dimanche 26 décembre 2010

La reconnaissance des Mages dans la blessure du temps



Joyeux Noël !
Et ici : Message de la veillée de Noël



Matthieu 2, 1-23
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des Mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: "Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les Mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: "Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.
10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

13 Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr."
14 Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte.
15 Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète: D’Égypte, j’ai appelé mon fils.
16 Quand Hérode se vit joué par les mages, sa fureur fut extrême ; il fit supprimer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans son territoire, d'après l'époque qu'il s'était fait préciser par les mages.
17 Alors s'accomplit ce qui avait été dit par l'entremise du prophète Jérémie :
18 Une voix s'est fait entendre à Rama, des pleurs et beaucoup de lamentations : c'est Rachel qui pleure ses enfants ; elle n'a pas voulu être consolée, parce qu'ils ne sont plus.
19 Après la mort d’Hérode, l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Égypte,
20 et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d’Israël; en effet, ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant."
21 Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, et il entra dans la terre d’Israël.
22 Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre; et divinement averti en songe, il se retira dans la région de Galilée
23 et vint habiter une ville appelée Nazareth, pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par les prophètes: Il sera appelé Nazôréen.

*

Mais comment les Mages sont-il devenus rois ? Car ces fameux Mages venus d’Orient, qui apparaissent à Noël, bientôt sacrés rois, Matthieu ne les présente que comme des Mages, des prêtres donc — des savants dira-t-on bientôt, miraculeusement présents, grâce à leur science des étoiles, la nuit du 25 décembre 0000. Car voilà qu'on s’est mis à enseigner aussi que Jésus est né un 25 décembre. Mais, nous disent les savants, les successeurs des Mages en quelque sorte, le 25 décembre c'est impossible : les bergers de Luc ne pouvaient être dans les champs en cette saison ! Et de nous faire remarquer que le 25 décembre est la date d'une fête païenne en l'honneur du soleil — vénéré alors sous la forme de telle ou telle divinité solaire (comme Mithra, dont les Mages étaient sans doute, selon leur religion, des adeptes).

Certes, et si en outre on s’en tient aux prophéties bibliques, la naissance de Jésus correspondrait plutôt à septembre-octobre, date de la fête de Souccoth, signe du Messie.

Alors, fête du Messie biblique, Messie de Bethléem, ou fête païenne ? Et voilà les plus humbles qui s'en repartent troublés, sans compter, donc, que selon toute vraisemblance, non seulement il n'est pas né un 25 décembre, mais qu'en plus ce n'était même pas en zéro.

Et si alors, le problème était toujours celui de savoir si Jésus est le Messie biblique ou celui qui concerne aussi les païens ? Et si c'était toujours autant un faux débat qu'à l'époque ? Et si, comme tout en étant né à Bethléem en Judée, Jésus est aussi galiléen, — si sous un certain angle, un angle bien réel, Jésus, annoncé au temps de Souccoth, l’était aussi un 25 décembre ? Si nos païens d'ancêtres dans la foi, avaient vraiment été saisis par l'Esprit de Dieu, Esprit par lequel on perçoit que ce Messie biblique concerne aussi les païens ?

Qu'est-ce en effet que le 25 décembre ? C'est dans l’Antiquité, la fête du solstice d'hiver, le moment où la nuit cesse de croître et où le jour augmente, le moment où la lumière nous rejoint dans nos ténèbres, et jusque dans nos ténèbres spirituelles de païens.

Ne dit-on pas que Jésus est le soleil de justice ? Voilà que dans l'Empire romain, on fêtait ce jour-là la fête du soleil, et voilà que le christianisme a triomphé dans l'Empire même, après trois siècles de persécution. Les plus sages y ont vu un signe que ceux qui se veulent les plus savants d'aujourd'hui ne savent pas reconnaître parce que cela ne correspond pas à la rigueur de l'Histoire — non plus, remarquez, que de connaître les dates exactes des naissances en un temps où il n’y a pas d’Etat civil, ni de registres ecclésiastiques datant les naissances.

Dans l'Histoire, Jésus n'est pas né un 25 décembre ? Mais si l'on est attentif on peut être à même de percevoir qu'il y a aussi une autre dimension. Rappelons-nous que les anges ont empli les cieux de leur louange au jour de la naissance de Jésus. Et que le temps des anges n'est pas le nôtre, qu'il est entre le nôtre et celui de Dieu, où « mille ans sont comme un jour ». Si, en toute rigueur historienne, Jésus n'est sans doute pas né un 25 décembre, ne sont-ils pas éclairés de ce qu'il est des réalités au-delà des nôtres, ceux qui ont soupçonné les vérités de ce temps des anges, un temps dont le vrai signe dans notre temps est effectivement le 25 décembre.

Ici le jour nouveau se lève, brillant d'une lumière dont on ne soupçonnait pas même l'existence, on passe des temps nocturnes aux temps du soleil de justice, qui concerne les peuples tous, et les païens. Ce qui consiste à dépasser, comme l'ont fait les Évangiles, le problème de savoir si c'est le Messie biblique ou s'il concerne les païens.

