Luc 24, 13-35

13 Et voici que, ce même jour, deux d’entre les disciples se rendaient à un village du nom d’Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem.
14 Ils parlaient entre eux de tous ces événements.
15 Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux;
16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17 Il leur dit: "Quels sont ces propos que vous échangez en marchant?" Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre.
18 L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit: "Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci!" -
19 "Quoi donc?" leur dit-il. Ils lui répondirent: "Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple:
20 comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié;
21 et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés.
22 Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés: s’étant rendues de grand matin au tombeau
23 et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le déclarent vivant.
24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit; mais lui, ils ne l’ont pas vu."
25 Et lui leur dit: "esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes!
26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire?"
27 Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.
28 Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin.
29 Ils le pressèrent en disant: "Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée." Et il entra pour rester avec eux.
30 Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna.
31 Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible.
32 Et ils se dirent l’un à l’autre: "Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures?"
33 A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem; ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons,
34 qui leur dirent: "C’est bien vrai! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon."
35 Et eux racontèrent ce qui s'était passé et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.
*

Par la brèche du tombeau vide, l'éternité a déferlé dans le temps. « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n'est pas ici, mais il est ressuscité. » Alors les femmes venus embaumer le corps qui n’est pas là se souviennent qu'il disait : « Il faut que le Fils de l'homme soit livré aux pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il se relève le troisième jour ». Et « elles s'en retournèrent du tombeau pour raconter tout cela aux Onze et à tous les autres ».

Les disciples d’Emmaüs ne se sont dans un premier temps que peu arrêtés à ce qu’ont dit les femmes revenant du tombeau. Ils ne mentionnent cela, dans leur dialogue avec le Christ qui marche à leur côté et qu’ils ne reconnaissent pas, qu’en termes de « toutefois » (v. 22)…

*

Qu’il est difficile de reconnaître le Christ ! De rencontrer le Christ en vérité, c’est-à-dire ne pas le confondre avec les images que nous nous en faisons, avec les a priori que nous avons sur lui. Qu’est-ce qui empêche les disciples d’Emmaüs de reconnaître le Ressuscité, leur maître, qu’ils ont côtoyé trois jours avant ?

Peut-être le texte nous donne-il lui même une indication pour que nous comprenions cette difficulté qui est aussi la nôtre : ils ne comprennent pas les Écritures, qu’ils connaissent pourtant, et que l’inconnu avec eux, Jésus, leur explique — dit le texte. Ni l’un, ni l’autre ne le comprend, ni ne reconnaît Jésus… Ni Cléopas, ni... Mais au fait, qui est l’autre ? Quel est ce compagnon anonyme ? Mais ma question est-elle la bonne ? Peut-être, mais pas sûr… Et s’il fallait demander : qui est la compagne de Cléopas ? Ainsi posée la question dévoile un a priori tel qu’il ne nous trouble même pas : nous sommes convaincus que le second disciple est un homme, ce que le texte ne dit pas ! Comme les disciples ne reçoivent pas ce que dit l’Écriture que l’inconnu leur explique. Quelque chose leur a échappé, et des Écritures, et de l’inconnu, le Ressuscité !

Comme il nous échappe que le texte de Luc ne dit pas que le second disciple soit forcément un homme ! Mieux, à bien y regarder, il suggère, en ne nommant pas le second disciple, que c’est n’est pas le cas ! Voilà comment nous imposons au texte quelque chose qu’il ne dit pas, et qui nous empêche peut-être de voir de qui il s’agit ! L’autre disciple, pas nommé, pourrait avoir tout lieu d’être tout simplement Mme Cléopas, qui invite Jésus à sa table… Un couple de disciples. Étrange ? On n’y avait pas pensé ? Et pourtant, M. et Mme invitant Jésus chez eux... Quoi de bizarre ? Mais on n’y a pas pensé…

Eh bien c’est un phénomène de ce genre, compréhension a priori, qui empêche les deux disciples de reconnaître Jésus ! Ils savent à quoi on doit s’attendre : à rien, concernant celui qui vient de mourir ! Il est mort ! Du coup, ils ne le voient pas, ils ne le reconnaissent pas…

Et nous ? Comment imaginons-nous Jésus ? Rien qu’au plan physique. En général de la façon qu’a induite en nous toute une tradition iconographique… Pour un occidental de nos jours, disons assez grand, teint clair, cheveux châtains, yeux clairs. Cela pour rester au plan physique et seulement pour illustrer la difficulté des disciples. Éventuellement son physique était tout autre. Peut-être était-il noir. Ils ne sont pas rares parmi les juifs de l’époque biblique : la femme de Moïse, une Éthiopienne, celle de Salamon selon le Cantique, etc. Simple illustration, du même ordre que celle concernant M. et Mme Cléopas…

