dimanche 27 novembre 2011

Entre Evangile et douleurs du temps, veillez




Ésaïe 63, 16 à 64, 7 ; Psaume 80 ; 1 Corinthiens 1, 3-9

Marc 13, 33-37
33 Prenez garde, veillez et priez, car vous ne savez quand ce sera le moment.
34 Il en sera comme d’un homme qui part en voyage, laisse sa maison, donne pouvoir à ses serviteurs, à chacun sa tâche, et commande au portier de veiller.
35 Veillez donc, car vous ne savez quand viendra le maître de la maison, le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin ;
36 craignez qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve endormis.
37 Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez.
*

« Quand sera le moment »… Quel moment ? On lit aisément ce texte de façon bien abstraite. On imagine volontiers une venue de Jésus hors de tout contexte… Quand on ne lit pas cette prophétie comme parlant de la mort naturelle de tout un chacun : la mort ne vient-elle pas à l’improviste ?

La prophétie reçue ainsi, plus question de lire les signes des temps, comme Jésus vient d’y inviter : « Comprenez cette comparaison empruntée au figuier : dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l'été est proche. De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes. » (Mc 13, 28-29)

Signes des temps. Que lire comme signes des temps ? Les versets qui précèdent indiquent l’annonce de l’Évangile du Royaume et la persécution dans le cadre de l’augmentation de la violence du temps. Point culminant : « Quand vous verrez l'Abominable Dévastateur installé là où il ne faut pas — que le lecteur comprenne ! —, alors, ceux qui seront en Judée, qu'ils fuient dans les montagnes »… (Mc 13, 14 sq.)

Dans l’immédiat, les disciples du Christ de la première génération ont lu cela en regard de la destruction et de la profanation du Temple en 70. Lecture des signes des temps au 1er siècle.

Mais les temps ont continué de se dérouler depuis, et chaque génération a dû apprendre à lire les signes des temps pour son époque. Avec des invariants : dans le cadre des violences du temps, annonce de l’Évangile et persécution. Ce qui a entraîné deux compréhensions du contexte de la venue du Christ en gloire, où le christianisme rejoint le Talmud considérant que « le Messie ne surgira qu'au milieu d’un monde "entièrement juste" ou "entièrement coupable" ». Deux compréhensions reçues dans le christianisme qui considèrent — l’une que l’annonce de l’Évangile finira par vaincre le mal et ouvrir la porte au Christ glorieux ; l’autre qu’au cœur de la persécution qui accompagne l’annonce du Royaume de Dieu aux nations, la venue du Christ en gloire est l’événement salvateur par lequel Dieu met terme à la violence devenue trop intense. « Le soir, au milieu de la nuit, au chant du coq, le matin » ? — « Craignez qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve endormis »

Lire les signes de temps… Ça concerne dans le texte, la géopolitique, ça peut concerner jusqu’à nos vies personnelles dans ce qu’elles ont de plus intime. La douleur indicible de l’Israël du premier siècle face aux nations peut renvoyer à celle de Job ou du Psalmiste en souffrance — et donc concerner depuis le mépris que l’on peut ressentir en de telles circonstances, jusqu’à des douleurs comme celles de la maladie ou de toute autre détresse. L’appel à la vigilance devant les signes des temps de la venue du Messie ouvre ici le temps de l’Avent : il est question de vivre dès aujourd’hui le Messie qui vient mettre terme à la douleur de l’histoire comme celui qui est déjà avec nous dans son humilité, dévoilée à Noël. Il est aussi celui qui est avec nous, qui nous a rejoint comme petit enfant semblable à nous.

Dans le texte de Marc, l’annonce de cette bonne nouvelle, qui nous concerne ainsi au plus près, est enserrée dans les violences du temps géopolitique — les nations se liguent — Psaume 2, 1-3 : « Les nations s'agitent, mais pourquoi ? Les peuples complotent, mais c'est pour rien ! Les rois de la terre se préparent au combat, les princes se concertent contre le Seigneur et contre le roi qu'il a consacré. "Rompons les liens qu'ils nous imposent, disent-ils, rejetons leur domination !" » Unanimité contre le Seigneur et ceux qui le suivent, haïs de tous, trahis jusque par leurs proches.

« Quant à vous, prenez garde à vous-mêmes ; on vous livrera aux tribunaux et vous serez battus dans les lieux de culte ; vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : ils auront là un témoignage. Car il faut d'abord que l'Évangile soit proclamé à toutes les nations. […]. » (Mc 13, 9-10)

Ces paroles données là à la première génération (elle « ne passera pas », dit Jésus dans la même prophétie — v. 30), ces paroles se sont accomplies… pour toutes les générations.