Point de contradiction doit-on dire à tous les diviseurs, à tous les éteignoirs des lumières de la fête de la levée du soleil de justice : le Messie biblique concerne les païens. C'est vers lui, vers sa lumière, que sont venus, guidés par l'étoile confuse de leur confuse astrologie, les Mages, ces païens d'Orient. C'est vers lui que se dresse l'arbre de Jessé, père de David — que symbolisent nos sapins venant d’un ancien paganisme — comme l'arbre de toute la création qui se dresse vers sa lumière qu'annonce cette même étoile des Mages.

*

Et à y regarder de près, les yeux de la foi découvrent alors que cette fête que l'on voudrait dénoncer comme païenne est celle de la bonne nouvelle du salut de Dieu pour les païens, que représentent ici les Mages. Elle est celle du chant de toute la création à la rencontre de la lumière à laquelle elle est appelée.

*

Et, cela dit, sachant que les Mages venaient d'orient, n'oublions pas en cette fête de Noël, ces millions de chrétiens, héritiers de l'époque des Mages, qui aujourd'hui sont persécutés. Dans nos pays, où les temples sont souvent vides, nous fêtons Noël en paix. Ailleurs, venir fêter Noël est souvent de prendre un risque, et pas seulement dans les pays d’où venaient les Mages.

Aujourd’hui, Hérode et le massacre des enfants de Bethléem… Vous savez, on entend parfois dire, pour en nier la réalité, qu’on n’en a aucun écho ailleurs de ce massacre que dans l’évangile ! Le bel argument ! Quand on sait ce que représente Hérode, à savoir la marionnette du pouvoir mondial de l’époque, à savoir Rome. Il n’est pas difficile d’imaginer que Rome et ses marionnettes locales n’avaient pas forcément intérêt à ne publier ce genre d’exactions.

Un peu comme l’incendie de Rome 70 ans plus tard, qui — difficile à cacher pour le coup — sera attribué… aux chrétiens. Bon motif pour les persécuter. La technique de la guerre médiatique est toujours la même : soit cacher ses crimes, soit les attribuer aux victimes.

Rien d’impossible à de telles exactions quand on sait que l’on vise celui qui sera — certes on ne le sait pas encore — celui contre lequel « toutes les nations se sont liguées » ; cela selon la prophétie du Psaume 2. Et là, oui, on est bien dans la prophétie. Hérode, usurpateur à la solde des Romains, mais, aux yeux de la puissance internationale qu’il représente, roi légitime. Aux yeux de Dieu, ça n’y change rien et l’évangile le souligne à présent : illégitime, il est prêt à tous les massacres pour écarter celui contre lequel sont liguées toutes les nations, ne sachant pas qu’elles persécutent le signe et le porteur de leur salut ! Et dans ce chaos des rois et des puissances, les Mages, qui seuls parmi les nations, reconnaissent la vérité…

Signe supplémentaire que les Mages ne sont décidément pas rois ; mais ils le sont devenus, tant les rois du temps, ramassés en Hérode, marionnette de la puissance des nations, celle de Rome, se sont montrés indignes de leurs couronnes…

Alors le jour est venu de nous en repartir avec les Mages, par un autre chemin, celui de la vérité et de la paix. Repartons tout à nouveau par le chemin de la manifestation de l'amour de Dieu aux nations de la terre.

R.P.
Antibes, 25.12.2010
Vence, 26.12.2010


dimanche 19 décembre 2010

Un "rien" pour le salut du monde





Ésaïe 7, 10-16 ; Psaume 24 ; Romains 1, 1-17 ; Matthieu 1, 18-25

Matthieu 1, 18-25
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés."
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : "Dieu avec nous".
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
*

Voilà un récit qui nous met en butte à l’inexplicable. Mais précisément, c’est le Dieu de l’inexplicable que Jésus nous fait rencontrer…

Le texte ne nous dit pas comment Joseph savait que Marie était enceinte — par l'action du Saint Esprit. Et comme Joseph n’est pour rien à tout cela, on imagine que le texte suggère qu'à un certain point de la grossesse, il commençait à se poser des questions sur l'embonpoint croissant de sa fiancée.

Passant sur ces questions, le texte nous présente Joseph au moment où il envisage de prendre des résolutions : rompre secrètement — car « il était un homme de bien », nous dit l'évangile. Retenons de cela, avant d’aller plus loin, que la contribution de Joseph à la grossesse de Marie, sa part,… se résume à un mot : rien…

Ce pourquoi il envisage de rompre : rappelons qu'à l'époque, les fiançailles étaient un contrat que normalement on ne rompait pas. C'était déjà un mariage, en quelque sorte ; une rupture était donc comme un divorce. Et il était inconcevable qu'avant le mariage proprement dit, le fiancé s’approche de sa promise. On restait à une distance relative, on était simplement promis l’un à l’autre, et cela ne se rompait pas.

