dimanche 26 juin 2011

La pain du ciel




Psaume 147, 1-15 ; Deutéronome 8, 1-16 ; 1 Corinthiens 10, 16-17

Jean 6, 51-58
51 "Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie."
52 Sur quoi, les Judéens se mirent à discuter violemment entre eux : "Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ?"
53 Jésus leur dit alors : "En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie.
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.
57 Et comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi.
58 Tel est le pain qui est descendu du ciel : il est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité."
*

Propos troublant que le propos de Jésus. On comprend la question qu’il suscite : « comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Au fond que veut dire Jésus ? Cela s’inscrit bien sûr dans le discours de ce chapitre ; ça en est le point culminant.

Le propos de tout le discours est le suivant : nourrissons-nous notre vrai désir ? — le connaissons-nous, même : — le désir de Dieu ? C’est la question que nous pose ce texte… En termes apparemment outranciers, certes. En fait en termes qui rendent la question incontournable.

Les gens avaient faim. De pain, apparemment. Jésus leur a donné du pain. Et ils ont à nouveau faim. Et lorsque Jésus veut les entraîner à la question de la vraie nourriture, ils ont bien compris. Ils ont suivi leur catéchisme. Ah oui, le pain du ciel, quoi ! On connaît : c’est l’histoire de manne et de Moïse dans le désert. Car pour le judaïsme, il est traditionnel, comme pour le christianisme, que la manne, via sa fonction nutritive, signifie la nourriture de la Parole de Dieu.

Accord apparent entre Jésus et ses interlocuteurs, jusqu’à ce que les choses se gâtent. Jusqu’à ce que l’on en vienne au cœur des choses, au moment où on bute en se scandalisant — et Jésus ne lésine pas sur les prétextes à scandale : apparemment, il se donne même tort, mettant, pour qui veut s’imaginer qu’il invite au cannibalisme, jusqu’au Lévitique contre lui (17, 10) : tu ne mangeras pas le sang. Tout pour être scandalisé ; à moins que l’on ne capitule, que l’on ne se rende à la foi qui pose un tout autre sens.

*

Voilà donc les auditeurs de Jésus entre le pain abondant de la veille, dont ils veulent bien remplir à nouveau leur ventre et le pain spirituel qui les renvoie au passé religieux, au temps du désert, au temps glorieux de la religion des ancêtres.

Mais si c’était aujourd’hui qu’ils avaient faim ? Une faim qu’ils ignorent, une faim qu’ils n’ont pas conçue. Et qui pourtant tenaille. Telle est la question de ce texte, la question qu’il nous pose aujourd’hui. Oui, nous aussi, nous aimerions bien n’avoir plus le souci du pain du lendemain ; plus le souci financier du lendemain. Oui, nous aussi avons suivi le catéchisme et savons qu’il y a une vraie nourriture spirituelle qui a de tout temps fondé l’Église.

*

« Oui, tout cela, on est au courant », ont-ils dit. « Mais toi, ont-ils dit aussi, quel signe fais-tu donc, pour que nous voyions et que nous te croyions ? Quelle est ton œuvre ? Au désert, nos pères ont mangé la manne, ainsi qu’il est écrit : Il leur a donné à manger un pain qui vient du ciel » (v. 30-31). Et si c’était toujours la question ? Donne-nous un signe…

Comme si je ne vous en avais pas assez donné, a répondu, répond Jésus depuis ce jour, en ces termes : « vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas ». Les miracles n’ont de toute façon jamais créé la foi ! Pas plus désert qu’aujourd’hui.

N’est-ce pas à nouveau une histoire de cailles que tout cela ? Faudra-t-il encore du dégoût pour que l’on comprenne ? Si c’est du dégoût qu’il vous faut, vous allez être servis… « Celui qui mange ma chair et boit mon sang »… « Celui qui mastique ma chair » pour le dire précisément.

