dimanche 27 mai 2012

Pentecôte - Dieu nous parle




Actes 2, 2-6 ; Psaume 104 ; Galates 5, 16-25 ; Jean 15, 26-27 & 16, 12-15

Actes 2, 2-6
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux.
4 Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.

Jean 15, 26-27
26 “Lorsque viendra le Consolateur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi;
27 et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.

Jean 16, 12-15
12 J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant.
13 lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.
14 Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera.
15 Tout ce que le Père a est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il prend de ce qui est à moi, et qu’il vous l’annoncera.

*

Quelques cinquante jours avant Pentecôte, Jésus annonce, dans ce texte, l’envoi de l’Esprit saint, qui nous le dévoile comme Christ glorifié, pour nous envoyer à notre tour. Cet envoi de l’Esprit saint comme tout à nouveau, lors d’une fête juive de Shavouoth du premier siècle de notre ère, est ce que nous fêtons aujourd’hui.

*

Cela commence donc, cinquante jours avant, par une chose étrange. Alors que Jésus va partir, être retiré à ses disciples, concrètement qu’il va mourir ; il annonce dans ce départ, cette réalité étonnante de la vie de Dieu avec le monde : le signe de son retrait à lui, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent — il est ici —, il est aussi étrangement absent, caché, comme l’est aussi le Père — nous ne le voyons pas.

Cela signifie plusieurs choses. D’abord qu’il règne, que l’on n’a point de mainmise sur lui, un peu comme ces princes antiques qui exerçaient leur pouvoir en restant toujours cachés de tous, sauf à quelques occasions réservées à leurs proches — cachés derrière une série de voiles. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, puis celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu’une fois l’an, le grand prêtre.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l’explique l’Épître aux Hébreux (8:5) lisant l’Exode (25:40). Temple céleste dans lequel officie le Christ.

C’est dans ce lieu très saint céleste qu’il est entré par son départ, au-delà du voile dit l’Épître aux Hébreux, départ avéré à sa mort — ce qui est signifié dans sa Résurrection et son Ascension. Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée. Sa croix est alors, comme il l’annonçait, sa glorification : « l’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité ; [...] Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera » (Jean 16, 13-14). Dieu nous parle…

*

Le don de l’Esprit est alors la présence de celui qui ne se laisse plus voir, et le partage de sa vie. Jésus présent de façon visible, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu’on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme.

Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d’en faire une idole ! Une telle volonté relève de l’esprit du monde.

Mais l’Esprit de Dieu, l’Esprit saint, est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence au-delà de l’absence, et nous met dans la communion de l’insaisissable. C’est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus — ce que Jésus vient de dire à ses disciples : « si je ne m’en vais pas, le Saint Esprit, ne viendra pas ».

Nous laissant ainsi la place, il nous permet alors de devenir par l’Esprit saint ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

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Cela nous enseigne en parallèle ce qu’il nous appartient de faire en ces temps d’absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume ; accomplissement de la Création.

C’est à présent, dans cette perspective, l’ultime étape du projet de Dieu : l’effusion de l’Esprit promise par les prophètes — « comme l’eau couvre le fond des mers », une effusion générale (Joël 3 / Actes 2), sur tous les peuples (Actes 8 & 10). C’est là la nouveauté fondamentale, cette universalité, car en Israël, les fidèles connaissaient la vie de l’Esprit déjà auparavant (voir par ex. Luc 2:25) — et des temps d’effusion, de réveil. Dorénavant, dans cette nouvelle effusion, tous les peuples sont au bénéfice du don de Dieu : « élevé de la terre », le Christ, selon sa promesse, « attire tous les hommes à lui » (Jean 12:32).

Cela pour une connaissance partagée du Père, ce qui est la vie éternelle : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17:3). Cette connaissance, cette consolation, n’est autre que la communion à son humilité, à son entrée dans la condition de l’esclave, que nous sommes conviés à faire nôtre (Philippiens 2:4-6) — connaissance de la vérité, car sans humilité, il n’y a que mensonge sur nous-même.

C’est une dépossession à laquelle nous sommes appelés. C'est aussi un signe qu'une Eglise des Eglises qui abandonnent leur nom pour s'unir afin de dire tout à nouveau le Nom du Christ. La dépossession que suppose le don de l’Esprit saint est la dépossession de toute sagesse et puissance qu’a connue Jésus crucifié (1 Co 2:1-11 ; Ph 2:7). Dépossession qui doit aussi être notre part.

