dimanche 29 mars 2015

"Hosanna au plus haut des cieux !"




Ésaïe 50, 4-7 ; Psaume 22 ; Philippiens 2, 6-11 ; Marc 11, 1-11

Marc 11, 1-11
1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples
2 et leur dit : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.
3 Et si quelqu'un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ? ” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” »
4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent.
5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu'avez-vous à détacher cet ânon ? »
6 Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.
7 Ils amènent l'ânon à Jésus ; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s'assit dessus.
8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d'autres des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne.
9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! »
11 Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze.

*

« Vous prendrez du fruit de beaux arbres, des branches de palmier, des rameaux de l'arbre touffu et des saules de rivière ; et vous vous réjouirez, en présence de l'Éternel votre Dieu, durant sept jours » (Lévitique 23, 40). Il s’agit de la fête de Soukkoth — la fête des Cabanes…

Les rameaux agités aux cris de « Hosanna » — « donne le salut à présent » — pendant les jours de cette fête de Soukkoth, sont donc un bouquet de feuillages. Des rameaux composés de palmes et de feuillages.

Le premier jour de la fête, on lit le prophète Zacharie (chapitre 14, 1-21) qui annonce un temps où tous les peuples réunis contre Jérusalem seront finalement vaincus. La fête de Soukkoth est alors aussi préfiguration des jours du Messie où l’humanité entière reconnaîtra le Dieu vivant. Le libérateur du peuple captif, annoncé par ce même Zacharie (ch. 9, 9) arrivant sur un ânon.

Évidemment, notre fête de Rameaux évoque irrésistiblement cette fête de Soukkoth. Et ce n’est pas par hasard. S’annonce alors pour le peuple la venue du Règne du Messie que l’on reconnaît ce jour-là en Jésus.

La fête de Soukkoth, qui elle, est célébrée au début de l’automne… et pas au temps de la préparation de la Pâque, annonce un chemin de liberté dont Rameaux dit aux disciples de Jésus qu’il arrive à son terme avec : la terre promise, le Règne de Dieu, enfin en vue.

*

Car voilà que pour l’Évangile, tout se réorganise autour de la croix. Le temps, pour les disciples, est comme brisé par un nouvel aujourd’hui de Dieu, aujourd’hui éternel. Le nœud du temps s’apprête à être dévoilé. On n’est pas encore à Pâques, après le dimanche de Pâques qui annonce la résurrection de toutes choses, quand l’histoire, qui se poursuit, s’avère être passée par la nuit de la croix. Mais ce pic de l’Histoire se dessine déjà, ce nouveau pivot du temps commence à se dresser.

… La croix : ce nouvel axe de toutes choses autour duquel se réorganise le temps, et donc le temps liturgique qui, pour l’Église, place là cette fête de Rameaux.

Vous trouverez tout comme le dit Jésus dit le texte : « répondez : Le Seigneur en a besoin ; il renverra l’ânon ici tout de suite. » Aujourd’hui, maintenant.

Psaume 2, 7 : « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. » Et, Psaume 95, 7 : « Il est notre Dieu, Et nous sommes le peuple de son pâturage, Le troupeau que sa main conduit… Oh ! si vous pouviez écouter aujourd’hui sa voix ! » Aujourd’hui, tout de suite.

Aujourd’hui-même : dites : « Le Seigneur en a besoin ; il le renverra, il le renvoie ici tout de suite. »

Et en effet, les disciples « sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent. Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu'avez-vous à détacher cet ânon ? » Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.

Le nouvel axe du temps, avec son avant, cet épisode qui prépare l’ânon renvoyant au livre du prophète Zacharie annonçant le Messie, et son après, après Pâques, se dessine déjà. Notre temps liturgique, où Rameaux annonce Pâques, se présente comme le signe de cela.

Déjà se profile le mont des Oliviers et son jardin d’agonie de Jésus (v. 1).

Tout est en place pour accueillir celui qu’en ce jour, on acclame comme le Messie annoncé par Zacharie.

Tout est en place pour l’apparition d’un axe du monde, la croix, autour duquel se présente la nouveauté d’un temps qui va bientôt couvrir la face la terre, qui va bientôt courir par tout l’empire romain et tous les espaces d’un temps nouveau, pour le meilleur ou pour le pire, avant que ne se déploie enfin le meilleur, le jour du Royaume du Prince de la paix, humble et monté sur un ânon, le petit d’une ânesse.

« Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! » — entonne déjà la foule, qui ignore pour l’heure que ce nouvel axe du temps qu’elle célèbre déjà, apparaîtra dans quelques jours, demain, dans quelques heures, en fait déjà ici, tout de suite, comme une croix dressée vers le ciel.

« Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze. »

Déjà le soir, la nuit de l’axe du temps s’est approchée. L’aujourd’hui de Dieu pour nous : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs ».

Le temple où entre Jésus, où la présence de Dieu se donne comme réalité tangible, et d’où il sort pour se rendre à Béthanie, où s’annonce son calvaire…

Philippiens 2, 6-11...
6 Lui qui était vraiment divin,
il ne s'est pas prévalu d'un rang d'égalité avec Dieu,
7 mais il s'est vidé de lui-même
en se faisant vraiment esclave,
en devenant semblable aux humains ;
reconnu à son aspect comme humain,
8 il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à la mort
— la mort sur la croix.
9 C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé
et lui a accordé le nom qui est au-dessus de tout nom,
10 pour qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11 et que toute langue reconnaisse
que Jésus-Christ est le Seigneur à la gloire de Dieu, le Père.
Les hommes ne voient que gloire en ce jour où s’approche la nuit de la croix, quand celui qui monte vers le temple au dos d’un ânon, n’est qu’humilité en route vers sa croix, — écho au vide dans lequel le monde a pu prendre place — nouveau lieu du vide à partir duquel se bâtit le monde, le temps et l’histoire, en marche vers le Royaume qui vient dans l’homme qui paraît là, semblable à tout humain…


RP, Poitiers, 29.03.15


dimanche 22 mars 2015

Comme le grain qui tombe en terre




Jérémie 31, 31-34 ; Psaume 51 ; Hébreux 5, 7-9 ; Jean 12, 20-33

Jean 12, 20-33
20 Il y avait quelques Grecs qui étaient montés pour adorer à l’occasion de la fête.
21 Ils s’adressèrent à Philippe qui était de Bethsaïda de Galilée et ils lui firent cette demande : "Seigneur, nous voudrions voir Jésus."
22 Philippe alla le dire à André, et ensemble ils le dirent à Jésus.
23 Jésus leur répondit en ces termes : "Elle est venue, l’heure où le Fils de l’homme doit être glorifié.
24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance.
25 Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui ne s’y attache pas en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.
27 "Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu.
28 Père, glorifie ton nom." Alors, une voix vint du ciel : "Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore."
29 La foule qui se trouvait là et qui avait entendu disait que c’était le tonnerre; d’autres disaient qu’un ange lui avait parlé.
30 Jésus reprit la parole : "Ce n’est pas pour moi que cette voix a retenti, mais bien pour vous.
31 C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors.
32 Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes."
33 — Par ces paroles il indiquait de quelle mort il allait mourir.

*

« Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance. » C'est en premier lieu de Jésus lui-même qu'il est question avec ce grain de blé. Jésus venu de la lumière, venu d'auprès de Dieu pour nous, et au jour où il parle, en ce monde. Et voilà qu'approche le terme, ce pourquoi il est venu dans le monde : « elle est venue, l’heure où le Fils de l’homme doit être glorifié. » L'heure où le grain de blé venu comme grain de lumière, doit tomber en terre pour illuminer le monde après avoir vaincu les ténèbres de la mort dans la lumière de son élévation par la mort de la croix à la gloire qui est la sienne.

*

Un signe, pour Jésus, que son jour approche : des Grecs veulent le voir. Ils vont le voir, élevé dans la gloire. Ces Grecs, qui sont en fait des juifs, ou des proches du judaïsme, de la diaspora, viennent de loin. Ils viennent au Temple, pour la Pâque. Et ils veulent voir Jésus, qui annonçait son corps ressuscité comme Temple du Royaume qui vient.

Ils veulent voir Jésus, ils vont bientôt le voir : dès lors, il le sait, son heure approche. Ils vont le voir, élevé à la croix, élevé à la gloire, d’où il va attirer tous les hommes à lui, depuis les extrémités de la Terre, d’où viennent ces Grecs.