D'où le problème qui se pose à Joseph : s'il ne rompt pas, on va le soupçonner lui d’avoir manqué de respect à sa promise ; et naturellement, de plus, il n'était peut-être pas non plus forcément enthousiaste à l'idée d'épouser une femme qui apparemment l’avait trompé. Mais s'il rompt, il expose Marie à l'humiliation publique, et par là-même à un avenir des plus sombres : ce qu'il veut lui épargner. Joseph envisage donc une voie moyenne : la rupture secrète.

C'est un ange, perçu en songe, qui le retient de mettre son projet de rupture à exécution et le rassure sur la probité de Marie. (Joseph nous sera souvent montré dans son sommeil — trois fois — rencontrant des anges.) Le songe est le lieu de communication entre notre monde et les mondes supérieurs.

Joseph doute d'autant moins de la parole angélique qu'il est vraisemblablement prêt à faire confiance à Marie. Cela rejoint son espérance de la venue prochaine d'un Messie, sauveur du peuple. Et voilà que c'est à lui qu'il est confié, selon la vision qu’il a en songe.

Joseph, à son réveil, obéit à la vision angélique. Joseph adoptera donc Jésus.

Revenons à présent à notre « rien » de départ : Joseph n’y est pour rien, il n’a rien apporté. Et il a reçu en abondance. Qu’est-ce que Joseph, en effet, reçoit de Dieu ce jour-là ? Jésus. Comme le nom même de Jésus l’indique (1, 21), il porte le salut du Seigneur ; le nom Jésus signifiant « le Seigneur sauve » ; il est lui-même en sa chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Et là, quant au « rien » de Joseph, il commence à prendre forme, si l’on y regarde bien Joseph a adopté Jésus comme son enfant. Voilà déjà qui est moins rien…

Et voilà qui nous rejoint, chacun de nous. Recevoir, comme Joseph l’a reçu, le don miraculeux de Dieu, c’est cela être sauvé. Car c’est de cela qu’il s’agit pour nous aussi. Adopter le salut de Dieu, son projet pour nous — pour que s’accomplisse la promesse selon laquelle Dieu sera avec nous : Emmanuel.

Rien donc : adopter, recevoir, simplement. Mais un rien qui n’est pas si « rien » que ça, chargé de la puissance de Dieu.

Comme Joseph ne peut rien à la venue de celui qui demeure auprès de Dieu avant même sa propre naissance, comme ce rien prend sens, un rien déjà lourd de sens pour Joseph : adopter le Fils de Dieu — nous ne pouvons rien à ce que nous recevons de Dieu. Mais Dieu montre rétroactivement ce que, sans le qu'on le sache, contient ce rien : il est ce à partir quoi Dieu crée le monde, et crée le monde nouveau.

*

On voit bien ce qu’a reçu Joseph au bout du compte. Joseph a reçu énormément. Il a reçu celui qui est le pain de Dieu. Ce pain qui nourrit quiconque en mange, pour la vie éternelle, celui qui est la chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Joseph a ainsi vu multiplier jusqu’à nous le peu qu’il a apporté, au fond la confiance en la parole qui lui a été adressée « ne crains pas », un accueil qui est lui même don de Dieu. Joseph a donc peu, en apparence, il n’a que sa confiance en ce que Dieu peut faire du « rien » qu’elle lui permet d’offrir… Un « rien » chargé d’un infini de richesse.

Vous savez, un des textes des évangiles où nous voyons se réaliser au-delà de Joseph, où l’on voit — j’allais dire — les restes de l’abondance que Dieu à multipliée à partir du rien de Joseph, c’est le récit de la multiplication des pains, où, du rien des disciples, Jésus nourrit son peuple, puis le monde… Rien : un peu de pain et de poisson, puis douze et sept paniers…

Matthieu 14
15 Le soir étant venu, les disciples s’approchèrent de lui, et dirent : Ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée ; renvoie la foule, afin qu’elle aille dans les villages, pour s’acheter des vivres.
16 Jésus leur répondit : Ils n’ont pas besoin de s’en aller ; donnez–leur vous–mêmes à manger.
17 Mais ils lui dirent : Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons.
18 Et il dit : Apportez-les-moi.
19 Il fit asseoir la foule sur l’herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux vers le ciel, il rendit grâces. Puis, il rompit les pains et les donna aux disciples, qui les distribuèrent à la foule.
20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient.
21 Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans les femmes et les enfants.

Et un peu plus tard :

Matthieu 15
33 Les disciples lui dirent : Comment nous procurer dans ce lieu désert assez de pains pour rassasier une si grande foule ?
34 Jésus leur demanda : Combien avez-vous de pains ? Sept, répondirent–ils, et quelques petits poissons.
35 Alors il fit asseoir la foule par terre,
36 prit les sept pains et les poissons, et, après avoir rendu grâces, il les rompit et les donna à ses disciples, qui les distribuèrent à la foule.
37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient.
38 Ceux qui avaient mangé étaient quatre mille hommes, sans les femmes et les enfants.

