dimanche 13 février 2011

L’Évangile, la Loi et les Prophètes




Dt 30, 15-20 ; Psaume 119, 1-32 ; 1 Co 2:6-10 ; Matthieu 5, 17-37

Matthieu 5:17-37
17 Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir.
18 Amen, je vous le dis, en effet, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, pas un seul iota ou un seul trait de lettre de la Loi ne passera, jusqu'à ce que tout soit arrivé.
19 Celui donc qui violera l'un de ces plus petits commandements et qui enseignera aux gens à faire de même sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. […]
21 Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commet un meurtre sera passible du jugement.
22 Mais moi, je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement. […]
23 Si donc tu vas présenter ton offrande sur l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse ton offrande là, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande. […]
27 Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère.
28 Mais moi, je vous dis : Quiconque regarde une femme de façon à la désirer a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur. […]
33 Vous avez encore entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Mais moi, je vous dis de ne pas jurer du tout: ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu,
35 ni par la terre, parce que c'est son marchepied, ni par Jérusalem, parce que c'est la ville du grand roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
37 Que votre parole soit « oui, oui », « non, non » ; ce qu'on y ajoute vient du Mauvais.

*

“Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir” (Matthieu 5, 17). Voilà qui pose d’emblée la question classique de la relation de la Loi et de l’Évangile.

On peut aborder la question de cette relation de l'Évangile et de la Loi par plusieurs biais : en premier lieu ce biais classique, celui de la relation entre les deux Testaments dont l'un enseignerait la Loi et l'autre l'Évangile.

Approche commode, qui a même valu aux écrits des Apôtres le titre global d'Évangile, entendu dès lors comme le Nouveau Testament, celui de la grâce, opposé à ce qu'en contrepartie on intitule de façon plus ou moins consciemment péjorative l'“Ancien Testament”, document perçu à terme comme dépassé et affreusement légaliste, tatillon et vengeur. Avec un peu d'attention, on s'accordera à reconnaître les limites de cette approche par laquelle on en vient à plus ou moins long terme à faire du Nouveau Testament une loi nouvelle censée remplacer l'ancienne, nouvelle loi dite loi de charité, ou d’amour, face à celle d’un Dieu bizarre.

C'est de cette façon qu'en toute bonne foi, on annexe à l'Évangile les préceptes de la Torah que l'on juge positifs, comme celui du Lévitique “tu aimeras ton prochain comme toi-même”. Eh bien, ce Dieu que l’on trouve bizarre est celui que Jésus appelle son Père. Et la loi dont Jésus dit qu’il n’en passera pas un seul trait de lettre est celle de ce Dieu, la Torah, l’“Ancien Testament”, plus particulièrement ses cinq premiers livres.

On comprend alors que cette façon d’opposer deux Testaments est erronée. D’autant plus qu’en regardant notre texte de près, il est facile de voir que Jésus ne remet pas en cause la Torah, mais certaines interprétations accommodantes qui en sont faites. Ce en quoi il est en parfait accord avec l’enseignement juif. On vient de dire que certains s’imaginent que le commandement “tu aimeras ton prochain comme toi-même” est une invention de Jésus. C’est un commandement du Livre du Lévitique.

Ou sachant cela, on se contente de dire que les pharisiens ignoraient que c’était là un commandement central de la Torah. C’est faux aussi : il suffit de lire la parabole du Bon Samaritain pour voir que c’est le pharisien lui-même qui présente à Jésus ce commandement comme central. Alors — toujours cette volonté de penser que Jésus innove — on en vient, au regard de des paroles de Jésus dans Matthieu, à penser que la Torah enseignait la haine des ennemis. Or la Torah ne dit jamais ça.

Ce à quoi Jésus s’oppose, c’est à une interprétation accommodante et laxiste de la Torah. Comme à l’idée que l’amour du prochain qu’elle commande s’arrêterait aux frontières de la nationalité, de la religion, que sais-je encore. C’est à cela que Jésus s’oppose, et pour ce faire, c’est à la Torah qu’il renvoie. Jésus se veut non pas innovateur en train d’inventer une nouvelle Torah, mais réformateur d’un judaïsme que certains ne prenaient pas assez au sérieux.