Car la vraie difficulté n’est pas tant de l’ordre de l’apparence physique... Les disciples d'Emmaüs ont côtoyé Jésus : ils connaissaient son physique. Mais lorsque, ressuscité, il leur apparaît… ils ne le reconnaissent pas ! Le problème, qui vaut pour nous aussi bien que pour les deux disciples d’Emmaüs, est lié à l'abîme qui sépare le temps de l'éternité et qui rend le Ressuscité inaccessible à l'imagination des disciples comme à la nôtre.

Là, c’est le contact de l'éternité qui est incompréhensible, c’est ce contact qui nous trouble dans tout ce qui rompt l'ordre habituel des choses, et cela au plus haut point dans la résurrection — mais aussi, et ce n’est pas sans rapport, dans l’intimité avec Dieu qui nous conduit à changer nos regards sur autrui. Troublant contact avec la vérité de Dieu. Troublante résurrection. Trop troublante.

Aussi évacuerions-nous volontiers ce genre de faits déraisonnables… interdisant en quelque sorte à la vérité éternelle de trop nous déranger, la cantonnant à son domaine attitré. L’éternité d’un côté, notre temps de l’autre. Car le choc de l’éternité a des conséquences bouleversantes. Des conséquences jusque sur notre quotidien et nos relations avec autrui... Et cela nous le pressentons. Et nous en avons peur !

Mais voilà que l'éternité nous envahit, déferle dans notre temps, depuis un dimanche de Pâques, dont on choisit aisément de ne pas en voir les conséquences.

Aussi, le Ressuscité viendrait-il lui-même à nos côtés nous dévoiler son visage dans les Écritures, notre certitude confortable que tout est bien à sa place — l'éternité d'un côté, notre quotidien moyen de l'autre, — hurlerait dans son pesant silence à nos cœurs se consumant, qu'il s'agit surtout de ne pas voir.

Or ce qui éclate dans tout son sens par la résurrection du Christ, c’est que tout est grâce, que la Création elle-même est une anomalie, un miracle de gratuité ; là, irrémédiablement, se bouleverse notre quotidien, nos normes, notre raisonnable protection de nous-mêmes, nos façons d'avoir toujours tout à acheter, à prouver, à mériter, à dissimuler.

La terreur d'avoir à reconnaître le Ressuscité rejoint finalement notre terreur de la grâce. La grâce est, dans sa gratuité, don d'intimité, et d'intimité avec Dieu, nécessairement terrorisante, mais ce faisant, elle est par là même libération.

Chose toujours surprenante ; qui ouvre sur ce qu’on ne soupçonnait pas. Lorsqu’on rencontre vraiment autrui, gratuitement, on est contraint de réviser ses propres jugements. Ainsi du Christ pour les disciples d’Emmaüs. On avait un point de vue sur lui. Limitatif. À la mesure de notre imagination, de ce que l’on considérait comme devant être un Messie. Lorsqu’il apparaît tel qu’il est, on ne le reconnaît donc pas : ah, s’il pouvait se montrer d'une façon qui ne nous surprenne pas ! Sous une forme connue, repérable, habituelle ! Mais apparemment ce n'est pas ce qu'il fait. Et lorsqu'il nous explique les Écritures sans avoir au préalable conforté nos repères, on ne l'écoute pas, on ne l'entend pas. Ce faisant, notre cœur ne brûle-t-il pas au dedans de nous, comme engourdi ?

*

Et ce qui est vrai du Christ à une échelle insoupçonnée, devient, en lui, vrai aussi de chacun de ceux qu’il nous donne de côtoyer et que l’on a pris l’habitude de regarder toujours comme d’habitude. Ces frères et sœurs du Ressuscité, frères et sœurs dans l’espérance de leur résurrection, résurrection que nous affirmons, mais d’une façon qui risque toujours de ne rester qu’un simple mot. Tout comme les disciples d’Emmaüs regardaient l’inconnu comme on regarde habituellement les inconnus ; puisqu’ils avaient pris l’habitude de regarder le Christ comme d’habitude, lorsqu’il se montre tel qu’il est au-delà de leurs regards appesantis par le sommeil de l’habitude, ils ne le reconnaissent pas.

“Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous ?” — ou : “n’était-il pas engourdi” ? — Mais n’est-ce pas là déjà notre expérience à chacun au quotidien ?

De même notre cœur ne brûle-t-il pas au-dedans de nous, comme engourdi, quand nous côtoyons jour après jours des frères et sœurs du ressuscité, quand nous mangeons avec eux — partageant le pain —, quand ils nous parlent, et que nous n’entendons que ce que nous avons pris l’habitude de filtrer, que nous n’en voyons qu’un quotidien toujours le même, alors que nous avons devant nous, à côté de nous, un frère, une sœur du Ressuscité, promis à la même gloire, déjà présente, de façon cachée, en lui, en elle ?

Notre cœur ne brûle-t-il pas au-dedans de nous quand nous ne reconnaissons pas l’image de Dieu dans celui ou celle, à côté de nous, que nous cantonnons dans les vieux jugements définitifs que nous avons pris l’habitude de porter sur lui, sur elle ? Au point que lorsque nous ne reconnaissons pas un prochain qui n’est encore que dans l’espérance de la résurrection que la parole de Dieu est en passe de faire germer en lui, nous le cantonnons dans ce chemin de dégradation et dans cette mort que Jésus a vaincu.

Mais Jésus, lui, est le ressuscité, il est la résurrection. Il a la puissance de transformer nos regards comme ceux des disciples d’Emmaüs. C'est au moment de la fraction du pain, moment de partage, d'intimité, que les disciples reconnaissent Jésus. Mais là la grâce est précédence silencieuse qui brise les terreurs, les craintes, les habitudes.

L'établissement de cette intimité, terrorisante pour qui l'anticipe avant de la connaître, ou pour qui regarderait après coup la rupture qu'elle a provoquée, contemplation inévitablement vertigineuse face à un tel abîme ; — l'établissement de l'intimité se fait, contre toute attente, en douceur, contre toute attente et à la surprise du regard rétrospectif.

C'est là l'étonnement de la grâce, qui brise, dans l'intimité qu’elle établit, toutes nos fausses certitudes. Pour les disciples d'Emmaüs, ils ont basculé, au cœur de leur temps envahi par le Ressuscité, dans l'éternité qui advient en lui. Pour eux, plus rien à prouver.

Pour nous qui n'avons pas vu, heureux pourtant si nous croyons que l'éternité brise notre temps clos sur lui-même ! Car c'est là que nous attend l'indicible de la résurrection. Au dimanche de Pâques l'éternité du Christ a brisé nos clôtures, nos enfermements, il a fait accéder le temps et le monde à l'éternité dans laquelle il les fonde. En laissant vide son tombeau, il fait entrer le temps et le monde, notre temps, notre monde, dans leur fondement éternel, où il n'est plus pour nous ni à craindre, ni à nous croire investis du poids de l'inquiétude d'avoir à exhiber devant Dieu et devant autrui les masques de notre illusoire vérité sur nous et sur eux.

La résurrection du Christ est la défaite de nos inévitables défaites. La mort meurt. Le diable se piège à ses filets. Vaincu par le Christ, qui l'a vu “tomber du ciel comme un éclair”, dépouillé déjà par l'Incarnation de ses prétentions accusatoires (Apocalypse 12), il est ici abattu. Le Christ a expulsé tous nos démons.

Partout où est comprise la proclamation de la résurrection, la victoire est totale et définitive. Il n'est point d'autre combat des Apôtres et de ceux qui adhèrent à leurs paroles — contre les puissances d’asservissement — que par la seule proclamation de la résurrection du Christ. Vivre de la résurrection du Christ et donner encore quelque poids à quelque pouvoir d’asservissement, d’accusation, de jugement, etc., est contradictoire ; c'est même réintroduire par la petite porte ce que le Christ a définitivement abattu.

Et la victoire sur la mort, ses asservissements, l’accusation et les jugements négatifs, est dans ce seul établissement de l'intimité avec Dieu, qui brise le confort de nos craintes. Cette victoire ne nous est donnée, contre nos craintes, que dans la grâce donnée à notre seule foi dans le Christ ressuscité, qui vient partager le pain de notre quotidien.

Heureux ceux qui sans l'avoir vu, ont perçu le mystère de la présence discrète, qui demeure jusqu'à la fin du monde, de celui dont l'éclatante victoire brise tous nos enfermements.