Vous voulez des signes. Comme si vous n’aviez pas assez vu ! Mais qu’ont-ils vu, qu’avons-nous vu, me direz-vous ? Qu’est ce que les yeux qui ne sont pas ceux de la foi ont vu d’autre que du passé ? Notre Dieu produit-il autre chose que du passé ? Hier, avec les concombres d’Égypte, hier encore, la veille, avec la multiplication des pains, nous ne sommes pas morts de faim. Hier aussi, nos pères ont été héroïques, ont eu une foi à renverser des montagnes, ont même fait des miracles.

Oui notre Dieu a produit un passé glorieux. Des Moïse, des Élie. Des prophètes, des Apôtres, des martyrs, des camisards, des résistants,… quand tout semblait perdu. Oui notre Dieu est un puissant producteur de passé. Un passé qui nous porte jusqu’à aujourd’hui.

Moïse a donné le pain du ciel. Et hier encore, avec cette multiplication des pains, on n’est pas mort de faim. Mais aujourd’hui, quel signe pour que nous croyions ? « Vous avez vu et pourtant vous ne croyez pas », nous dit encore Jésus, aujourd’hui même.

*

Remarquez bien que répondant à leur demande d’un signe, Jésus n’a pas dit ce qu’ils ont vu. Évidemment nous pensons automatiquement à la multiplication des pains qui a eu lieu la veille. Ce qui est bien commode : cela limite l’interpellation de Jésus à ses auditeurs immédiats. Nous, nous n’avons pas participé, pensons-nous volontiers, à la multiplication des pains. Bref cela les concerne. Mais nous ?

Il n’a pas dit ce qu’ils ont vu. Il ne dit pas ce que l’on voit. Il nous renvoie chacun à nous-mêmes. « Vous avez vu »… « et pourtant vous ne croyez pas » ?

N’avons-nous pas vu notre désir inassouvi ? Des pains, des concombres, des cailles, qui ne nous ont pas rassasiés. Une histoire héroïque — mais est-elle achevée ? Est-on parvenu au Royaume au lendemain du dernier combat des prédicants du désert ?

*

Il est là, le signe que nous demandons. Notre foi n’a t-elle pas vu que cette soif, Jésus peut l’assouvir ? « À qui irions-nous ?… tu as les paroles de la vie éternelle… » dira pour nous Pierre à la suite de ces paroles de Jésus (v. 68).

Rappelez-vous le catéchisme. Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel. Moïse, lui-même a enseigné cela. Ce qui est de l’éternité, Dieu seul peut le donner, à travers le signe que fait Moïse : « mon Père vous donne le vrai pain du ciel. »

Hors cela, on reste dans sa faim, attendant que le faiseur de miracles emplisse encore les ventres, encore et encore, et toujours : les pauvres, vous les aurez toujours avec vous, dira Jésus ; les pauvres vous les serez toujours, à moins que vous ne deveniez pauvres en esprit, connaissant votre vraie faim, votre vrai désir, et qu’ainsi vous l’ayez votre signe, pour trouver celui-là seul qui peut combler votre vraie faim.

… Jusqu’à donner sa vie…

*

Nous en sommes tous là. Nous voulons voir des signes. Nous les avons reçus, et en abondance. La manne, les pains multipliés, … que sais-je encore ?

Et nous avons le vrai signe : au cœur de notre manque, cette certitude intimement enfouie que celui-ci a les paroles de la vie éternelle. Et, signe puissant s’il en est, il donne sa chair pour la vie du monde ; en d’autres termes, il se dépouille de sa vie… Et il nous appelle à recevoir ce dépouillement, « manger sa chair ». C’est-à-dire recevoir de son dépouillement, la parole, la promesse de notre propre dépouillement.

C’est-à-dire abandonner l’illusion d’un provisoire qu’on a pu croire devoir durer, pour découvrir, dans cet abandon, abandon finalement de sa propre vie, son vrai désir.

