dimanche 24 avril 2011

Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ...




Actes 10, 34-43 ; Psaume 118, 1-20 ; Colossiens 3, 1-4 ; Matthieu 28, 1-10

Matthieu 28, 1-10
1 Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre.
2 Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus.
3 Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme neige.
4 Dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts.
5 Mais l’ange prit la parole et dit aux femmes : "Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié.
6 Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit; venez voir l’endroit où il gisait.
7 Puis, vite, allez dire à ses disciples : Il est ressuscité des morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit."
8 Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : "Je vous salue." Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10 Alors Jésus leur dit : "Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront."

Colossiens 3, 1-4
1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ;
2 fondez vos pensées en haut, non sur la terre.
3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.
4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.

*

« Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu », écrit l’Apôtre.

Qu’est-ce qui nous constitue, que sommes-nous en réalité ? En réponse à cette question, nous confondons aisément notre être avec notre enveloppe temporelle.

Une enveloppe temporelle dont nous nous dépouillons déjà, au jour le jour de son vieillissement ; une enveloppe, qui s’use de toute façon, qui se dégrade de jour en jour ; jusqu’au moment où il faudra la quitter comme un vêtement qui a fait son temps (selon une image de Paul).

Que dit l’Ange aux femmes dans la clarté du dimanche de Pâques ? « Il n’est pas ici ». Et pour qu’on ne s’y trompe pas, le corps, de toute façon, n’est pas là. Ce corps, cette enveloppe, qu’il a dépouillée à la croix. « Recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ », confirmera l’Apôtre.

Il a dépouillé le corps temporel, provisoire, douloureux, et il s’est relevé d’entre les morts. Et pour que cela soit bien clair, le tombeau est vide : l’Ange en roule la pierre pour que nous n’y restions pas. Il vous précède en Galilée. La mission commence où demeurent les vôtres, les êtres humains, elle est où vous êtes envoyés, pas autour d’un tombeau.

*

« Il n’est pas ici » : c’est ce qu’a dit l’Ange aux embaumeuses. Allez chez vous, allez au bout du monde, dans la Cité terrestre, il vous y précède. Parce que ce qui vaut pour lui, et c’est là que son relèvement d’entre les morts est aussi un dévoilement, une révélation ; ce qui vaut pour lui, vaut, en lui, aussi pour nous.

« Votre vie est cachée avec Christ en Dieu ». « Vous êtes ressuscités avec le Christ. » Notre vrai être n’est pas dans nos lambeaux de corps, mais en haut, avec lui, à la droite de Dieu.

Ce qui ne rend pas nos corps temporels insignifiants. Ils sont la manifestation visible de ce que nous sommes de façon cachée, en haut. Et le lieu de la solidarité. Le corps que le Christ s’est vu tisser dans le sein de la Vierge Marie manifeste dans notre temps ce qu’il est définitivement devant Dieu, et qui nous apparaît dans sa résurrection.

Il est un autre niveau de réalité, celui qui apparaît dans la résurrection. Or nous en sommes aussi, à notre tour de façon cachée. C’est cet autre niveau qu’il nous faut rechercher, pour y fonder notre vie et notre comportement dans le provisoire.

« Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire », promet l’Apôtre.

*

Vous connaissez la tradition de la souris : la souris qui vient emporter la dent de lait qu’a perdue l’enfant. Nos dents de lait (et nos dents d’adultes) sont-elles une partie de nous-même ? Réponse spontanée et irréfutable : oui, bien sûr ! Ah ! bon ? Quand on perd une dent, une partie de notre être part-elle avec la dent ? Réponse tout aussi irréfutable : non évidemment !

Au matin, la dent emportée par la souris n’est plus là, remplacée par la promesse d’un lendemain de grand. Avec un cadeau, déposé à la place de la dent par la souris ; la souris qui par là, tel l’Ange du dimanche de Pâques, dit ainsi silencieusement à l’enfant : ne cherche plus ta dent, ton passé d’enfant est un peu mort cette nuit avec elle ; mais console-t-en par ce cadeau, et pars pour demain : ta vraie vie est cachée dans ton demain.

La caravelle de Peter Pan, l’enfant qui ne voulait pas quitter l’enfance, s’envole irrémédiablement. Et les combats à la recherche d’un tombeau vide ne sont qu’autant de duels contre le capitaine Crochet du monde imaginaire ; autant de poursuites d’une dent que la souris a définitivement emportée.

Mais que dégâts ont fait de tels combats, que de sang et de larmes à la recherche d’un hier révolu. Que de combats semblables ne menons-nous pas jusqu’à aujourd’hui !

Et pourtant, elle nous est donnée, cette parole : « recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; fondez vos pensées en haut, non sur la terre. Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. »

Lorsqu’au matin de Pâques, les femmes ont reçu ce signe : « le corps n’était pas là » ; le signe est accompagné de cette parole, il prend sens de cette parole, comme le pain et le vin prennent sens des paroles qui les accompagnent – il vous précède en Galilée, sur vos routes humaines. Ici ce n’est pas la souris, mais Dieu lui-même qui donne ce signe.

Alors désormais, « recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; fondez vos pensées en haut ». C’est-à-dire, contrairement à ce que laissent à penser certaines traductions : non pas : vivez en haut, comme dans les nuages de lendemains qui chantent, mais poursuivez votre route terrestre forts de ce que vous pouvez désormais fonder vos pensées en haut, dans la foi à la résurrection de Jésus.

Ni cadavre au tombeau ni caravelle de Peter Pan. Vous êtes morts avec Jésus et ressuscités avec lui. Ni cadavre au tombeau ni nostalgie dans l’imaginaire d’un passé qui ne reviendra pas.

« Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. » C’est à ce niveau de réalité-là qu’est notre vrai être. Vivre du mont de la transfiguration, où déjà avant Pâques, s’était manifesté le Christ de la résurrection, pour marcher sur les routes du provisoire.

Que Dieu nous donne aujourd’hui de percevoir la présence du Ressuscité, et d’en concevoir le bonheur qu’ont connu les Apôtres au mont de la transfiguration. Et puisqu’on ne plante pas de tente au mont de la transfiguration, d’aller vers nos Galilée où nous précède le Ressuscité.

R.P.
Vence, Pâques, 24.04.11


vendredi 22 avril 2011

Vendredi saint - "des ténèbres sur toute la Terre"