On a parlé de souffrance intime, de mépris… Vingt siècles après ce texte, au Pakistan : « Asia Bibi, 37 ans, est chrétienne et mère de plusieurs enfants. Un jour de juin 2009, alors qu'elle travaille aux champs en compagnie d'autres femmes, un incident survient. Selon les correspondants du Telegraph au Pakistan, on demande à Asia d'aller chercher de l'eau mais quand celle-ci s'exécute, les autres femmes refusent de toucher au liquide qu'elles estiment "impur". S'ensuit une conversation animée autour de la religion. Alors qu'Asia est pressée par ses collègues "de renoncer à sa foi chrétienne et d'embrasser l'islam", rapporte Christian Today, elle répond en disant que Jésus est mort sur la croix pour les péchés de l'humanité et demande à la femme musulmane ce que Mahomet a fait pour elle. Ce qui déplait fortement. Asia finit par être prise à partie par une foule agressive. Elle se réfugie alors auprès de la police qui, sous la pression de la foule, se retourne contre elle en l'arrêtant pour blasphème. Depuis, Asia est en détention, encourant la peine de mort. » Souffrance du temps. Un problème pour Asia — violences du temps : l’agenda politico-militaire mondial veut que son pays soit ménagé par les grandes puissances mondiales… Le « monde entièrement corrompu » signalé par le Talmud. « Le monde entier au pouvoir du mauvais » — 1 Jn 5, 19.

Les informations concernant Asia sont depuis peu contradictoires. Toujours en, prison, elle aurait peut-être été graciée (quoique le juge chargé de l’affaire lui refuse les circonstances atténuantes) — « grâce » éventuelle qui malgré tout confirme la violence d’un système où l’on juge que, sauf grâce arbitraire, user de la liberté religieuse peut valoir la peine de mort. Article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. » Mais l’agenda politico-militaire et les priorités économiques des grandes puissances étant ce qu’ils sont…

*

La violence passe alors — comme en tout temps — par toutes sortes d’insultes et de calomnies — Souffrance de Job… Car il faut bien se donner des motifs pour persécuter quelqu’un — qui ne fait, ici, qu’exercer le droit de dire sa foi, fût-ce de façon maladroite.

Rien de nouveau cependant : Jésus n’a-t-il pas été mis à mort sous l’accusation d’être une sorte de terroriste, de prêcher une belle foi pacifique tout en fomentant des actes criminels ? « Il est allé jusqu’à menacer de détruire le Temple » ! rapportent les faux-témoins.

Quand toutes les nations se liguent, il leur faut bien des prétextes, et des « bons ». Chrétiens criminels, « incendiaires de Rome » sous Néron : ça vaut bien les tribunaux des nations et les prises à partie dans les lieux de culte ! (Mc 13, 9)… Sauf que les accusations sont fausses…

*

Quinze siècle après Néron, en octobre 1534 en France, suite à « l’affaire des placards » — des écrits contre la messe affichés en divers lieux… « Les luthériens », comme on appelle les partisans de la Réforme, sont accusés — tous dans le même sac. Suite à ce beau prétexte, les persécutions se déchaînent. Et « de percer les langues au fer chaud, d’arracher les joues par des crochets, de couper les poings, de brûler vif. Etc. Excellent moyen, commente l’historien qui rapporte cela, de prouver la supériorité de la "religion chrestienne" sur les autres, et d’instruire efficacement badauds et belles dames, friands de ce spectacle de choix, sur le sort qui les attendait s’ils avaient la velléité de quitter le giron de l’Eglise. »

En 1545, ce sont les vaudois du Luberon qui font les frais de cette violence persécutrice dirigée ici par le baron d’Oppède : les villages vaudois sont pillés, les hommes massacrés ou envoyés aux galères, les femmes violées avant d’être tuées. Certains sont vendus en esclavage. Les terres sont confisquées. Les violences débordent, les villages alentour les subissent aussi. Le chef de la résistance vaudoise a son fief à Cabrières d’Avignon... Bon prétexte pour lequel le village sera détruit, comme 23 autres villages vaudois du Luberon, massacrés par l’armée du baron, tuant 3000 personnes en cinq jours et envoyant aux galères 670 hommes.

Etc., etc. Ça se poursuit jusqu’à la fameuse St-Barthélémy, 1572. Le pape Grégoire XIII, pour dire officiellement sa joie de voir éliminer les hérétiques, commande alors à Giorgio Vasari une fresque célébrant le massacre parisien, qu'il fait placer en face de celle célébrant la bataille de Lépante où les Habsbourg battaient les Turcs en 1571. Les deux fresques ornent toujours la salle Regia du Vatican.

Telle est l’ambiance en France dans les temps où, en 1553, le conseil de la ville de Genève condamne un Servet déjà brûlé en effigie par l’Inquisition, — comme un conseil précédent de la même Genève avait chassé Calvin moins de 20 ans avant. Et qu’entend-on dans la clameur médiatique des « nations liguées », la « communauté » dite « internationale » d’alors et sa « cour pénale » ? Clameur qui vient jusqu’à nos jours, à force d’être répétée docilement du bouche à oreille par les gens simples — « sancta simplicitas » disait Jean Hus de l’humble personne en train d’apporter un fagot à son bûcher. Qu’entend-on ? Que Calvin, pas même citoyen de Genève, est pourtant un des grands coupables de toute la violence d’alors — lui et ceux qui ont l’outrecuidance de ne pas condamner son enseignement ! Que si l’on veut parler des massacres de Paris, des vaudois, etc., il faut au moins mettre en balance cela avec ce qui, concernant Calvin et Servet, n’est d’ailleurs même pas clarifié, mais que tout le monde croit à force de le répéter !… Renvoyant ainsi tranquillement dos à dos — par un si bon prétexte — martyrs et bourreaux…