RP
Antibes, Pâques, 04.04.10



A toi la gloire,
O ressuscité !
A toi la victoire
Pour l’éternité.
Brillant de lumière,
L’ange est descendu ;
Il roule la pierre
Du tombeau vaincu.
A toi la gloire,
O ressuscité !
A toi la victoire
Pour l’éternité.

Vois-le paraître :
C’est lui, c’est Jésus,
Ton Sauveur, ton Maître ;
Oh ! ne doute plus !
Sois dans l’allégresse,
Peuple du Seigneur,
Et redis sans cesse
Que Christ est vainqueur.
A toi la gloire,
O ressuscité !
A toi la victoire
Pour l’éternité.

Craindrais-je encore ?
Il vit à jamais,
Celui que j’adore,
Le prince de paix.
Il est ma victoire,
Mon puissant soutien,
Ma vie et ma gloire :
Non, je ne crains rien.
A toi la gloire,
O ressuscité !
A toi la victoire
Pour l’éternité.



vendredi 2 avril 2010

Vendredi saint - Lumière d'un vase brisé



Paul Serusier - Nature morte : pommes et cruche - 20e siècle - Paris, musée d'Orsay

Luc 23, 44-56
44 C'était déjà la sixième heure environ ; il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu'à la neuvième heure ;
45 le soleil avait disparu. Et le voile du sanctuaire se déchira par le milieu.
46 Jésus cria : Père, je remets mon esprit entre tes mains. Après avoir dit cela, il expira.
47 Voyant ce qui était arrivé, le centurion glorifia Dieu en disant : Cet homme était réellement un juste.
48 Et les foules qui s'étaient rassemblées pour assister à ce spectacle, après avoir vu ce qui était arrivé, s'en retournèrent en se frappant la poitrine.
49 Tous ceux qui le connaissaient, et les femmes qui l'avaient accompagné depuis la Galilée, se tenaient à distance et regardaient ce qui se passait.
50 Il y avait un membre du conseil nommé Joseph, un homme bon et juste,
51 qui n'avait pas participé aux décisions et aux actes des autres ; il était d'Arimathée, ville des Juifs, et il attendait le règne de Dieu.
52 Il se rendit chez Pilate et demanda le corps de Jésus.
53 Il le descendit de la croix, l'enveloppa d'un drap et le mit dans un tombeau taillé dans le roc où personne ne gisait encore.
54 C'était le jour de la Préparation, et le sabbat allait commencer.
55 Les femmes — celles-là même qui étaient venues de Galilée avec lui — suivirent, elles virent le tombeau et la manière dont son corps y fut mis,
56 et elles s'en retournèrent pour préparer des aromates et des parfums. Puis, pendant le sabbat, elles observèrent le repos, selon le commandement.
*

Avant que nous ne proclamions, dimanche : « il est vraiment ressuscité », l’évangile nous invite à reconnaître aujourd’hui que Jésus est vraiment mort.

« Il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est mort et il a été enseveli, il est descendu aux séjour des morts », tiendra à préciser le symbole des Apôtres.

Une insistance toute évangélique sur la mort réelle de Jésus. Les évangiles s’appesantissent en effet de façon remarquable sur la mort réelle et mise au tombeau, à travers de nombreux détails.

N’est-elle pas frappante cette insistance, celle du credo en écho à celle des évangiles ?

Pour la comprendre, il faut se placer dans la perspective d’un homme ou d’une femme de l’époque. Il est tout simplement inconcevable que le Messie meure de la façon que soulignent à l’envi les récits évangéliques — abandonné de Dieu-même.

N’est-il pas celui dont la voix céleste a dit à plusieurs reprises qu’il est le Bien-aimé de Dieu ?! Belle preuve d’amour que de lui infliger une telle déréliction !

La pire des morts qui se puisse concevoir à l’époque.

C’est ainsi qu’une des difficultés principales que va rencontrer l’Église primitive concerne non pas les miracles ou l’Ascension glorieuse du Christ — rien là que de très normal compte tenu de qui est le Christ — ; la principale difficulté concernera bel et bien sa mort !