Ses ennemis, eux, au moment où ils planteront les clous dans ses mains et ses pieds, croiront le ficher définitivement au bois. Ils croient ne commettre qu’une crucifixion de plus. Ils sont en fait devenus les instruments de Dieu qui élève son Fils à la gloire, qui glorifie celui qui porte son Nom : « mon Nom, je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Et ainsi, mis à mort comme le grain qui tombe en terre, il va porter le fruit de la promesse faite à Abraham jusqu’aux extrémités de la Terre. Alors s’accomplit le jugement de ce monde. Condamné avec son Prince qui est jeté dehors. Du haut de cette croix, le monde nouveau se met en place. Le crucifié est couronné de la sorte roi d’un Royaume qui n’est pas ce monde ; mais qui est le seul Royaume qui se passera pas.

*

La question est alors celle de notre entrée dans ce Royaume. Et Jésus en indique le chemin en réponse à ses disciples venus lui annoncer la demande des Grecs : « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui ne s’y attache pas en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera. »

Ici le grain de blé, c'est chacun de nous, quittant non pas la gloire céleste de Jésus venant parmi nous, mais quittant tout ce dont nous croyons être notre vie, celle en ce monde, pour être bousculés par la vie déployée dans la présence de la lumière.

Être sur la croix avec lui, dans sa gloire. Je suis le chemin, dira-t-il plus tard. Élevé par sa mort. Le suivre, pour être avec lui plutôt qu’avec le monde de ses ennemis, c’est faire fi des gloires de ce temps. C’est faire fi des vanités qui passent. C’est renoncer à donner sens à sa propre vie. Ma vie ne prend sens que du non-sens de sa crucifixion / élévation. Il n’y a de gloire qui tienne que celle-là. Servir, le servir, est le seul honneur qui vaille. Lui le sait : c’est pour vous qu’a retenti cette voix du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Cela semble coûter, comme cela a coûté à Jésus : « Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu. » En fait, cela coûte tout : « Celui qui aime sa vie la perd. » Mais la vie éternelle, dès aujourd’hui, est à ce prix : tout. Jusqu'au déplacement de nos prières comme celle d'un grain de blé qui ne voudrait pas tomber en terre, mais voir préserver son état de grain de blé. Et voilà que les choses se passent autrement : là n'est pas la vocation d'un grain de blé.

Voilà pour nous la réponse à la question des Grecs, à notre question. (Puisque, comme eux, nous sommes ici ce matin, pour rencontrer Jésus ?) Vous voulez me voir ? Mais on ne me voit que dans mon élévation, à la gloire, à la croix. On ne me voit que là, on ne me rejoint que là. Vous voulez me voir ? Soit, mais cela vous coûtera tout ! « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui ne s’y attache pas en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »

*

Voilà le jugement. Voilà la croisée des chemins où nous sommes placés. Être jeté dehors avec le prince de ce monde, perdre sa vie pour vouloir s’y cramponner ; ou entrer dès aujourd’hui dans la vie éternelle, pour prix de l’abandon de notre propre vie au Christ.

Alors, qui est mis dehors quand Jésus est crucifié ? Les bourreaux ont cru que c’était Jésus. Lui, nous a montré à quel point c’était l’inverse. Ici, il n’y a pas de neutralité possible. Il n’y a pas de simples observateurs. Mais une alternative. La seule vraie alternative, au fond, de l’Histoire du monde. Avec le Christ sur la croix, dans la gloire ; ou dans la vanité, la gloire de ce monde qui passe, et qui est passé définitivement ce jour-là.

Telle est la croisée des chemins où nous place Jésus aujourd’hui.


R.P., Poitiers, 22.03.15


dimanche 15 mars 2015

La croix, nouvel axe de monde




2 Ch 36, 14-23 ; Ps 137 ; Éphésiens 2, 4-10 ; Jean 3, 14-21

Éphésiens 2, 4-10
4 […] Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ — c’est par grâce que vous êtes sauvés,
6 avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux, en Jésus Christ.
7 Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l’incomparable richesse de sa grâce.
8 C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu.
9 Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil.
10 Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y engagions.

Jean 3, 14-21
14 Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé
15 afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle.
16 Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
20 En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées.
21 Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu."

*

Un monde dans les ténèbres. (Souvenons-nous que ce passage s’inscrit dans le dialogue nocturne de Nicodème avec Jésus — et Nicodème pouvait-il venir autrement que de nuit, puisqu’il n’y a rien d’autre que la nuit ?) Un monde qui a perdu la mémoire de la lumière originelle.