Le renvoi dos à dos des victimes et des bourreaux, voilà alors un signe des plus criants d’un « monde entièrement corrompu » — signalé par le Talmud. Signe des temps des plus aigus. « Si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect », avertit aussi le Talmud. « Toutes les nations liguées ». Quand on en est là, quand le jugement est unanime, sans recours, quand tout est renversé, l’Abomination installée où on ne le croirait pas, alors veillez : quand plus rien ne vous est possible, le Dieu libérateur est à la porte. Car au-delà de la menace sur le peuple sans force, c’est en vue de la libération qu’il est question de veiller.

*

On peut prolonger la façon de faire et la liste des calomnies concernant d’autres situations, d’autres persécutions, ou d’autres afflictions, jusqu’à nos jours.

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » aurait dit un célèbre ministre de la propagande de l’Allemagne du XXe siècle. Ça vaut pour les persécutés et affligés actuels. Jusqu’à des calomnies mondialement médiatisées, rabâchées par ceux qui les acceptent sans preuves, et qui débouchent jusque sur des actes de guerre (« vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres » — Mc 13, 7) — et déjà sur le silence entourant les persécutés, suite aux fausses accusations — « toute sorte de mal » — qui les transforme eux-mêmes en quasi-persécuteurs ou en alliés de supposés persécuteurs !

À son échelle, Asia Bibi est de ces calomniées : elle a porté atteinte à un ordre légal — soutenu par les puissances de la « communauté » dite « internationale » qui cautionne (tout en le déplorant hypocritement !) cet ordre légal qui prévoit qu’on ne dit pas ce qu’elle a dit, sous peine de mort. Subversive, elle renverse tout ce qui est sacré, elle « blasphème » — est condamnée pour cela, comme son maître !… C’est là qu’il s’agit de veiller…

La voilà sans force, calomniée, même par d’autres chrétiens du reste du monde à l’instar souvent de la plupart des médias — qui se plient aux intérêts économiques des puissances qui ménagent, voire appuient, les persécuteurs des Asia Bibi (heureusement pas tous les journaux, ou pas toujours : la presse écrite a relayé ce cas-là, le cas d’Asia Bibi, ce qui lui aura peut-être valu sa « grâce »). Trop souvent, pourtant, en voilà qui jugent que, quand même, cette façon de faire du prosélytisme (autre mot terrible)… est pour le moins maladroite, irrespectueuse, violente au fond… C’est ça, violente ! Au fond la violence, c’est elle qui en est coupable ! — au dire d’un certain mépris ; ou peut être aussi d’une certaine lâcheté… Cette faiblesse qui empêche d’appeler un chat un chat et qui fait renvoyer dos à dos la victime et le bourreau. C’est là qu’il s’agit de veiller. Le maître est proche.

Qui est condamné à mort pour sa foi ? Qui est dans la souffrance du deuil et de la maladie comme Job ? C’est la seule question qui vaut d’être posée. Chercher des poux dans la tête des persécutés ou des affligés, comme c’est si commun — cela se voit jusque dans les Églises ! — n’est jamais qu’une forme de lâcheté ! Ou au mieux une ignorance, qui abandonne les victimes à leur douleur ou à leurs bourreaux. Signe de ce que le maître est proche, tout proche, près de toi, « dans ta bouche et dans ton cœur » (Dt 30.14, Ro 10.8)...

« Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », ni ce qu’ils disent… Ils ne font que répéter, sans savoir par eux-mêmes, voire le bruit ambiant nommé aujourd’hui « information »…

*

Une attitude qui en attendant coûte tant à toutes les Asia Bibi qui se voient ainsi privées de la parole qui pourrait les sauver, elle ou, tout près, celles et ceux qui sont éprouvés. Cela devient alors aussi un signe qui colle à ce qu’a annoncé Jésus, lui-même abandonné de tous.

« Heureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Matthieu 5, 11-12)

Voilà donc un signe des temps dans lesquels Jésus nous appelle à veiller. « Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez. » Même si « vous n’avez pas encore eu à résister jusqu’au sang en luttant contre le péché » (Hébreux 12, 4). Veillez en vue de la venue du maître de la maison, sachant que quand l’Évangile est annoncé et que tous sont ligués contre lui et ceux qui le suivent, en inventant, ou répétant, toutes sortes de calomnies, le Seigneur est à la porte — Psaume 2 :