Et à nous tous, il dit :

Matthieu 16
9 Etes-vous encore sans intelligence, et ne vous rappelez-vous plus les cinq pains des cinq mille hommes et combien de paniers vous avez emportés,
10 ni les sept pains des quatre mille hommes et combien de corbeilles vous avez emportées ?

Rien, en apparence, un peu de pain et de poisson. Et pourtant, à vue humaine, plus que ce qu’a apporté Joseph. Ça, c’est parce Joseph a sans doute plus de foi que nous. Il n’a même pas eu besoin du signe du pain et des poissons.

Au départ la parole de l’inexplicable, celle donnée à Joseph. Mais précisément, c’est le Dieu de l’inexplicable que Jésus nous fait rencontrer. Le Dieu de l’inexplicable qui fait entrer son fils dans le monde via le rien qu’offre Joseph, ce fils qui nourrit le monde et dont la parole s’étend au monde entier par la l’intermédiaire du rien que nous apportons à Dieu.

À nous d’apporter notre rien, qui repris par Dieu n’est rien moins que le matériau par lequel il déploie sa force créatrice et la promesse du monde nouveau.

RP
Antibes, 19.12.10


mardi 14 décembre 2010

... Depuis son Temple sacré...




Michée 1
1 Parole du SEIGNEUR qui parvint à Michée de Morésheth aux jours de Jotam, d'Achaz, d'Ezéchias, rois de Juda ; ce qu'il a vu au sujet de Samarie et de Jérusalem.
2 Ecoutez, vous tous, peuples ! Prête attention, terre, toi et ce qui te remplit ! Que le Seigneur DIEU soit témoin contre vous, le Seigneur, depuis son temple sacré !
3 Car le SEIGNEUR sort de son lieu il descend, il marche sur les hauteurs de la terre.
4 Sous lui les montagnes fondent, les vallées s'entrouvrent comme la cire devant le feu, comme l'eau qui dévale une pente.
5 Et tout cela à cause de la transgression de Jacob, à cause des péchés de la maison d'Israël ! Quelle est la transgression de Jacob ? N'est-ce pas Samarie ? Quels sont les hauts lieux de Juda ? N'est-ce pas Jérusalem ?
6 Je ferai de Samarie un monceau de pierres dans les champs pour y planter de la vigne ; je précipiterai ses pierres dans la vallée, je mettrai ses fondations à découvert,
7 toutes ses statues seront mises en pièces, tous ses gains seront jetés au feu, et je démolirai toutes ses idoles : recueillies avec le gain de la prostitution, elles redeviendront un gain de prostitution.
8 C'est pourquoi je me lamenterai, je hurlerai, je marcherai déchaussé et nu, je ferai entendre des lamentations comme le chacalet des gémissements comme les autruches.
9 Car sa plaie est incurable, elle s'étend jusqu'à Juda ; elle atteint la porte de mon peuple, jusqu'à Jérusalem.
10 Ne l'annoncez pas dans Gath, ne pleurez pas dans Akko ! Je me roule dans la poussière à Beth-Léaphra.
11 Passe, habitante de Shaphir, dans la nudité et la honte ! L'habitante de Tsaanân n'ose sortir, la lamentation de Beth-Etsel vous prive de son appui.
12 L'habitante de Maroth tremble pour son bonheur, car le malheur est descendu, venant du SEIGNEUR jusqu'à la porte de Jérusalem.
13 Attelle char et chevaux, habitante de Lakish ! Tu as été pour Sion la belle le commencement du péché, car en toi se sont trouvées les transgressions d'Israël.
14 C'est pourquoi tu te sépareras de Morésheth-Gath ; les maisons d'Akzib seront une tromperie pour les rois d'Israël.
15 Je t'amènerai un nouveau conquérant, habitante de Marésha ; la gloire d'Israël s'en ira jusqu'à Adoullam.
16 Rase-toi, coupe ta chevelure, à cause de tes fils chéris ! Elargis ta tonsure comme le vautour, car ils s'en vont en exil loin de toi !

*

Lorsque le temple terrestre tend à s’aligner sur les « hauts lieux » (ces sanctuaires d’idoles) sur la route desquels s’est déjà inscrit le sanctuaire de Samarie, le temple a marqué irrémédiablement qu’il n’est qu’une représentation du Sanctuaire céleste, inaccessible à nos idoles. On entre dans une spiritualité affinée, radicalement dégagée des idoles.

C’est cette spiritualité qui est déjà celle de Michée, et qui, déjà avant l’exil, lui permet d’esquisser l’explication de l’apparent abandon par Dieu du peuple de la promesse — « témoin contre vous, le Seigneur, depuis son temple sacré » (v. 2).

Dieu ne se confond pas avec les projections imaginaires qui grèvent le culte de Samarie et qui déjà atteignent Jérusalem.

Aussi, signe que le temple terrestre est dépouillé de son sens, de sa vocation à signifier le Dieu qui est au-delà de nos projections, il est sérieusement menacé par les puissances étrangères. Non seulement le temple ambivalent de Samarie, mais même le temple de Jérusalem !