Puis vient la manifestation de la lumière dans le Christ élevé comme le serpent. Dévoilé dans son élévation dans la lumière comme le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, descendu du ciel où nul n’est monté, sinon celui qui en est descendu pour apporter la lumière, lui. Élévation, la croix est la sortie des ténèbres.

Le don de Dieu est la plongée de son Fils dans les ténèbres, où, par amour pour ce monde enténébré, il prend la sombre figure du serpent ; ténèbres d’où il sortira par son élévation, la croix. Pour en faire sortir le monde avec lui ; ce monde qui ne peut pas en sortir par lui-même.

Le salut du monde est alors la sortie des ténèbres par la grâce, via la confiance, la foi, en ce qu’est le Fils : celui qui vient d’en Haut. Une naissance d’en Haut.

Il n’est pas besoin d’autre jugement que celui qui a déjà eu lieu : être dans les ténèbres, puis y rester pour n’être né qu’une fois, n’être né qu’à ces ténèbres. Mais dans le Christ élevé de la terre, le jugement, en quelque sorte, s’inverse, devient délivrance par la venue à la lumière, la naissance à la lumière pour la manifestation des œuvres de Dieu, accomplies en Dieu (cf. Ép 2, 10).

« C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu » (Ép 2, 8). C’est au fond tout l’Évangile qui est dit en ces deux points : « sauvés par la grâce, par le moyen de la foi ».

Le ch. 3 de l’Évangile de Jean développe dans un dialogue imagé de Jésus avec un homme à la piété exemplaire, Nicodème, ces deux volets de l’Évangile.

Le premier volet, la question de la grâce, est donné dans l’image de la nouvelle naissance qui précède le passage que nous venons de lire. Avec pour chute le v. 8 : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » En bref, la naissance d’en Haut, c’est comme la naissance tout court : on n’y peut rien. Le souffle de Dieu, dont on ne connaît pas les voies, en est la source.

Puis, second volet, notre texte d’aujourd’hui : la foi, que suscite la grâce et qui en reçoit le don. À peu près autant mystérieux, avec ce passage au jour toutefois : la grâce, on n’en conçoit rien, la foi on en est conscient : on sait que l’on croit. À part cela, donc, on ne peut pas en dire grand-chose — si ce n’est qu’elle nous prive de la maîtrise du salut.

Et Jésus illustre cela par l’évocation de l’épisode du serpent d’airain, ce serpent que Moïse avait fait forger pour que quiconque le regarde après avoir été mordu par les serpents, fût guéri.

Il en est de même de la crucifixion du Christ : une élévation sur une perche similaire à l’élévation sur une perche du serpent d’airain de Moïse de sorte que quiconque lève son regard vers lui, croit en lui, ait la vie éternelle, soit sauvé d’une mort aussi certaine que celle qui suit la morsure d’un serpent venimeux.

Mais quiconque croit en lui, le pendu élevé de la terre, a la vie éternelle de la même façon que quiconque regardait le serpent de Moïse était guéri des morsures des serpents venimeux. L'image du serpent, qui rampe sur la terre, animal sombre, élevé vers la lumière. Rien à comprendre, à croire seulement - croire que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ».

Tout est dit dans ces quelques mots — mais qu’est-ce qui est dit, en l’occurrence ? Les quelques versets qui suivent nous éclairent quelque peu, si c’est possible. Il est question d’extraction des ténèbres vers la lumière. Et c’est certainement là l’image — j’allais dire la plus lumineuse, qui nous soit proposée du salut dont il est question.

Car le verset 16 pourrait aussi nous plonger dans la perplexité. Les prédicateurs qui se sont penchés sur ce texte depuis des siècles ont remarqué la difficulté suivante : « Dieu a aimé le monde ». Selon l’usage que fait l’Évangile de Jean du mot « monde » il pourrait y avoir là quelque chose de contradictoire.

Voilà qui peut nous mettre la puce à l’oreille : contradictoire : si c’était donc la clef ? Dans l’Évangile de Jean, « le monde » — cosmos — est une notion le plus souvent négative. C’est ce qui est illusoire, vain, superficiel. Un faux arrangement pour lequel Jésus ne prie pas lorsqu’il remet les siens à Dieu dans son discours d’adieu (Jean 14-17).