Ce n’est pas une incitation à l’irresponsabilité, mais une mise en garde contre une façon de s’imaginer régner, une façon, qui est mensonge, de refuser d’être dépossédé comme le Christ l’a été, une façon de s'imaginer être propriétaires de notre identité ; là où le Christ, lui s’en est dépossédé. C’est ainsi que son Esprit nous conduira dans toute la vérité, et dans la gloire qui est la sienne — élevé à croix.

Or cette dépossession correspond précisément à l’action mystérieuse de Dieu dans la création. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s’est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s’en va, par la croix avant l’Ascension — et c’est sa glorification — pour que vienne l’Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes en Dieu.

Il y a là une puissante parole d’encouragement pour nous tous. L’Esprit saint remplit de sa force de vie quiconque, étant dépossédé, jusqu’à être abattu, en appelle à lui en reconnaissant cette faiblesse et cette incapacité. L’Esprit saint ne remplit pas un peuple ou un individu plein de lui-même.

C’est au contraire quand nous sommes sans force que tout devient possible. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse », est–il dit à Paul (2 Co 12). Ou Pierre qui vient de renier Jésus, faiblesse immense, est à la veille de recevoir la puissance qui va l’envoyer, plein de la seule force de Dieu, jusqu’aux extrémités de la terre.

Et de même tous les disciples, dont la faiblesse, la dépossession de toute capacité, a été la porte du déferlement de l’Esprit saint. Il me semble qu’il y a là un message très actuel pour nous tous, pour nous, Église faible, en perte de capacités, en un peuple affaibli.

S’il y avait là un signe pour nous d’un proche déferlement nouveau ? À nous, à présent, de reconnaître notre faiblesse et notre abattement et d’en appeler dès lors à celui-là seul par qui tout est possible, et sans qui nous ne pouvons rien faire.

*

Nous sommes, 2000 ans après, toujours dans la période qui a suivi cet événement de Pentecôte ; où, en quelque sorte, l’étape ultime de la création se met en place. Le jour s’approche de l’entrée de la Création dans le repos de Dieu, le jour de l’apaisement qu’appellent les prières du peuple de Dieu dans la liturgie divine dans laquelle s’inscrivent aussi les Apôtres (Actes 2, v.14).

En se retirant, ultime humilité à l’image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu’en nous retirant à notre tour, nous devenions, par l’Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée. Non pas ce que nous projetons de nous-mêmes, non pas ce que nous croyons être en nous situant dans le regard des autres.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s’est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous avons pris l’habitude de croire de nous-mêmes, suppose que nous nous retirions de l’image qu’ont forgée de nous nos parents, nos maîtres, nos amis ou ennemis ; que nous nous retirions de la volonté de différencier par nous-mêmes pour être dans la vérité, conduits par L’Esprit de vérité dans toute la vérité et en premier lieu, à nouveau par l’humilité. Calvin, dont la pensée est en grande partie une méditation de l’œuvre de Esprit saint, ouvre ainsi son Institution chrétienne : « Toute la somme presque de nostre sagesse, laquelle, à tout conter, mérite d’estre réputée vraye et entière sagesse, est située en deux parties : c’est qu’en cognoissant Dieu, chacun de nous aussi se cognoisse. »

L’Esprit de Dieu est celui qui insuffle en nous la liberté de n’être rien de ce dont nous aurions la maîtrise, de ne plus rechercher ce que nos habitudes nous ont rendu désirable, de ne plus aimer, ni haïr en réaction.

Cela vaut aussi pour notre Église, désormais Église unie, pour les raisons de notre désir d’annoncer tout à nouveau l’Évangile. Précisément il s’agit là aussi de dépossession. Qu’il n’y ait en nos décisions aucune raison autre que la gratuité de l’envoi de l’Esprit saint.

Le Christ lui-même s’est retiré pour nous laisser notre place, pour que l’Esprit vienne nous animer, cela à l’image de Dieu se retirant dans son repos pour laisser le monde être. À combien plus forte raison, devons-nous voir se retirer tous nos modèles et nos anti-modèles, tous nos désirs de nous démarquer, ou de perpétuer ce que nous prétendons être.