Lamentations 3.34-40 ; Psaume 150 ; Matthieu 27, 1-61

Matthieu 27, 1-61
1 Le matin venu, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire condamner à mort.
2 Puis ils le lièrent, ils l’emmenèrent et le livrèrent au gouverneur Pilate.
[…]
11 Jésus comparut devant le gouverneur. Le gouverneur l’interrogea: "Es-tu le roi des Judéens?" Jésus déclara: "C’est toi qui le dis";
12 mais aux accusations que les grands prêtres et les anciens portaient contre lui, il ne répondit rien.
13 Alors Pilate lui dit: "Tu n’entends pas tous ces témoignages contre toi?"
14 Il ne lui répondit sur aucun point, de sorte que le gouverneur était fort étonné.
15 A chaque fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’elle voulait.
16 On avait alors un prisonnier fameux, qui s’appelait Jésus Barabbas.
17 Pilate demanda donc à la foule rassemblée: "Qui voulez-vous que je vous relâche, Jésus Barabbas ou Jésus qu’on appelle Messie?"
18 Car il savait qu’ils l’avaient livré par jalousie.
19 Pendant qu’il siégeait sur l’estrade, sa femme lui fit dire: "Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste! Car aujourd’hui j’ai été tourmentée en rêve à cause de lui."
20 Les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules de demander Barabbas et de faire périr Jésus.
21 Reprenant la parole, le gouverneur leur demanda: "Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche?" Ils répondirent: "Barabbas."
22 Pilate leur demande: "Que ferai-je donc de Jésus, qu’on appelle Messie?" Ils répondirent tous: "Qu’il soit crucifié!"
23 Il reprit: "Quel mal a-t-il donc fait?" Mais eux criaient de plus en plus fort: "Qu’il soit crucifié!"
24 Voyant que cela ne servait à rien, mais que la situation tournait à la révolte, Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant: "Je suis innocent de ce sang. C’est votre affaire!"
25 Tout le peuple répondit: "Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants!"
26 Alors il leur relâcha Barabbas. Quant à Jésus, après l’avoir fait flageller, il le livra pour qu’il soit crucifié.
27 Alors les soldats du gouverneur, emmenant Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte.
28 Ils le dévêtirent et lui mirent un manteau écarlate;
29 avec des épines, ils tressèrent une couronne qu’ils lui mirent sur la tête, ainsi qu’un roseau dans la main droite; s’agenouillant devant lui, ils se moquèrent de lui en disant: "Salut, roi des Judéens!"
30 Ils crachèrent sur lui, et, prenant le roseau, ils le frappaient à la tête.
31 Après s’être moqués de lui ils lui enlevèrent le manteau et lui remirent ses vêtements. Puis ils l’emmenèrent pour le crucifier.
32 Comme ils sortaient, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon; ils le requirent pour porter la croix de Jésus.
33 Arrivés au lieu-dit Golgotha, ce qui veut dire lieu du Crâne,
34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel. L’ayant goûté, il ne voulut pas boire.
35 Quand ils l’eurent crucifié, ils partagèrent ses vêtements en tirant au sort.
36 Et ils étaient là, assis, à le garder.
37 Au-dessus de sa tête, ils avaient placé le motif de sa condamnation, ainsi libellé: "Celui-ci est Jésus, le roi des Judéens."
38 Deux bandits sont alors crucifiés avec lui, l’un à droite, l’autre à gauche.
39 Les passants l’insultaient, hochant la tête
40 et disant: "Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix!"
41 De même, avec les scribes et les anciens, les grands prêtres se moquaient:
42 "Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même! Il est Roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui!
43 Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime, car il a dit: Je suis Fils de Dieu!
44 Même les bandits crucifiés avec lui l’injuriaient de la même manière.
45 A partir de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures.
46 Vers trois heures, Jésus s’écria d’une voix forte: "Eli, Eli, lema sabaqthani," c’est-à-dire Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?"
47 Certains de ceux qui étaient là disaient, en l’entendant: "Le voilà qui appelle Elie!"
48 Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il imbiba de vinaigre; et, la fixant au bout d’un roseau, il lui présenta à boire.
49 Les autres dirent: "Attends! Voyons si Elie va venir le sauver."
50 Mais Jésus, criant de nouveau d’une voix forte, rendit l’esprit.
51 Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas; la terre trembla, les rochers se fendirent;
52 les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent:
53 sortis des tombeaux, après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de gens.
54 A la vue du tremblement de terre et de ce qui arrivait, le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus furent saisis d’une grande crainte et dirent: "Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu."
55 Il y avait là plusieurs femmes qui regardaient à distance; elles avaient suivi Jésus depuis les jours de Galilée en le servant;
56 parmi elles se trouvaient Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.
57 Le soir venu, arriva un homme riche d’Arimathée, nommé Joseph, qui lui aussi était devenu disciple de Jésus.
58 Cet homme alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna de le lui remettre.
59 Prenant le corps, Joseph l’enveloppa dans une pièce de lin pur
60 et le déposa dans le tombeau tout neuf qu’il s’était fait creuser dans le rocher; puis il roula une grosse pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla.
61 Cependant Marie de Magdala et l’autre Marie étaient là, assises en face du sépulcre.

*

La mort de Jésus est l'aboutissement d'un procès qui a largement révélé la disproportion entre la promesse accomplie et une attente qui n'était pas à la mesure.

Cela atteint son comble dans le contraste entre des ignorants en train de se moquer et les premiers signes du monde éternel en train d'entrer dans l'histoire. Signes à la fois terrifiants et merveilleux : le voile du Temple se déchire, la terre tremble, des tombeaux s'ouvrent.

Et en premier lieu, « des ténèbres sur toute la terre » (27:45).

*

Décidément quelque chose n’est pas à la mesure ordinaire. Déjà lors du procès qui a conduit ici, éclatait le quiproquo. Comme le disait le Psaume 2, tous se sont ligués contre le Messie ; et, au jour de la crucifixion, c'est là le comble, sans vraiment s'en rendre compte. Les responsables d'Israël, censés être les représentants d'une nation farouchement opposée au paganisme romain, se montrent comme étant en fait fort proches des Romains !

Le conflit semble être ainsi dans une large mesure celui qui oppose ceux qui ont des positions élevées et bien assises, au peuple dont l'espérance qu'il porte en Jésus commence à être jugée par trop dangereuse. Et finalement, devant le décalage qui va s'avérer exister entre le Royaume du Christ et les espérances populaires, les chefs religieux parviendront à retourner le peuple sans trop de difficultés contre celui qui est porteur de quelque chose de bien plus grand que ses faibles espérances, nos faibles espérances, contre lesquelles nous savons si peu espérer.

On connaît le prétexte religieux qu'ont invoqué les prêtres pour livrer Jésus : le blasphème : il s'est identifié au Fils de l'Homme de Daniel (Matt. 26:64-65 - cf. Marc 14:62-63, Luc 22:69-71). Le Fils de l'Homme est alors un personnage céleste, image éternelle de Dieu.

Il est fort probable qu'en fait, les Sadducéens, dont sont les prêtres en général, ne croient pas à ces traditions populaires sur le "Fils de l'Homme" des apocalypses. Et pourtant lorsque Jésus s'applique à lui-même une citation de Daniel sur le Fils de l'Homme, le grand prêtre crie au blasphème.

Il y a là vraisemblablement une bonne part d'intention démagogique, comme dans son geste spectaculaire — déchirer son vêtement. Par "réalisme", les prêtres et les Hérodiens, plus ou moins à la botte des Romains, et adversaires privilégiés de Jésus, peuvent fort bien s'accommoder de la croyance populaire au personnage céleste du Fils de l'Homme.

Mais voilà que cet être céleste devient concret, en Jésus Christ (Apocalypse 1:8) ; la chose peut devenir dangereuse, subversive, surtout si ce Jésus rassemble les espérances messianiques du peuple ; et d'autant plus que les Romains s'en inquiètent.

Or, le sous-entendu de Caïphe peut porter : le Fils de l'Homme auquel croit le petit peuple est un personnage céleste. On s'attend à le voir descendre du ciel dans le Temple ; Jésus, déjà au désert, a refusé la tentation de se présenter ainsi, en héros triomphant (Matt. 4:5-7).

Ce Jésus en train de comparaître n'a vraiment pas l'apparence du héros céleste, image éternelle de Dieu : il est au contraire humilié, méprisé, apparemment impuissant. Sa prétention à la filiation divine, sa référence au titre divin de Fils de l'Homme peut sembler on ne peut plus blasphématoire : ce prétendu Fils de l'Homme n'a pas fière allure !

Et le comportement du grand prêtre porte sans doute son effet. Car au fond, Jésus affole, et plus que les seuls prêtres et autres Hérodiens, assimilés, eux, aux Romains (Matthieu ne mentionne même pas Hérode au procès). Jésus n'admet aucune concession : surtout, certes, pas aux Romains et à leurs partisans au pouvoir, mais pas non plus aux zélotes, dont il semble pourtant plus proche, dont il ne se sépare, apparemment, que sur les moyens : ce n'est pas par la force, mais par l'Esprit de Dieu et par la douceur que le Royaume espéré sera instauré.