*

Mourir à ses désirs transitoires, mourir au désir d’en faire du définitif, mourir déjà à ce qui mourra ; bref : perdre sa vie. Alors prend place la promesse de la Résurrection. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie », expliquera-t-il à ce sujet.

La résurrection prend alors place comme résolution de nos désirs de pains multipliés ; désir illusoire de vie comblée de façon indéfinie. Elle prend place comme récapitulation dans le Christ de ce que nous sommes vraiment, l’ignorerions-nous. Dans la résurrection du Christ, notre résurrection au dernier jour prend place dès aujourd’hui comme présentation de nos êtres vrais devant Dieu. Comme résolution et exaucement de nos désirs, et non pas de pains multipliés qui au fond ne rassasient pas. Elle est résolution et récapitulation de la vérité de nos vies.

C’est là la vérité profonde de la parole ou Jésus mène ses interlocuteurs, où Jésus nous mène : « comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi ». « Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité ». C’est la parole par laquelle Jésus répond en vérité aujourd’hui à toutes nos demandes.

R.P.
Vence, 26.06.11


dimanche 19 juin 2011

«Dieu a tant aimé le monde…» : une nouvelle création




Psaume 148 ; Exode 34, 4-9 ; 2 Corinthiens 13, 11-13

Jean 3, 16-18
16 Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

*

Lorsque Jésus s’en va, il accomplit sa promesse : « il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime » — souffle de la nouvelle création.

L'Esprit saint a saisi les disciples de Jésus : il est venu combler le vide creusé par l'absence de leur maître ; et il fait de chacun d'eux la voix d’une Parole créatrice appelée à résonner jusqu’aux extrémités du monde.

De même qu’en Genèse 2 v. 2-3, Dieu entre dans son repos comme pour laisser place au monde et aux êtres humains — leur insufflant l’esprit : Genèse 2 v. 7, « le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et l’être humain devint vivant » — ; de même lors le Christ se retire pour insuffler l’Esprit à ses disciples.

Prend place une nouvelle création — ; comme la première création se propage par la naissance, prend place le monde de la naissance d’en haut.

Il accomplit sa promesse à travers ce geste reprenant la Genèse : souffler sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu son Père.

Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot pour souffle : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent », qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets. Cela, il le disait en Jean 3, juste avant notre texte de ce jour, ce texte central de l’Évangile : « Dieu a tant aimé le monde… »

Dans la Genèse, Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » — c’est-à-dire l’esprit de vie. À présent Jésus reprend le geste du récit de la Genèse : il met ainsi en place une nouvelle création : il donne tout à nouveau l’Esprit de Dieu.

De même qu’il a vécu lui-même dans la vérité de l’Esprit qui l’a animé, la nouvelle création, celle du monde de la résurrection est animée de la vie de l’Esprit, tout à nouveau.

Cela pour notre envoi, en mission : Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » C’est par nous que le projet de la création est appelé à s’accomplir. Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

*

Jésus accomplit alors ce qu’il a expliqué au chef religieux Nicodème au texte de ce jour : « Dieu a tant aimé le monde… » Souvenons-nous des paroles qui précèdent — Jean 3, 2-5 :
2 "Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu, car personne ne peut opérer les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui" lui a dit Nicodème.
3 Jésus lui répondit, poursuit le texte : "En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, personne ne peut voir le Royaume de Dieu."
4 Nicodème lui dit : "Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le ventre de sa mère et naître ?"
5 Jésus lui répondit : "En vérité, en vérité, je te le dis : personne, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.

Nouvelle création. Nicodème, un homme que l’on connaît par ailleurs dans l’évangile comme proche de Jésus, espère que Jésus est bien celui qui va réaliser la promesse de Dieu, celle de faire venir son Règne, pour un monde enfin heureux.