C’est dans ce renoncement seulement que se complète notre création à l’image de Dieu. C’est là seulement qu’est notre entrée avec le Christ dans le Temple éternel qu’est appelé à devenir ce monde. Hors cela il n’est que stérile agitation et poursuite de la vanité.

Que ce jour soit pour nous une prière de retrait en Dieu. De sorte que l’Esprit de Dieu que nous envoie le Christ se retirant, déferle en nous comme la sève dans le Cep, et soit le souffle qui nous permettant de nous retirer de nous-mêmes, nous fasse alors accéder à la liberté de devenir enfants de Dieu et au sens de notre mission.

R.P.
Vence, 27.05.12


dimanche 20 mai 2012

"Je ne suis plus dans le monde"




Actes 1, 15-26 ; Psaume 103 ; 1 Jean 4, 11-16 ; Jean 17, 11-19

1 Jean 4, 10-16
10 L’amour de Dieu consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés.
11 Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres.
12 Personne n’a jamais vu Dieu ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous.
13 Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit.
14 Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.
15 Celui qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
16 Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Jean 17, 11-19
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous.
12 Lorsque j’étais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m’as donnés. Je les ai préservés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Écriture soit accomplie.
13 Et maintenant, je vais à toi, et je parle ainsi dans le monde, afin qu’ils aient en eux ma joie parfaite.
14 Je leur ai donné ta parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
15 Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin.
16 Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
17 Sanctifie-les par la vérité: ta parole est la vérité.
18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde.
19 Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité.

*

« L’amour de Dieu consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire — c’est-à-dire pour couvrir — nos péchés. »« Pour nous, nous l’aimons, parce qu’il nous a aimés le premier » (v. 19). Comment cette 1ère Épître de Jean en arrive-t-elle à une telle affirmation ? — Dieu nous a aimés, au point que l’Épître pourra dire finalement carrément : « Dieu est amour » (1 Jean 4, 8 & 4, 16) / ou, selon une autre traduction, « Dieu est chérissement ».

Rien d’évident dans une telle assertion — « le Père nous a chéris » —, sachant ce qu’est le monde, le cauchemar du monde — dont nous confessons que Dieu en est tout de même le créateur ! —, sachant la haine de ce monde ennemi, que rappelle aussi l’Épître. Comment peut-on dire que Dieu nous aime, que Dieu est amour ?! Parole incroyable, ou, si on la prend au sérieux, une telle parole — le Père nous a aimés — pose ipso facto une mystérieuse souffrance en Dieu. Et effectivement ce qui fonde cette assertion, c’est qu’ « à ceci, nous avons connu l’amour : c’est qu’il a donné sa vie pour nous » — « pour couvrir nos péchés ». La croix ! Amour égale, d’une façon ou d’une autre, souffrance.

Et en parallèle, non moins mystérieux, cette souffrance — exprimée à la croix —, cette souffrance dans cet amour fonde un détachement à l’égard du monde ; le détachement par la mort sur la croix — « je ne suis plus dans le monde » (Jean 17, 11), disait Jésus dans sa prière pour ses disciples à l’approche de sa mort.

C’est tout cela que pose notre confession que Jésus est le fils de Dieu, manifestant Dieu comme Dieu-amour, Dieu qui nous chérit. « Qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu » (1 Jean 4, 15).

*

Jésus dévoile, en son renoncement à sa vie, que Dieu qui l’envoie depuis l’éternité nous a aimés de sorte que nous sommes faits enfants de Dieu à son image — réellement, précise l’Épître…, même si cela ne se voit pas, tout comme, au regard de ce que sont les choses, il ne se voit pas que Dieu est amour. C’est de la même façon, donc, que nous sommes enfants de Dieu ; et que cela ne se voit pas, n’est pas encore clairement révélé — « nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ».

C’est une chose difficile à exprimer, qui correspond aussi au « pouvoir de devenir enfants de Dieu » du Prologue de cet Évangile de Jean, « pouvoir », c’est-à-dire « pas encore », « pas tout à fait ». Jusqu’au jour où « nous deviendrons semblables à lui », où ce que nous sommes réellement sera « clairement révélé » : enfants de Dieu, aimés du Père avant tous les siècles… En d’autres termes, c’est là une chose déjà vraie, mais pas encore pleinement réalisée, comme la chrysalide par rapport au papillon.