La crainte la plus nette n'en est pas moins le fait des prêtres : "s'il continue les Romains vont nous détruire". On le livrera donc aux Romains.

*

Et de cette façon s'explique l'attitude de Pilate. Pilate ne comprend pas : "qu'as tu fait, que les tiens te livrent à moi ?" Ou : "qu'en saurais-je de ta messianité, de ta royauté ? moi je ne suis pas juif... vous avez votre Loi, etc." Sous-entendu : "réglez donc cela entre vous !"

Et Pilate s'affolera de plus en plus. Les grands prêtres d'une nation censée être fort anti-romaine iront jusqu'à confesser n'avoir de roi que César (Jean 19:15) ! Pilate ne peut qu'y trouver confirmation dans son sentiment qu'il y a mystère derrière le procès de cet homme.

*

Dans cette fuite en avant, dans ce dévoilement des cœurs, le nœud du problème est manifesté : Jésus porte l'épée qui tranche, là où s'effectue le partage entre le confort de ce monde et le mystère déroutant de la Vérité.

Et c'est là le problème que pose Jésus par son silence devant ce Pilate perplexe : son Royaume n'est pas de ce monde. En d'autres termes : les grands prêtres, quoique Judéens, qui me livrent à toi, et les Romains, même combat.

La Vérité est d'au-delà des attentes mesquines et des pouvoirs passagers de ce monde qui passe. La Vérité ne peut qu'être exclue, condamnée, mais pour une condamnation qui est son triomphe, triomphe par rapport au monde.

Car dans cette condamnation éclate le fait que la Vérité exclue est la condamnation du monde. Lorsque le Christ est exclu, c'est le monde et celui qui le séduit qui est jeté hors de sa lumière : « il y eut des ténèbres sur toute la terre ». Lorsque le monde de la vanité, de l'apparence, et des pouvoirs transitoires, s'imagine réduire à l'impuissance celui dont il cloue les mains, il ignore tout de ce qui est en train de se passer : Dieu est en train d'élever Jésus dans sa gloire, par le mystère de cette crucifixion (cf. Jean 12:32-33).

Lorsque la lumière du monde est élevée de la terre, la terre entre dans les ténèbres (27:45).

Alors Dieu fait éclater la Vérité, qui dépasse infiniment les préoccupations de nos fausses vérités. Mieux peut-être que Pilate au procès, le centurion entrevoit cela et en conçoit de la crainte : "Il était vraiment le Fils de Dieu" (27:54).

Au milieu du chaos, des cris et des moqueries, s'esquisse un autre ordre, irréfutable : c'est là que Dieu se révèle. C'est là, là seulement qu'il ne peut qu'être. Là est son parti : la justice, la pureté, fût-elle voilée dans les sarcasmes : là est la puissance de Dieu.

*

C'est ainsi qu'apparaît dans l'Histoire cette Vérité qu'a perçue Daniel dans la vision céleste. L'Apocalypse nous le dévoile comme l'être mystérieux dont Jésus ne cessait de parler à ses disciples : le Fils de l'Homme. Il est dans les cieux, selon la Révélation prophétique, un être céleste, comme un Fils d'Homme, qui reçoit la domination sur toutes choses, une domination éternelle, une domination qui est celle de Dieu.

Et Jésus ne cessait de parler de ce Fils de l'Homme, mais d'une façon dont certains hésitent à penser qu'il s'agisse de lui : il en parle à la troisième personne. Avec des allusions pourtant de plus en plus claires : "il faut que le Fils de l'Homme soit élevé" (Jean 12:34). On commence à comprendre alors qu'il parle peut-être de lui-même. L'élévation en question ici s'avèrera alors être sa crucifixion : les disciples le relèveront après : "il disait cela pour indiquer de quelle mort il devait mourir" (dira Jean 13:33).

Caïphe ne s'y est pas trompé : "vous verrez le Fils de l'Homme venir sur les nuées" lui a dit Jésus. Il blasphème a répondu Caïphe (Matthieu 26:64-65).

L'Apocalypse a compris la même chose que Caïphe, mais y croit. Il est l'Alpha et l'Omega, celui qui est qui était et qui vient, celui-là même qui a versé son sang, voici qu'il vient sur les nuées" (Apocalypse 1:5-8). Il est le rédempteur qu'a vu le Livre de Job, celui qui se lève au dernier jour, présent avant même la fondation du monde. C'est pourquoi il est l’exaucement de toutes nos prières, le dévoilement de sa propre prière au Gethsémani.

C'est ainsi son sang est notre salut, selon le vrai sens de ce qu’a dit le peuple : "Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants!" (27:25). Malgré l’affreux contresens de la lecture historique de cette prière du peuple, il n’y a en effet rien d’autre que salut et bénédiction de Dieu sous le sang versé pour que nous ayons la vie.

*

Se dessine le fond du dévoilement, "de l'Apocalypse" du Fils de l'Homme : l'élévation dans l'abaissement — la croix (Jean 12:32-33). Le Fils de l'Homme qui est dans les cieux est cet humble témoin de la Vérité dans le concret.

Loin de nos vanités, inaccessible, il nous est, étrangement, infiniment proche, lui qui est cette Parole éternelle demeurant avec Dieu avant la fondation du monde. Or c'est cette Parole dont Paul écrit à l'Église de Rome (Romains 10) qu'elle est toute proche, celle de la foi : "Quiconque croit en lui ne sera pas confus... quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé" (Ésaïe 28:16, Joël 3:5, Romains 10:11,13).

RP
Vence, Vendredi saint, 22.04.11


jeudi 21 avril 2011

La prière de Jésus au jeudi saint. Quel exaucement ?




