dimanche 13 avril 2014

Hoshanna — une montée pour le rachat du temps




Ésaïe 50, 4-7 ; Psaume 24 ; Philippiens 2, 6-11 ; Matthieu 20, 29–21.11

Matthieu 20, 29 – 21, 11
29 Lorsqu’ils sortirent de Jéricho, une grande foule le suivit.
30 Deux aveugles assis au bord du chemin entendirent que Jésus passait et crièrent : Aie compassion de nous, Seigneur, Fils de David !
31 La foule les rabrouait pour les faire taire, mais ils n’en crièrent que plus fort : Aie compassion de nous, Seigneur, Fils de David !
32 Jésus s’arrêta, les appela et dit : Que voulez-vous que je fasse pour vous ?
33 Ils lui dirent : Seigneur, que nos yeux s’ouvrent !
34 Ému, Jésus leur toucha les yeux ; aussitôt ils retrouvèrent la vue et le suivirent.

1 Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent près de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux disciples
2 en leur disant : "Allez au village qui est devant vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et un ânon avec elle ; détachez-la et amenez-les-moi.
3 Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous répondrez : Le Seigneur en a besoin, et il les laissera aller tout de suite."
4 Cela est arrivé pour que s’accomplisse ce qu’a dit le prophète :
5 Dites à la fille de Sion : Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d’une bête de somme.
6 Les disciples s’en allèrent et, comme Jésus le leur avait prescrit,
7 ils amenèrent l’ânesse et l’ânon ; puis ils disposèrent sur eux leurs vêtements, et Jésus s’assit dessus.
8 Le peuple, en foule, étendit ses vêtements sur la route ; certains coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
9 Les foules qui marchaient devant lui et celles qui le suivaient, criaient : "Hosanna au Fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux !"
10 Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : "Qui est-ce ?" disait-on ;
11 et les foules répondaient : "C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée."

*

Hosanna ! C’est l’acclamation de la foule lorsque Jésus entre en triomphe à Jérusalem. On récite ce v. 25 du Ps 118 lors de la fête des tabernacles (en septembre-octobre), pendant que la procession solennelle fait le tour de l’autel des sacrifices. Le mot Hosanna, comme le texte des Évangiles en témoigne, est devenu une exclamation de joie, ou un cri de bienvenue, mais à l’origine, il avait le sens d’une supplique. « Sauve maintenant », sauve tout de suite, dans l’instant présent, sauve dès cet instant, sauve ce temps, sauve notre temps.

(Hosanna, du grec « Hosanna », dérivé de l’hébreu « Hochi’ah na’ », Ps 118, 25 : sauve, maintenant ou : sauve, nous t’en prions — ou : donne, accorde le salut, maintenant.)

Avez-vous remarqué que cela nous fait rejoindre l’appel de Paul (aux Ep 5, 16 ; ou aux Col 4, 5) à « racheter le temps » ? Quand, sachant que « l'on ne rattrape pas le temps perdu », ce fameux « rachetez le temps » pourrait s'avérer n'avoir aucun sens, de même que l’appel « Hoshanna » — sauve maintenant.

Si tout cela a un sens, c’est qu’il y a un autre temps, où « mille ans sont comme un jour », d’où se « rachète » le temps, comme on sort quelqu’un d’un fleuve. « Béni soit […] celui qui vient » parmi nous… depuis le « plus haut des cieux », depuis hors du fleuve de ce temps.

Où l’on trouve ce sens à « Hoshanna » : le Royaume à venir est aussi présent — de façon cachée, maintenant, « au milieu de nous ». Manifeste-le, rends-le présent, demande-t-on à Jésus. « Hoshanna (du) plus haut des cieux »… « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient » à la rencontre de Jérusalem, à notre rencontre, dans notre temps.

Notre temps, notre maintenant, est appelé à être sauvé, racheté — car notre temps se corrompt, contrairement au temps éternel, inauguré ici-bas dans la résurrection du Christ, selon le temps céleste où un jour est comme mille ans et où mille ans sont comme un jour.

L’Écriture nous invite à revêtir en Jésus Christ l’incorruptibilité où le temps cesse d’être perte. Un peu comme devant Jésus on dépouillait ses vêtements du temps pour revêtir le Christ du « plus haut des cieux ». Le temps, notre temps, est celui de l’exil hors de l’éternité. Ce temps, celui de notre monde, qui dès lors « est tout entier au pouvoir du Malin » (1 Jean 5, 19).