Ici, « enfants de Dieu » ne veut évidemment pas dire simplement créatures, mais parle de filiation intérieure, dans le don de la foi — recevant notre nom de son nom. Il s’agit de participation à la filiation du Ressuscité. Réalité déjà avérée, déjà donnée à la foi au Ressuscité ; mais qui n’extrait pas du monde pour autant. En d’autres termes, nous sommes déjà ressuscités, mais tant que persiste ce monde — et tout ce qui fait son cortège de douleurs et de malheurs, qui prospèrent par le péché —, cela ne se voit pas encore, cela n’est pas encore manifesté. Tant que nous sommes dans le monde.

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Pour Jésus, il le dit, dans sa prière : « Désormais, je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous » (Jean 17, 11). « Désormais ». Mot important pour la suite de cette prière de Jésus pour les siens. Mot important pour comprendre ce fameux « ils ne sont pas du monde »

« Désormais ». — On est au moment du départ de Jésus, au moment de son Ascension. Car dans l’Évangile de Jean, la croix est Ascension, avec tout ce qu’est l’Ascension : « quand j’aurai été élevé de la terre, l’attirerai à moi tous les hommes — il parlait, précise le texte, de la mort dont il allait mourir » (Jean 12, 32-33) ; à savoir la croix. Glorification : « Père, l’heure est venue — l’heure de la croix — ! Glorifie ton Fils » (Jean 17, 1) ; glorification, et absence aussi, car l’Ascension, outre sa glorification, est le retrait de Jésus de la vue des disciples. « Désormais je ne suis plus dans le monde », dit ainsi Jésus.

Effectivement, il va mourir, c’est-à-dire entrer dans la gloire proclamée à la Résurrection et à l’Ascension ; c’est-à-dire aussi s’absenter, sortir du monde, de ce monde. C’est déjà vrai au moment où il parle ; il parle déjà depuis son absence imminente, inéluctable : « Désormais je ne suis plus dans le monde ». Malgré les apparitions du Ressuscité, qui cesseront au bout de 40 jours (Actes 1, 3), scellant alors définitivement son départ du monde.

Mais « tandis que moi je vais à toi »… « eux restent dans le monde ». Alors, demande-t-il au Père, « garde-les en ton nom », garde-les « pour qu’ils soient un comme nous » ; évite-leur la dispersion qui serait leur fin, leur confusion avec le monde pour lequel je les envoie en témoins ; le monde, pour le salut duquel je te demande de les maintenir, ce monde que tu as tant aimé que tu m’y as envoyé. Désormais, ma mission à moi est terminée. Je les envoie à leur tour, je leur passe le relais.

Mais, ce faisant, ils demeurent avec moi, qui, désormais, ne suis plus dans le monde. Voilà comment il faut comprendre le fameux « être dans le monde, mais n’être pas du monde ». Être avec Jésus, qui n’est pas de ce monde, comme cela nous est signifié dans sa mort et dans son Ascension. Mais y être comme envoyés par lui pour poursuivre sa mission, qui est de dire et de sanctifier le nom de Dieu, dans lequel est le salut du monde. Sans lequel le monde, comme la figure du fils de perdition, se perd et se disperse.

Ce n’est pas dans un monde facile que Jésus nous laisse, et demande au Père de ne pas nous en enlever, mais simplement de nous y garder du Mauvais.

En fait, à son départ, les choses se poursuivent comme quand il était là : « lorsque j’étais avec eux, je les gardais en ton nom que tu m’as donné ; je les ai protégés ». À présent, désormais, il nous garde dans le nom du Père, après son départ le Père continue de nous garder selon sa prière. On est bien au moment où il passe le relais : au Père pour qu’il nous garde, à nous pour que nous manifestions sa présence dans le monde.

« Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde ». Et nous n’y sommes pas seuls. Il nous passe le relais : « je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais ». Le départ de Jésus prend alors pour nous une toute autre signification, celle de sa consécration — son départ est tout de même aussi sa mort, et on sait laquelle : « pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés par la vérité ».

RP
Antibes, 20.05.12


dimanche 13 mai 2012

Du cep au fruit




Actes 10, 25-48 ; Psaume 98 ; 1 Jean 4, 1-11 ; Jean 15, 9-17

Jean 15, 9-17
9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour.
10 Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.
11 "Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.
12 Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
13 Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime.
14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l'ignorance de ce que fait son maître; je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître.
16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure: si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera.
17 Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.