Lamentations 3, 22-33 ; Psaume 149 ; Matthieu 26, 36-75

Matthieu 26, 36-75
36 Là-dessus, Jésus arrive avec eux au lieu dit Gethsémani et il dit aux disciples : Asseyez-vous ici, pendant que je m’éloignerai pour prier.
37 Il prit avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée. Il commença alors à éprouver la tristesse et l’angoisse,
38 et il leur dit : Je suis triste à mourir ; demeurez ici et veillez avec moi.
39 Puis il s’avança un peu, tomba face contre terre et pria ainsi : Mon Père, si c’est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux.
40 Il vient vers les disciples, qu’il trouve endormis ; il dit alors à Pierre : Vous n’avez donc pas été capables de veiller une heure avec moi !
41 Veillez et priez, afin de ne pas entrer dans l’épreuve ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible.
42 Il s’éloigna une deuxième fois et pria ainsi : Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite !
43 Il revint et les trouva encore endormis ; car ils avaient les yeux lourds.
44 Il les quitta, s’éloigna de nouveau et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles.
45 Puis il vient vers les disciples et leur dit : Vous dormez encore, vous vous reposez ! L’heure s’est approchée ; le Fils de l’homme est livré aux pécheurs.
46 Levez-vous, allons ; celui qui me livre s’est approché.
47 Il parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva, et avec lui une grande foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et par les anciens du peuple.
48 Celui qui le livrait leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui ; arrêtez-le.
49 Aussitôt il s’approcha de Jésus et lui dit : Bonjour, Rabbi ! Et il l’embrassa.
50 Jésus lui dit : Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le. Alors ces gens s’avancèrent, mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent.
51 Un de ceux qui étaient avec Jésus étendit la main, tira son épée, frappa l’esclave du grand prêtre et lui emporta l’oreille.
52 Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prennent l’épée disparaîtront par l’épée.
53 Penses-tu que je ne puisse pas supplier mon Père, qui me fournirait à l’instant plus de douze légions d’anges ?
54 Comment donc s’accompliraient les Ecritures, d’après lesquelles il doit en être ainsi ?
55 A ce moment, Jésus dit aux foules : Vous êtes sortis pour vous emparer de moi avec des épées et des bâtons, comme si j’étais un bandit. Tous les jours j’étais assis dans le temple pour enseigner, et vous n’êtes pas venus m’arrêter.
56 Mais tout cela est arrivé pour que soient accomplies les Ecritures des prophètes.
Alors tous les disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite.
57 Ceux qui avaient arrêté Jésus l’emmenèrent chez le grand prêtre Caïphe ; là, les scribes et les anciens se rassemblèrent.
58 Pierre le suivait de loin, jusqu’au palais du grand prêtre ; il entra dans la cour et s’assit avec les gardes, pour voir comment cela finirait.
59 Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoignage contre Jésus, pour le faire mettre à mort.
60 Mais ils n’en trouvèrent pas, quoique beaucoup de faux témoins se soient présentés. Enfin il en vint deux
61 qui dirent : Il a dit : « Je peux détruire le sanctuaire de Dieu et reconstruire en trois jours. »
62 Le grand prêtre se leva et lui dit : Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages que ces gens portent contre toi ?
63 Jésus gardait le silence. Le grand prêtre lui dit : Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu.
64 Jésus lui répondit : C’est toi qui l’as dit. Mais, je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel.
65 Alors le grand prêtre déchira ses vêtements en disant : Il a blasphémé. Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Vous venez d’entendre son blasphème. Qu’en pensez-vous ?
66 Ils répondirent : Il est passible de mort.
67 Là-dessus, ils lui crachèrent au visage et lui donnèrent des coups de poing ; d’autres le giflèrent, en disant :
68 Fais le prophète pour nous, Christ ! Dis-nous qui t’a frappé !
69 Pierre, lui, était assis dehors, dans la cour. Une servante s’approcha de lui et dit : Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen.
70 Mais il le nia devant tous, en disant : Je ne sais pas ce que tu veux dire.
71 Comme il se dirigeait vers le porche, une autre le vit et dit à ceux qui se trouvaient là : Il était avec Jésus le Nazoréen.
72 Il le nia encore en jurant : Je ne connais pas cet homme !
73 Peu après, ceux qui étaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : Vraiment, toi aussi tu es de ces gens-là, ta façon de parler le montre bien.
74 Alors il se mit à jurer, sous peine de malédiction : Je ne connais pas cet homme ! Aussitôt un coq chanta.
75 Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant qu’un coq ait chanté, tu m’auras renié par trois fois. Il sortit, et dehors il pleura amèrement.

*

Jésus s’éloigna de nouveau et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles : « Mon Père, si c’est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux… Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » (v. 39, 42, 44)

Par trois fois. Une parole qui rappelle Paul (2 Co 12) : par trois fois je l’ai prié d’éloigner mon écharde. Réponse : ma grâce te suffit. Une prière de Paul réitérée trois fois, et non-exaucée, apparemment.

De même que pour Jésus au Jeudi saint ! La coupe sera amère. Jusqu’à la mort, avec le sentiment d’abandon le plus terrible, marqué déjà dans la trahison de Juda, puis dans le reniement de Pierre… abandon criant dans la calomnie et les fausses accusations qui nous contraignent à ne jamais croire ce qu’on nous dit sur quiconque, surtout si cela est unanime. Cela est déjà une vérité du talmud, que le sanhédrin lui-même a ignoré au jour du procès de Jésus : « si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect. »

C’est tout cela que Jésus va affronter jusqu’à la mort ! Alors il prie. Mais a-t-il été exaucé ?

« Prier », le mot français vient du latin « precarius », qui désigne non seulement la prière, mais aussi, et avant tout, ce qui est précaire, passager, étranger.

La situation de précarité est celle de la prière : c’est celle de Jésus au Gethsémani.

La précarité instaure dans notre quotidien cette réalité : nous sommes en ce monde en situation d'exilés, en situation d’emprunt, étrangers, « passagers et errants sur la Terre ».

Une réalité qui nous concerne tous, quelle que soit notre origine, notre religion, ou la nature de notre foi. C'est ainsi que « nous ne sommes pas de ce monde », qui que nous soyons : notre précarité, fût-on riche à foison, croirait-on — par peur peut-être de cette précarité, se mettre à l’abri par l’illusion de thésaurisation, quitte à priver autrui du minimum — ; notre précarité n’en est pas moins un fait, qui nous est rappelé à l’angle de chaque souffrance, autant de signaux clignotants qui nous alertent : nous allons tous mourir, peut-être dans la douleur. Jésus nous y a rejoints.

Ce qui peut se traduire par la précarité au sens propre, donc, voire par la douleur, voire encore par la persécution : le disciple n’est pas plus grand que son maître. Comme chrétiens, ayant entendu de Jésus cet enseignement, nous sommes censés le savoir, dit-il : « vous n'êtes pas de ce monde » ; et plus précisément concernant donc la persécution : « si le monde vous hait, c'est que vous n'êtes pas du monde »… comme je n’en suis pas et en serais donc expulsé ! avait-il précisé en substance.

Comme la souffrance subie est signe d’étrangeté au monde, ceux qui font souffrir, qui n'aiment pas, qui haïssent, qui relèguent autrui dans la précarité, le font parce qu'ils se croient du monde, qu’ils se croient non-précaires ! Quel est en effet le motif commun pour persécuter, ou mépriser quelqu'un ? Tout simplement penser qu'il n'est pas à sa place avec nous, pas à sa place chez nous — chez nous, c'est-à-dire, finalement, où, sinon en ce monde ? Expulsé jusqu’à la croix…

Là c'est Jésus qui console tout rejeté en lui rappelant : « tu n'est pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde. Si tu étais du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ». Mais voilà, en attendant l'entrée concrète, vécue, dans cette consolation que procure Jésus, subsiste la douleur. Car avant d'en arriver là, à cette consolation, il est tout un cheminement, — c'est le cheminement de la prière… Le chemin du précaire.

*

Face au silence céleste — celui que confrontera Jésus —, on sera alors peut-être tenté de dire : ces maux qui nous tombent dessus, incompréhensibles, l'auteur n'en est-il pas le diable ? Car derrière la trahison, les calomnies, le procès joué d’avance, il y a le diable, sous le pouvoir duquel gît le monde entier (1 Jean 5, 19).

L’auteur ultime du mal qui assaille Jésus serait donc le diable ? Croire cela serait aller un peu vite en besogne : Dieu serait-il impuissant face au diable ?

Déjà le livre de Job nous a interdit un tel raccourci : le diable, dès le départ de l'épreuve (Job 1), a obtenu l'autorisation, on pourrait dire l'investiture divine pour accomplir sa tâche de subalterne. Job ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui affirme : « la main de Dieu m'a frappé » (Job 19, 21). C’est de la même façon que Jésus, au cœur la menace et de la pesanteur diaboliques, s’adresse à son Père seul… Déjà celui que le monde, dominé par le diable, croit expulser, a pris la voie de la victoire. Déjà c’est en fait le Prince de ce monde qui est en passe d’être expulsé là où il croyait expulser Jésus. Et nous y avons tous pris part. Il est seul.

À la suite de Jésus, il ne nous reste qu'à nous rendre au constat qui est déjà celui du livre de Job, constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel Job n’a perçu qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25). C’est là l’exaucement de Job.

