dimanche 26 septembre 2010

Le riche et Lazare




Amos 6:1-7 ; Psaume 146 ; 1 Timothée 6:11-16

Luc 16, 19-31
19 "Il y avait un homme riche qui s’habillait de pourpre et de linge fin et qui faisait chaque jour de brillants festins.
20 Un pauvre du nom de Lazare gisait couvert d’ulcères au porche de sa demeure.
21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses ulcères.
22 "Or le pauvre mourut et fut emporté par les anges au côté d’Abraham ; le riche mourut aussi et fut enterré.
23 Au séjour des morts, comme il était à la torture, il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare à ses côtés.
24 Alors il s’écria: Abraham, mon père, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre le supplice dans ces flammes.
25 Abraham lui dit : Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu ton bonheur durant ta vie, comme Lazare le malheur ; et maintenant il trouve ici la consolation, et toi la souffrance.
26 De plus, entre vous et nous, il a été disposé un grand abîme pour que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne le puissent pas et que, de là non plus, on ne traverse pas vers nous.
27 "Le riche dit : Je te prie alors, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père,
28 car j’ai cinq frères. Qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture.
29 Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent.
30 L’autre reprit : Non, Abraham, mon père, mais si quelqu’un vient à eux de chez les morts, ils se convertiront.
31 Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus.
*

La parabole de l'intendant infidèle précède ce texte, avec un verset charnière, qui apparemment n’a rien avoir ni avec l’intendant, ni avec Lazare et le riche : v. 18, « quiconque répudie sa femme et en épouse une autre commet l'adultère, et celui qui épouse une femme répudiée par son mari commet l'adultère. »

Voilà qui semble s’interposer dans le déroulement du texte comme un cheveu tomberait sur la soupe !

Cheveu sur la soupe, à moins que ce ne soit précisément une parole clef. La trahison qu'est l'adultère comme parallèle avec la trahison qu'est servir Dieu et Mammon à la fois, concernant et la parabole de l’intendant infidèle, et notre texte sur Lazare et le riche.

Car c'est de cela qu'il s'agit au départ. On en trouve un parallèle dans l'Épître de Jacques (ch.4, v.4) : « Adultères ! Ne savez-vous pas que l'amour du monde est inimitié contre Dieu ? Celui donc qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu. »

Ce serait donc bien de notre question qu'il s'agirait : écoutons le contexte — Jacques écrit (v.1-5) : « D'où viennent les luttes, et d'où viennent les querelles parmi vous, sinon de vos passions, qui guerroient dans vos membres ? Vous convoitez et vous ne possédez pas ; vous êtes meurtriers et envieux, sans (rien) pouvoir obtenir ; vous avez des querelles et des luttes, et vous ne possédez pas, parce que vous ne demandez pas. Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal, afin de (tout) dépenser pour vos passions. Adultères ! Ne savez-vous pas que l'amour du monde est inimitié contre Dieu ? Celui donc qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu. Croyez-vous que l'Écriture dise en vain: Dieu aime jusqu'à la jalousie l'Esprit qu'il a fait habiter en vous ? »

Alors notre parabole devient bien un clou enfoncé : il est effectivement impossible d'aimer Dieu et les biens — Mammon — ; il y a effectivement un abîme infranchissable et éternellement infranchissable. Cet abîme qu’est l’enfer dans lequel sont Lazare et les miséreux de notre monde.

*

Mais, me direz-vous à juste titre, « je ne trouve pas de Lazare devant la porte d’entrée de ma salle de banquet quotidien, que je sache ! Banquet d’ailleurs modeste, tout de même… » Certes… Quoique…

Je ne vous apprends rien en disant que la télévision, ou la radio, diffusent les principales éditions de leurs journaux aux heures des repas. C’est-à-dire que pour nombre d’entre nous, les repas s’agrémentent souvent d’informations et d’images sur ce qui se passe dans le monde.

Ainsi s’il vous arrive ces temps-ci de manger en écoutant le journal télévisé, vous prenez votre soupe — sur laquelle il n’y a pas de cheveu — assaisonnée de déclarations sur les Roms, ou de réflexions sur l’âge de la retraite, puis juste avant le plat principal, vous vous désaltérez d’une rasade d’attentats au Moyen Orient, assaisonnée de crise des otages du Niger, fait de fanatiques qui semblent ne rien revendiquer ! Vous pourrez plus tard goûter votre fromage, par exemple sur une tranche de meurtres passionnés accomplis par un amoureux éconduit. Et si l’occasion s’y prête vous pourrez accompagner votre dessert d’un reportage sur les grandes randonnées et leur vertu thérapeutique, ou sur les petits poissons nettoyeurs de pieds actuellement à la mode.

Mais avant fromage et dessert vous aurez eu votre plat de résistance, une bonne daube ruisselante dans sa sauce à point, ses belles olives noires, ses carottes et son laurier — daube dont je concède qu’elle n’a rien d’un des banquets à la romaine décrits dans l’évangile… Mais tout de même… Voilà quoiqu’il en soit notre daube,… assortie comme il se doit d’un reportage sur la famine au Niger, puisque les otages du groupe Aréva nous y ont conduits.

Étant au Niger, voilà donc pour finir qu’apparaissent à l’écran des enfants faméliques au ventre gonflé par la dénutrition, agrippés au sein vide de leur mère squelettique, avec leurs yeux immenses semblant vous supplier, ces yeux au bord desquels s’aventurent quelques mouches en quête d’un reste d’humidité.

Si, malgré la fréquence de telles images, vous êtes encore de ceux qui s’émeuvent, vos yeux s’humectent alors, tout au plus, et tandis qu’apparaît le visage tour à tour grave ou souriant, du journaliste qui vous annonce le sujet suivant, vous finissez votre daube, qui n’en est pas moins succulente, et vous vous désaltérez d’un grand verre d’eau, ou d’un petit verre de vin de pays.

*

Le riche de notre parabole voit Lazare au pas de sa porte lorsqu’il a fini son repas et qu’il sort vaquer à ses occupations. Nous, sortant de nos maisons, voyons rarement, de nos jours, de mendiants réduits à un état tel que celui de Lazare… Quoique. Mais, vous l’avez compris, nous contemplons de toute façon aujourd’hui les miséreux carrément durant notre repas…

Mais alors, est-ce un appel à nous sentir coupables ? Allons un peu plus loin avant d’en rester à cette conclusion décourageante.

*

Quant au riche de notre parabole, c'est la loi d'éternité qu’il semble ignorer face à Lazare, la loi de la Résurrection et du miracle. Contre les aveuglements, les égoïsmes ou les manques de foi, la loi de la Résurrection ouvre des perspectives extraordinaires, des perspectives qu’ignore le riche de notre parabole.

Car quel est l'aveuglement du riche sur la misère de Lazare sinon celui d'un présent finalement clos sur lui-même depuis lequel il pense qu'il faut bien vivre — chacun pour soi — un présent clos dans lequel il ne peut que craindre qu'on ne puisse prendre en charge la misère du monde ?