Mais Nicodème, pour se rapprocher de Jésus — veut savoir à qui il a vraiment à faire. Quoi de plus naturel ! D’où ce dialogue en forme de test. Il l’interroge sans en avoir l’air : tu fais des signes (c’est-à-dire des miracles), tu viens donc peut-être de Dieu…

Et Jésus, qui voit bien que Nicodème veut se rapprocher de lui, va alors lui dire comment on trouve ce Royaume de Dieu qu’il est venu apporter.

*

Ici s’accomplit la promesse des prophètes.

Pour mettre cela en lumière, Jésus fait référence à ces prophètes que Nicodème connaît bien, comme Ézéchiel (ch. 36) parlant d’esprit nouveau et de cœur nouveau — toujours cette nouvelle création :

Ézéchiel 36, 24-27 :
24 "Après vous avoir retirés du milieu des peuples et des pays où vous vous trouvez, je vous rassemblerai et vous ramènerai dans votre patrie.
25 Je verserai sur vous l’eau pure qui vous purifiera ; […].
26 Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’enlèverai votre cœur insensible comme une pierre et je le remplacerai par un cœur réceptif.
27 Je mettrai mon souffle en vous et je ferai en sorte que vous suiviez mes prescriptions, que vous observiez mes règles et les mettiez en pratique."

Il s’agit de recevoir l’Esprit de Dieu, et d’en recevoir comme un cœur nouveau. Bref : il s’agit comme de naître de nouveau. On peut traduire aussi : naître d’en haut — au sens le plus fort de « de nouveau » —, naître de l’Esprit, du souffle de Dieu, pour connaître son Royaume.

Jésus poursuit, expliquant à Nicodème — Jean 3, 6-13 :
6 Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit.
7 Ne t’étonne pas si je t’ai dit : Il vous faut naître d’en haut.
8 Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit."
9 Nicodème lui dit : "Comment cela peut-il se faire ?"
10 Jésus lui répondit : "Tu es maître en Israël et tu n’as pas la connaissance de ces choses !
11 En vérité, en vérité, je te le dis: nous parlons de ce que nous savons, nous témoignons de ce que nous avons vu, et, pourtant, vous ne recevez pas notre témoignage.
12 Si vous ne croyez pas lorsque je vous dis les choses de la terre, comment croiriez-vous si je vous disais les choses du ciel ?
13 Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme.

Une naissance d’en-haut à laquelle on ne peut rien. Comme personne ne décide de naître. Cette naissance nouvelle vient de Dieu seul, comme effet de son souffle, mystérieux comme le vent…

Nicodème connaît évidemment les prophètes : sa question — « un homme peut-il naître quand il est vieux en retournant dans le ventre de sa mère ? » — est une question faussement naïve… Il sait ce qu’a dit Ézéchiel à ce sujet.

Et lorsque Jésus lui parle du vent que l’on ne peut pas maîtriser, comme l’Esprit de Dieu qui vient d’en-haut ; lorsqu’il lui dit que lui-même, Jésus, peut en parler parce qu’il vient lui-même d’en-haut, — alors Nicodème est désormais renseigné : Jésus est celui qui vient de Dieu, et qui porte le Royaume — comme une nouvelle création, par-delà la mort-même. Un Royaume que Dieu, par son Esprit, fait venir parmi nous…

Jean 3, 16-18 :
16 Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

On est passé au-delà du jugement de l’ancien monde. Ou plus exactement, ce tournant est le jugement de l’ancien monde, au-delà duquel on passe, par la seule foi en ce qui s’est accompli en Jésus. Comme au jour de Moïse où l’on était sauvé de la morsure des serpents par la foi seule, simplement en levant les yeux vers le serpent de métal forgé à l’ordre de Moïse — Jésus vient de faire référence à cet épisode de l’Exode. De même quiconque lève simplement le regard de la foi vers le Christ en croix a la Vie éternelle.

Le don de Jésus est le passage de la mort à laquelle, on ne le sait que trop, est voué l’ancien monde, au monde de la résurrection : le monde nouveau qui prend place par la seule foi en ce qu’en sa mort, Jésus a mis fin à la mort. Il a partagé la mort qui est la nôtre pour nous faire accéder en sa résurrection à la vie de résurrection. La création nouvelle.