Eh bien, c’est là de même, mais avec une portée insoupçonnée, l’exaucement de la prière de Jésus — qui ne lui épargne pas la coupe qu’il doit boire, pas plus qu’il n’avait épargné Job — : l’exaucement est celui du rédempteur que prophétise le Livre de Job, celui qui se lève au dernier jour, vivant et triomphant de la mort, laissant son tombeau vide.

Jésus apparemment non exaucé ? Mais il est en fait lui-même l’exaucement de toute prière, de sa propre prière : cet exaucement est la Croix, il est caché dans la Croix — avant d’être dévoilé dans sa résurrection.

RP,
Antibes, Jeudi saint, 21.04.11


mardi 19 avril 2011

Inopportun appel de Dieu !…




Matthieu 21, 28 – 22, 14
28 Qu’en pensez-vous ? Un homme avait deux fils ; il s’adressa au premier et dit : Mon enfant, va travailler dans la vigne aujourd’hui.
29 Celui-ci répondit : « Je ne veux pas. » Plus tard, il fut pris de remords, et il y alla.
30 L’homme s’adressa alors au second et lui dit la même chose. Celui-ci répondit : « Bien sûr, maître. » Mais il n’y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du père ? Ils répondirent : Le premier. Jésus leur dit : Amen, je vous le dis, les collecteurs des taxes et les prostituées vous devancent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean est venu à vous par la voie de la justice, et vous ne l’avez pas cru. Ce sont les collecteurs des taxes et les prostituées qui l’ont cru, et vous qui avez vu cela, vous n’avez pas eu de remords par la suite : vous ne l’avez pas cru davantage.

33 "Écoutez une autre parabole. Il y avait un propriétaire qui planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour ; puis il la donna en fermage à des vignerons et partit en voyage.
34 Quand le temps des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux vignerons pour recevoir les fruits qui lui revenaient.
35 Mais les vignerons saisirent ces serviteurs ; l’un, ils le rouèrent de coups ; un autre, ils le tuèrent ; un autre, ils le lapidèrent.
36 Il envoya encore d’autres serviteurs, plus nombreux que les premiers ; ils les traitèrent de même.
37 Finalement, il leur envoya son fils, en se disant: Ils respecteront mon fils.
38 Mais les vignerons, voyant le fils, se dirent entre eux : C’est l’héritier. Venez ! Tuons-le et emparons-nous de l’héritage.
39 Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
40 Eh bien ! lorsque viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là ?"
41 Ils lui répondirent : "Il fera périr misérablement ces misérables, et il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons, qui lui remettront les fruits en temps voulu."
42 Jésus leur dit : "N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire ; c’est là l’œuvre du Seigneur: Quelle merveille à nos yeux. (Ps 118, 22-23 ; És 28, 16)
43 Aussi je vous le déclare : le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits.
44 Quiconque tombera sur cette pierre s’y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera.
45 Après avoir entendu ses paraboles, les grands prêtres et les pharisiens comprirent que c’était d’eux qu’il parlait ;
46 ils cherchaient à le faire arrêter, mais ils eurent peur des foules, parce qu’elles le tenaient pour un prophète.

1 Et Jésus se remit à leur parler en paraboles:
2 "Il en va du Royaume des cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils.
3 Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités. Mais eux ne voulaient pas venir.
4 Il envoya encore d’autres serviteurs chargés de dire aux invités: Voici, j’ai apprêté mon banquet; mes taureaux et mes bêtes grasses sont égorgés, tout est prêt, venez aux noces.
5 Mais eux, sans en tenir compte, s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce;
6 les autres, saisissant les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
7 Le roi se mit en colère; il envoya ses troupes, fit périr ces assassins et incendia leur ville.
8 Alors il dit à ses serviteurs: La noce est prête, mais les invités n’en étaient pas dignes.
9 Allez donc aux places d’où partent les chemins et convoquez à la noce tous ceux que vous trouverez.
10 Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins et rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons. Et la salle de noce fut remplie de convives.
11 Entré pour regarder les convives, le roi aperçut là un homme qui ne portait pas de vêtement de noce.
12 Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir de vêtement de noce? Celui-ci resta muet.
13 Alors le roi dit aux servants: Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents.
14 Certes, la multitude est appelée, mais peu sont élus."

*

Qui sont les deux fils de la première parabole, les vignerons indignes de la seconde, ou les invités rétifs de la troisième ? Serait-on dans la tristement célèbre théologie de la substitution de l’Église à Israël — comme on l’a pensé si souvent à travers l’histoire —, avec un fils désobéissant qui figurerait un Israël rétif, et un fils comme Église qui obéit !? Théologie débouchant à terme sur des violences antisémites. N’est-ce pas en effet l’impression que peuvent donner ces textes de Mathieu ? Et notamment la parabole de la vigne donnée à d’autres vignerons !

Théologie aux fruits redoutables, sans compter que croire que ces paraboles sont contre les juifs n’est rien d’autre qu’une façon commode de se débarrasser de ces paraboles… pour finir par se comporter exactement selon la façon que Jésus dénonce, des façons d’assassins !

Ceux qui cherchent à arrêter Jésus, à la veille de son procès, sont les divers responsables, de toutes les nations, dont la puissance de communication — la puissance médiatique — finissent par convaincre le peuple. Ils font cela conformément à une habitude qui n’est pas nouvelle contre les porte-parole que Dieu envoie — pas plus en Israël qu’ailleurs. Et qui correspond à une manie universelle de rejeter et de tenter de faire taire ceux dont le message dérange.

*

Les satisfaits de ce monde n’ont rien à faire du don de Dieu — qui toujours dérange —, quelle que soit leur pratique ou non-pratique religieuse, de quelque tradition que ce soit en ce monde, qui succombe sous la violence. Guerre civile, catastrophe humanitaire, violence terroriste ? En tout cas, dans nos paraboles, cela finit très mal, jusqu’à des assassinats dans deux de nos paraboles. Mais, oh ! nous autres n’avons pas assassiné de messagers de Dieu ! Certes… Cela dit, ne sommes nous pas un peu trop occupés, « l’un à son champ, l’autre à son commerce » comme dit Jésus, ou encore à son affaire, — affaire qui vaut quoi finalement… ? Cela jusqu’à trouver inopportun l’appel de Dieu.

Alors son invitation pourrait très bien s’adresser à d’autres, épinglés sur les barrières de notre abondance de biens très palpables, de nourriture, de consommation, mais aussi de biens spirituels.

*

Car, que ce soit ceux qui refusent l’invitation au Royaume, voire qui persécutent, jusqu’à tuer, ceux qui la leur apportent ! — ou que ce soit ceux qui prétendent y entrer par leurs propres moyens, — on n’entre pas aisément dans le Royaume de Dieu.

Ce que confirme la deuxième partie de la parabole des invités au repas de noces !…

L’invitation vaut pour les méchants comme pour les bons… Des méchants et des bons, à savoir par la grâce seule : la grâce seule qui ouvre la conversion (le fils obéissant n’est il pas celui qui a commencé par dire : non !) — conversion signifiée par le revêtement de l’habit de noces. Il ne s’agit de n’être pas revêtu de ses propres prétentions…

*

Car c’est de cela qu’il s’agit au fond. C’est le deuxième aspect de la parabole des invités aux noces : parmi ceux qui viennent finalement au banquet — ceux auxquels s’est finalement adressé l’appel dédaigné par les repus de biens en tout genre —, voilà un de ces pauvres, apparemment, qui ne porte pas de vêtements de noce. Qu’est-ce à dire ?