*

Ces versets sont l’explication de la parabole qui précède — Jésus, dans les évangiles, donne souvent à ses disciples l’explication de ses paraboles. Ici, il s’agit du cep et des sarments, aux versets précédents : qu’est-ce que donne le cep qu’est Jésus dans les sarments que nous sommes si nous croyons en lui ? C’est l’amour du Père. Qu’est ce que le fruit que produisent les sarments attachés au cep : ce sont les actes qui en découlent. C’est-à-dire des actes de gratuité. « Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples », dit Jésus dans le verset précédent. Et puis ici : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. »

Amour donné comme don de la vie de Jésus, et auquel il appelle ses disciples, ses amis, désormais, par cette connaissance qu’il leur a donnée. Connaissance qui leur a fait connaître la volonté de Dieu au point que toute demande qu’ils peuvent formuler s’inscrit forcément dans la volonté de Dieu ! C’est à nous aussi qu’il s’adresse, si nous entendons sa parole !

Choisis par Dieu, les disciples sont envoyés, nous sommes envoyés — avec son commandement : « ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres ». Tout un programme, dans un mouvement qui se commande et qui ainsi, fécondité, porte ce fruit qui fait pousser le monde vers le Royaume, immanquablement… « Que vous alliez porter du fruit »

*

« Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés », dit Jésus. L’amour de Jésus pour les siens est celui de Dieu à son égard. Il se fonde là, comme en cascade, comme la sève, don de Dieu, coule du cep dans les sarments et leur fait porter du fruit. Dieu, Jésus, nous, autrui.

Réentendons la parabole ainsi expliquée (Jean 15, 1-8) :
1 "Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.
2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore.
3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite.
4 Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.
5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent.
7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.
8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

L’image est classique : vigne et vigneron désignent chez les prophètes la relation de Dieu avec son peuple. Cette relation, avec toutes ses difficultés et tous ses aléas, était centrée, on le sait, sur le Temple de Jérusalem où l’on montait régulièrement en pèlerinage.

Au moment où l'Évangile situe cette conversation de Jésus et de ses disciples, on est en plein dans une de ces périodes de pèlerinage. Pèlerinage important, celui de Pessah, la Pâque, par lequel on commémore la sortie d'Égypte. Quant aux vignes, si cela tombe donc à peu près en la période qui précède la Pâque, on est vers le temps de la fin de la taille. La taille sur la fin, on brûle les sarments que l'on a coupés et qui ont séché, les premières pousses apparaissent.

Entre la vigne et le Temple, le rapport est souligné en ce que sur les portes du Temple d'alors, le Temple d'Hérode, est sculpté un cep, justement, qui symbolise bien ce qu'il en est classiquement : Israël est la vigne, Dieu est le vigneron, leurs rapports se nouent au Temple.

Mais déjà en soi bien sûr, avant leur signification spirituelle autour du Temple, le vin et la vigne qui la portent sont dans la Bible, signes de bénédiction. Cultiver sa vigne, en boire le vin, tel est, pour une bonne part, le bonheur, selon la Bible. Bonheur qui oublie parfois le revers de la médaille, le jour où l'on découvre que précisément on connaît le bonheur passé lorsqu'on l'a perdu : pèse en permanence la menace du jour où : « Tu planteras et tu soigneras des vignes, mais tu ne boiras pas de vin, tu ne feras même pas la vendange, car le ver aura tout mangé » (Deutéronome 28:39). Le ver, ou cet autre ver qu'est l'ennemi vainqueur, le jour de l'exil.

*

Quand le Temple, symbolisé par la vigne, est menacé, tout le bonheur promis, symbolisé lui aussi par la joie du vin, est menacé. Jésus l'a dit à plusieurs reprises. Les Romains sont dans la ville. Le peuple, et surtout les responsables, sont bien conscients de la menace. Et la menace est donc mise en parallèle avec les paraboles des anciens prophètes sur la vigne et le vigneron. Jésus réutilise ces anciennes paraboles pour dire cette menace nouvelle qui veut qu'encore, comme antan, le Temple est en passe d'être détruit. La destruction du Temple aura lieu quarante ans plus tard, en 70.