« Franchement, si je me mets à m'occuper de tous les Lazare, je n'en ai pas pour longtemps à voir diminuer mon niveau de vie, puis à m'appauvrir moi-même. Ce n'est peut-être même pas bon pour Lazare : après tout, quand les gros sont maigres, les maigres sont morts. » On pourrait multiplier ainsi les paroles de sagesse qui ignorent la loi du miracle et de la Résurrection.

*

L'autre réalité, la vraie, celle que le riche ne voit pas face à ce présent incontournable, c'est celle de la Résurrection et du miracle. Il le comprend si bien — mais trop tard — qu'il demande que soit envoyé aux siens Lazare ressuscité, un Lazare transfiguré, resplendissant de la joie que Dieu lui-même lui accorde, — puisque lui, son frère plus riche, n'a pas voulu s'acquitter de cette responsabilité du partage que Dieu lui a octroyée avec sa richesse, responsabilité à l'égard du Lazare pauvre.

Rendez-vous compte de l’ironie. Il demande lui-même que soit envoyé Lazare qui antan ne pouvait même pas obtenir de visa pour venir chez lui. Prophétie sur les lendemains d’un monde vieillissant ?

Que Dieu le ressuscite à présent, et l'envoie aux siens, pour que ceux-ci voient enfin le vrai visage, glorieux, de ce Lazare défiguré par leur indifférence ! Mais les siens qui, comme lui, ne voient pas qui est Lazare quand il se présente comme le Christ s'est présenté à nous, dans l'humilité — ne sont-ils pas irrémédiablement aveugles à la réalité éternelle du jour nouveau ? — pourront-ils reconnaître la main de Dieu, et le Lazare ressuscité ? « Ils ont déjà Moïse et les prophètes » : que n'entendent-ils pas ? Être attentif : à la Loi et aux prophètes et aux autres. Or qu'est-ce qu'ils n'entendent pas ? Qu'est-ce qu'ils ne voient pas ? La même chose que leur frère, le riche de la parabole : ils ne voient pas, ou ne veulent pas voir, le misérable qui de toute façon est tout proche d'eux, et en la figure duquel le Christ se cache (« ce que vous n'avez pas fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous ne l'avez pas fait » — Mt 25).

Ce Lazare tout proche, à leur porte, pour le riche et sa famille, ou, en tout cas, pas loin ; par exemple, dans la salle à manger sur l'écran de télévision. Mais que voulez-vous : les temps sont difficiles, il faut bien vivre. Alors chacun pour soi. Et que Dieu — ne le prions-nous pas pour cela ? — que Dieu veuille bien pourvoir aux besoins du Lazare malade et affamé qui se traîne à la porte de notre maison, de notre ville ou de notre télévision.

*

Quant à nous, serons-nous de ceux qui voient dans la misère de leur frère l'occasion de contribuer à ouvrir à tous, à commencer par nous-mêmes, les portes du paradis ? Ou y verrons-nous l'occasion de voir Dieu chercher de meilleurs intendants que nous pour la gestion des biens et des talents qu'il nous a confiés, ou à dispenser directement lui-même, auprès de lui, le paradis que nous avons refusé ici-bas au Lazare qu'il nous avait confié ? Et du coup, à nous-même et à nos cinq frères… Le paradis a un goût de partage…

Vous connaissez la fable réputée chinoise sur les longues cuillères et la différence entre l’enfer et le paradis… Des convives rangés en cercle chacun doté d'une cuillère pour la ramener à sa bouche, rendant inutile la nourriture disposée au milieu du cercle — et c'est l'enfer. Cuillères inutiles à moins que chacun n'utilise la sienne pour nourrir la personne d'en face, offrant ainsi des ouvertures vers le paradis.

Bref, il s'agit de connaître son manque : c'est justement ce qui manque au riche, connaître son manque, ouvrant sur la résurrection. Un Lazare devient alors pour lui un témoin propre à lui dire son manque. Un pauvre manque de tout : et c’est ce qui le rend disponible à la nouveauté ; et l’ouvre donc à la nouveauté de la grâce qui seule donne un nom. On reçoit son nom, on ne se le donne pas soi-même. « Lazare », un nom, qui signifie « Dieu aide » justement ; « le riche », un état, sans nom.

Alors pas question de culpabiliser qui que ce soit pour des phénomènes économiques mondiaux auxquels nous ne pouvons rien ou presque (le « presque » ne doit toutefois pas être négligé) ; pas question donc, quoiqu’il en soit, d’entrer dans un complexe de culpabilité qui ne nourrit personne. Certes il est toujours possible d’effectuer les petits pas à notre portée propres à corriger un minimum l’horrible réalité.

Mais là aussi, il nous faut recevoir la promesse de la grâce d’un Dieu qui nous accueille comme nous sommes, des êtres de manque. À moins que nous ne manquions de manque. Simplement, il nous appartient de découvrir que les apparences sont trompeuses et qu’il y a bel et bien deux mondes, scindés par un abîme et que le côté « bonheur » n’est pas forcément celui qu’il semble…

R.P.,
Vence, 26.09.10






mardi 21 septembre 2010

Renouveler l'Alliance — La réforme du roi Josias




2 Rois 23, 1-14
1 Le roi envoya des émissaires pour qu'ils rassemblent auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem.
2 Puis le roi monta à la maison du SEIGNEUR, avec tous les hommes de Juda et tous les habitants de Jérusalem, les prêtres, les prophètes et tout le peuple, du plus petit au plus grand. Il leur lut toutes les paroles du livre de l'alliance qu'on avait trouvé dans la maison du SEIGNEUR.
3 Le roi se tenait sur l'estrade et, devant le SEIGNEUR, il conclut l'alliance en s'engageant à suivre le SEIGNEUR et à observer ses commandements, ses préceptes et ses prescriptions de tout son cœur et de toute son âme, afin de réaliser les paroles de cette alliance, écrites dans ce livre ; et tout le peuple adhéra à l'alliance.
4 Le roi ordonna à Hilqiya, le grand prêtre, aux prêtres de second rang et aux gardiens du seuil de sortir du temple du SEIGNEUR tous les objets qui avaient été faits pour le Baal, pour l'Ashéra et pour toute l'armée du ciel ; il les brûla hors de Jérusalem, dans les terrains du Cédron, et il en fit porter la poussière à Beth-El.
5 Il supprima les desservants que les rois de Juda avaient établis pour offrir de l'encens dans les hauts lieux des villes de Juda et des environs de Jérusalem, et ceux qui offraient de l'encens au Baal, au soleil, à la lune, aux constellations du zodiaque et à toute l'armée du ciel.
6 Il sortit de la maison du SEIGNEUR le poteau cultuel (l'ashéra), qu'il emporta hors de Jérusalem, vers l'oued Cédron ; il le brûla dans le Cédron et le réduisit en poussière. Il en jeta la poussière sur la tombe des gens du peuple.
7 Il démolit les maisons des prostitués sacrés qui étaient dans la maison du SEIGNEUR, maisons où les femmes tissaient des robes pour l'Ashéra.
8 Il fit venir tous les prêtres des villes de Juda ; il rendit impurs les hauts lieux où les prêtres offraient de l'encens, depuis Guéba jusqu'à Bersabée ; il démolit les hauts lieux des portes : à l'entrée de la porte de Josué, chef de la ville, et à gauche de la porte de la ville.
9 Toutefois les prêtres des hauts lieux ne montaient pas à l'autel du SEIGNEUR à Jérusalem, mais ils mangeaient des pains sans levain au milieu de leurs frères.
10 Le roi rendit impur le topheth qui est dans la vallée du Fils de Hinnom, afin que personne ne fasse plus passer son fils ou sa fille par le feu au Molek.
11 Il supprima de l'entrée de la maison du SEIGNEUR les chevaux que les rois de Juda avaient consacrés au soleil, près de la salle du haut fonctionnaire Netân-Mélek, qui se trouvait dans les annexes ; et il mit le feu aux chars du soleil.
12 Le roi démolit les autels de la chambre d'Achaz, à l'étage, sur le toit en terrasse, autels que les rois de Juda avaient faits, ainsi que les autels que Manassé avait faits dans les deux cours de la maison du SEIGNEUR. Après les avoir brisés et enlevés de là, il en jeta la poussière dans le Cédron.
13 Le roi rendit impurs les hauts lieux qui étaient en face de Jérusalem, au sud du mont de la Destruction, et que Salomon, roi d'Israël, avait bâtis pour Astarté, l'horreur des Sidoniens, pour Kemosh, l'horreur de Moab, et pour Milkom, l'abomination des Ammonites.
14 Il brisa les pierres levées, coupa les poteaux cultuels (les ashéras) et remplit ces lieux d'ossements humains.
*