Cela rappelle nos anciens qui parlaient d’habits du dimanche. Oh, je sais bien que Dieu regarde le cœur — mais comme dit Saint-Exupéry par la bouche du renard attendant le petit Prince : avoir des rites, des heures de rendez-vous pour pouvoir savoir à quel moment s’habiller le cœur, n’est pas si insensé. Et c’est probablement ce que voulait signifier le symbole du costume du dimanche.

S’habiller le cœur ! Et bien, ce que reproche le maître du festin de la parabole à l’homme trouvé sans habit de noces, c’est probablement d’avoir négligé, précisément, de s’habiller le cœur. Ce qui revient alors à dire que s’il n’a pas refusé de venir à cette invitation de dernière minute que les privilégiés ont négligée auparavant, il n’en a, pas plus qu’eux, mesuré la portée.

Sa tenue montre qu’il n’a pas perçu tout l’honneur que valait la fête du Royaume. Il ne s’est pas habillé le cœur ! C’est ce que trahit la parole finale sur les appelés et les élus. L’appel extérieur du messager n’a pas résonné en son cœur…

Lorsque l’appel de Dieu produit son effet, et à terme l’obéissance, c’est qu’il a résonné en moi au point finalement de produire une obéissance sincère.

Est-ce que l’invitation de Dieu à la fête de son Royaume résonne suffisamment en moi, me séduit suffisamment, pour qu’elle vaille que je quitte tout pour cela, que j’habille mon cœur de joie ; ou ai-je mieux à faire, est-ce que les messagers que dérangent à ce point, est-ce que je ne viens qu’à contrecœur, sans m’habiller le cœur ? Suis-je élu, choisi pour la fête, pour avoir entendu cet appel ? Ou est-ce pour moi chose indifférente ?

Si nous avons dédaigné l’appel qui ne cesse de retentir, aujourd’hui encore, il est toujours temps, maintenant, de faire retour, et de s’habiller le cœur pour la fête du Royaume.

R.P.
CP Antibes, 19.04.11


dimanche 17 avril 2011

Hoshanna, le rachat d’un temps mauvais




Ésaïe 50, 4-7 ; Psaume 24 ; Philippiens 2, 6-11 ; Matthieu 20, 29–21.11

Ésaïe 50, 4-7
4 Le Seigneur DIEU m’a donné une langue de disciple : pour que je sache soulager l’affaibli, il fait surgir une parole. Matin après matin, il me fait dresser l’oreille, pour que j’écoute, comme les disciples.
5 Le Seigneur DIEU m’a ouvert l’oreille. Et moi, je ne me suis pas cabré, je ne me suis pas rejeté en arrière.
6 J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, mes joues, à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas caché mon visage face aux outrages et aux crachats.
7 C’est que le Seigneur DIEU me vient en aide : dès lors je ne cède pas aux outrages, dès lors j’ai rendu mon visage dur comme un silex, j’ai su que je n’éprouverais pas de honte.

Matthieu 20, 29 – 21, 11
29 Lorsqu’ils sortirent de Jéricho, une grande foule le suivit.
30 Deux aveugles assis au bord du chemin entendirent que Jésus passait et crièrent : Aie compassion de nous, Seigneur, Fils de David !
31 La foule les rabrouait pour les faire taire, mais ils n’en crièrent que plus fort : Aie compassion de nous, Seigneur, Fils de David !
32 Jésus s’arrêta, les appela et dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ?
33 Ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux s’ouvrent !
34 Emu, Jésus leur toucha les yeux ; aussitôt ils retrouvèrent la vue et le suivirent.

1 Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent près de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux disciples
2 en leur disant : "Allez au village qui est devant vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et un ânon avec elle ; détachez-la et amenez-les-moi.
3 Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous répondrez : Le Seigneur en a besoin, et il les laissera aller tout de suite."
4 Cela est arrivé pour que s’accomplisse ce qu’a dit le prophète :
5 Dites à la fille de Sion : Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d’une bête de somme.
6 Les disciples s’en allèrent et, comme Jésus le leur avait prescrit,
7 ils amenèrent l’ânesse et l’ânon ; puis ils disposèrent sur eux leurs vêtements, et Jésus s’assit dessus.
8 Le peuple, en foule, étendit ses vêtements sur la route ; certains coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
9 Les foules qui marchaient devant lui et celles qui le suivaient, criaient : "Hosanna au Fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux !"
10 Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : "Qui est-ce ?" disait-on ;
11 et les foules répondaient : "C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée."
*

Hosanna, du grec « Hosanna », dérivé de l’hébreu « Hochi’ah na’ », Ps. 118.25 : sauve, maintenant ou : sauve, nous t’en prions — ou : donne, accorde le salut, maintenant.

C’est l’acclamation de la foule lorsque Jésus entre en triomphe à Jérusalem. (L’expression « Hosanna » figure 6 fois dans les Évangiles: Mt. 21.9 a et b, 15 ; Mc. 11.9, 10 ; Jn. 12.13). On récite ce v. 25 du Ps 118 une fois chacun des 6 premiers jours de la fête des tabernacles (en septembre-octobre), pendant que la procession solennelle fait le tour de l’autel des sacrifices. Le 7e jour, ce v. est répété 7 fois. Le mot Hosanna, comme le texte des Évangiles en témoigne, est devenu une exclamation de joie, ou un cri de bienvenue, mais à l’origine, il avait le sens d’une supplique.

« Sauve maintenant », sauve tout de suite, dans l’instant présent, sauve dès cet instant, sauve ce temps, sauve notre temps.

Avez-vous remarqué que cela nous fait rejoindre l’invite de Paul (aux Ep 5:16 ; ou aux Col 4:5) à « rachetez le temps » ?

Une façon de comprendre le temps — celui qui passe — nous empêcherait d'en parler plus longtemps que cet autre temps — la pluie et le beau temps — : il s'agit de la façon de le comprendre comme un fleuve qui coule. Sous cet angle, le fameux « rachetez le temps », et l’appel « Hoshanna » sont tout simplement incompréhensibles — ce rachat du temps devenant rattrapage de temps perdu : « on ne rattrape pas le temps perdu ».

Si tout cela a un sens, c’est qu’il y a un autre temps, où « mille ans sont comme un jour », d’où se « rachète » le temps, comme on sort quelqu’un d’un fleuve. « Béni soit […] celui qui vient » parmi nous… depuis le « plus haut des cieux », depuis hors du fleuve de ce temps.

Où l’on trouve ce sens à « Hoshanna » : le Royaume à venir est aussi présent — de façon cachée, maintenant, « au milieu de nous ». Manifeste-le, rends-le présent, demande-t-on à Jésus. « Hoshanna (du) plus haut des cieux »… « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient » à la rencontre de Jérusalem, à notre rencontre, dans notre temps.

Notre temps, notre maintenant, est appelé à être sauvé, racheté — car notre temps se corrompt, contrairement au temps éternel, inauguré ici-bas dans la résurrection du Christ, selon le temps céleste où un jour est comme mille ans et où mille ans sont comme un jour. L’Écriture nous invite à revêtir en Jésus Christ l’incorruptibilité où le temps cesse d’être perte.

Un peu comme devant Jésus on dépouillait ses vêtements du temps pour revêtir le Christ du « plus haut des cieux ».

Le temps, notre temps, est le temps de l’exil hors de l’éternité. Notre temps, celui de notre monde, qui dès lors « est tout entier au pouvoir du Malin » (1 Jean 5, 19).