Alors un nouveau cep est déjà planté, selon la promesse qui annonce que le vrai Temple, finalement, n'est pas le bâtiment, mais la présence de Dieu au milieu du peuple. Et voilà que Jésus se présente comme le cep.

Déjà se dessine ce qui s'accomplira en 70. Au-delà du Temple qui sera alors détruit, déjà un nouveau Temple, éternel, est enraciné, bientôt dévoilé par le crucifié ressuscité : c'est au milieu de vous que Dieu demeure. Les sarments que l'on voit brûler au bord du chemin en cette fin de la période de la taille prennent des signes de prophétie. Le Temple fait de main d'homme aussi sera brûlé, par les Romains — malheur à ceux par qui le scandale arrive..

*

Mais ce qui porte du bon fruit est émondé, taillé. Le fruit sera bon, c'est sûr, parce que la sève du bon cep coule dans sarments déjà émondés. Se profile le Temple éternel, bientôt donné dans le signe du Christ ressuscité.

Sans compter les Romains, nous avons une explication, qui nous concerne tous, de la destruction du Temple : le temps a fait son œuvre. Avec la prochaine destruction du Temple par les Romains, c'est le vieux monde qui meurt ; il montre ainsi déjà qu'il est mortel, corruptible. Car le monde s'use, et cela affecte même le Temple.

Le vieux monde s'use, le nouveau, le monde de la résurrection, se prépare, dans la chair du Christ, à la veille d'une Pâque qui le verra mourir pour ressusciter. C'est de cette vie là, vie de résurrection, qu'il faut vivre. C'est en ce cep-là qu'il faut demeurer pour porter le fruit de vie que Dieu attend de sa vigne.

Le vieux monde, symbolisé par un Temple fait de mains d'hommes et destructible, le vieux monde se meurt, atteint par le ver — ce ver qu'est le péché. C'est à la racine même, le Temple, que ce vieux monde s'avère mortel, qu'il s'avère vicié.

Et au-delà du regret de la vigne féconde des jours passés, au-delà de la joie du bon vin des jours qui s'en sont allés, se dessine une nostalgie plus fondamentale, marquée par la destruction du Temple, la nostalgie qui est aussi celle de Dieu, celle des Psaumes, celle du temps où les temples étaient pleins, où l'on chantait à pleins poumons (cf. Ps 42).

*

C'est alors un encouragement que Jésus adresse à ses disciples, en prévision des temps difficiles qu'ils vont traverser, en butte tant à la menace romaine qu'à l'incompréhension. Car le vieux monde perdure manifestement, et ce jusqu’à aujourd’hui, avec ses difficultés, ses douleurs, ses deuils, sa violence, son injustice, le péché. Le temps qui n'a pas fini de l'user, continue de nous blesser. La détresse perdure, et à l'époque, pour les disciples, est en passe de s'intensifier ; par la menace romaine sur le Temple. C'est un temps terrible.

Mais Jésus les appelle ici, et nous appelle, à voir jusque dans la plus intense des détresses, lorsque tout s'écroule, il nous appelle à voir le signe de ce que quelque chose de neuf et de glorieux est en passe de se mettre en place. Dieu plante un nouveau cep, le vrai cep éternel, qui ne s'use pas, le Temple spirituel et vivant.

C'est alors en son sens le plus profond que le cep, devient le signe de la rencontre entre Dieu et son peuple. La rencontre est donnée pour la foi des disciples en celui, Jésus, qui s'est appelé lui-même le Cep. Déjà s'écoule le vin nouveau promis. Ce vin qu'il nous a donné comme signe de son sang qui nous fait vivre comme la sève coule du cep dans les sarments, de sorte que nous portions nous-mêmes, que nous soyons nous-mêmes, ce fruit qui réjouit Dieu dans l'Éternité.

À cause même de cette parole, sachez que vous êtes déjà émondés pour porter un fruit incorruptible, un fruit éternel, le fruit de l'amour de Dieu.