1 Les nations s'agitent, mais pourquoi ?
Les peuples complotent, mais c'est pour rien !
2 Les rois de la terre se préparent au combat,
les princes se concertent contre le Seigneur et contre celui qu'il a consacré.
3 « Rompons les liens qu'ils nous imposent, disent-ils,
rejetons leur domination ! »
4 Mais le Seigneur rit,
celui qui siège au ciel se moque d'eux.
5 Puis il s'adresse à eux avec colère
et les terrifie par son indignation :
6 « A Sion, la montagne qui m'est consacrée, dit-il,
j'ai consacré le Messie que j'ai choisi. »
7 Je publierai le décret du Seigneur ;
il m'a déclaré : « Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. »

RP
Antibes – culte "central"
1er dimanche de l’Avent
27.11.11


dimanche 13 novembre 2011

Talents




Proverbes 31, 10-31 ; Psaume 128 ; 1 Thessaloniciens 5, 1-6

Matthieu 25, 14-30
14 "Il en va comme d’un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
15 A l’un il remit cinq talents, à un autre deux, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités; puis il partit. Aussitôt
16 celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla les faire valoir et en gagna cinq autres.
17 De même celui des deux talents en gagna deux autres.
18 Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l’argent de son maître.
19 Longtemps après, arrive le maître de ces serviteurs, et il règle ses comptes avec eux.
20 Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et en présenta cinq autres, en disant: Maître, tu m’avais confié cinq talents; voici cinq autres talents que j’ai gagnés.
21 Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai; viens te réjouir avec ton maître.
22 Celui des deux talents s’avança à son tour et dit: Maître, tu m’avais confié deux talents; voici deux autres talents que j’ai gagnés.
23 Son maître lui dit: C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai; viens te réjouir avec ton maître.
24 S’avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit: Maître, je savais que tu es un homme dur: tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu;
25 par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien.
26 Mais son maître lui répondit: Mauvais serviteur, timoré! Tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé et que je ramasse où je n’ai rien répandu.
27 Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers: à mon retour, j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt.
28 Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents.
29 Car à tout homme qui a, l’on donnera et il sera dans la surabondance; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré.
30 Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents.

*

Le maître s'est éloigné. Les serviteurs sont seuls.

Ils demeurent — nous demeurons — dans un temps intermédiaire, dans le provisoire. Mais la tentation est de s'imaginer que ce provisoire est du définitif. Alors on s'endort, on n'aura pas de comptes à rendre. Ce monde ne passera pas. C'est en tout cas ce que l'on est tenté d'imaginer, ce qu'est tenté d'imaginer le mauvais serviteur... jusqu'au retour du maître.

Si l'on n'est pas dans le provisoire, si l'on est dans le définitif, alors, effectivement les dons qui nous sont faits peuvent ne l'être que pour notre bien propre et définitif. Alors on peut s'imaginer que les talents qui sont les nôtres sont destinés à être préservés, mis de côté.

« Talent ». Voilà un mot qui a eu un succès, grâce à notre parabole, qui est allé au-delà de son sens simple. Succès similaire à ce que le maître attend que l'on fasse de ses talents. « Avoir des talents » : à quoi vous fait penser cette expression ? Être doué. Eh bien, à l'époque biblique le sens est tout autre. « Avoir des talents » signifie alors à peu près avoir de l’or : un talent équivaut à peu près, si j’ai bien compris, à 800 euros.

Autant dire que le maître laisse à ses serviteurs un certain pécule, qui effectivement est l'image de nos dons de nos capacités, de ce que l'on peut faire pour lui. Et nous, que faisons-nous ? Si nous thésaurisons, sans plus, nous faisons tout bonnement comme le mauvais serviteur de la parabole. Mais me direz-vous, comment ne pas le comprendre ? On ne sait jamais, avec la crise... les temps sont durs... que sera le lendemain ? etc.

C'est oublier que nous sommes dans un temps intermédiaire, et que passé un certain délai, passé un temps qui peut prendre fin d'un moment à l'autre, les talents qui nous sont confiés ne servent plus à rien. « Votre or rouille » dit l’Epître de Jacques, qui sait très bien qu’en terme chimiques, ce n’est pas le cas !

Lors de la crise-économique de 1929, le fameux crash de Wall Street, effondrement mondial des valeurs boursières, l'argent s'est mis à perdre sa valeur de façon hémorragique. Rien — aujourd'hui on est bien placé pour le savoir à nouveau —, rien n'empêche que cela se reproduise. L'argent peut se mettre très rapidement à ne valoir plus rien. Le papier à avoir la valeur du papier. Un billet de cent euros à ne valoir pas plus que son équivalent papier.

C'est un peu comme une image du retour du maître. Si nous lui rendons le papier, ou les talents qu'il nous a confiés, comme si le temps de leur valeur devait ne jamais cesser, nous le volons, tout simplement.

Il nous a confié quelque chose doté d'une valeur provisoire, mais réelle en ce temps provisoire, valeur qui consiste en ce temps intermédiaire tout simplement en un pouvoir de transformation, de progrès et d'enrichissement via l’investissement pour l’embellissement du monde, et voilà que nous lui rendons ce qui dans le temps nouveau qui prend place à son retour n'est que du papier, avec seule valeur celle du papier — prétendant en plus que de toute façon avec la richesse qui est la sienne, peu lui importe, il peut donner valeur infinie à du papier, il l'a prouvé en ce temps intermédiaire. Cela revient simplement à gaspiller ses talents, qui auraient pu produire et multiplier.