C’est pourquoi, dans sa lamentation, Michée tient à en rester aux immédiats environs de Jérusalem. Il ne parle même pas de Gath, qui est déjà menacé et est dans une périphérie relativement éloignée (approximativement entre Jérusalem et Gaza dans la géographie actuelle) — pour ne rien dire d’Akko loin dans le nord (actuel Acre au Liban) — non le danger n’est pas éloigné, il est là, aux abords de Jérusalem, qui a perdu sa symbolique protectrice tant ce qui s’y passe montre que si Dieu est bien dans son temple, c’est du Temple céleste qu’il s’agit.

Quel sens pour aujourd’hui ? Dans un monde corrompu jusqu’au cœur des sanctuaires de nos pouvoirs, il est vain de vivre comme si les plaies qui frappent des pays lointains ne nous concernaient pas. Non seulement elles nous concernent dans la solidarité humaine, mais la menace est peut-être plus proche de nous qu’on veut le croire, ne serait-ce que parce que dans la géopolitique mondiale les sanctuaires de nos pouvoirs ne sont pas si innocents que cela dans nombre des malheurs et des violences qui frappent les peuples « lointains », pas si lointains que cela…

« Ne l'annoncez pas dans Gath, ne pleurez pas dans Akko ! Je me roule dans la poussière à Beth-Léaphra » (v. 10). Beth-Léaphra — ou : la maison de poussière —, ici-même.

RP
14.12.10, CP Antibes


dimanche 12 décembre 2010

Temps du désert avant la délivrance




Ésaïe 35, 1-10 ; Psaume 146 ; Jacques 5, 7-10

Matthieu 11, 2-17
2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples:
3 "Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?"
4 Jésus leur répondit: "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez :
5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ;
6 et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi !"
7 Comme ils s’en allaient, Jésus se mit à parler de Jean aux foules : "Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? Un roseau secoué par le vent ?
8 Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu d’habits élégants ? Mais ceux qui portent des habits élégants sont dans les demeures des rois.
9 Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le déclare, et plus qu’un prophète.
10 C’est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi.
11 En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.
*

Jean est en prison, à cause de son message, et de sa radicalité, de l’intransigeance de son message, qui lui a valu des ennemis. Fidélité à un message qui porte en son cœur l’espérance sur laquelle, du fond de sa prison, Jean s’interroge. C’est pour lui le temps de l’oubli, de la détresse : la prison. Voilà où l’a mené son message. Alors le temps qu’il a annoncé vient-il ? Vient-il en Jésus ? — dont les œuvres portent des échos jusque dans la cellule du prophète captif.

« Il y a un temps pour tout », dit l’Ecclésiaste. Pour nous s’approche le temps de se réjouir à Noël — dans l’oublie de ce qui va advenir de cet enfant, et déjà dans l’oubli des circonstances de sa naissance. Dans le temps liturgique qui nous est donné en attendant — l’Avent, attente dans l’espérance de celui qui vient et que nous fêtons à Noël — ; dans ce temps accentuant le manque, dans l’attente qui marque ce temps de l’Avent, il s’agit aussi de porter le deuil sur notre temps rebelle auquel viendra mettre fin la lumière que nous espérons. Comme elle mettra fin aux ténèbres de la prison de Jean.

Dans tous les cas, il s’agit d’être disponibles à Dieu qui nous a placés dans le temps avec ses saisons, ses contraintes, et ses joies. Accueillir Dieu où il se donne, comme il se donne. Ce qui vaut beaucoup de leçons. La leçon, bien sûr, de la réalité de notre vie qui est comme un cycle signifié dans le déroulement des saisons liturgiques, jusqu’au temps de la rencontre qu’annonce aussi l’attente de Noël au cours de ce temps l’Avent.

Il y a là, aussi, cette leçon qui pourrait être amère sans la confiance à Dieu, que comme il y a des moments sombres et des moments joyeux dans nos célébrations et nos commémorations…

Un temps pour la joie, avec Jésus, un temps, avec Jean, pour le repentir et le cheminement ! Et dans tous les cas, rien qui satisfasse ceux dont la sagesse de Dieu, plus sage que les hommes, n’a pas creusé les oreilles. Or nous y sommes tous naturellement sourd à cette sagesse, selon laquelle Dieu plonge au cœur de notre temps avec ses aléas et ses difficultés.

*

Cela vaut pour les saisons liturgiques qui nous élèvent hors des nœuds du quotidien, cela concerne aussi les saisons de la vie, où est descendu celui qui est venu dans la lourdeur du temps avec lequel il faut composer.

C’est cela aussi l’annonce de l’Incarnation. Jésus descendra dans la lourdeur du quotidien, dans les tortuosités de la vie, et il y entraîne quiconque sera appelé à le suivre.

Eh bien, là aussi, là d’abord, peut-être, il s’agit de recevoir la parole de Dieu. La recevoir là où elle nous est donnée, pour la voir germer en vie éternelle.

Alors qu’êtes-vous allés voir au désert, — ou au désert de vos temples ?