Là on est au cœur du quiproquo de Rameaux. Les foules attendent sans doute une délivrance — à l’égard de l’oppression romaine —, mais qui les laissera, elles l’ignorent, dans ce temps de ténèbres, le nôtre, où « le monde entier est au pouvoir du Malin », où les puissants sont toujours des gangsters. Délivrés de Rome ? Mais, selon les termes du cinéaste Stanley Kubrick, tenus au XXe siècle (1963), « les grandes nations se sont toujours comportées comme des gangsters et les petites comme des prostituées ».

Tant que ce monde dure c’est de cette autre oppression, plus fondamentale, qui emporte les oppressions du temps, qu’il s’agit d’être sauvé.

Les aveugles de Jéricho, peu avant le début de la procession, en ont porté le signe. Captifs des ténèbres, la foule ne voit pas d’un bon œil qu’ils en soient délivrés !

En les délivrant de la nuit du regard, par son émotion devant la demande des aveugles — que nous sommes tous —, et par son geste qui s’ensuit, Jésus indique le sens de la procession qui vient peu après. C’est d’une délivrance bien plus vaste que celle que la foule attend que Jésus est porteur.

« Hoshanna » prend alors son sens, que les foules qui le crient ignorent, celui d’une parole, donnée dans un appel à la délivrance du peuple en exil dans les ténèbres — cet exil que rappelle la fête des Tabernacles où l’on prononce ce cri : « Hoshanna ».

Car si notre temps, nos moments qui se succèdent, qui perpétuent l’exil, sont signe de perte, de manquement, de déficience, de captivité sous une griffe diabolique, ils sont cependant rachetables : « rachetez le temps », le moment. Il s’agit d’imprégner ce temps du rythme du temps céleste du monde à venir, dans lequel on est entré par la résurrection du Christ. Ce « rachetez le temps » s’accompagne d’une citation d’Amos (5, 13) – « car les jours sont mauvais » – où le prophète recommande au peuple une conduite intelligente de silence et de recherche de Dieu, pour détourner sa colère contre la corruption d’un mauvais temps.

1 Jean 5, 19 & 20 : « Nous savons […] que le monde entier est sous la puissance du malin. Nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus–Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable, et la vie éternelle. »

*

Il s’agit de racheter ce temps en vivant selon le temps céleste, dans le repos de Dieu. C’est la brèche de l’irruption du salut du temps. C’est ainsi que se rachète le temps, cette mesure de notre déperdition. C’est ce que ce « Hoshanna », sans même que ceux qui le prononcent ne le sachent, demande à Jésus.

Dans la foi qu’il est un temps céleste, celui du Royaume à venir, qui n’est pas marqué par le manque, un regard sur notre temps nous enseigne la confiance en Dieu, et l’espérance actuelle de ce temps total qui nous est donné d’En haut, irruption promise à notre foi, de l’éternité du Royaume.

Ainsi apparaît ce qu’il faut faire dans le présent pour « racheter le temps » : ne pas se soumettre à ses fluctuations, ne pas se conformer au siècle présent et à ses clameurs médiatiques, aux clameurs des foules trompées, mais se fixer résolument dans la vérité, loi du siècle à venir, incorruptible, pour racheter celui-ci.

Et vivre dans le siècle à venir se manifeste en ce siècle dans une attitude concrète : il ne s’agit pas de le fuir, mais d’en signifier dans la fidélité au quotidien, le rachat de chaque instant par la confiance à la loi du siècle à venir (Mt 6, 33-34).

*

Or qui a accompli cela ? Celui à qui la foule le demande à ce moment-là. Mais la foule ne sait pas exactement ce qu’elle demande. Son Royaume vient du « plus haut des cieux ».

La façon dont se fait le rachat de chacun de nos instants, de notre aujourd’hui, de notre maintenant — « sauve maintenant », est annoncée par le prophète Ésaïe au texte que nous avons lu :

« C’est que le Seigneur Dieu me vient en aide : dès lors je ne cède pas aux outrages, dès lors j’ai rendu mon visage dur comme un silex, j’ai su que je n’éprouverais pas de honte. »

Les flots du temps qui se corrompt ont passé comme le temps qui passe, avec les quolibets, avec la vanité. Celui qui est acclamé un jour, insulté l’autre, a laissé passé l’orage, ancré qu’il est dans le temps éternel. Les outrages sont passagers, la vérité dont il est porteur ne passe pas. Il peut rendre son « visage dur comme un silex », ne pas céder « aux outrages ».

« Sauve maintenant ». Alors le temps est racheté : « Le Seigneur Dieu m’a donné une langue de disciple : pour que je sache soulager l’affaibli, il fait surgir une parole ».

Voilà la vraie parole qui surgit de la foule agitée, de la foule en fête, une parole silencieuse, mais qui retentira au dimanche de Pâques en échos d’éternité, cette éternité dans laquelle est fondée la parole du salut de ceux qui sont dans le temps.

R.P.
Villeneuve-Loubet, 17.04.11


dimanche 10 avril 2011

"Je suis la résurrection et la vie"




Ezéchiel 37, 12-14 ; Psaume 130 ; Romains 8, 8-11 ; Jean 11, 1-45

Ezéchiel 37
11 « Fils d'homme, ces ossements, c'est toute la maison d'Israël. Ils disent : “Nos ossements sont desséchés, notre espérance a disparu, nous sommes en pièces.”
12 C'est pourquoi, prononce un oracle et dis-leur : Ainsi parle le Seigneur DIEU : Je vais ouvrir vos tombeaux ; je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur le sol d'Israël.
13 Vous connaîtrez que je suis le SEIGNEUR quand j'ouvrirai vos tombeaux, et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple.
14 Je mettrai mon souffle en vous pour que vous viviez ; je vous établirai sur votre sol ; alors vous connaîtrez que c'est moi le SEIGNEUR qui parle et accomplis — oracle du SEIGNEUR. »
Selon la prophétie d'Ezéchiel, ce que l'on peut lire de la résurrection en Jean 11 a une véritable portée messianique, avant Rameaux et Pâques. Ce qu’annonce Jésus vaut aussi pour la petite nation qui aurait tout pour être désespérée, devenue la proie des puissants. Cela n'est pas pour la mort, c'est pour la gloire de Dieu...

Jean 11
1 Il y avait un homme malade ; c’était Lazare de Béthanie, le village de Marie et de sa sœur Marthe.
2 Il s’agit de cette même Marie qui avait oint le Seigneur d’une huile parfumée et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux; c’était son frère Lazare qui était malade.
3 Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : "Seigneur, ton ami est malade."
4 Dès qu’il l’apprit, Jésus dit : "Cette maladie n’est pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu : c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié."
5 […] Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare.
6 Cependant, alors qu’il savait Lazare malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.
[…]
17 À son arrivée, Jésus trouva Lazare [mort].
[…]
21 Marthe dit à Jésus : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.
22 Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera."
23 Jésus lui dit : "Ton frère ressuscitera."
24 — "Je sais, répondit-elle, qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour."
25 Jésus lui dit : "Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi vivra, quand bien même il serait mort ;
26 et quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour toujours. Crois-tu cela ?"
27 — "Oui, Seigneur, répondit-elle, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde."
28 Là-dessus, elle partit appeler sa sœur Marie et lui dit tout bas : "Le Maître est là et il t’appelle."
29 A ces mots, Marie se leva immédiatement et alla vers lui.
30 Jésus, en effet, n’était pas encore entré dans le village; il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré.
31 Les Judéens étaient avec Marie dans la maison et ils cherchaient à la consoler. Ils la virent se lever soudain pour sortir, ils la suivirent: ils se figuraient qu’elle se rendait au tombeau pour s’y lamenter.
32 Lorsque Marie parvint à l’endroit où se trouvait Jésus, dès qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds et lui dit: "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort."
33 Lorsqu’il les vit se lamenter, elle et les Judéens qui l’accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et il se troubla.
34 Il dit: "Où l’avez-vous déposé?" Ils répondirent: "Seigneur, viens voir."
35 Alors Jésus pleura;
36 et les Judéens disaient: "Voyez comme il l’aimait!"
37 Mais quelques-uns […] dirent: "Celui qui a ouvert les yeux de l’aveugle n’a pas été capable d’empêcher Lazare de mourir."
38 Alors, à nouveau, Jésus frémit intérieurement et il s’en fut au tombeau; c’était une grotte dont une pierre recouvrait l’entrée.
39 Jésus dit alors: "Enlevez cette pierre." Marthe, la sœur du défunt, lui dit: "Seigneur, il doit déjà sentir… Il y a en effet quatre jours…"
40 Mais Jésus lui répondit: "Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?"
41 On ôta donc la pierre. Alors, Jésus leva les yeux et dit: "Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé.
42 Certes, je savais bien que tu m’exauces toujours, mais j’ai parlé à cause de cette foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé."
43 Ayant ainsi parlé, il cria d’une voix forte: "Lazare, sors!"
44 Et celui qui avait été mort sortit, les pieds et les mains attachés par des bandes, et le visage enveloppé d’un linge. Jésus dit aux gens: "Déliez-le et laissez-le aller!"