*

Nous sommes, disciples de Jésus, choisis pour aller, aller vers, aller hors de — comme Jésus est allé hors de, aller, ce qui est déjà porter du fruit. C'est tout le mouvement de l'envoi de Jésus par le Père qui se poursuit dans l'Église. Cela s'appelle, en terme classique, la mission. L'Église est faite pour cela. « Que vous alliez porter du fruit »

R.P.
Vence 13.05.12


dimanche 6 mai 2012

Vrai cep




Actes 9, 26-31 ; Psaume 22 ; 1 Jean 3, 18-24 ; Jean, 15, 1-8

Jean 15, 1-8
1 Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.
2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore.
3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite.
4 Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.
5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent.
7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.
8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

*

Lorsque Jésus parle de vigne et de vigneron, les disciples voient très bien à quoi il fait allusion. C'était une image classique par laquelle les prophètes désignaient la relation de Dieu avec son peuple. Cette relation de Dieu avec son peuple, avec toutes ses difficultés et tous ses aléas, était centrée, on le sait, sur le Temple de Jérusalem où l'on montait régulièrement en pèlerinage.

Au moment où l'Évangile situe cette conversation de Jésus et de ses disciples, on est en plein dans une de ces périodes de pèlerinage. Pèlerinage important, celui de Pessah, la Pâque, par lequel on commémore la sortie d'Égypte. Quant aux vignes, si cela tombe donc à peu près en la période qui précède la Pâque, on est vers le temps de la fin de la taille. La taille sur la fin, on brûle les sarments que l'on a coupés et qui ont séché, les premières pousses apparaissent. C'est là le décor qui entoure ce texte.

Entre la vigne et le Temple, le rapport est souligné en ce que sur les portes du Temple d'alors, le Temple d'Hérode, est sculpté un cep, justement, qui symbolise bien ce qu'il en est classiquement : Israël est la vigne, Dieu est le vigneron, leurs rapports se nouent au Temple.

Mais déjà en soi bien sûr, avant leur signification spirituelle autour du Temple, le vin et la vigne qui la portent sont dans la Bible, signes de bénédiction. Cultiver sa vigne, en boire le vin, tel est, pour une bonne part, le bonheur, selon la Bible. Bonheur qui oublie parfois le revers de la médaille, le jour où l'on découvre que précisément on connaît le bonheur passé lorsqu'on l'a perdu : pèse en permanence la menace du jour où : « Tu planteras et tu soigneras des vignes, mais tu ne boiras pas de vin, tu ne feras même pas la vendange, car le ver aura tout mangé » (Deutéronome 28:39). Le ver, ou cet autre ver qu'est l'ennemi vainqueur, le jour de l'exil. Rappel de l'exil qui est allé des jours de l'invasion de Babylone aux jours d'Esther, signe encore douloureux de la venue d'une libération à venir.

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Quand le Temple, symbolisé par la vigne, est menacé, tout le bonheur promis, symbolisé lui aussi par la joie du vin, est menacé. Jésus l'a dit à plusieurs reprises. Les Romains sont dans la ville. Le peuple, et surtout les responsables, sont bien conscients de la menace. Et la menace est donc mise en parallèle avec les paraboles des anciens prophètes sur la vigne et le vigneron. Jésus réutilise ces anciennes paraboles pour dire cette menace nouvelle qui veut qu'encore, comme antan, le Temple est en passe d'être détruit. La destruction du Temple aura lieu quarante ans plus tard, en 70.

Alors, dans notre texte, un nouveau cep est déjà planté, selon la promesse qui annonce que le vrai Temple, finalement, c'est la présence de Dieu au milieu du peuple. Et voilà que Jésus se présente comme le cep. Déjà se dessine ce qui s'accomplira en 70. Au-delà du Temple qui sera alors détruit, déjà un nouveau Temple, éternel, est enraciné, bientôt dévoilé par le crucifié ressuscité : c'est au milieu de vous que Dieu demeure. Les sarments que l'on voit brûler au bord du chemin en cette fin de la période de la taille prennent des signes de prophétie. Le Temple fait de main d'homme aussi sera brûlé, par les Romains — malheur à ceux par qui le scandale arrive.

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Mais déjà ce qui porte du bon fruit est émondé, taillé. Le fruit sera bon, c'est sûr, parce que la sève du bon cep coule dans sarments déjà émondés. Se profile le Temple éternel, bientôt donné dans le signe du Christ ressuscité.

Sans compter les Romains, nous avons une explication, qui nous concerne tous, de la destruction du Temple : le temps a fait son œuvre. Avec la prochaine destruction du Temple par les Romains, c'est le vieux monde qui meurt ; il montre ainsi déjà qu'il est mortel, corruptible. Car le monde s'use, et cela affecte même le Temple.