Ainsi, la Loi se trouve aussi bien dans le Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile sous l’angle où ce mot désigne le salut pas la foi seule, se trouve aussi dans la Bible hébraïque, Évangile qui est le même que celui du Nouveau Testament. L’Évangile est au cœur de la Loi. Sous un certain angle il est la Loi elle-même.

Jésus s’annonce comme le Messie, celui qui va instaurer le Royaume de Dieu, ou “des cieux”, selon la façon que l’on a, et que Jésus ne remet pas en question, d’employer des figures de style pour ne pas prononcer à tout bout de champ le nom de Dieu — pour ne pas, toujours le respect de la Torah, prononcer son nom en vain.

Ne jurez donc pas, rappelle Jésus, si c’est pour mentir, — ni par le ciel, ce mot qu’on emploie pour désigner Dieu — en ayant la prudence de ne pas l’atteindre, ni même, plus prudent encore, par la terre, marchepied de Dieu, ni encore par Jérusalem, ville de l’Envoyé royal de Dieu. Efforcez-vous seulement d’être vrais et sincères.

En tout cela, c’est bien de la question de notre libération qu’il est question dans l’instauration du Royaume par le Messie, et de la restauration de la Loi comme Évangile. Y a t-il libération plus rigoureuse que dans une prise au sérieux radicale de la Loi ? On a parlé de la convoitise : qu’est-ce sinon un esclavage perpétuel ? Et qu’en est-il du désir de meurtre, ou de vengeance, ou du besoin permanent de se justifier et de contourner la vérité d’une parole droite ? Voilà que Jésus nous ramène au cœur véritable de la libération. Écouter, et entendre la Parole de Dieu.

L’Évangile est toujours un ordre qui libère, un ordre qui ne libère que si on l’exécute. Sa parole, celle de la Torah, ne libère le peuple que si on la prend au sérieux, si on y obéit, que si on la prend radicalement au sérieux. Elle est un ordre qui met en marche... Si on ne se laisse pas envahir par la colère et la rumination du meurtre, si on se s’abandonne pas à la convoitise, au désir de vengeance, etc. Cette loi ne sera pas abolie, c’est toujours la même, même si certains aspects comme les cérémonies varient d’un peuple à l’autre — ce sur quoi Paul insistait ; ou varient d’un temps à l’autre : après la destruction du Temple, les aspects du rite qui y sont liés deviennent inapplicables. Ils seront réorganisés de feux façons différentes. C’est l’origine de la séparation du peuple en deux rites, le rite talmudique et le rite chrétien. Mais la Loi n’est nullement abolie. Elle est la fin de l’esclavage, la norme de la liberté. L’essentiel de la Loi est toujours Évangile, à savoir, selon le sens du terme, la bonne nouvelle de notre libération.

RP
Vence, AG, 13.02.11


2 commentaires :

  1. Si j'ai la conviction profonde que l'autre est perverti et dangereux et que je suis mise sur sa route pour le contrer... situation confirmée à plusieurs reprises . Cet autre ,fou furieux voire dangereux , à part le bénir et rester polie que faire ?

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  2. Il me semble que ce n'est pas directement le sujet du texte de Matthieu, qui est plutôt à mon sens de souligner l'exigence intérieure de la Loi.
    Mais c'est une vraie question, qui n'est pas hors propos, en lien avec cet autre aspect des choses : que signifie "agapè" que l'on traduit inconsidérément par ce mot qui finit par ne plus rien signifier : "amour", là où il faudrait probablement chercher du côté de "tsedaka", "justice" et qui implique de forte connotation dudit "amour". Bref on n'est pas dans l'indifférencié et dans la mise par dessus bord du discernement...
    Cela dit à titre indicatif, comme piste d'orientation.

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