Recevoir dans la foi ce don de la vie de celui qui a partagé notre mort, c’est être passé au-delà du jugement, qui a eu lieu en Jésus, sur sa croix.

Jean 20, 22-23 : Jésus souffla sur eux et leur dit : "Recevez l’Esprit Saint ; ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."

C’est cela que nous avons reçu et que nous sommes appelés à porter. La victoire est totale. Le jugement est du passé : qui ne croit pas est déjà jugé, mais qui croit en lui n’est pas jugé ; il est passé de la mort à la vie, par la libération à l’égard du poids du mal, du péché, de la culpabilité, autant d’aboutissements du mal, qui retenaient le monde captif.

Telle est l’immense nouvelle de ce verset central de l’Évangile : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle » — bonne nouvelle qu’il nous envoie porter jusqu’aux extrémités de la terre. C’est la nouvelle création, rien moins, qui se met en place par cette annonce.

RP
Vence, 19.06.11


dimanche 12 juin 2011

Pentecôte




Psaume 104 ; Actes 2, 1-11 ; 1 Corinthiens 12, 3-13

Actes 2, 1-11
1 Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.
2 Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis.
3 Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer.
5 Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.
6 Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.
7 Etonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d'Asie,
10 de Phrygie, de Pamphylie, d'Egypte, de Libye cyrénaïque, citoyens romains,
11 Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons dire dans notre langue les œuvres grandioses de Dieu !

Jean 20, 19-23
19 Le soir de ce même jour [dimanche de Pâques] qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l’Esprit Saint ;
23 ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."

*

Le Saint-Esprit, la paix et le pardon. Ces paroles de Jésus renversent tout ce qui divise. C’est aussi en cela que Pentecôte est le renversement de Babel.

Notre texte de ce jour nous ramène au soir du dimanche de Pâques, cinquante jour avant la fête de Shavouoth, Pentecôte. Les disciples sont enfermés : « Par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées ».

Puis ils vont passer de la crainte (des Judéens, de la part de ces Galiléens : pas des juifs ! — qu’ils sont eux-mêmes !) à la libération : « Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous." »

C’est suite à cela qu’ils vont passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire : à la mission : « Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie." » — Recevez l’Esprit Saint : et déliez ceux qui sont liés — cf. Mt 16, 19.

Jésus souffla sur eux comme pour un envol. Souffle de l’Esprit…

« La paix soit avec vous » — cette parole annonce le comment du don de cette paix : par l’Esprit saint. Esprit remis à Jésus. Cet Esprit qui vient du Père seul, le Père l’envoie par Jésus à qui il a été remis. Ici s’ouvre la porte de la liberté à laquelle nous sommes invités à notre tour.

Et cette liberté est une question de pardon. Je ne me rallie pas à une certaine traduction qui veut que Jésus disent aux Apôtres : « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » Comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !

Les Apôtres sont envoyés pour communiquer la libération que Jésus vient de leur octroyer dans le don de l’Esprit saint. De la communiquer abondamment. Pas de la mégoter.

Il se trouve qu’une toute autre traduction de cette parole est possible : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Ce qui correspond à l’équivalent chez Matthieu, « délier ».

Voilà donc qui donne tout autre chose : remettre les péchés et les soumettre. Deux faces de la libération. Remettre les péchés, c’est pardonner, soumettre les péchés, c’est permettre de les dominer.

Être libéré du fruit du péché. Et cela est en rapport étroit avec le pardon. Souvenez-vous de l’épisode de Caïn. Je lis, au livre de la Genèse, ch. 4, v. 6-8 : « Le Seigneur dit à Caïn : "Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le." Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère et le tua. »

Le péché est tapi à ta porte… Mais toi, domine-le. On a lu la suite, Caïn ne l’a pas dominé. Caïn n’a pas reçu le pardon, la rémission de ses péchés. Il jalousait son frère. Il n’a pas reçu le pardon, l’élargissement de son cœur et la capacité de pardonner. Il n’a pas reçu la capacité de soumettre le péché et son fruit, à savoir ses péchés : le péché l’a vaincu, Caïn ne l’a pas dominé.