Toute une littérature va donc se développer pour expliquer qu’il ne serait pas vraiment mort…

Un seul exemple, ce que dit au deuxième siècle un penseur Basilide, selon le père de l’Église Irénée de Lyon (Adversus Haereses, I, xxiv, 4). Je cite : « le Père inengendré et innommable, voyant la perversité des Archontes (disons des anges déchus), envoya l'Intellect, son Fils premier-né — c'est lui qu'on appelle le Christ — pour libérer de la domination des Auteurs du monde ceux qui croiraient en lui. Celui-ci apparut aux nations de ces Archontes, sur terre, sous la forme d'un homme, et il accomplit des prodiges. Par conséquent, il ne souffrit pas lui-même la Passion, mais un certain Simon de Cyrène fut réquisitionné et porta sa croix à sa place. Et c'est ce Simon qui, par ignorance et erreur, fut crucifié, après avoir été métamorphosé par lui pour qu'on le prît pour Jésus; quant à Jésus lui-même, il prit les traits de Simon et, se tenant là, se moqua des Archontes. »

On pourrait multiplier les exemples d’hypothèses développées pour éviter que le Christ n’ait eu à mourir : un être divin ne meurt pas, surtout pas de cette façon-là ! Le refus de sa mort a imprégné les esprits au point que plus tard, même ceux qui insisteront sur son humanité, ne pourront accepter l’idée de sa mort. Au point de préférer l’idée, irrationnelle tout de même, selon laquelle il aurait été enlevé (et enlevé au ciel) avant de mourir…

C’est dire à quel point cela peut choquer que le Christ ait pu mourir.

Et ces développements peuvent sembler d’autant plus étranges, que la révélation de l’immortalité du Christ est issue de la découverte du tombeau vide, de sa résurrection. On serait fondé à penser que pour ressusciter, il a bien dû mourir ! Mais une telle mort est alors à ce point inconcevable pour un être tel que lui qu’on ne parvient décidément que difficilement à l'envisager.

Alors les évangiles, puis les credo, vont y insister, la plaçant dans les catégories de la foi. Comme on croit en Dieu, on croit que Jésus, son Fils, est mort, réellement mort, et de quelle façon ! Il faut bien la foi pour recevoir ce fait inconcevable, incroyable, scandaleux — selon le mot de Paul aux Corinthiens (cf. 1 Corinthiens 1 & 2) : le scandale de la croix !

Le scandale de la croix et de la mort du Christ est ce que l’on retrouve dans notre texte de Luc relatant la mort du Christ en donnant, à l’instar des autres évangélistes, nombre de détails qui sont autant de façons de souligner la réalité de cette mort. Joseph d’Arimathée allant voir Pilate, lui demandant le corps de Jésus, le descendant de la croix, l’enveloppant d’un drap et le mettant dans un tombeau taillé dans le roc où personne ne gisait encore. (v. 52-53). Puis les femmes préparant des aromates et des parfums en attendant la fin du Shabbat pour embaumer le corps, après avoir vu le tombeau et la manière dont son corps y était mis (v. 55-56)…

*

Et déjà une réflexion sur ce que ce scandale, ce passage par la mort avant la glorification du Ressuscité, implique de la part de Dieu quant à sa relation avec le Christ et avec le monde : « il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu'à la neuvième heure ; le soleil avait disparu. Et le voile du sanctuaire se déchira par le milieu » (v. 44-45).

Deuil de Dieu ! Inconcevable tout autant que la mort de son Fils. Propos scandaleux, ténébreux, ténèbres spirituelles épaisses comme celles du récit de Luc, telles qu’elles obscurcissent même le soleil… Tandis que le voile du Temple se déchire, comme on déchire un vêtement au jour du deuil. Le signe est incommensurable : Dieu même nous a rejoints au cœur de nos détresses de nos deuils, du tragique de nos vies et de leurs combats apparemment vains. Signe qu’il est le Dieu vivant et vrai. Car quel serait un Dieu qui se contenterait de regarder souffrir ses créatures ?

Alors le Père de Notre Seigneur, souffrant avec les siens, se dévoile comme celui qui donne un sens à ce monde, tandis que l’histoire s’avère de plus en plus être comme le déroulement tragique du combat où Dieu nous accompagne pour le salut du monde, pour la délivrance de la lumière qui va jaillir des ténèbres dans lesquelles toute la terre a été plongée.

Un sens émerge alors de la croix et des ténèbres qui l’entourent, quand rien n’est gagné d’avance, ou plutôt quand la victoire, la seule victoire qui vaille, est précisément celle qui a été acquise ce jour-là, et dont les siècles qui suivent ne peuvent suffire à pénétrer toute la profondeur, tant elle relève de l’éternité.