Le vieux monde s'use, le nouveau, le monde de la résurrection, se prépare, dans la chair du Christ, à la veille d'une Pâque qui le verra mourir pour ressusciter. C'est de cette vie là, vie de résurrection, qu'il faut vivre. C'est en ce cep-là qu'il faut demeurer pour porter le fruit de vie que Dieu attend de sa vigne.

Le vieux monde, symbolisé par un Temple fait de mains d'hommes et destructible, le vieux monde se meurt, atteint par le ver — ce ver qu'est le péché. C'est à la racine même, le Temple, que ce vieux monde s'avère mortel, qu'il s'avère vicié.

Et au-delà du regret de la vigne féconde des jours passés, au-delà de la joie du bon vin des jours qui s'en sont allés, se dessine une nostalgie plus fondamentale, marquée par la destruction du Temple, la nostalgie qui est aussi celle de Dieu, celle des Psaumes, celle du temps où les temples étaient pleins, où l'on chantait à pleins poumons (cf. Ps 42).

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C'est alors un encouragement que Jésus adresse à ses disciples, en prévision des temps difficiles qu'ils vont traverser, en butte tant à la menace romaine qu'à l'incompréhension. Car le vieux monde perdure manifestement, et ce jusqu’à aujourd’hui, avec ses difficultés, ses douleurs, ses deuils, sa violence, son injustice, le péché. Le temps qui n'a pas fini de l'user, continue de nous blesser. La détresse perdure, et à l'époque, pour les disciples, est en passe de s'intensifier ; par la menace romaine sur le Temple. C'est un temps terrible.

Mais Jésus les appelle ici, et nous appelle, à voir jusque dans la plus intense des détresses, lorsque tout s'écroule, il nous appelle à voir le signe de ce que quelque chose de neuf et de glorieux est en passe de se mettre en place.

Dieu plante un nouveau cep, le vrai cep éternel, qui ne s'use pas, le Temple spirituel et vivant.

C'est alors en son sens le plus profond que le cep, devient le signe de la rencontre entre Dieu et son peuple. La rencontre est donnée pour la foi des disciples en celui, Jésus, qui s'est appelé lui-même le Cep. Déjà s'écoule le vin nouveau promis. Ce vin qu'il nous a donné comme signe de son sang qui nous fait vivre comme la sève coule du cep dans les sarments, de sorte que nous portions nous-mêmes, que nous soyons nous-mêmes, ce fruit qui réjouit Dieu dans l'Éternité.

À cause même de cette parole, sachez que vous êtes déjà émondés pour porter un fruit incorruptible, un fruit éternel, le fruit de l'amour de Dieu.

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Les v. 9-17 donnent alors cette explication : qu’est-ce que la sève qui coule du cep, dévoilé par Jésus, dans les sarments que nous sommes par la foi en la promesse : c’est l'amour de Dieu :

9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour.
10 Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.
11 "Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.
12 Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
13 Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime.
14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l'ignorance de ce que fait son maître; je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître.
16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure: si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera.
17 Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.


Qu’est ce que le fruit que produisent les sarments attachés au cep : ce sont les actes qui en découlent. C’est-à-dire des actes de gratuité. « Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples », dit Jésus dans le verset précédent. Et puis ici : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » Bref la joie du père, ce qui le glorifie, est notre joie. L’Ecclésiaste (11, 1) le dit en ces termes : « Jette ton pain à la surface des eaux, car à la longue tu le retrouveras. »

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« Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés », dit Jésus. L’amour de Jésus pour les siens est celui de Dieu à son égard. Il se fonde là, comme en cascade, comme la sève, don de Dieu, coule du cep dans les sarments et leur fait porter du fruit. Dieu, Jésus, nous, autrui.

Nous sommes choisis pour aller, aller vers, aller hors de — comme Jésus est allé hors de, aller, ce qui est déjà porter du fruit. C'est tout le mouvement de l'envoi de Jésus par le Père qui se poursuit dans l'Église. Cela s'appelle, en terme classique, la mission. L'Église est faite pour cela.

« Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres ». Tout un programme, dans un mouvement qui se commande et qui ainsi, fécondité, porte ce fruit qui fait pousser le monde vers le Royaume, immanquablement.


R.P.
Antibes 6.05.12