Et voici le fruit de l’Esprit saint, dans la promesse de Jésus aux Apôtres : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ».

La puissance du péché, c’est la mort, affirme la Bible. Jésus a vaincu la mort. « Il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. » Le Ressuscité qui a vaincu la mort a pouvoir sur tout. Il a pouvoir même sur le péché. Il ouvre même comme possible, l’impossible commandement donné à Caïn : « domine sur le péché ».

C’est cela, la liberté. Vos fautes vous sont pardonnées, l’Esprit saint vous les soumet. Jésus souffla sur eux. Les Apôtres libérés par l’Esprit deviennent, par leur liberté, libérateurs à leur tour.

C’est la bonne nouvelle qui nous est à nouveau donnée en ce dimanche de Pentecôte. Jésus souffla sur eux : recevez l’Esprit saint. Percevons-nous son souffle aujourd’hui ?

Dans ce souffle est la paix que donne Jésus : la paix soit avec vous. La paix de se savoir pardonné. Pleinement pardonné : vos péchés vous sont remis, l’Esprit saint vous les soumet. Allez dans cette liberté. Vous n’avez pas même à vous venger pour quelque obscur désir ou jalousie, comme Caïn qui a été par là dominé. Vous n’avez que la liberté de vous savoir pardonnés, de savoir par là octroyer le pardon à votre tour. Le péché vous est soumis par l’Esprit saint.

C’est pourquoi l’Esprit saint prie en nous : Abba, Notre Père, pour l’accomplissement de cette demande : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Non pas que le pardon que nous octroyons soit la condition de notre propre pardon ! Mais la liberté qui est dans le fait d’être pardonnés nous libère du poids d’avoir à ne pas pardonner.

Nous voilà donc devant le Christ, en ce dimanche de Pentecôte, le Christ ressuscité présent au milieu de nous, soufflant sur nous l’Esprit : recevez l’Esprit saint.

*

Jésus accomplit alors sa promesse (« il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime »).

Il accomplit sa promesse à travers ce geste : il souffle sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu son Père. Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent » qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets.

Comme pour une nouvelle création : Genèse 2, 7 : « Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et l’être humain devint vivant. »

« Tu envoies ton souffle, ils sont créés, et tu renouvelles la surface du sol, » dit le Psaume de ce jour, Ps 104 (v. 30).

Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » — c’est-à-dire l’Esprit de vie. Jésus reprend le geste du récit de la Genèse à son compte : il met ainsi en place une nouvelle création : il donne tout à nouveau l’Esprit de Dieu.

De même qu’il a vécu lui-même dans la vérité de l’Esprit qui l’a animé, la nouvelle création, la création menée à son accomplissement comme monde de la résurrection, est animée de la vie de l’Esprit.

Cela commence par notre envoi, notre mission — Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » C’est par nous que le projet de la création est appelé à être accompli. Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ».

RP
Antibes
Pentecôte, 12.06.11


jeudi 2 juin 2011

Ascension - "Si je ne 'en vais pas..."



Psaume 47 ; Actes 1, 1-14 ; 2 Corinthiens 12, 1-10

Actes 1, 3-11
3 Après qu’il eut souffert, [Jésus] apparut vivant [à ses disciples], et leur en donna plusieurs preuves, se montrant à eux pendant quarante jours, et parlant des choses qui concernent le royaume de Dieu.
[…]
9 Après […] cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux.
10 Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent,
11 et dirent : Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu allant au ciel.