Et voilà que Dieu l’a tellement aimé, le monde, « qu’il a donné son Fils unique » ! — « pour que le monde soit sauvé par lui ». Il l’a donc chéri infiniment, il lui a été infiniment cher, le monde. Et cet amour, ce « chérissement » du monde est pour son extraction vers la lumière. Où la croix, moment de ténèbres dressé vers la lumière, devient le nouvel axe de monde.

Où l’on retrouve et la Genèse et son… commentaire par le Prologue de ce même Évangile de Jean. Où le monde advient comme création de Dieu dans la lumière de Dieu qui le fait sortir du chaos et des ténèbres.

Quel est donc l’acte de foi qui reçoit la grâce de Dieu donnée en plénitude dans le signe du don de son Fils ? C’est tout simplement le regard qui du cœur des ténèbres, du chaos, du péché et de la culpabilité, de la souffrance, bref : de l’exil loin de Dieu — se tourne vers la lumière sans crainte, comme les pères au désert mordus par les serpents se tournaient vers le serpent d’airain dressé dans la lumière.

Tel est l’acte de foi en la lumière. Au-delà de toute crainte qui préfèrerait rester plongée dans les ténèbres et le chaos, les œuvres mauvaises déjà absorbées par la mort — se tourner sans crainte vers celui de qui rayonne la lumière éternelle par lequel le monde vient à son salut, vers celui qui, pendu au bois, élevé de la terre la fait resplendir en plénitude, en vie éternelle. La foi seule. La plénitude de la grâce y est donnée.


R.P., Châtellerault 15.03.15


dimanche 8 mars 2015

"Lui parlait du temple de son corps"




Exode 20, 1-17 ; Psaume 19 ; 1 Corinthiens 1, 22-25 ; Jean 2, 13-25

Jean 2, 13-25
13 La Pâque juive était proche et Jésus monta à Jérusalem.
14 Il trouva dans le temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que les changeurs qui s'y étaient installés.
15 Alors, s'étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, et les brebis et les bœufs; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables;
16 et il dit aux marchands de colombes: "Ôtez tout cela d'ici et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic."
17 Ses disciples se souvinrent qu'il est écrit: Le zèle de ta maison me dévorera.
18 Mais les Judéens prirent la parole et lui dirent: "Quel signe nous montreras-tu, pour agir de la sorte?"
19 Jésus leur répondit: "Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai."
20 Alors les Judéens lui dirent: "Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple et toi, tu le relèverais en trois jours?"
21 Mais lui parlait du temple de son corps.
22 Aussi, lorsque Jésus se releva d'entre les morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait parlé ainsi, et ils crurent à l'Écriture ainsi qu'à la parole qu'il avait dite.
23 Pendant que Jésus était à Jérusalem, à la fête de Pâque, plusieurs crurent en son nom, voyant les miracles qu’il faisait.
24 Mais Jésus ne se fiait point à eux, parce qu’il les connaissait tous,
25 et parce qu’il n’avait pas besoin qu’on lui rendît témoignage d’aucun homme ; car il savait lui-même ce qui était dans l’homme.

*

Qu’est-ce qu’un Temple, au fond ? Demeure de Dieu ? La tradition juive a déjà répondu à cette question — dans la ligne de la promesse qui annonçait : « ils me feront au temple, et je demeurai au milieu d’eux » ; et des paroles bibliques données lors de l’édification du temple de Salomon : « les cieux des cieux ne peuvent le contenir » !

Puis le Temple de Salomon a été abattu par les troupes babyloniennes… Et Dieu n’a pas disparu… Et le Temple a été rebâti, sans que ce soit Dieu qui en ait besoin. Un temple, c’est pour nous, pas pour Dieu !

Au temps de Jésus, le Temple vient d’être embelli par Hérode. Un temple magnifique… abattu à son tour, par les Romains, et dont il reste… un mur.

Une petite histoire :
Une journaliste apprend qu'un vieux juif va prier au mur des Lamentations depuis 60 ans sans interruptions.
Flairant le scoop, elle s'y précipite et voit venir un petit vieux qui trottine vers le mur et se met à prier.
Elle attend qu'il termine et le rejoint en lui disant :
- Bonjour. Est-il vrai que vous priez ici depuis 60 ans ?
- Oui, c'est vrai, depuis 60 ans
- Et que demandez-vous ?
- Je prie pour la paix mondiale, pour que les hommes s'aiment et que les juifs et les Arabes deviennent frères, que mes enfants aient un avenir
- Et que se passe-t-il depuis 60 ans ?
- Je parle à un mur...