C’est bien un prophète qui s’est adressé à vous dans le désert, souligne Jésus ; et la façon dont il vous a traités d’engeance de vipère est de l’ordre de la parole de Dieu. C’est dans cette conscience là qu’on prépare la venue du Seigneur.

Et, savez-vous, au fond, son propos est sans doute d’en faire fuir le maximum, car c’est aujourd’hui le jour du combat qui ne sera remporté que par Dieu seul. Et cela est donné en signe lorsque le monde entier abandonne celui qui est resté fidèle. Jean au fonde de sa prison. Nous faisons la fine bouche devant la prédication d’une parole qui n’est pas à la mode, à notre mode, celle de nos danses et chansons ? Nous préférons les clameurs unanimes des violeurs du droit ? Le combat est mené par Dieu, qui est avec son témoin fidèle et isolé. Qu’êtes-vous allés voir au désert ?

Comme en tous temps, le combat de Dieu suppose que Dieu seul est honoré, Dieu qui vient caché sous l’apparence d’un petit enfant. Lui seul doit être honoré par ses portes paroles, et pas eux : il faut qu’il croisse et que je diminue a dit Jean le prophète.

C’est en ce temps que nous sommes. Le temps des combats de Dieu. Nos temples sont vides, nos caisses d’Église sont vides ? Nos fichiers sont déplumés ? C’est le temps des combats de Dieu : ce n’est pas par votre force, pas par votre nombre, c’est par mon Esprit dit le Seigneur.

C’est aujourd’hui le temps du désert… Mais qu’êtes-vous allés faire auprès de Jean ? Il n’y a là que parole de Dieu pour attirer les cœurs assoiffés.

C’est ici le temps où Dieu se prépare une armée trempée dans la repentance que prêche Jean. Et comme en tous temps l’armée de Dieu doit être faible, pour que la force de Dieu seul soit reconnue. Comme au temps du combat de Gédéon, où Dieu diminue drastiquement l’armée de son combat spirituel pour que lui seul soit le maître d’œuvre, ce temps est peut-être celui où Dieu "écrème" son armée de tout ce qui n’est pas attiré par sa seule parole.

Qu’êtes vous allés écouter au désert, ou au temple désert : un chanteur « pipol » ? Mais les chanteur « pipols » ne sont pas dans les temples, ils sont sur les plateaux-télé.

Qu’êtes-vous allés écouter au désert ? Un prophète, « oui, et plus qu’un prophète. C’est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi », et cela par une prédication qui n’a rien pour chercher à séduire : « engeance de vipères, produisez du fruit digne de la repentance », la voilà sa prédication.

Et Jésus en rajoute aujourd’hui. Ce ne sont pas des paroles enjôleuses qui ouvrent le Règne de Dieu. Ce règne « ce sont des violents qui l’arrachent » dit Jésus juste après (Matt 11, 12).

Oh pas de la violence de ce monde ! Lorsque la violence de Babylone menaçait Israël — Babylone, le pire des systèmes de l’époque, ce n’était pas l’Égypte, autre puissance, même moins inhumaine, dont les armes sauveraient Israël. On sait que le prophète Jérémie reprochera au roi d’Israël une vaine tentative d’alliance avec l’Égypte.

Gageons que la parole sur laquelle se fondait Jérémie lui avait appris que quand la force, peut-être indispensable parfois — il ne s’agit pas de le nier —, reverse un pouvoir total, si elle n’est pas fondée en Dieu, elle deviendra de toute façon tôt ou tard à son tour, par les idoles qu’elle adore, une nouvelle idole de puissance qu’il faudra combattre à son tour. L’histoire a cent fois montré cela.

C’est ainsi que dans le combat de Dieu, il ne s’agit pas de la violence de ce monde ! Ce n’est pas contre la chair et sang que vous avez à lutter, mais contre des esprits de ténèbres.

Comme cet esprit de séduction qui voudrait faire croire aujourd’hui que les temples se remplissent en courant après la mode, cet esprit d’engourdissement qui nous susurre : « paix, paix, et il n’y a point de paix ».

C’est aussi cela la préparation des chemins intérieurs du Seigneur de ce temps de l’Avent.

Sachant que c’est un prophète, et pas un chantre de séduction qu’il nous est donné de méditer, à chacun de nous de s’interroger, en son for intérieur. Je me crois trop faible, je me crois trop jeune, je me crois trop vieux. Je me crois insignifiant dans un peuple de croyants insignifiant, trop peu nombreux, etc. C’est juste ! Et figurez-vous que c’est cela que s’est dit chaque prophète, chaque témoin appelé par Dieu. Relisez Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel, Paul. Tous ont eu ce genre de réflexion, juste réflexion, avec pour réponse invariable : « ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse ».