2 Corinthiens 12, 9
« Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. »

Jean 16
5 Maintenant je vais à celui qui m’a envoyé, et aucun d’entre vous ne me pose la question: Où vas-tu?
6 Mais parce que je vous ai dit cela, l’affliction a rempli votre cœur.
7 Cependant je vous ai dit la vérité: c’est votre avantage que je m’en aille; en effet, si je ne pars pas, le Consolateur ne viendra pas à vous; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai. […]
*

« Si je ne m'en vais pas, le Consolateur, l’Esprit saint ne viendra pas » (Jean 16, 7)… Quelques quarante jours avant l’Ascension, le départ du Christ annoncé en ces termes est sa mort, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait Jésus.

Dans le départ du Christ, c’est une réalité à la fois étonnante et connue de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent — il est ici —, il est aussi absent, caché, comme l’est aussi le Père — nous ne le voyons pas.

Concernant le Christ, cette absence est en premier lieu le signe de son règne, de ce que l'on n'a point mainmise sur lui, un peu comme ces princes antiques qui exerçaient leur pouvoir en restant toujours cachés de tous derrière une série de voiles — sauf à quelques occasions réservées à leurs proches. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle et du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) lisant l'Exode (25, 40). Temple céleste dans lequel officie le Christ.

C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort — ce qui est signifié dans sa Résurrection et son Ascension : le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée. Il nous quitte, donc, mais ne nous laisse pas orphelins : « L’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité » (Jean 16, 13), promet-il.

Le départ de Jésus est plein de la promesse de la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, l’Esprit saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). Car le don de l'Esprit est le don de la présence de celui qui ne se laisse plus voir.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence au-delà de l'absence, et nous met dans la communion de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus. Nous laissant la place, il nous permet alors de devenir ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire dans les temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume ; accomplissement de la Création. Et cela vaut comme consolation quant à nos proches qui nous ont quittés : entrer à notre tour à leur suite, en ce temps, qui s’ouvre pour nous par leur absence.

L’Ascension nous dit, dans cette perspective, que s’ouvre pour nous à présent une nouvelle étape du projet de Dieu… Ouvrant dès à présent sur la vie éternelle : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3).

C’est à une dépossession de ce quoi nous sommes attachés, jusqu’à nos proches qui nous seront retirés, que nous sommes appelés. Or cette dépossession correspond précisément à l'action mystérieuse de Dieu dans la création, jusqu’à la résurrection. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos.

Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes en Dieu pour la résurrection.

Il y a là une puissante parole d’encouragement pour nous. L’Esprit saint remplit de sa force de vie quiconque, étant dépossédé, jusqu’à être abattu, en appelle à lui en reconnaissance, au cœur de cet abattement, de tout ce que sa présence, de ce que tous ses dons, de ce que tous les jours de joie et de présence, à présent révolus, nous ont octroyé.

C’est alors, alors que nous sommes sans force, que tout devient possible. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse », est-il dit à Paul (2 Co 12, 9).

Ainsi les disciples qui viennent de perdre Jésus, dans une faiblesse immense, sont à la veille de recevoir la puissance qui va les envoyer, pleins de la seule force de Dieu, jusqu’aux extrémités de la terre.

En se retirant, ultime humilité, ultime pudeur à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour que jusqu’au jour où il faut nous retirer à notre tour, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée.

Non pas ce que nous projetons de nous-mêmes, non pas ce que nous croyons être en nous situant dans le regard des autres, mais ce que nous sommes vraiment, devant Dieu et qui paraît pleinement au jour de la résurrection.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous concevons de nous-mêmes, et suppose que nous laissions aller à notre tour ce qui nous est enlevé.

Le Christ lui-même s'est retiré pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu entrant dans son repos pour laisser le monde être.

C'est ainsi que se complète notre création à l'image de Dieu, que se constitue notre être de résurrection.

Et pour le temps en ce monde qui nous est imparti, demeure sa promesse : « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12, 9).


R.P.
Antibes, Ascension 02.06.2011


Pour le culte de dimanche 5 juin, fête de printemps à Antibes, voir ici.