*

La mystique juive rapporte que quand la lumière des origines se diffusait, elle fut répandue dans des vases, qui ne purent la contenir et éclatèrent, les éclats de lumière étant alors comme enfermés, attachés aux brisures de leur vase, dans des sortes coquilles, en exil loin de Dieu. Le projet de la création de l’homme et de sa rédemption, et l’histoire qui s’en suit, vaut projet de libération de la lumière divine qui réside en exil avec les exilés de son peuple, comme autant d’éclats de lumière perdue dans le monde. Ce processus est la réparation du monde, le combat pour le salut du monde par la libération de la lumière.

Outre les cruches d’eau qui font signe, dont on parlait hier — « un homme portant une cruche » — il est une autre histoire de cruches dans la Bible, des cruches qui ne servent pas de signe cette fois, mais d’instrument : des cruches qui ne contiennent pas de l’eau celles-là, mais de la lumière ! Des cruches qu’il s’agit de briser pour en libérer la lumière.

C’est dans le livre des Juges, ch. 7. Je lis, v. 16- 20 : « Gédéon remit à ses hommes des trompettes et des cruches vides, avec des flambeaux dans les cruches. Il leur dit : Vous me regarderez et vous ferez comme moi. Dès que j’aborderai le camp, vous ferez ce que je ferai ; et quand je sonnerai de la trompette, moi et tous ceux qui seront avec moi, vous sonnerez aussi de la trompette tout autour du camp, et vous direz : Pour l’Éternel et pour Gédéon ! Gédéon et les cent hommes qui étaient avec lui arrivèrent aux abords du camp au commencement de la veille du milieu, comme on venait de placer les gardes. Ils sonnèrent de la trompette, et brisèrent les cruches qu’ils avaient à la main. »

Des cruches brisées jaillit la lumière dont l’éclat accompagnant l’éclat des trompettes bouleverse et défait l’ennemi ; des vases brisés comme en écho de la brisure originelle, et avant-signe de la future réparation. Comme l’annonce du retour au Royaume de la lumière exilée, après la défaite du dernier ennemi, la mort… défaite par la mort de celui dont il était inconcevable qu’il mourût.

*

… « Il y eût des ténèbres sur toute la terre » écrit Luc (23, 44). Celui qui est la lumière du monde est comme emprisonné dans ces ténèbres. C’est l’heure de sa mort. Lui, vase de lumière, est brisé ; libérant du cœur des ténèbres la lumière enfouie au cœur des ténèbres. Victoire définitive sur les ténèbres, une brèche est ouverte dans laquelle il nous faut pénétrer à sa suite pour libérer la lumière de nos êtres… « Qui vient à suite ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » (Jean 8, 12).

Ainsi Jésus annonçait — Matthieu 24, 29-31 : « le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. Alors le signe du Fils de l’homme paraîtra dans le ciel […]. Il enverra ses anges avec la trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu’à l’autre. »

Ce jour de la libération est à présent venu : de la mort ténébreuse du Fils de Dieu jaillit la lumière qui répare le monde.

RP
Vence, Vendredi saint 02.04.10


« Une femme vint, avec un flacon d'albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d'albâtre et lui versa le parfum sur la tête. Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation : "À quoi bon perdre ainsi ce parfum ? On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d'argent et les donner aux pauvres !" Et ils s'irritaient contre elle. Mais Jésus dit : "Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C'est une œuvre belle qu'elle vient d'accomplir à mon égard. Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m'avez pas pour toujours. Ce qu'elle pouvait faire, elle l'a fait : d'avance elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement." » (Marc 14, 3-8)


jeudi 1 avril 2010

Jeudi saint - Le signe de la cruche



Picasso - Nature morte avec crâne, poireaux et pichet - 1945

Luc 22, 1-13

1 La fête des Pains sans levain, celle qu'on appelle la Pâque, approchait.
2 Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment le supprimer ; car ils avaient peur du peuple.
3 Alors Satan entra en Judas, celui qu'on appelle Iscariote et qui était du nombre des Douze.
4 Celui-ci alla s'entendre avec les grands prêtres et les chefs des gardes sur la manière de le leur livrer.
5 Ils se réjouirent et convinrent de lui donner de l'argent.
6 Il accepta et se mit à chercher une occasion pour le leur livrer à l'insu de la foule.
7 Le jour des Pains sans levain, où l'on devait sacrifier la Pâque, arriva.
8 Jésus envoya Pierre et Jean, en disant : Allez nous préparer la Pâque, pour que nous la mangions.
9 Ils lui dirent : Où veux-tu que nous la préparions ?
10 Il leur répondit : Quand vous serez entrés dans la ville, un homme portant une cruche d'eau viendra à votre rencontre ; suivez-le dans la maison où il entrera,
11 et vous direz au maître de maison : Le maître te dit : « Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? »
12 Il vous montrera une grande chambre à l'étage, aménagée : c'est là que vous ferez les préparatifs.
13 Ils partirent, trouvèrent les choses comme il leur avait dit et préparèrent la Pâque.