« Tout le peuple adhéra à l'alliance » (v. 3).

Le roi vient de lire le livre de la loi (v. 2), trouvé dans le Temple par le grand-prêtre Hilqiya (ch. 22, v. 8). Le roi avait envoyé au grand-prêtre un scribe, Shaphân, faire le recensement des moyens financiers du Temple, le compte des dons apportés par le peuple (22, 3-4).

Cela pour « réparer les fissures de la Maison du Seigneur » (22, 5). Il faut toujours être attentif au double sens d'un tel propos. On a un cas célèbre dans l'histoire de l'Eglise, celui de François d'Assise s'entendant appeler à réparer l'Eglise, qui est fissurée. Le voilà qui prend une brouette, du ciment, et qui part réparer la chapelle de la Portioncule, qui en a bien besoin. Cela fait, il comprend que derrière ladite chapelle, c'est bien de l'Église (avec un grand E) qu'il est question, en proie à des dégâts des eaux autrement graves que ceux qui ont fissuré la chapelle réparée.

De même Josias, demandant un bilan financier pour que l'on répare « les fissures de la Maison du Seigneur », va y trouver le livre de la Loi, la Bible. C'est le scribe qui lui ramène le livre que lui a remis le grand-prêtre et qui le lit à Josias : « Hilqiya, le prêtre, m'a donné un livre. Et Shaphân le lut à haute voix devant le roi » (22, 10).

C'est là le point de départ de la fameuse réforme de Josias : le roi, à l'écoute de la loi, « déchire ses vêtements » (22, 11), tant il découvre l'abîme qui sépare la pratique en cours et les prescriptions de la loi.

C'est le vrai problème signifié derrière les fissures, pointé par la prophétesse Houlda, consultée à la demande du roi par son scribe (22, 14-20).

Alors, et c'est là notre texte de ce jour, Josias fait rassembler tous les anciens, car le problème concerne tout le peuple, des responsables jusqu'aux plus humbles.

Et le roi lui-même « leur lut toutes les paroles du livre de l'alliance qu'on avait trouvé dans la maison du Seigneur », dit le texte, qui poursuit : « Le roi, devant le Seigneur, conclut l'alliance en s'engageant à suivre le Seigneur et à observer ses commandements, ses préceptes et ses prescriptions de tout son cœur et de toute son âme, afin de réaliser les paroles de cette alliance, écrites dans ce livre ; et tout le peuple adhéra à l'alliance ».

La prise au sérieux du livre l'Alliance fondera une réforme qui fera de Josias le modèle du réformateur jusqu'à l'ère moderne. Calvin le donnera en exemple au roi d'Angleterre appelé à mettre en place la Réforme.

La lecture effectuée, s'en suit le commencement de mise en pratique de la charte, se débarrasser de toutes les idoles à commencer par celles qui siègent au cœur-même du Temple (23, 4-14) — où l'on commence à comprendre en quoi il est autrement fissuré, en quoi ce ne sont pas que des murs de pierres et un toit qui sont fissurés.

« Vous êtes le temple de Dieu » redira Paul (1 Corinthiens 3, 16-17) en écho à la promesse de la Torah qui vient d'être lue par Josias : « ils me feront un temple et j'habiterai au milieu d'eux » (Exode 25, 8).

Tout a commencé par des fissures constatées dans l'édifice cultuel et par un bilan financier, débouchant sur un véritable renouveau de vie.

Psaume 119, 33-64
33 Enseigne-moi, SEIGNEUR, la voie de tes prescriptions, pour que je les garde jusqu'à la fin !
34 Donne-moi l'intelligence, pour que je garde ta loi, que je l'observe de tout mon cœur !
35 Conduis-moi dans le sentier de tes commandements ! Car j'y prends plaisir.
36 Incline mon cœur vers tes préceptes et non vers le gain !
37 Détourne mes yeux de l'illusion, fais-moi vivre dans ta voie !
38 Réalise envers moi, ton serviteur, ce que tu as dit en faveur de ceux qui te craignent !
39 Détourne de moi le déshonneur qui m'effraie, car tes règles sont bonnes.
40 Je soupire après tes directives : fais-moi vivre dans ta justice !
41 SEIGNEUR, que viennent jusqu'à moi ta fidélité, ton salut, selon ce que tu as dit !
42 Je pourrai répondre à celui qui m'outrage, car je me fie à ta parole.
43 N'arrache pas de ma bouche la parole de vérité, car j'attends tes jugements.
44 J'observerai ta loi constamment, toujours, à jamais.
45 Je marcherai au large, car je recherche tes directives.
46 Je parlerai de tes préceptes devant les rois, et je n'aurai pas honte.
47 Je fais mes délices de tes commandements que j'aime.
48 Je lève mes mains vers tes commandements que j'aime, et je veux méditer tes prescriptions.
49 Souviens-toi de ta parole en ma faveur, puisque tu m'as donné l'espérance, à moi, ton serviteur !
50 C'est ma consolation dans mon affliction : ce que tu as dit me fait vivre.
51 Des gens arrogants me traitent avec insolence ; je ne dévie pas de ta loi.
52 Je me souviens de tes jugements d'autrefois, SEIGNEUR, et je me console.
53 Une vive ardeur me saisit à cause des méchants qui abandonnent ta loi.
54 Tes prescriptions sont le sujet de mes psaumes, dans la maison où je séjourne en immigré.
55 La nuit j'évoque ton nom, SEIGNEUR, et j'observe ta loi.
56 C'est là ce qui m'est propre, car je garde tes directives.
57 Ma part, SEIGNEUR, je le dis, c'est d'observer tes paroles.
58 De tout mon cœur je cherche à t'apaiser ; fais-moi grâce, selon ce que tu as dit !
59 Je réfléchis à ma voie et je ramène mes pas vers tes préceptes.
60 Je me hâte, je ne tarde pas à observer tes commandements.
61 Les liens des méchants m'enveloppent ; je n'oublie pas ta loi.
62 En pleine nuit je me lève pour te célébrer à cause des jugements de ta justice.
63 Je suis le compagnon de tous ceux qui te craignent, et de ceux qui observent tes directives.
64 SEIGNEUR, ta fidélité remplit la terre ; apprends-moi tes prescriptions !