C'est comme un enfant à qui vous confieriez des barres de pâte à modeler en lui laissant le soin d'en faire des figurines en vue de la préparation de la fête de Noël, par exemple, et qui vous rendrait les barres intactes, vous disant qu'il sait bien que vous êtes capables de toute façon de faire des figurines vous-mêmes, aussi bien avec une autre matière que de la pâte à modeler, alors... à quoi bon, — d'autant plus qu'il sait qu'il est maladroit et qu'il craint que vous ne jugiez sévèrement son œuvre ou qu'il ait gâché la pâte. Cela comme s'il considérait la pâte à modeler comme plus précieuse que le projet que vous aviez en vue.

Ou encore un poète à qui l’on confierait les lettres de l’alphabet et qui les rendrait telles quelles, après les avoir soigneusement rangées dans un classeur. On peut donner nombre d’exemples. Quant à chacun de nous, quel est le matériau donné aux capacités qui sont les nôtres ?

Pour revenir à l'image financière, l'attitude du mauvais serviteur — que l’on retrouve dans la figure de celui qui rend son papier où est marqué cent euros, ou l’enfant sa barre de pâte à modeler, le poète ses lettres, etc. —, revient à avoir préféré l'idolâtrie de ce qui passe à la foi en Dieu qui peut donner et ôter valeur à ce qu'il veut.

*

Ayant fait le détour actualisé de la lettre de la parabole, on comprend bien ce qu'il en est des serviteurs fidèles dont elle parle. Ils n'ont pas cru que le temps intermédiaire était définitif, c'est-à-dire qu'ils ont cru vraiment au retour du maître, qui s'avère ici avoir eu lieu pourtant « longtemps après » (v.19).

Ils n'ont donc idolâtré ni le temps intermédiaire, ni ses valeurs, pourtant fondées sur le pouvoir de Dieu. Mais y a-t-il plus grande insulte pour un bienfaiteur que de le confondre avec ses bienfaits ? Y a-t-il plus grande douleur que de n'être aimé que pour son argent et ses biens ? — au point de donner à son bienfaiteur la valeur du papier qu'il nous confie... papier bien digne d'être enterré, caché dans un trou.

Les bons serviteurs ont clairement distingué le maître et ses talents, et ont donc été à même de faire valoir ses talents, comme on doit faire de toute chose provisoire. Le provisoire est fait pour circuler, fructifier, sinon il pourrit, comme toutes les idoles — ce provisoire qui se prend pour du définitif.

En sachant que le maître seul est de l'Éternité, les bons serviteurs se sont mis en mesure de vraiment le servir dans le provisoire, et même de devenir aptes à le servir dans le temps nouveau qui se met en place, préparant sa venue... On pourrait peut-être dire tout simplement : ils se sont mis en mesure de le louer. Car que sont ces grandes choses que le maître leur confie, sachant qu'ils ont su gérer les choses provisoires ? En tout cas, sachant qu'ils ne confondent pas le maître avec ses dons, ils ont prouvé leur aptitude à le louer en vérité.

Remarquons aussi un détail non-négligeable : les bons serviteurs sont dès le départ du maître, doués de plus de talents que les mauvais. Ils ont plus de capacités à les recevoir. Comme quoi, gérer convenablement ce que nous confie le maître est lié à un certain tempérament, chose qui se cultive aussi. A nous de cultiver notre nature, à prendre de bonnes habitudes, chose de ce temps de façon à y devenir de bons gestionnaires. A nous de veiller dans les plus petites choses. Suis-je idolâtre de Mammon, suis-je arrêté par quelque peur ou prétendue peur de mal faire ? Autant de manques de capacité à gérer les talents que le maître nous confie, qu'il s'agit de corriger.

Et si nous tenons à ne pas nous corriger, à demeurer dans la peur, avec une fausse vision d'un maître-fouettard, alors au moins, n'enterrons pas nos maigres talents, mais confions-les à la banque, c'est-à-dire laissons à d'autres le soin de les faire fructifier : ce sera déjà là un moindre mal.

Ou prêtons la pâte à modeler à quelqu'un d'autre qui en fera quelque chose.

Reste quand même, et c'est mieux, la possibilité de nous en remettre avec confiance au maître, lui demandant de nous aider à développer nos capacités, à acquérir de bonnes habitudes pour ce temps, car ce sont choses du temps, pour devenir de bons gestionnaires des talents qu'il ne demande qu'à nous confier avec abondance.

Et n'ayons pas peur de nous lancer, de nous salir les mains à cette pâte graisseuse, pour voir naître entre nos doigts poisseux les premiers fruits du Royaume promis.