*

Une cruche portée par un homme, comme signe pour la préparation de la Pâque. Bien sûr on est dans la nécessité de la discrétion. Jeudi saint, l’heure de la trahison approche.

Les autorités ont déjà soudoyé Judas pour qu’il leur livre Jésus discrètement. Pourquoi discrètement ? Parce Jésus jouit d’une popularité certaine. Discrètement, c’est-à-dire, on l’a lu, «à l’insu de la foule» (v. 6).

Judas a dès alors pris de le parti de l’ennemi, de l’accusation de son maître — en hébreu du satan, dès lors « entré en lui » (v. 3).

Tout est en place, de la part des autorités terrestres, comme au plan du combat céleste en train de se mener.

Un signe comme l’homme — ou l’on attend alors plutôt une femme — portant la cruche évoque les signaux d’un groupe résistant et menacé ; cela pour le plan de la discrétion vis-à-vis des autorités terrestres.

C’est aussi un signe de la portée des signes prophétiques, au plan de la dimension spirituelle et céleste. Comme le signe de l’ânon et de son pourvoi mystérieux, aux Rameaux, fait écho à la prophétie de Zacharie concernant le Messie et son triomphe dans l’humilité.

Un signe du même ordre pour préparer la Pâque, prend sens pour les disciples dont le récit retiendra ce détail. Un homme portant une cruche.

Dans la Bible hébraïque, on trouve trois moments où il est question d’une cruche comme signe…

En premier lieu, en Genèse 24 :
Éliézer, serviteur d’Abraham, est en mission : aller trouver la future épouse d’Isaac, fils de son maître. Arrivé, il s’adresse à Dieu :
13 Voici, je me tiens près de la source d’eau, et les filles des gens de la ville vont sortir pour puiser de l’eau.
14 Que la jeune fille à laquelle je dirai : Penche ta cruche, je te prie, pour que je boive, et qui répondra : Bois, et je donnerai aussi à boire à tes chameaux, soit celle que tu as destinée à ton serviteur Isaac ! Et par là je connaîtrai que tu uses de bonté envers mon seigneur [Abraham].

Puis en 1 Samuel 26 :
David trouve le roi Saül qui le pourchasse à sa merci, endormi dans une grotte. Invité à attenter à ses jours, David s’y refuse :
11 Loin de moi, par l'Éternel ! de porter la main sur l'oint de l'Éternel ! Prends seulement la lance qui est à son chevet, avec la cruche d'eau, et allons-nous-en — dit-il à son aide de camp.
12 David prit donc la lance et la cruche d’eau qui étaient au chevet de Saül ; et ils s’en allèrent. Personne ne les vit ni ne s’aperçut de rien, et personne ne se réveilla, car ils dormaient tous d’un profond sommeil dans lequel l’Éternel les avait plongés.

Et en 1 Rois 17
Le prophète Élie, celui qui est annoncé comme signe de l’accomplissement de temps :
8 […] la parole de l’Éternel lui fut adressée en ces mots:
9 Lève-toi, va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et demeure là. Voici, j'y ai ordonné à une femme veuve de te nourrir.
10 Il se leva, et il alla à Sarepta. Comme il arrivait à l’entrée de la ville, voici, il y avait là une femme veuve qui ramassait du bois. Il l’appela, et dit : Va me chercher, je te prie, un peu d’eau dans un vase, afin que je boive.
11 Et elle alla en chercher. Il l'appela de nouveau, et dit : Apporte-moi, je te prie, un morceau de pain dans ta main.
12 Et elle répondit : l’Éternel, ton Dieu, est vivant ! je n’ai rien de cuit, je n’ai qu’une poignée de farine dans un pot et un peu d’huile dans une cruche. Et voici, je ramasse deux morceaux de bois, puis je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons.
[…]
16 La farine qui était dans le pot ne manqua point, et l’huile qui était dans la cruche ne diminua point, selon la parole que l’Éternel avait prononcée par Élie.
17 Après ces choses, le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut si violente qu’il ne resta plus en lui de respiration.
18 Cette femme dit alors à Élie : Qu'y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ?
19 Il lui répondit : Donne-moi ton fils. Et il le prit du sein de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit.
20 Puis il invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j'ai été reçu comme un hôte ?
21 Et il s’étendit trois fois sur l’enfant, invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne au dedans de lui !
22 L’Éternel écouta la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie.