Illustration de ce que peut n’être pas l’exaucement de la prière… Ou de ce que cela peut être !

*

L’évangile de ce jour nous conduit au geste de Jésus chassant les marchands du Temple. Étrange façon d’aimer son prochain que de le chasser à coups de fouet ! N’est-ce pas une remarque que l’on fait parfois ?

Autre texte de ce jour, le Décalogue, résumé de la Loi, qui se résume encore en cette double parole : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même. Et voilà Jésus qui use du fouet contre ce prochain ?!

Eh bien, je vous propose ce matin de recevoir ce double commandement dans le récit de ces gestes de Jésus au Temple. Rassurez-vous, sans masochisme !

Amour de Dieu — a-t-on dit. Amour de Dieu — c’est-à-dire refus de l'idolâtrie. Et c'est ce que voulaient garantir les contemporains de Jésus à travers cette institution du change à l'entrée du Temple ! Eh bien, Jésus s'inscrit en fait dans cette logique, mais la pousse à son terme. Car, au fond, son geste montre qu'il est bel et bien d'accord — avec le principe — du change à l'entrée du Temple. Rappelons en effet ce qu'il en est. C'est là le cœur du problème.

On vient au Temple pour sacrifier. Jésus lui-même, selon l'Évangile de Luc, a été au bénéfice de cette pratique à l'occasion de sa présentation au Temple. Conformément à la Loi, ses parents ont sacrifié à cette occasion "un couple de tourterelles ou deux petits pigeons" (Luc 2, 24).

Lorsque des croyants montent de Galilée à Jérusalem, comme c'est le cas de Joseph et Marie, il est peu vraisemblable qu'ils amènent les animaux du sacrifice avec eux. Alors ils les achètent sur place, pour plusieurs d'entre les fidèles en tout cas.

Et donc, à l'entrée du Temple, dans la première partie, s'installent des marchands. On n'est pas dans la partie proprement sacrificielle du Temple, mais déjà dans son enceinte. Déjà dans un lieu sacré qu'il s'agit de ne pas profaner. Et surtout pas par l'idolâtrie.

Mais il faut bien les acheter, ces animaux à sacrifier. Et il se trouve que la monnaie courante, romaine, est ornée des idoles de l'Empire, à commencer par l'Empereur divinisé. Or le Temple a pouvoir de frapper monnaie, dernière marque de sa souveraineté perdue. On change donc auparavant la monnaie impériale en monnaie du Temple pour acheter les animaux du sacrifice. Il n'est pas exclu que les parents de Jésus eux-mêmes aient fait ainsi.

Cette perspective, la légitimité du change et de la vente d'animaux, permet de bien comprendre le geste de Jésus. Le geste de Jésus ne contredit pas la perspective des prêtres du Temple, mais va dans son sens en lui donnant toute sa radicalité. « Le zèle de ta maison me dévore ».

Mais c'est que du coup, en donnant toute sa radicalité et sa logique à la pratique courante, Jésus la rend concrètement et paradoxalement impossible. Non seulement le Temple n'est pas méprisé par Jésus, mais il est vénéré au point que sons sens entre dans l'inaccessible. C’est en ce sens que son corps ressuscité et le Temple s'assimilent comme signe de la présence sainte de Dieu.

Ainsi glisse-t-il du Temple à son corps qui, détruit, sera relevé en trois jours. Destruction du Temple et résurrection du Christ son mis en parallèle. Promesse et avertissement à la fois. Avertissement sur la destruction prochaine du Temple, promesse de sa résurrection, lieu définitif et indestructible de la présence de Dieu. Et en même temps, combat définitif, et victoire, contre l'idolâtrie, qui subsiste évidemment, d'une façon cachée, jusque sous la pratique du change. Ce qui a exaspéré Jésus.

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Présence de Dieu par le Christ ressuscité, par le Christ présent en ce jour au milieu du Temple ? Par un être humain ? Voilà qui nous conduit évidemment au deuxième commandement : tu aimeras ton prochain comme toi même, équivalent du premier sur l'amour de Dieu — ce qui exclut toute possibilité de violence, à commencer par la violence fanatique, au nom de Dieu.