Il ne s’agit pas de rester les yeux levés vers le ciel de celui qui s’est comme absenté, mais de se tourner vers le monde pour l’enrichir des talents que nous a confiés celui dont on attend la venue…

Bref, si le Messie vient demain, il s’agit alors de continuer à planter un arbre ! — comme le disait Rabbi Yohanan Ben Zaccaï, aussi bien que Martin Luther : « si Jésus revient demain, aujourd’hui je plante un arbre »…

RP
Vence, 13.11.11


dimanche 6 novembre 2011

Manque d’huile et persécution




Proverbes 8, 12-20 & 32-36 ; Psaume 83 ; 1 Thessaloniciens 4, 13-18

Matthieu 25, 1-13
1 Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent à la rencontre de l’époux.
2 Cinq d’entre elles étaient folles, et cinq sages.
3 Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d’huile avec elles ;
4 mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases.
5 Comme l’époux tardait, toutes s’assoupirent et s’endormirent.
6 Au milieu de la nuit, on cria: Voici l’époux, allez à sa rencontre !
7 Alors toutes ces vierges se réveillèrent, et préparèrent leurs lampes.
8 Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.
9 Les sages répondirent : Non ; il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous.
10 Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée.
11 Plus tard, les autres vierges vinrent, et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous.
12 Mais il répondit : Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas.
13 Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure.

*

Un texte qui concerne très précisément la menace de la persécution, comme n’en laisse aucun doute ce qui le précède immédiatement :

Mt 24, 9-10 : « Alors on vous livrera aux tourments, et l’on vous fera mourir ; et vous serez haïs de toutes les nations, à cause de mon nom. Alors aussi plusieurs succomberont, et ils se trahiront, se haïront les uns les autres. »

Mt 24 : 37-39 : « Ce qui arriva du temps de Noé arrivera de même à l’avènement du Fils de l’homme. Car, dans les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et ils ne se doutèrent de rien, jusqu’à ce que le déluge vînt et les emportât tous »

Mt 24, 45-50 : « Quel est donc le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ? Heureux ce serviteur, que son maître, à son arrivée, trouvera faisant ainsi ! Je vous le dis en vérité, il l’établira sur tous ses biens. Mais, si c’est un méchant serviteur, qui dise en lui-même : Mon maître tarde à venir, s’il se met à battre ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes, le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas »

« Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges »… Notre texte de ce jour…

La menace de la persécution, ce qu’elle a d’inéluctable — « vous serez haïs de toutes les nations, à cause de mon nom » — est on ne peut plus claire. Et on ne peut plus clair le fait que cela surprend toujours ses victimes. Une imminence telle qu’elle déconcerte toujours. « Ayez de l’huile » — « veillez donc », a dit Jésus à ses disciples. C’est toujours inattendu, d’autant que les victimes savent « n’avoir rien fait » ! — « haïs à cause de mon nom »...

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La fermeture de la porte de la salle de noces ressemble alors à celle de la porte de l’arche de Noé… tandis que dehors fait rage la violence de la persécution. Non que les vierges (demoiselles d’honneur et non polygamie : dans la polygamie, on n'a jamais épousé dix femmes en même temps ! Tout au plus successivement, et très rarement avec un tel nombre !) — non que que les vierges sages soient épargnées de la persécution, mais elles savent que cela arrive « à cause du nom de Jésus ». Et ça c’est comme un secret qui donne à ce qui arrive de façon inéluctable un tout autre sens.

Ça ne concerne que le temps de Jésus ? Sauf qu’on peut dérouler les cas à travers le temps. Un point commun, le christianisme semble poser problème, avec cette constante : il est perçu comme menace politique, liée souvent aux options politico-militaires, auxquelles il ne peut pas grand chose, de telle ou telle des puissances antagonistes à un moment donné — mais en aucun cas « à cause du nom de Jésus ». Ça, c’est le mystère dévoilé par Jésus.

De nos jours, du Proche Orient à l’Asie et à l’Afrique, ce sont les choix politico-militaires occidentaux qui mettent les chrétiens locaux (le plus souvent, aujourd'hui, dans le monde musulman) en cibles, soit directement par l’appui éventuel aux pouvoirs persécuteurs — mais qui, parait-il, seraient plus favorables à notre économie — ; soit parce que les chrétiens locaux sont assimilés à l’Occident menaçant et réputé « chrétien »... Comme pris dans les rouages. En tout cas, voilà un bon motif pour lequel le Proche-Orient a déjà été quasiment vidé de ses chrétiens…

La communauté chrétienne araméenne, par exemple, qui a subsisté depuis les origines chrétiennes en Irak et en Syrie, y est en voie de disparition rapide, cela en lien direct ou indirect avec une assimilation (généralement à tort) aux pays occidentaux et à leurs engagements armés !