RP, 21.09.10
CP "commun", Vence

dimanche 19 septembre 2010

"L’intendant infidèle"





Amos 8, 4-7 ; Psaume 113 ; 1 Timothée 2, 1-8

Luc 16: 1-13
1 Jésus dit à ses disciples :
"Un homme riche avait un gérant qui fut accusé devant lui de dilapider ses biens.
2 Il le fit appeler et lui dit: Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.
3 Le gérant se dit alors en lui-même : Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Bêcher ? Je n'en ai pas la force. Mendier ? J'en ai honte.
4 Je sais ce que je vais faire pour qu'une fois écarté de la gérance, il y ait des gens qui m'accueillent chez eux.
5 Il fit venir alors un par un les débiteurs de son maître et il dit au premier: Combien dois-tu à mon maître ?
6 Celui-ci répondit : Cent jarres d'huile. Le gérant lui dit : Voici ton reçu, vite, assieds-toi et écris cinquante.
7 Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? Celui-ci répondit : Cent sacs de blé. Le gérant lui dit : Voici ton reçu et écris quatre-vingts.
8 Et le maître fit l'éloge du gérant trompeur, parce qu'il avait agi avec habileté. En effet, ceux qui appartiennent à ce monde sont plus habiles vis-à-vis de leurs semblables que ceux qui appartiennent à la lumière.
9 "Eh bien ! moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l'Argent trompeur pour qu'une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
10 "Celui qui est digne de confiance pour une toute petite affaire est digne de confiance aussi pour une grande ; et celui qui est trompeur pour une toute petite affaire est trompeur aussi pour une grande.
11 Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance pour l'Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ?
12 Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour ce qui vous est étranger, qui vous donnera ce qui est à vous ?
13 "Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent."

*

L’intendant infidèle, ou : les deux mondes. Il existe deux mondes. L’un géré de façon injuste, c’est-à-dire avec pour visée son seul profit, l’autre celui du Règne de Dieu, géré par le soin du prochain et le service de Dieu, et qui est en passe de remplacer le premier.

*

Ce remplacement d’un monde par l’autre est illustré par Jésus comme le renvoi prochain d’un mauvais serviteur par son maître dont il dilapide les biens. Il dilapide les biens que son maître lui a confiés, pour son propre bien-être, profit, confort, que sais-je d’autre...

Au premier degré, il est ici question de biens pécuniaires, mais cela a aussi, bien sûr, une portée plus vaste — le maître qu’est Dieu étant finalement le maître de tous biens, avec en premier lieu leur dimension spirituelle. Notre homme dilapide donc les biens de son maître. Ce qui comme parabole renvoie aussi, second degré, aux talents, matériels, financiers — et spirituels — que Dieu nous a confiés. Non pas les talents que nous nous attribuons mais que nous n’avons pas, mais ceux qui sont réels, parfois malgré notre fausse humilité, ou ceux qu’autrui nous reconnaît. Ces biens qu’il s’agit de mettre devant Dieu pour examiner s’ils sont bien de ceux que Dieu nous a confiés pour que nous les fassions fructifier. Il convient de remarquer ce second degré d’emblée, pour ne pas trop buter sur ce qui apparemment… cloche dans la parabole.

Quant à notre intendant, notre gérant, le maître apprend ce qu’il fait. Cet administrateur indélicat comprend alors que son avenir au service de ce maître est compromis. Pour le dire crûment, il craint de se faire virer, sans doute pour être remplacé par un autre, et meilleur gestionnaire des biens de son maître — ce qu’il n’aura pas volé.

Et la perspective d’une future misère, d’un prochain statut éventuel de SDF, mène notre intendant à prendre des mesures. Alors notre intendant fait des faveurs — avec l’argent de son maître ! — aux débiteurs de son maître, qui eux, du coup, n’auront rien contre lui, et pourront même lui offrir quelque reconnaissance en retour. En d’autres termes, notre homme se ménage un avenir.

Et peu importe le fait de savoir s’il prolonge sa malhonnêteté envers son maître ou si, comme l’ont suggéré plusieurs commentateurs, il s’appuie sur la loi biblique interdisant le prêt à intérêt pour rétablir une certaine justice au profit des débiteurs auxquels on demandait de toute façon, contre la Loi, des intérêts. S’il faut comprendre son attitude sous cet angle, le coup qu’il fait à son maître est encore plus fin, puisque celui-ci n’a alors aucun moyen de se retourner contre son escroc d’intendant en train de s’appuyer sur la Loi. Du bon usage d’un avocat aguerri...

En fait, le serviteur, sentant venir l’orage, prépare son avenir en ce monde selon les règles injustes qui y prévalent. Puisqu’il va être renvoyé, une dernière fois, il dilapide l’argent de son maître : mais pas pour son profit à lui. Prenant un dernier risque personnel, puisque de toute façon il n’a pas grand chose à perdre, il fait des heureux parmi les débiteurs de son maître ; qu’il mouille du coup indirectement, d’ailleurs. (Où l’on retrouverait l’avocat.) Mais l’essentiel, il dilapide pour une fois les biens du maître au profit d’autrui. Et se prépare ainsi un avenir.

Car, cela étant dit, le propos de notre parabole n’est pas de donner des conseils financiers, immoraux ou moraux. Notre parabole veut mettre en parallèle deux mondes : l’ancien, celui qui s’écroule, face au Nouveau dans lequel il faut entrer pour obtenir son salut.

Pour l’intendant, il s’agit de son — déjà — ancien monde, celui du temps où il travaillait pour le maître dont il dilapidait les biens pour son propre profit, monde en train de s’écrouler pour lui, — face à l’avenir, au monde nouveau dans lequel il va entrer, ou bien seul et dans la misère, ou bien avec quelque appui.

Pour nous les deux mondes sont : le nôtre d’une part, où règne l’argent, avec cette question : ne l’avons-nous pas utilisé de toute façon globalement de manière injuste, à peu près pour notre seul profit ? C’est le monde des richesses injustes (v.11), littéralement dans notre texte le monde du « Mammon de l’injustice », — ce vieux monde, face au monde nouveau inauguré par Jésus.