Là on est au cœur du quiproquo de Rameaux. Les foules attendent sans doute une délivrance — à l’égard de l’oppression romaine —, mais qui les laissera, elles l’ignorent, dans ce temps de ténèbres, le nôtre, où « le monde entier est au pouvoir du Malin » — car après Rome, il y en aura d'autres, autant de signes d'une oppression plus fondamentale. Tant que ce monde dure c’est de cette autre oppression, qui porte les oppressions du temps, qu’il s’agit d’être sauvé.

Les aveugles de Jéricho, peu avant le début de la procession, en ont porté le signe. Captifs des ténèbres, la foule ne voit pas d’un bon œil qu’ils en soient délivrés ! En délivrant de la nuit du regard ces aveugles — que nous sommes tous —, Jésus indique le sens de la procession qui vient peu après. C’est d’une délivrance bien plus vaste que celle que la foule attend que Jésus est porteur. Les aveugles guéris sont alors le signe qu'il faudra voir en la montée des Rameaux autre chose que ce qu'y ont vu les foules encore aveugles. Comme la montée d'Abraham (Genèse 22) avec son âne, qui devra trouver un autre Isaac que le jeune homme Isaac avec lequel il est monté. Où est l’agneau ? a demandé Isaac. Rameaux annonce le sacrifice de l'agneau au vendredi saint, pour la résurrection du vrai Christ au dimanche Pâques.

« Hoshanna » prend alors son sens, que les foules qui le crient ignorent, celui d’une parole, donnée dans un appel à la délivrance du peuple en exil dans les ténèbres — cet exil que rappelle la fête des Tabernacles, qui suit le Yom Kippour où est sacrifié ce qui doit mourir pour être retrouvé en vérité. Ce que rappelle le cri : « Hoshanna », que l'on prononce pour la fête des Tabernacles.

Car si notre temps, nos moments qui se succèdent, qui perpétuent l’exil, sont signe de perte, de manquement, de déficience, de captivité sous une griffe diabolique, et dès lors de notre incapacité de voir autre chose que ce qui se voit ; ils sont cependant rachetables : « rachetez le temps », le moment. Comme le moment d'Abraham a été racheté dans ce signe de lumière : il faut laisser Isaac être ce qu'il est devant Dieu. Il faut en sacrifier ce qu'il croit savoir à sa place. Il me faut sacrifier un Isaac tel que je le comprends pour recevoir Isaac libre devant Dieu. Il faut, de Rameaux à Pâques, apprendre à sacrifier le Messie tel que je le conçois pour retrouver dès maintenant le Sauveur éternel, révélé au dimanche de Pâques.

Jusque là — 1 Jean 5, 19 & 20 : « Nous savons […] que le monde entier est sous la puissance du malin. » Mais déjà, « nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus–Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable, et la vie éternelle. »

*

Il s’agit de racheter ce temps en vivant dès maintenant selon le temps céleste, dans la vérité de Dieu. C’est la brèche de l’irruption du salut du temps. C’est ainsi que se rachète le temps, cette mesure de notre déperdition. C’est ce que ce « Hoshanna », sans même que ceux qui le prononcent ne le sachent, demande à Jésus. Dans la foi qu’il est un temps céleste, celui du Royaume à venir, qui n’est pas marqué par le manque et l'aveuglement, un regard sur notre temps nous enseigne la confiance en Dieu, et l’espérance actuelle de ce temps total qui nous est donné d’En haut, irruption promise à notre foi, de l’éternité du Royaume.

Ne pas se soumettre aux aveuglements de ce temps, ne pas se conformer au siècle présent et à ses clameurs, aux clameurs des foules trompées, mais se fixer résolument dans la vérité, loi du siècle à venir, incorruptible, pour voir racheter celui-ci. Et vivre dans le siècle à venir se manifeste en ce siècle dans une attitude concrète : il ne s’agit pas de le fuir, mais d’en signifier dans la fidélité au quotidien, le rachat de chaque instant par la confiance à la loi du siècle à venir (Mt 6, 33-34).

*

Or qui a accompli cela ? Celui à qui la foule le demande à ce moment-là. Mais la foule ne sait pas exactement ce qu’elle demande — comme Abraham, quand il commence sa montée ne sait pas. Il ne sait pas encore qu'il s'agit de retrouver Isaac en vérité, et non plus tel qu'Abraham le maintenait sous son pouvoir. La foule ne sait pas que celui qu’elle acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle.

« Sauve maintenant ». Alors le temps est racheté. Voilà la parole surgie de la foule agitée, de la foule en fête, une parole silencieuse, mais qui retentira au dimanche de Pâques en écho de l’éternité dans laquelle est fondée la parole du salut de ceux qui sont dans le temps.


RP, Poitiers, 13/04/14


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