dimanche 11 juillet 2010

"Va et, toi aussi, fais de même"



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Deutéronome 30, 10-14 ; Psaume 19, 8-12 ; Colossiens 1, 15-20

Luc 10, 25-37 :
25 Et voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : "Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ?"
26 Jésus lui dit : "Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ?"
27 Il lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même."
28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie."
29 Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?"
30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
32 Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de pitié.
34 Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.
36 Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?"
37 Le légiste répondit : "C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Jésus lui dit : "Va et, toi aussi, fais de même."
*

« Le bon samaritain » ou l’enseignement de la reconnaissance. L’histoire se termine par cette parole : « Toi, fais de même » — un appel à la reconnaissance, à la gratitude.

« Qui est mon prochain ? » a demandé le légiste. On croyait recevoir une définition du prochain qui corresponde à une catégorie, du genre : c’est celui qui est proche de moi par l’ethnie, la nation, la religion (tout cela fût-il élargi par Jésus) — ou encore celui qui est proche de moi par les besoins.

C’est ainsi que, presque jusqu’à la fin de la petite histoire racontée par Jésus, on peut penser que le prochain est le blessé au bord de la route, celui, donc, qui a des besoins, celui qui a besoin de mon secours, celui dont la situation, qui pourrait être la mienne, remue mes entrailles, émeut ma pitié, comme elle émeut celle du Samaritain de l’histoire (ce qui certes est très bon).

Mais voilà qu’à la fin, on découvre que c’est l’inverse : le prochain n’est pas celui que l’on catégorise comme tel, serait-ce parce qu’il serait reconnaissable par ses besoins, serait-ce par ce que ses besoins remuent mes entrailles…

Jésus ne conclut pas son histoire en disant : « le prochain est le blessé, le Samaritain a su le reconnaître » ; Jésus termine par une question : « lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme ? » La réponse est évidente, que donne le légiste : « c’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » — à savoir le Samaritain, comme le montre son attitude, pas le blessé. Jésus, de toute façon, a inversé la problématique : « lequel s’est montré le prochain ? »

Et Jésus de conclure : « Va et, toi aussi, fais de même. » Cette apparente absence de réponse (on n’a toujours pas de définition du prochain !) — nous dit quelque chose d’autre ; nous oriente vers une autre direction : la gratitude. Trouver à qui l’on doit. Le Samaritain s’est mis en situation telle que le blessé lui doit de la gratitude. Le prochain est celui qui se met en situation telle qu’on lui doive de la reconnaissance. Le blessé ne lui doit rien, au sens comptabilité (le Samaritain ne lui présente pas la facture de l’hôtelier), mais il lui doit tout, au sens de l’état d’esprit.

Savoir à qui l’on doit, qui qu’il soit, et manifester sa gratitude en faisant de même, en se donnant des débiteurs, voilà le nœud où se découvre le prochain, que l’on ne peut toujours pas catégoriser. Voilà qui inverse la problématique apparente : non pas : qui a besoin de moi ? Mais : à qui est-ce que je dois ? Et de qui dois-je faire à mon tour un débiteur ? Gratitude.

Gratitude fondée sur le double commandement que vient de rappeler le légiste et que commente ici Jésus. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » Ce n’est pas Jésus qui vient de donner le cœur de la Torah, c’est le légiste. L’amour de Dieu à qui l’on doit tout trouve l’expression de la gratitude qu’il induit dans ce « fais de même. »

*

Voilà donc un texte, l’histoire du Samaritain et du blessé au bord de la route ; voilà un texte étonnant, derrière ses aspects naïfs. Un texte qui commente le cœur de la Loi, mettant en vraie complicité Jésus et le légiste, qui au départ voulait savoir ce que Jésus avait dans le ventre. Les deux, Jésus et le légiste, sont bien d’accord, ne nous y trompons pas. Au cœur de leur accord, en premier lieu le sens de la Loi. Et en deuxième lieu le fait qu’elle ne donne pas de recette.

C’est le sens de la deuxième question du légiste, en échos à sa première sur la vie éternelle, façon de dire à Jésus : si nous sommes d’accord sur le cœur de la Loi, cela n’a pas répondu à ma question sur la vie éternelle, question qui donc en appelle une autre : qui est mon prochain ? Ou en d’autre terme : comment est-ce que le double commandement qui résume la Torah, ouvre sur la vie éternelle : et la réponse sera : la grâce, dont l’expression est : la gratitude.

Voilà un texte quant auquel il est nécessaire de se débarrasser de l‘habitude d’en faire une lecture anti-juive. Pour Jésus, le prêtre et le lévite présentés ici ne sont pas des représentants du judaïsme, mais de ce que précisément il n’est pas (un système à recette, où l’on saurait bien qui est le prochain, et le légiste est bien d’accord avec Jésus : il le montre par sa question).

Et a contrario, apparaît ce que Dieu attend de quiconque se réclame de lui, à l’égard de quiconque. Jésus rappelle le destin et la vocation d’Israël, et de l’Église qui en hérité : donner ce que Dieu lui donne. Une lecture anti-juive d’un tel texte, selon laquelle Jésus ferait une leçon de charité plus ou moins hautaine à un peuple légaliste, revient tout bonnement à en ruiner le sens.

*

Gratitude, reconnaissance, envers Dieu, et envers ceux par qui il dispense ses bienfaits. Ce qui vaut en premier lieu évidemment pour Israël à qui l’on doit l’héritage de l’Alliance avec Dieu, mais aussi pour d’autres : les Arabes et leurs chiffres, avec le zéro ramené d’Inde ; les Africains et notre civilisation, à nos origines en Égypte, au départ nubienne comme le montrent les traits personnages royaux des plus anciens monuments ; les Grecs et la démocratie ; les Anglo-saxons et la république parlementaire. Je n’ai donné que des exemples énormes, mais on pourrait multiplier les exemples de ce type, pour en venir finalement à quiconque, à commencer par nos parents, évidemment. Et bien au-delà : compte les bienfaits de Dieu et ceux par qui il te les dispense…, si tu le peux.

Et lorsque Jésus enseigne la vie et la liberté dans la gratitude, il en sait le prix éventuel ; il en sait le risque : s’attirer la haine… Dette d’autant plus grande et appel à une gratitude d’autant plus haute. Telle est la réponse à la question du scribe : qui est mon prochain ?… Trouver son prochain ?… C’est se montrer le prochain d’autrui en accumulant les débiteurs, comme a fait le Samaritain.

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » Et qui est mon prochain ? Celui qui est en situation telle que je lui doive. Loin de contracter des dettes, accumule les débiteurs à ton égard sans croire pour autant que l’on te doit quoi que ce soit. « Fais de même » que le Samaritain, dit Jésus au légiste : mets-toi en situation telle que l’on te doive, enrichis le monde, en devenant par là, toi-même le plus riche.

R.P.
Vence, 11.07.10


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