*

« Cette maladie n’est pas pour la mort », affirme Jésus. Et il attend encore deux jours pour aller rejoindre les deux sœurs de Lazare. « Cette maladie n’est pas pour la mort » a-t-il dit ; et pourtant, Lazare meurt, au point que Jésus arrive quatre jours après son inhumation.

Jésus s’est-il trompé ? C’est ce qu’ont pu penser certains de ses disciples et de ceux qui l’accompagnent. Nous qui savons la suite, savons aussi que décidément, non, Jésus ne s’est pas trompé. Mais pour l’heure… Quoiqu’il en soit, le texte ne nous dit rien à ce sujet. L’heure n’est point aux reproches sur le passé.

Jésus arrive donc, tard, à Béthanie ; et là, pointent les reproches ! — non pas sur ce qu’il a prononcé concernant la maladie de Lazare, mais sur son retard. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Pointe de reproche évidemment, mais chargée de foi tout de même : « maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera », ajoute-t-elle.

« Ton frère ressuscitera », répond alors Jésus. Parole naturelle, peut penser Marthe, dans ce contexte, Marthe qui confesse alors sa foi, celle de son catéchisme, quoi : « Oui je sais qu’il ressuscitera au dernier jour ». Oui je crois à la résurrection des morts ; et puisqu’il le faut, je m’en consolerai…

Sachant qui est Jésus, ce qu’on attendait de lui — « si tu avais été ici, Lazare ne serait pas mort » — on a de quoi concevoir une certaine déception : une affirmation sur la foi commune au sujet de la résurrection future !

Oui, certes, tout cela est vrai, mais voilà que la parole de Jésus avait une tout autre portée ; ce que Jésus va montrer en signe en Lazare, pour nous tous.

En ressuscitant Lazare, c’est-à-dire en le faisant accéder dès aujourd’hui au dernier jour, au jour du Royaume, Jésus accomplit une chose qui s’adresse, à travers Marthe et sa sœur Marie, à nous tous. Et cela, il en donne à présent la parole à Marthe : « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi vivra quand bien même il sera serait mort ».

Lazare est, par Jésus, vivant, en sa présence, en la présence du Fils de Dieu. Et cela vaut aussi pour Marthe, Marie, et nous tous. Pouvons-nous entendre cette parole ? « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi vivra, quand bien même il serait mort ; et celui qui vit et croit en moi ne mourra pas pour l’éternité. »

Et Marthe croit ; par sa foi en lui, elle entre aujourd’hui toujours dans sa présence, présence de celui qui est la résurrection et la vie.

La résurrection de Lazare en sera le signe. En l’espèce, par le signe de ce que le passage par la destruction du corps n’enlève rien à ce que Jésus est la résurrection et la vie. Ce pourquoi il avait pu dire : « cette maladie n’est pas pour la mort » !

« Crois-tu cela ? » a-t-il demandé à Marthe. — « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde ».

À ce moment-là, Marthe sait : elle, et Lazare, sont passés de la mort à la vie par la foi en Jésus. « Là-dessus, poursuit le texte — nous l’avons entendu — ; là-dessus, elle partit appeler sa sœur Marie et lui dit tout bas : "Le Maître est là et il t’appelle" ». Que chacun de nous l’entende aujourd’hui, cette parole : « Le Maître est là et il t’appelle ».

*

Marie marque alors le pas nouveau : « A ces mots, Marie se leva immédiatement et alla vers lui » (v. 29).

Puis profère à son tour la parole de sa sœur, mais d’une toute autre façon : « elle tomba à ses pieds et lui dit : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort." » (v. 32). Un ton, une attitude, qui laissent à penser qu’on est déjà au-delà du simple reproche, qu’on est déjà dans l’espérance que tout est possible à celui vers lequel Marie s’est tournée.

S’est mise en place au cœur de la foi qu’a confessée Marthe une ouverture vers ce que signifie concrètement cette confession de foi qui, sinon, pourrait n’être qu’une parole concernant le futur, le temps de la fin…

Mais non, plus que cela, l’ouverture de la foi devient prélude immédiat à une libération inouïe qui va se dévoiler dans la résurrection de Lazare.

Marthe est demeurée, même après sa confession de foi — et elle est ainsi notre porte-parole, évidemment —, dans cette espérance qui concerne les jours futurs de la résurrection finale. Pour l’heure : « il sent déjà » (v. 39), signale-t-elle. C’est bien là la mort-même, contre laquelle on ne peut évidemment rien. La mort qui a atteint Lazare et devant laquelle Jésus vient de pleurer — le plus court verset des Écritures (v.35) : « Jésus pleura ».

Il va alors poser le signe inouï qui annonce pour nous tous ce en quoi sa résurrection au dimanche de Pâques donne tout son sens à notre foi : « vous êtes ressuscités avec le Christ. [...] Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu », dira Paul (Colossiens 3, 1 & 4). « si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous » (Romains 8, 11).

En voici à présent, pour Marthe et Marie et pour nous tous, le signe inouï : la résurrection de Lazare. Où l’Évangile de la résurrection apparaît comme n’étant pas seulement de l’ordre d’une conception théorique ; mais comme étant de l’ordre du commandement accompli : « Lazare, sors ! » Tel est l’ordre, le commandement donné par Jésus, dans l’écoute et l’accomplissement duquel la libération du dimanche de Pâques devient une réalité effective dans nos vies dès aujourd’hui.

Lazare a entendu et a obéi : il est sorti de la mort. Comme Abraham obéissait au fameux commandement de sa liberté : « va ! », « Va vers où je t’indique », « va pour toi ». Et Abraham va : il n’y a pas de liberté sans ce départ.

Et Lazare sort de sa tombe.

Dernier signe de ce que l’Évangile de la résurrection et de la liberté libère vraiment, fait vraiment entrer dès aujourd’hui dans la vie nouvelle du ressuscité celui qui entend la voix du Ressuscité et obéi à son ordre, son commandement : « sors de ta tombe, de ce qui te lie ! » ; dernier signe que rien ni personne ne saurait y faire obstacle — Jésus s’adresse à ceux qui sont présents : « Déliez-le, et laissez le aller ».

R.P.
Vence 10.04.11