Plus que ça, quand l’Église a couru le risque de se sentir forte, Dieu l’a diminuée, comme au temps de Gédéon… et peut-être au nôtre. À nous alors de savoir discerner en quel temps nous sommes. À nous de nous placer devant Dieu pour lui demander, chacun en son for intérieur : « Seigneur me voici avec mon incompétence, que veux-tu de moi ? »


R.P.
Vence 12.12.10


dimanche 5 décembre 2010

Le prophète Jean — pour une Alliance renouvelée




Ésaïe 11, 1-10 ; Psaume 72 ; Romains 15, 4-9 ; Matthieu 3, 1-12

Matthieu 3, 1-12
1 En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée:
2 "Repentez-vous: le Règne des cieux s’est approché!"
3 C’est lui dont avait parlé le prophète Ésaïe quand il disait: "Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
4 Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
5 Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui;
6 ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit: "Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion;
9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10 Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.
11 "Moi, je vous baptise dans l’eau en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi: je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales; lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
12 Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas."
*

Lorsque paraît Jean le Baptiste, le judaïsme connaît déjà une pratique du baptême, et cela jusqu’à aujourd’hui. Le judaïsme l’appelle, du mot hébreu, le miqvé.

Le miqvé est une immersion rituelle, symbole de purification, un bain d’eau courante, par exemple dans une rivière ou un bassin non fermé. Comme dans le Jourdain où Jean baptise, ou dans les « piscines » alimentées par les ruisseaux de Jérusalem — nommées par les évangiles : ainsi les miqvaoth (pluriel de miqvé) de Siloé ou de Béthesda.

Le baptême qui accompagne la prédication de Jean le Baptiste relève naturellement du miqvé. Cette prédication annonce bien l’urgence et la nécessité d’une purification, dans la repentance ; à savoir : faire retour — techouva en hébreu —, « changer d’intelligence » selon le terme grec du Nouveau Testament (métanoïa). En français : le repentir, ou la conversion.

*

Selon Jean le Baptiste, pas d’alternative : sans retour sur soi, sans repentance donc, il n’est d’avenir que mortifère, que repli collectif ou communautaire sur un passé dont on ne fait que regretter qu’il soit passé : « nous avons Abraham pour père »…

« Engeance de vipères ! » réplique Jean. Car il s’agit pour ceux auxquels Jean lance son appel, de se détourner d’attitudes indignes d’Abraham ; comme est indigne cette façon de se réclamer de lui sans en avoir la dignité — en transgression de la Torah, la Loi de Dieu ; autant de façons de vipères dans le vocabulaire cru de Jean. Il s’agit, dans le signe du baptême, de se détourner de cela précisément, pour être plongés dans une vie nouvelle, symbolisée par le signe de l’eau.

Ce moment de la prédication du Baptiste marque un tournant vers le futur baptême chrétien, en exprimant, la soulignant d’une façon particulière, une distinction nette entre vie biologique et vie spirituelle — distinction bien inscrite dans la tradition hébraïque : on peut descendre biologiquement d’Abraham sans participer à la vie, à l’expérience spirituelle qui a été la sienne.

La référence à Abraham est ici essentielle : Abraham est dans la Bible « le père de l’Alliance ». En lui, Dieu s’allie un peuple, avec pour signe de l’Alliance la circoncision — à l’occasion de laquelle la tradition fera passer les nouveaux venus au judaïsme par le miqvé.

Car le miqvé est pratiqué, entre autres, lorsqu’une famille non-juive vient au judaïsme : outre la circoncision des mâles, hommes, femmes et enfants passent par le rite du miqvé familial. Leur passage à la religion d’Abraham et de Moïse, symbolise la purification de cette famille, par son exode, comme celui d’Abraham — de la Chaldée, terre de Babylone, vers la promesse — ; ou celui de Moïse et de son peuple — d’Égypte à la Terre promise, — exode qui se terminait chaque fois par la traversée du Jourdain. Le baptême rappelle alors cette traversée du Jourdain.

On pense irrésistiblement à la purification de Naaman le Syrien, ce chef de la hiérarchie militaire syrienne, qui, lépreux, accepte pour sa guérison de se plier au geste auquel au départ il était très réticent, ce geste d’humilité qui était de se faire laver dans cette rivière d’Israël. On pense aussi, concernant toujours ce baptême juif, à la promesse d’Ésaïe ou d’Ézéchiel, d’un nouvel exode à travers le Jourdain, de Babylone à Jérusalem. Jean baptise dans le Jourdain, précisément. Un nouvel exode qui rappelle que nous sommes tous étrangers devant Dieu. Rappelle-toi que tu as été étranger au pays d’Égypte — avec deux conséquences : sois reconnaissant d’avoir été accueilli sur la terre qui appartient à Dieu seul, et sois respectueux et accueillant envers l’étranger (tu l’es aussi, au fond).

En son cœur le baptême de Jean rappelle que tous, quelles que soient nos origines ou notre passé, y compris religieux, fût-il authentiquement de l’ascendance d’Abraham, ou de quelque autre grand ancêtre ou peuple au passé glorieux, tous avons besoin de faire retour à Dieu — depuis le pays d’Égypte. Cela avec tout son sens : au plan moral, retour à Dieu, ou repentance.