Une participation heureuse aux vraies richesses de ce nouveau monde est liée à la façon dont nous gérons les richesses de peu de valeur, le peu de choses du v.10 ; les richesses du vieux monde qui est le nôtre, nos richesses — à la base des injustices.

Si nous les avons gérées pour contribuer à bâtir l’injustice, c’est-à-dire tout simplement si nous nous comportons en serviteurs de Mammon, nous nous comportons avec stupidité, et nous sommes en passe de passer avec nos richesses injustes.

Stupidité que n’a pas eu le serviteur infidèle, selon la parabole. Et donc, si, comme l’intendant qui s’est montré avisé comprenant qu’il allait être renvoyé et que son vieux monde était en train de s’écrouler, si à son instar nous avons compris qu’il n’y a pas d’espérance dans le monde de Mammon ; si en conséquence nous en venons à investir pour la vraie espérance, pour le Royaume qui vient, alors nous nous comportons avec la prudence que Jésus nous recommande.

Selon que « les enfants de ce siècle sont plus prudents que les enfants de lumière, à l'égard de leurs semblables. »

Cela dit, à ce point, la parabole laisse encore un arrière-goût d’insatisfaction. Il y a quelque chose d’absurde dans cette histoire… Ce maître qui semble se réjouir d’avoir été grugé ! Et par-dessus le marché, puisqu’il sait ce qu’on lui devait, il est éventuellement en mesure de rétablir auprès de ses débiteurs l’exigence d’un remboursement plus conforme.

*

En fait, ce n’est pas au premier degré qu’il faut prendre cette histoire. Ce texte a une portée plus vaste.

L’ancien monde est régi par l’argent, Mammon, mais, averti Jésus, ciel et terre sont provisoires, plus provisoires même que la Loi, qui pourtant dure jusqu’à la fin des temps. L’ancien monde est déjà à son terme. La Loi qui régit notre monde parce que l’on y commet le péché prend fin dans le monde à venir, le Royaume, géré par la grâce : Dieu ne se sent pas grugé quand on la répand avec abondance. D’où les félicitations du maître face au nouveau comportement de son intendant.

On est dans le cadre de la remise des dettes du « Notre Père ». C’est là la grâce. Pas seulement pour soi, mais pour tous.

C’est ce qui nous permet de passer à un autre niveau.

* * *

L'homme riche, dans les paraboles, désigne souvent Dieu. Les intendants, les gérants, eux, sont les gens de religion, d'Église, ceux ayant un ministère. Cela dit, tous les fidèles ont un ministère.

Notre intendant dilapide ce que son maître lui a confié, la parole de sa grâce. Il est curieux que Jésus, voulant parler des pharisiens, scribes, apôtres et pasteurs, ne donne d'image que celle d'un intendant qui dilapide les biens de son maître, qui plonge dans la caisse, s'y sert abondamment, et contracte envers son maître des dettes qu'il ne pourra jamais payer, ignorant sans doute, d’ailleurs, que ce sont des dettes, pensant même que c'est normal de se servir ainsi ! C’est la grâce !

Et c'est la tentation qui nous guette tous, tentation de se rendre à soi-même justice, en se justifiant soi-même de tous ses actes, y trouvant de bonnes excuses ; ou tentation ce celui qui s'administre toutes les indulgences possibles, qui plonge pour son profit personnel dans les trésors de la miséricorde divine, la grâce.

Mais, à cette première tentation, s'en ajoute une autre, se conjoint une autre, celle d'être dur avec autrui, celle d'oublier qu'on n'est qu'intendant et de penser qu'on est propriétaire des trésors de Dieu. Et que les autres sont ses débiteurs. Ainsi, peu exigeant envers lui-même, l’intendant est d'une exigence farouche pour les autres, au nom même de la justice ! Indulgent pour soi-même, dur pour les autres ; disant à propos de ses propres dettes : « Elles ne sont pas élevées », mais à propos de celles d’autrui : « Elles sont lourdes ! ».

« Le maître fit venir son intendant et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras plus désormais administrer mes biens. »

C'est que plus on se trouve soi-même juste, plus on trouve les autres injustes ; plus on se trouve parfait, plus on considère les autres comme médiocres et imparfaits. C'est à croire qu'on ajoute aux péchés des autres ses propres péchés.

Menacé de renvoi, l’intendant de la parabole va alors faire preuve de l’ingéniosité et de la prudence que nous avons vues, en commettant ce qui est apparemment une nouvelle injustice !

Et c’est ce que Jésus donnera en exemple : faites-vous des amis de cette manière injuste aux yeux des hommes, qui consiste à baisser leurs dettes, mais qui est la justice de l'amour. N'oubliez pas que le jugement appartient à Dieu, et à lui seul. Et qu’on vous jugera à la mesure dont vous aurez jugé. Faites-vous, par votre miséricorde à l’égard des fautes d’autrui, intercesseurs.

Une fois encore, donc, l’intendant va dilapider les biens de son maître, non plus à son profit, mais au profit des autres. S'il puise encore dans les trésors de son maître — et donc dans le trésor de la grâce —, ce n'est plus pour lui seul, mais d'abord pour les débiteurs. Dans son malheur, cet homme vient de découvrir qu'il a besoin des autres et que, dans le fond, il n'était intendant de son maître que pour les autres. Où l’on retrouve la fonction des moyens d’échanges, et donc de l’argent, selon la Bible hébraïque, et selon le judaïsme. Et alors, pour la première fois de sa vie, l’intendant prend soin des autres, il prend même un soin particulier des plus gros débiteurs, de ceux qui ont envers Dieu les dettes les plus grandes. Cet homme a découvert que, quoique étant intendant, gérant, administrateur de Dieu, il restait du côté des hommes.

Le maître loua l'intendant injuste de ce qu'il avait agi prudemment. Ce qui si l’on n’y voit pas qu’une affaire financière prend un sens proche de : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. » Et en prière à Dieu telle que l’enseigne Jésus : « Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. »

R.P.
Antibes, 19.09.10


dimanche 12 septembre 2010

Joie dans le ciel et valeur infinie de chacun





Exode 32, 7-14 ; Psaume 51 ; 1 Timothée 1, 12-17

Luc 15, 1-32
1 Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de lui pour l’écouter.
2 Et les Pharisiens et les scribes murmuraient; ils disaient: "Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux!"

3 Alors il leur dit cette parabole:
4 "Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et qu’il en perde une, ne laisse pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller à la recherche de celle qui est perdue jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée?
5 Et quand il l’a retrouvée, il la charge tout joyeux sur ses épaules,
6 et, de retour à la maison, il réunit ses amis et ses voisins, et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, ma brebis qui était perdue!
7 Je vous le déclare, c’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.

8 "Ou encore, quelle femme, si elle a dix pièces d’argent et qu’elle en perde une, n’allume pas une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée?
9 Et quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines, et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, la pièce que j’avais perdue!
10 C’est ainsi, je vous le déclare, qu’il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit."