Cela en nous dévoilant ce qui est infiniment aimable dans le prochain : ce qui est à l'image de Dieu, précisément ; sa présence cachée en Christ. Rappelez-vous Matthieu 25 : « tout ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que l'avez fait ». Ou dans l'Évangile de Jean, le Cep et les sarments : « demeurez en moi ».

La présence cachée du Christ en mon prochain, voilà qui en fait ce qu'il est vraiment, être à l'image de Dieu, lieu concret de l'exercice de l'amour de Dieu.

Cela, précisément — et aucun des faux-semblants, autant de mensonges qui défigurent l'image de Dieu en nous. Cette façon de se cacher, qui est ici dans cette volonté de demander des signes. Jésus vient de montrer par son geste toute la légitimité de son ministère aux yeux de qui sait voir. La radicalité de son zèle pour Dieu, sa filiation divine. Et on a besoin de signes pour croire ! Façon de se cacher derrière son petit doigt.

De toute façon, des signes, il va en donner, en forme des miracles, toujours gratifiants pour ceux qui en bénéficient. Et qui peuvent susciter une certaine foi. Mais dont Jésus ne fait pas grand cas. La vraie foi n'est pas fondée sur les bénéfices spectaculaires qu'on en retire. Quiconque se laisse éblouir par quoi que ce soit d'autre que la parole de Dieu, par des signes — que ce soit des miracles, de l'éloquence, des coups d'éclats, un pouvoir de séduction en somme — n'a encore pas compris l'Évangile. Celui-là croit croire en Jésus, mais Jésus, nous dit le texte, ne croit pas en lui : il sait ce qui est en l'homme.

L'Évangile est caché sous ce dont on fait peu de cas. Le prochain, ainsi, n'est pas aimable parce qu'il brille, parce qu'on en dit du bien, parce qu'il a du pouvoir de séduction, parce qu'il fascine et laisse bouche bée. C'est ce que font les chefs de sectes. Ce qui est aimable en lui, c'est la présence, cachée, mystérieuse, de l'image de Dieu, Jésus, la parole de la vérité, qui ne flatte pas, qui ne séduit pas. Qui est vraie, simplement. Les disciples, ainsi, n'ont pas cru en Jésus parce qu'il a fait des miracles, qu'il était fascinant, séduisant, que sais-je encore. Ils ont cru en lui parce qu'ils ont perçu la vérité de ses paroles, de sa vie, ils ont perçu en lui la présence et l'image de Dieu par laquelle il est notre prochain et par laquelle chacun de nos prochains reçoit sa valeur infinie.

S’il est un Temple, c’est avant tout celui-là ; c’est aussi cette vérité que fera éclater sa résurrection. En Christ ressuscité, on sait désormais que l’on est le Temple de Dieu.

C’est le prochain d’une dignité infinie, contre un mammonisme chronique… qui explique largement la situation actuelle du monde. Où l’on mesure à quel point Jésus est fondamentalement d’accord avec ceux qui refusent l’argent romain au Temple. N’entre au Temple, en présence de Dieu, qu’une monnaie non idolâtre. Mais plus que ça,
Jésus s’insurge contre l’idolâtrie inconsciente qui revient, avec cette monnaie du Temple, à faire de Dieu et César deux pouvoirs chacun à la tête de deux banques d’État qui fonctionnent en parallèle, avec possibilité de change — et pour une valeur équivalente.

Mammon est derrière de toute façon ! L’idole de Mammon est, depuis quelques temps, fortement ébranlée — la crise. Mais ne rêvons pas. Le Mammon qu’elle représente, et qui a mis le monde dans cet état, lui est protéiforme. De la pauvreté au terrorisme et retour via une économie mondialisée devenue folle.

L’indignation de Jésus, « le zèle de ta maison me dévore » est celle par laquelle il met en opposition radicale le Dieu qui est au-delà, et tous les pouvoirs, fussent-ils religieux, ici le pouvoir financier du Temple. Le Dieu saint, séparé de tous les pouvoirs, surtout s'ils se réclament de lui — n’est pas un dirigeant d’une institution de pouvoir, ni d’une institution financière, ni la caution de quelque fanatisme que ce soit qui utiliserait son Nom. Il est saint, séparé, son Temple est l’humain glorieux dévoilé par le Ressuscité. Son Royaume est d’une toute autre nature.


R.P., Poitiers 8.03.15