Ici on passe à un autre plan, à savoir : nous sommes tous moralement inadéquats devant Dieu — « engeance de vipères », dit Jean. Où il faut remarquer l’humilité des pharisiens qui viennent à Jean. Car il reste quand même de leur geste, se faire laver, que le baptême marque une véritable humilité, dans la confession de son indignité. Et quand on se confesse indigne, on ne se sent pas si fier que l’on ose poser des exigences. On demande si des fois il serait possible...

Et là Jean Baptiste peut prononcer la parole de la grâce et de la consolation, et la promesse de l’Esprit qui est octroyé de façon invisible et préalablement même, par celui qui en est porteur, le Messie, Jésus. Cela, donc, non sans avoir au préalable traité d’abord le candidat, pour qu’il ne s’imagine pas être exempt d’une réelle repentance, d’ « engeance de vipères ».

*

Mais il est toujours temps de produire du fruit de repentance, tout de suite. Pour cela, il faut recourir à la grâce, au don gratuit de Dieu, par la foi, en fonction d'une désespérance de soi-même dans l'exil loin de Dieu. Effectivement tout cela est désespérant : je suis impur et pécheur ; mais il y a un recours, un seul, demander grâce. C’est cela, la demande du baptême. Cela se fonde sur la prise au sérieux de la Loi de Dieu, qui révèle la culpabilité ; et qui met le doigt sur la cause de cet exil dont Dieu promet la fin dans le Messie.

C'est là la fonction du précurseur Jean Baptiste sur lequel ce temps de l'Avent nous invite à méditer : la justice sera établie, « les collines abaissées et les vallées comblées » ; c’est-à-dire : les fiers seront humiliés et les humbles seront relevés. La Loi est l'instrument de cette justice : qui la transgresse connaît le jugement dont l'exil est déjà l'expression, jugement impitoyable. Or, tous la transgressent : « engeance de vipères » dit Jean le Baptiste à ces enfants d'Abraham. Dans sa vigueur, ces paroles indélicates soulignent qu'il n'y a ni excuse, ni exception face à cette exigence de prise au sérieux de la Loi, c’est-à-dire de repentir.

*

Mais la mission de Jean Baptiste, selon le prophète lui-même citant Ésaïe 40, est de consoler le peuple (cit. Ésaïe 40, 1-3). Consolation. Quel est donc le rapport entre repentir, ou repentance, et consolation : la consolation étant la grâce, de don gratuit que Dieu fait au peuple, doit-on succomber à la tentation de conclure que la grâce dépend de la repentance ? Et alors peut-on encore vraiment parler de grâce, de don gratuit ? N'est-on pas dans la voie d'un salut par les œuvres ? Non, la consolation ne dépend pas de notre repentir. Mais, sans les fruits du repentir qu’exige Jean de son ramassis de vipères, la consolation reste théorique.

Car le repentir est dans la Bible le mouvement par lequel Dieu fait revenir le peuple. On l’a dit, pour « repentir », ou « repentance », on pourrait aussi dire « retour ». Et, donc, historiquement, il s'agit d’abord du retour d'exil. Il est important de remarquer que la grâce de Dieu précède le retour du peuple. Mais le retour a vraiment lieu. Parmi les textes de la Bible hébraïque sur lesquels Jean a pu fonder sa pratique baptismale, on trouve par exemple Ézéchiel ch. 36, annonçant le retour du peuple exilé à Babylone. On y lit que c’est Dieu qui prend l’initiative de faire revenir son peuple d’exil en le sanctifiant par une « aspersion d’eau pure » et une effusion de son Esprit.

On retrouve bien là l’œuvre de Jean relative au repentir et au baptême, ainsi que l'annonce que le prophète fait de l’œuvre du Messie qui « baptisera d'Esprit ». Dieu y précède tout mouvement.

Mais le mouvement en question étant le repentir, il faut ne pas oublier le sens profond de l'exil dont le peuple est appelé à revenir. Au-delà de sa dimension géographique, l'exil de Terre Sainte à la terre de Babylone, il est au fond question d'une dimension spirituelle : l'exil dans le péché et la culpabilité, que l'exil à Babylone ne fait que signifier et sceller dans la géographie. Babylone, ou l’Égypte, ou tout autre lieu d’exil. Déjà au temps de Moïse, l'exode d'Égypte était une montée vers Dieu.

Si le peuple se retrouve en exil, c'est, selon le prophète Ésaïe, que la Terre, signe de la présence de Dieu, le rejette, à cause de ses fautes : « ce sont vos péchés qui vous éloignent de moi » disait Dieu dans le livre du prophète Ésaïe (59, 2). C'est ainsi, qu'en son cœur spirituel, le retour géographique du peuple exilé, son exode, signifie un retour spirituel vers Dieu.

Le temps définitif de ce retour d'exil, de cet exode hors du péché est le temps du Messie, le temps du Royaume. C'est ce temps qu'annonce et prépare Jean Baptiste, et qu'accomplit Jésus...

R.P
Antibes, 05.12.2010