11 Il dit encore: "Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père: Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son avoir.
13 Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain et il y dilapida son bien dans une vie de désordre.
14 Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans l’indigence.
15 Il alla se mettre au service d’un des citoyens de ce pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait.
17 Rentrant alors en lui-même, il se dit: Combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim!
18 Je vais aller vers mon père et je lui dirai: Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi.
19 Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers.
20 Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié: il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.
21 Le fils lui dit: Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils…
22 Mais le père dit à ses serviteurs: Vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds.
23 Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons,
24 car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. "Et ils se mirent à festoyer.
25 Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses.
26 Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c’était.
27 Celui-ci lui dit: C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras parce qu’il l’a vu revenir en bonne santé.
28 Alors il se mit en colère et il ne voulait pas entrer. Son père sortit pour l’en prier;
29 mais il répliqua à son père: Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres; et, à moi, tu n’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis.
30 Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui!
31 Alors le père lui dit: Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé.

*

Trois paraboles : la brebis perdue, la pièce égarée, suivies du fils prodigue, pour expliquer le fait que Jésus fraye ostensiblement avec les pécheurs.

Non que les pharisiens aient eu quelque chose contre la sollicitude à l’égard des pécheurs, mais le sens et la légitimité du ministère de Jésus ne sont pas un acquis. Et du coup sa présence insistante auprès des personnages douteux peut légitimement interroger.

La réponse, en trois paraboles, est tout un programme, déclinant la mission de Jésus comme celui qui vient dans le monde ; et pour les disciples déjà l’énonciation du schéma d’un credo. Celui qui vient de Dieu vers nous, le fait pour accomplir la réconciliation. Et déjà le monde céleste se réjouit des fruits de sa mission : le dévoilement de la valeur infinie de chacun, indépendamment de la réalité de son éloignement d’avec la source de son être.

C’est ainsi qu’il y a de la joie dans le ciel pour un seul pécheur. Nouvelle extraordinaire qui dévoile la valeur infinie de chacun.

Une façon toute nouvelle de souligner une vérité biblique, repérée dans la Michna à partir du récit de la Genèse.

La Michna enseigne en effet que celui qui tue un homme est assimilable à celui qui détruit toute l’humanité (Talmud – Sanhédrin 4, 5). Cela en regard de ce que le psalmiste écrit : « Tu l’as diminué de peu par rapport à Dieu, toute la création est à ses pieds » (Psaume 8, 6). Et en regard de ce que, dès l’apparition de l’homme dans la Torah, il est dit qu’il a été crée à l’image de Dieu.

« Adam fut créé comme un seul et unique individu et l’on apprend de cela que "qui détruit une seule vie humaine est considéré comme ayant détruit un monde entier et qui sauve une seule vie humaine est considéré comme ayant sauvé un monde entier". La Mishna apporte d’autres raisons au fait qu’Adam a été créé comme un individu unique. C’est pour nous enseigner qu’aucun homme ne peut dire à un autre : "mes ancêtres sont plus illustres que les tiens" (puisque tous descendent du même couple, Adam et Ève). Plus encore, ceci nous montre la grandeur du Tout-Puissant qui a créé toute l’humanité à partir du même couple et pourtant n’a pas fait deux individus parfaitement semblables, ni deux êtres totalement identiques par leur forme, leurs traits ou leur caractère. Finalement, cela nous enseigne qu’il n’existe qu’un seul créateur et non une série de créateurs, chacun donnant vie à ses favoris. La signification de tout ceci est évidente : un Dieu a créé tous les êtres humains, attribuant à chacun un sens individuel, des traits uniques, créant chacun à l’image de Dieu, et tous égaux. Chaque être humain est un monde entier à lui seul. » (Citation du rabbin Louis Jacobs.)

C’est ainsi que cette Révélation que nous donne Jésus concernant tout cela ne doit par nous surprendre : « il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit », « plus même que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance ».

C’est au point, puisque cet enseignement renvoie finalement à la Genèse, que ce pourrait être même là si l’on y réfléchit… le sens de l’histoire !

L’histoire aurait bien pu se clore à plusieurs moments. On se demande même, si on s’y plonge avec un regard quelque peu réaliste, s’il n’aurait pas mieux valu ! Dieu même s’est posé cette question si l’on en croit le récit du déluge : « Dieu se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre ». Voilà qui n’est pas triste : Dieu se repent ! Dieu fait retour, en d’autres termes, techouvah en hébreu, conversion dans nos traductions, bref repentance, cette repentance qui — semble-t-il — est si peu à la mode.

Le texte de l’Exode, parmi nos lectures de ce jour, porte aussi ce thème du repentir de Dieu, qui dit souhaiter rien moins que faire disparaître le peuple après l’épisode du veau d’or et… il change d’avis en quelque sorte, après l’intercession de Moïse !

Exode 32, 7-14 :
7 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse: "Descends donc, car ton peuple s’est corrompu, ce peuple que tu as fait monter du pays d’Egypte.
8 Ils n’ont pas tardé à s’écarter du chemin que je leur avais prescrit; ils se sont fait une statue de veau, ils se sont prosternés devant elle, ils lui ont sacrifié et ils ont dit: Voici tes dieux, Israël, ceux qui t’ont fait monter du pays d’Egypte."
9 Et le SEIGNEUR dit à Moïse: "Je vois ce peuple: eh bien! c’est un peuple à la nuque raide!
10 Et maintenant, laisse-moi faire: que ma colère s’enflamme contre eux, je vais les supprimer et je ferai de toi une grande nation."
11 Mais Moïse apaisa la face du SEIGNEUR, son Dieu, en disant: "Pourquoi, SEIGNEUR, ta colère veut-elle s’enflammer contre ton peuple que tu as fait sortir du pays d’Egypte, à grande puissance et à main forte?
12 Pourquoi les Egyptiens diraient-ils: C’est par méchanceté qu’il les a fait sortir! pour les tuer dans les montagnes! pour les supprimer de la surface de la terre! Reviens de l’ardeur de ta colère et renonce à faire du mal à ton peuple.
13 Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, auxquels tu as juré par toi-même, auxquels tu as adressé cette parole: Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel, et tout ce pays que j’ai dit, je le donnerai à votre descendance, et ils le recevront comme patrimoine pour toujours."
14 Et le SEIGNEUR renonça au mal qu’il avait dit vouloir faire à son peuple.

Les trois récits de Luc 15 ne parlent, eux, que de cela, et du fait qu’un seul acte de repentance, d’un seul pécheur, fait éclater de joie le ciel entier !

Oui, Dieu aurait pu stopper l’histoire à plusieurs reprises, il aurait pu dire « ça suffit ! » selon le sens de son nom El Shaddaï : « Celui qui dit : "ça suffit !" »

Ou il aurait pu repartir dans d’autres sens, en mieux, en arrêtant tout ça, qui ressemble bien à une impasse. On peut imaginer pas mal de choses. Mais en vain : il en a décidé autrement.

L’histoire du monde ressemble alors assez à celle d’une course après une pièce perdue, une brebis perdue, un seul enfant égaré — puisque la brebis et la pièce annoncent simplement le désir de voir la conversion de l’enfant prodigue.