Une communauté qui a subsisté depuis 2000 ans. 2000 ans qui l’un dans l’autre, furent, là-bas et ailleurs, 2000 ans jalonnés de persécutions, avec des motifs toujours en biais. « Haïs à cause de mon nom » a averti Jésus… Bien que ça n’ait jamais été officiellement parce qu’ils se réclament du Christ que les chrétiens ont été persécutés, mais pour des motifs à côté. Quatre grands référents schématiques de la persécution des chrétiens depuis 2000 ans :

— Antiquité, l’Empire romain : les chrétiens sont persécutés parce qu’ils sont jugés subversifs quant aux autorités impériales, ce dont ils se défendent. N’empêche, ils sont jugés trop intransigeants quant à leur façon de vivre leur foi.
— Moyen Âge, très nombreux sont ceux qui sont persécutés… par l’Église au pouvoir ! Motif : hérétiques, subversifs pour le pouvoir (ça vaudra, entre autres, des cathares aux protestants).
— XXe siècle, les totalitarismes les jugent eux aussi subversifs, ou agents de l’ennemi, et comme au Moyen Âge hérétiques par rapport au dogme (qui n’est certes plus le même — ici ce sont les vulgates de « la race » ou du matérialisme).
— XXIe siècle, l’Église est menacée dans de très nombreux pays du monde musulman…

« À cause de mon nom » a averti Jésus… Mais que puis-je à tout cela ? demanderez-vous…

Au-delà des questions idéologiques, des motifs religieux ou dogmatiques, allant du matérialisme dialectique soviétique à l’interdiction actuelle d’ériger une église dans tel pays de la péninsule arabique — motifs qu’il ne faut pas négliger —, il faut savoir aussi que la déstabilisation d’un pays a toujours pour conséquence la prise à partie de ses minorités.

Au Moyen Âge le rapport de force Orient-Occident était à peu près l’inverse de ce qu’il est aujourd’hui. « L’Occident chrétien » se sentait menacé par la puissance militaire supérieure de « l’Orient musulman ». La menace a cessé en 1571 lors de la bataille de Lépante, après laquelle le rapport de force a fini par s’inverser. Auparavant, l’Occident se sentant menacé a opté à terme pour la ligne de défense, dite parfois préventive, de la Croisade. Or, que se passe-t-il alors en Europe lorsqu’une Croisade s’ébranle ? On commence par pourchasser les « infidèles » locaux, les juifs.

Aujourd’hui le rapport de force est inversé. Le monde musulman se sent menacé par des puissances militaires incommensurablement plus fortes. Il se mobilise donc de façons diverses, parfois fort violentes, pour parer à la menace. Et qui est la cible systématique ? Les minorités, les chrétiens en tête (les juifs, il n’y en a plus), au motif, nous dit-on, non pas qu’ils sont chrétiens, mais qu’ils sont menaçants pour l’ordre, que leurs prières sont donc des armes politiques ; ou bien parce qu’ils sont jugés proches de la menace occidentale.

Au fond, ce qui leur arrive est de leur faute : ils n’ont qu’à prier selon le bon rite — « à cause de mon nom » a dit Jésus…

Ainsi, puisqu’ils ne sont officiellement pas réellement menacés parce qu’ils sont chrétiens, mais pour ce qu’ils représentent de ce fait, puisque donc, entend-on, ce qui leur arrive est « un peu de leur faute », nos médias (voire nos Églises) se gardent bien de les défendre (non sans suggérer discrètement que les persécutés devraient mieux se tenir, avec des propos plus religieusement corrects, ou plus modérés). Les mêmes médias défendent éventuellement (fût-ce tacitement) la politique guerrière qui sert de prétexte à leur persécution, pour peu qu’elle soit menée par le pays qui est le leur, et pour nous, le nôtre.

Quel de nos médias s’indigne de ce que ce témoin rapporte à Amnesty International : « Ils ont pénétré dans notre église, le pasteur priait avec ses fidèles. L’un d’eux lui a demandé ce qu’il faisait et de quelle ethnie il était. […] Un autre lui a demandé de quel parti il était. Le pasteur a répondu que son parti était Jésus Christ. L’un des assaillants a répondu : "Pourquoi ton parti est Jésus Christ ?" et ils l’ont tué. Un des ses fidèles, qui était avec lui, a également été tué. » C’était à Abidjan, il y a six mois. Pareil à Duékoué, ouest de la Côte d’Ivoire, avril 2001 : « "Quel est ton parti ?" demande un membre des troupes du pouvoir actuel à un prêtre arrêté devant son église avec ses enfants de chœur. "Le parti de Jésus Christ" répond l'un d'eux. "Ce n'est pas un parti" réplique le soldat. Ils seront tous abattus. » Il y en aura, selon les Ong, 1200 environ tués là dans des conditions similaires. Qui le sait ? Leur tort, qui leur a valu de mourir dans le silence de nos médias, y compris chrétiens ? N’avoir pas été dans la ligne de l’agenda politico-médiatique qui leur aurait peut-être valu, s’il avait été autre, une répercussion de leur drame. C’était il y a six mois. Mais ce phénomène continue, là et ailleurs, aujourd’hui même.