Dans le premier et le troisième récits, Rébecca et la veuve de Sarepta, il s’agit de femmes.

Le premier moment, celui de la Genèse, nous présente la cruche comme signe du don, de la générosité, servant non seulement l’envoyé d’Abraham, mais jusqu’à ses chameaux. Ce sera donc, elle, Rébecca, la future épouse d’Isaac, celle par qui l’Alliance se déploiera.

Ici, on a la cruche qui dessine l’Alliance, dont les paroles vont être prononcées dans l’évangile un moment plus tard, au moment du partage du pain et du vin du repas de la Pâque.

Le troisième moment, celui du 1er livre des Rois, avec Élie et le veuve de Sarepta — image du peuple exilé, en deuil de son Dieu — annonce la résurrection, la fin du dernier exil, dont la parole va se répandre par l’Esprit depuis la chambre haute des disciples, mentionnée ici en Luc 22 : « un homme portant une cruche d'eau viendra à votre rencontre ; suivez-le dans la maison où il entrera, […] Il vous montrera une grande chambre à l'étage » (v. 10-12).

« Élie prit le fils de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit. Puis il invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j'ai été reçu comme un hôte ? Et il s’étendit trois fois sur l’enfant, invoqua l’Éternel, et dit: Éternel, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne au dedans de lui ! L’Éternel écouta la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie » (1 R 17, 19-22).

De la chambre haute à la résurrection…

Deux signes chaque fois : la cruche et l’Alliance, puis la cruche et la chambre haute, mentionnée dans l’évangile, évoquant deux autres apparitions d’une cruche comme signe.

Entre ces deux moments, le deuxième texte évoqué, à présent. Là, c’est un homme qui apparaît avec une cruche. Dans ce récit, la cruche est un signe de la vie épargnée, comme en écho lointain de la première Pâque, où était épargnée la vie des premiers-nés de l’Exode. Ici la vie de Saül est épargnée par David, comme les nôtres lors de la Pâque qui se prépare.

Ière référence, Genèse 24 et Rébecca, l’Alliance qui se poursuit par Rébecca, l’Alliance mentionnée juste après dans notre texte, avec l’institution de la sainte Cène.

2ème référence, David épargnant Saül, comme nos vies sont épargnées à la Pâque.

3ème référence : c’est la mort qui est vaincue, traversée jusqu’à la résurrection, trois jours après, comme Élie dans la chambre haute s’allonge trois fois sur le fils de la veuve.

Un autre signe accompagne chaque fois celui de la cruche : l’Alliance pour le premier texte, la chambre haute pour le troisième ; et pour le deuxième texte, celui de la Pâque qui nous épargne la mort, l’autre signe est la lance.

Mais alors, où est la lance dans l’évangile ? On a la cruche et le signe de l’Alliance, la cruche et la chambre haute…

La lance, signe de ce que nos vies sont épargnées comme celle de Saül par David, n’apparaît pas chez Luc, ni dans ce récit, ni plus loin. La mort, la lance, n’a pas frappé Saül, elle ne nous frappe pas. La mort est vaincue. Elle est vaincue d’avoir frappé le Juste, celui que préfigure David épargnant Saül. La mort frappe Jésus, mais son instrument n’est pas la lance qui a épargné Saül, c’est la croix.

Reste toutefois une question. Concernant la lance à laquelle plusieurs pensent sans doute, la lance que l’on retrouve chez Jean au vendredi saint, perçant le côté de celui, déjà mort, dont jaillit le sang de l’Alliance, par lequel Dieu épargne nos vies… Tandis que, chez Jean aussi, on trouve une cruche proche de celle de Rébecca, avec la Samaritaine ; Jean 4, 28 « Ayant laissé sa cruche, elle s’en alla en ville, et dit aux gens : ne serait-ce point le Christ ? »

La réponse à cette question : « ne serait-ce point le Christ ? » sera celle du centenier, qui « voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu, et dit : certainement, cet homme était juste. » (Luc 23, 47). Il était le Juste. Alors laissant le signe de la lance, il faut s’en aller et dire : il est vraiment le Christ, le vainqueur de la mort.

RP
Antibes, Jeudi saint 01.04.10