Une leçon d’une portée bien plus vaste que ce que l’on pourrait imaginer en lisant cela rapidement. Si l’histoire, et l’histoire du monde est en question dans ces trois paraboles, si l’histoire du monde est celle de Dieu cherchant un seule brebis perdue, alors l’histoire n’est plus seulement le chapelet de catastrophes qui se donne au regard objectif, elle n’est plus surtout, le destin tragique qu’elle paraîtrait être dès lors.

Parce qu’en son cœur est la recherche par Dieu de la brebis perdue, l’histoire de Dieu et des humains se charge d’ouvertures inattendues.

On peut illustrer cela par l’annonce de son destin au roi Ézéchias par le prophète Ésaïe (ch. 38, 1 sq) : « tu vas mourir, tu ne survivras pas » lui annonce le prophète. Parole de prophète, parole imparable, pourrait-on dire ! Ézéchias va sombrer dans le désespoir et mourir. Mais le texte continue : « Ézéchias tourna son visage contre le mur et pria le Seigneur. […] Ézéchias versa d’abondantes larmes. La parole du Seigneur fut adressée à Ésaïe : "Va et dis à Ézéchias : Ainsi parle le Seigneur, le Dieu de David ton père : J’ai entendu ta prière et j’ai vu tes larmes. Je vais ajouter quinze années au nombre de tes jours. »

Pas de destin fixé pour le Dieu de la Bible. Oh, il connaît certainement passé, présent et avenir. Il déroule lui-même, de façon mystérieuse, passé, présent et avenir — rien n’est caché à ses yeux de créateur de toutes choses. Mais il connaît aussi la prière d’Ézéchias qui va changer ce qui aurait pu lui apparaître comme destin inéluctable.

Là est peut-être le cœur mystérieux du déroulement de l’histoire. Pas de destin tragique auquel on ne pourrait rien. Comme la prière d’Ézéchias a changé le cours de sa vie — on appelle cela conversion, repentance, retour à Dieu — comme vous voulez —, il en est de même pour chacun d’entre nous. C’est ce que nous apprend cette histoire de brebis, ou de pièce perdue. Et pour cela, il y a plus de joie dans le ciel, que pour un déroulé — j’allais dire — normal de l’histoire, fût-ce un déroulé apparemment heureux, comme celui du fils aîné de la parabole.

Pour chacun d’entre nous, rien n’est jamais perdu, rien n’est jamais tel qu’on puisse en dire : c’est fixé ! Notre prière peut changer le cours de notre histoire, le cours de l’histoire, le cours de notre malheur, même.

Notre conversion, notre retour à Dieu peut changer le cours de tout désespoir. Rien n’est jamais clos, et ce qui s’ouvre réjouit dans l’éternité toute la création visible et invisible. C’est la bonne nouvelle que nous apporte Jésus ce matin.

RP
Vence, 12.09.10

dimanche 5 septembre 2010

Prix de la liberté




Psaume 90 ; Proverbes 8, 32-36

Philémon 9b-17
9 […] Moi Paul, qui suis un vieillard, moi qui suis maintenant prisonnier de Jésus Christ,
10 je te prie pour mon enfant, celui que j'ai engendré en prison, Onésime,
11 qui jadis t'a été inutile et qui, maintenant, nous est utile, à toi comme à moi.
12 Je te le renvoie, lui qui est comme mon propre cœur.
13 Je l'aurais volontiers gardé près de moi, afin qu'il me serve à ta place dans la prison où je suis à cause de l'Évangile ;
14 mais je n'ai rien voulu faire sans ton accord, afin que ce bienfait n'ait pas l'air forcé, mais qu'il vienne de ton bon gré.
15 Peut-être Onésime n'a-t-il été séparé de toi pour un temps qu'afin de t'être rendu pour l'éternité,
16 non plus comme un esclave mais comme bien mieux qu'un esclave : un frère bien-aimé. Il l'est tellement pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, et en tant qu'homme et en tant que chrétien.
17 Si donc tu me tiens pour ton frère en la foi, reçois-le comme si c'était moi.

Luc 14, 25-33
25 De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit :
26 "Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
27 Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple.
28 "En effet, lequel d'entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s'asseoir pour calculer la dépense et juger s'il a de quoi aller jusqu'au bout ?
29 Autrement, s'il pose les fondations sans pouvoir terminer, tous ceux qui le verront se mettront à se moquer de lui
30 et diront : Voilà un homme qui a commencé à bâtir et qui n'a pas pu terminer !
31 "Ou quel roi, quand il part faire la guerre à un autre roi, ne commence par s'asseoir pour considérer s'il est capable, avec dix mille hommes, d'affronter celui qui marche contre lui avec vingt mille ?
32 Sinon, pendant que l'autre est encore loin, il envoie une ambassade et demande à faire la paix.
33 "De la même façon, quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple.
*

Partons donc d’Onésime, esclave de Philémon auquel Paul écrit, lui demandant de l’affranchir.

Les Romains considèrent l'esclavage comme infamant, au point qu’un un soldat romain préfère se suicider que de tomber en esclavage dans un peuple barbare — c’est-à-dire non-romain, puisque, le plus souvent, les personnes réduites en esclavage, ou maintenues dans cette condition d'esclave, proviennent d'autres peuples conquis, bref souvent des barbares, à savoir parlant une langue différente de celles des maîtres.

Un des centres les plus importants de vente d'esclave se trouve sur l'île de Délos. 150 000 esclaves épirotes en –167 ; 150 000 esclaves cimbres et teutons en –104 ; 50 000 esclaves lors de la prise de Carthage ; 400 000 à 1 million d'esclaves suite à la guerre des Gaules de Jules César. (Tout cela d’après Wikipédia.)

À l’époque la Gaule vend par ailleurs, ça fait partie de son commerce, pas mal d’esclaves à Rome. Par la suite, bien plus tard, ce sont les Slaves qui seront les principaux peuples chez qui on capture des esclaves, au point que leur nom (les « Slaves ») finira par désigner les esclaves et par remplacer le mot latin d’origine. À l’époque romaine, en latin, l'esclave se dit servus (esclave) ou ancilla (servante).

Le prestige d'un Romain se calcule au nombre d'esclaves qu'il possède. Certains en commandent plusieurs milliers. Le simple citoyen se satisfait d'un ou deux. N'en avoir aucun est le comble de la misère.

Un esclave était un bien que l'on possédait, dénué de tout droit ; il était sous la domination du pater familias qui avait droit de vie et de mort sur lui. La domination du maître sur l'esclave était totale, au même titre que la domination du mari sur sa femme.

Philémon est donc un personnage respectable, prestigieux, maître d’esclaves, et voilà qu’un de ses esclaves fait des siennes, fréquente un milieu, le même que le sien d’ailleurs, les chrétiens, dont le chef, en quelque sorte, Paul, lui explique à présent que ledit esclave, Onésime, est son égal.

Énorme !… À une époque où l’on n’a pas l’arsenal juridique posant l’égalité de l’esclave. Arsenal juridique inexistant sur lequel Paul ne peut donc pas se fonder, comme on semble parfois lui en faire presque grief ! Non, pour lui tout se fonde sur le Christ, qui riche de tous les biens de la création, s’est fait pauvre et esclave, semblable au plus humble de ses frères.