En Syrie, Sœur Agnès-Mariam de la Croix, il y a quelques jours : « Je suis déçue par la presse catholique [occidentale — et on pourrait ajouter protestante] qui suit aveuglément la tendance dictée par les maîtres du monde et qui ne fait que répéter comme un perroquet ce que les médias mainstream propagent à satiété. Dommage que nous ayons, en ces jours difficiles, à nous expliquer d’abord avec nos coreligionnaires qui sont totalement dans la méprise, le malentendu et la désinformation ; à part quelques exceptions dont je salue le courage ». « Ils se trahiront les uns les autres », a averti Jésus. Agnès-Mariam de la Croix est en train de parler de la menace de persécution si l’Occident intervient en Syrie comme nombre de médias semblent y inciter. Elle poursuit : « L’Alliance entre les Frères musulmans [islamistes] et l’Occident est un scandale pour les chrétiens [et pour nombre de musulmans] ».

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Où l’on en revient à notre « Mais qu’y puis-je ? »

La réponse a commencé d’apparaître — « qu’y puis-je ? » : le dire, témoigner. Sachant que c’est efficace : les bourreaux ont peur de ce qui se sait. Et aussi dans les cas antécédents de persécution, les chrétiens, par leur parole, ont toujours réussi à expliquer que la violence qu’ils subissaient était le fruit de faux-prétextes :

— Dans l’Empire romain, les « apologètes » (titre donné à ces intellectuels chrétiens qui prenaient la plume pour défendre les croyants mal perçus par les autorités), les « apologètes » ont fini par convaincre du civisme des chrétiens, (au point que l’Empire romain en a adopté, pour le meilleur ou pour le pire, la religion !).
— Depuis le Moyen Âge et la Réforme, le dialogue œcuménique a fini par disqualifier la persécution des hérétiques.
— Face au communisme, les chrétiens ont prouvé que leur foi n’était pas anti-sociale, et ont développé des théologies (je pense à la théologie de la libération) axées sur le souci social de l’Évangile (délégitimant le motif de la persécution donné en Union soviétique).
— Rien n’est désespéré non plus quant à la délégitimation des persécuteurs actuels…

Alors que faire ? : dire ce qui se passe et dénoncer ce qui nourrit cette vaste persécution silencieuse actuelle… pendant que la roue tourne, peut-être…

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À qui le tour ? est-on tenté de dire. Ou : pour quand le tour des suivants ? — « à cause de mon nom »

Où l’on retrouve nos dix vierges et leurs lampes à pétrole, pardon… leurs lampes à huile ! Huile symbole de la sagesse qui fait défaut à cinq d’entre elles, huile symbole de l’Esprit prophétique qui semble manquer cruellement au temps où il serait le plus utile. Au temps où pullulent les faux prophètes qui clament « paix, paix, et il n’y a point de paix »… tandis que les prophètes de malheur — les Jérémie — se voient montrer du doigt.

Jusqu’à quand ? Jusqu’au jour où la persécution fondra sur vous, vient d’annoncer Jésus au ch. 24 de Matthieu, qui précède notre parabole, annonçant le jour où l’huile manque irrémédiablement et où les portes se ferment sur la douleur qui a déjà atteint d’autres dans notre indifférence de vierges folles.

Alors, il est encore temps de troquer l’huile malodorante des sous-sols ensanglantés pour l’huile de l’Esprit prophétique qui aujourd’hui encore nous appelle à la prière et au témoignage en faveur de celles et ceux qui partout dans le monde sont déjà persécutés pour la justice, ou pour le simple fait de porter un Nom qui perturbe tous les désordres établis.

Quand un membre est éprouvé, tout le corps souffre, rappelle Paul. Ne nous leurrons pas : ces frères et sœurs violentés, c’est nous, c’est notre corps — c’est déjà le cri dans la nuit qui retentit à nos oreilles de vierges folles ne sachant pas veiller.

Ce cri est l’avertissement du pasteur Niemoller :
Lorsqu'ils sont venus chercher les communistes, Je me suis tu, je n'étais pas communiste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les syndicalistes, Je me suis tu, je n'étais pas syndicaliste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les juifs, Je me suis tu, je n'étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher, Et il ne restait plus personne pour protester.


Élargi au reste du monde, ce cri vaut aussi pour l’Église persécutée : quand ils sont venus persécuter les croyants du bout du monde, je n’ai rien dit, je n’étais pas de ce bout-là du monde, quand ils sont venus persécuter ceux qui habitaient moins loin mais pas si proche, je n’ai toujours rien dit, je n’étais pas de ce coin-là, etc., jusqu’à nos portes… En Europe, où il n’y avait plus personne pour protester…

Avec en écho à ce cri, cet autre cri, du pasteur Martin Luther King : « Ce qui m'effraie, ce n'est pas l'oppression des méchants ; c'est l'indifférence des bons. »

Car cela commence par l’Église, de tant de lieux, jusqu’à, demain, chez nous — puis cela s’étend à d’autres, au-delà de l’Église…

« Si l’on traite ainsi le bois vert, disait Jésus parlant de sa propre persécution, qu'en sera-t-il du bois sec ? » (Lc 23, 27-32).

Notre vigilance, notre parole, ont une portée que l’on ne soupçonne pas, d’où l’importance de dire, tout simplement — en se sachant un même corps avec les persécutés. Ici, cela ne nous coûte pas — encore — la vie.

RP
Antibes, 06.11.11