*

Voilà qui donne une idée de la puissance du texte de l’Évangile de ce jour !

Voilà qui donne une idée de ce propos apparemment raisonnable de Jésus concernant la tour à construire : « lequel d'entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s'asseoir pour calculer la dépense et juger s'il a de quoi aller jusqu'au bout ? Autrement, s'il pose les fondations sans pouvoir terminer, tous ceux qui le verront se mettront à se moquer de lui et diront : Voilà un homme qui a commencé à bâtir et qui n'a pas pu terminer ! »

Car comment dire ? — surtout soyons raisonnables ! Et cet aspect du texte semble raisonnable. Sauf que quand on est Philémon, la dépense s’appelle Onésime pour commencer — avant bien sûr tout le reste pour finir...

Commençons par revisiter l’idée, telle qu’on serait tenté de la comprendre : si vous avez une tour à bâtir, ou autre chose, soyez prudents. De même, si vous voulez rejoindre l'Église, surtout pas d'excès. Restons modérés, pratiquons quelques arrangements. Oh ! il faudra bien abandonner une petite partie de nos avantages : un culte de temps en temps, les jours où cela ne nous dérange pas trop. Et pour les jeunes, les jours où on n'est pas rentré trop tard le samedi soir ; pour tous, un petit moins financier — de temps en temps. Ajoutons à cela la sagesse de savoir ménager la chèvre et le chou, si le grand frère ou le copain n'est pas très pour, ici aussi quelque petit arrangement fera l'affaire.

Quant à la croix à porter, on en fait aujourd'hui de très jolies, huguenotes si l'on veut. Et voilà le disciple parfait. Avouons que c'est souvent de la sorte que nous comptons pourvoir aux effectifs et à l'avenir de l'Église.

Résultat : effectivement, les foules se pressent, comme dans notre texte (Luc 14, 25). Enfin, elles se pressent, mais ailleurs qu'autour de Jésus.

Tandis que Jésus était empêtré au milieu d'une foule nombreuse à laquelle il disait de haïr tout ce qui n'est pas lui, de comprendre que ce qu'il demande relève de l'impossible.

Haïr : c'est le mot en grec, qui traduit l’équivalent hébreu et araméen — langues radicales. Alors certes, on peut dire qu’après coup, il faut introduire les nuances que permet le français entre haïr et préférer moins. Certes, on peut toujours. Mais Jésus n’a pas parlé en français et en nuances ; Et le mot est bien là, radical. Il pose une alternative. Entre aimer Jésus, et tout le reste, y compris ses proches, soi-même, etc., et donc que dire de ses biens !…

Ce qu'il demande relève de l'impossible ; telle est la mesure dans l'histoire de la tour. Ou bien : la tour de l'histoire ressemble-t-elle plus à celle de Babel ou à une tour de sable sur la plage ?

Ce que Jésus demande relève de l'impossible. La preuve : l'autre exemple qu'il donne : affronter avec dix mille hommes une armée de vingt mille. Absurde ! Mais il faut le savoir : c’est ce qu’il demande.

Et preuve supplémentaire : ce en quoi consiste la mesure de la dépense : ça coûtera tout, jusqu’à la perte de tout attachement, jusqu’à la croix. Voilà qui est moins raisonnable que prévu.

Qui sait lire ce que dit Jésus, comprend bien qu'il est en train de nous confronter à l'impossible : si vous voulez me suivre, il faut savoir au départ que vous avez choisi l'impossible, que cela vous coûtera tout, que vous êtes face à moi, perdants d'avance. Qu'il vous faudra accepter le risque de perdre tout ce qui vous est cher : « quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple ».

Alors, si nous sommes dans cet état d'esprit, quelque chose est envisageable.

*

Décourageant, apparemment, du coup. Mais il faut savoir que c’est là, et nulle par ailleurs, l’Évangile de la liberté contre tout lien. Où l’on retrouve Philémon et Onésime. La liberté de l’esclave — et du maître — libérés, les deux ! — de leurs liens. Nous connaissons l'Évangile de la liberté, à nous d’en vivre. Responsables devant la radicalité de ses exigences, et par là appelés à la liberté. La liberté par la mort à soi-même.

Plus rien à perdre, donc : c’est là la mesure de la tour à construire et de la guerre à mener — spirituelle celle-là, et pas contre la chair et le sang ! Il n’est pas inutile, en notre temps, de le rappeler. Dieu ne cesse de nous appeler hors de notre esclavage, grâce à quoi Paul demandait à Philémon de ne pas maintenir dans son état son esclave Onésime. Il lui demandait de lui accorder une liberté qui leur coûterait nécessairement cher aux deux, y compris sur le plan strictement financier. Tout. Or, c'est ce que Dieu nous demande à tous par rapport à ceux que nous tendons à maintenir dans l'esclavage, et par rapport à nos propres esclavages. Il faut commencer par rompre, au moins symboliquement, d'avec ceux avec qui nous sommes liés, et donc d'abord nos proches. Rupture sans laquelle il n'est qu'esclavage dans nos relations avec eux, et même dans la relation avec soi-même.

C’est ce qu’apporte Jésus comme un dévoilement : il y a une brèche au cœur du monde. Alors cette autre division, la rupture, en un mot la Croix, est le lieu unique de tout nouveau commencement.

*

Avouons que Jésus dit exactement l'inverse, propose exactement l'inverse de ce que nous sommes tentés de proposer : une religion raisonnable (des penseurs illustres l’ont proposé : un livre célèbre d’un philosophe qui ne l’est pas moins s’intitule même « la religion dans les limites de la simple raison »). Mais une foi au Christ qui serait telle peut-elle intéresser des assoiffés de Dieu ? Est-elle capable recoudre notre monde déchiré ?

C’est pourquoi celui qui ne choisit pas entre Dieu et tout ce qu’il aime — qui ne « hait » pas cela, dit le langage d’alors, celui de Jésus… — « ne peut être mon disciple ». Ce qui débouche sur la Croix, qui est quoi ? — le lieu de la réconciliation — 2 Corinthiens 5 — l’expulsion de ce qui déchire.

*

Un christianisme tiède est-il capable recoudre notre monde déchiré ? Face à cette question dont la réponse est évidente : non, un tel christianisme tiède n'est pas intéressant ; et de toute façon même s’il était intéressant, là n’est pas la question. D’où le propos de Jésus sur lequel débouche le passage : « Le sel est une bonne chose ; mais si le sel devient fade, avec quoi l'assaisonnera-t-on ? Il n’est bon ni pour la terre, ni pour le fumier ; on le jette dehors. Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Luc 14, v. 34-35).

L’Évangile ce matin nous lance un défi : et si nous prenions Jésus au sérieux ? Si nous disions et vivions la vérité de l'Évangile ? — : suivre Jésus commence et recommence chaque jour par renoncer à tout ce qui nous lie, car « quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple ».

R.P.
5.09.10