vendredi 25 décembre 2015

Parole de lumière




Ésaïe 52, 7-10 ; Psaume 98 ; Hébreux 1, 1-6 ; Jean 1, 1-18

Jean 1, 1-18
1 Au commencement était la Parole ; la Parole était avec Dieu ; et la Parole était Dieu.
2 Elle était au commencement avec Dieu.
3 Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
4 En elle était vie, et la vie était la lumière des humains.
5 La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas reçue.
6 Survint un homme, envoyé de Dieu, du nom de Jean.
7 Il vint comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Ce n'est pas lui qui était la lumière ; il venait rendre témoignage à la lumière.
9 La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde.
10 Elle était dans le monde, et le monde est venu à l'existence par elle, mais le monde ne l'a jamais connue.
11 Elle est venue chez elle, et les siens ne l'ont pas accueillie ;
12 mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu
— à ceux qui mettent leur foi en son nom.
13 Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d'une volonté de chair, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu.
14 La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité.
15 Jean lui rend témoignage, il s'est écrié : C'était de lui que j'ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car, avant moi, il était.
16 Nous, en effet, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce ;
17 car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
18 Personne n'a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a dévoilé.

*

La lumière est venue dans un enfant. La lumière créatrice. Avant le verset 14, on est avant l'Incarnation, avant la venue en chair de Jésus. L'allusion à l'Incarnation et à sa lumière sera ce dont témoignera Jean le Baptiste, lui qui est le dernier témoin avant la venue du Royaume en cet enfant, Parole de lumière faite chair, justement, car son témoignage est bien porté avant, bien que comme il le dit, la Parole soit avant lui.

La Parole, créatrice, au commencement de toute chose, Genèse de toute chose — au commencement — est celle qui vient à nous à Noël — au commencement, nouvelle Genèse —, graine de lumière, pour ensemencer toute chose, pour mener le monde, la Création, à son achèvement. C'est à cette Parole des origines, créatrice, que renvoie ce commencement de l’évangile de Jean, et à la lumière qui en est le premier effet. Une lumière qui précède toute lumière, vraie lumière, qui éclaire tout humain venant dans le monde.

La lumière est celle de la vie, elle est celle de Noël. Elle nous illumine, dès l’instant où nous venons à la vie. C'est en elle que nous apparaissons quand la Parole qui nous fait exister est prononcée, toutes choses qui précèdent donc son Incarnation, sa venue en chair. Et lorsque nous venons au jour, notre naissance, le jour naturel qui nous éclaire est alors symbole de cette lumière qui le précède de toute l'éternité, et qui vient à nous à Noël.

La Parole est au commencement, en vis-à-vis de Dieu, tournée vers Dieu. Tournée vers Dieu, en vis-à-vis comme l'image est en vis-à-vis dans le miroir qui réfléchit cette image. Dans le vis-à-vis de sa Parole, Dieu réfléchit, la Parole est Dieu même réfléchissant ; « la Parole était Dieu » — le mot pour Parole qu'emploie l’Évangile de Jean étant en grec le même mot que pour « raison » ; c'est le mot — logos — qui a donné « logique ». Dieu réfléchit, réfléchit en lui-même, Dieu raisonne, puis il parle, exprimant ce raisonnement — parole de lumière.

« En cette Parole est la lumière du monde », avant même la lumière naturelle, donc. Lorsqu'elle s'exprime, la lumière, apparaît : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière est ». Cette vraie lumière est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme.

En cette lumière qui est celle de Noël, le monde de la résurrection est alors répandu comme un graine de lumière. Le déroulement de la création est le développement de cette illumination du monde, de sa sortie du chaos et des ténèbres.

C'est de la sorte que graine de lumière et de résurrection, cette même Parole qui nous fait venir à l'être peut aussi nous faire venir à la vie de Dieu, pourvu que nous l'accueillions. Car la Création, le monde, dès lors qu'il ne reçoit pas la Parole par laquelle il existe, est dans les ténèbres, selon que c'est cette Parole, qui sépare la lumière des ténèbres. Parole, et lumière.

Comme lorsque les Apôtres disent au paralytique : « lève-loi et marche » —, « ceux qui ont reçu la Parole ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Cette Parole, qui est aussi celle de Jean-Baptiste, un témoignage, est donnée en premier lieu comme Loi par Moïse.

La grâce venue par Jésus-Christ est la force, le pouvoir de se lever à l'écoute de la Parole venue sous forme de Loi donnée par Moïse, premier témoin. La Loi est le premier témoin, où Jean le Baptiste, représentant les Prophètes, est le dernier de ceux-ci avant l'incarnation de la Parole, avant le devenir chair de la Parole reçue.

Allusion est faite à tous les témoins, à tous ceux qui reçoivent cette Parole. Allusion bien sûr à Marie, en qui la Parole est faite chair, Jésus, quand elle la reçoit dans sa chair, comme nous tous sommes appelés à le faire. Allusion à Marie bien sûr, qui à nouveau apparaît a la fin de l'Évangile de Jean, à la croix, nouvel enfantement. Allusion à Marie puisque la venue en chair suit immédiatement le verset sur la réception de la Parole.

C'est pourquoi, ce texte — plus précisément au fond que ceux de Luc et Matthieu, qui sont donnés comme récits figurés — enseigne la naissance virginale.

Quant à nous aussi, à ceux qui ont reçu la Parole, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, comme autant de porteurs de cette Parole qui fait venir à la vie, lesquels ne sont pas nés de la chair, mais de la volonté de Dieu. Recevoir la Parole qui fait advenir a la vie. Et juste après : la Parole a été faite, chair... Jésus.

Jésus : l'expression par excellence de ce raisonnement en Dieu, de ce vis-à-vis éternel de Dieu et de sa Parole, comme son reflet, sa réflexion, est Jésus-Christ, sa Parole faite chair (Jean 1, 14). Lorsqu'il l’exprime, le monde prend forme et s'éclaire (voir Colossiens ch. 1, concernant Jésus-Christ : "tout a été fait en lui, par lui et pour lui").

Face à cela, les ténèbres naturelles sont le signe qu'il est une limite à la pénétration de la lumière : ne pas la recevoir. Ne pas accueillir la lumière dans laquelle nous venons à l'être est une possibilité, mystérieuse, aussi pour les créatures intelligentes que nous sommes, devenant par là stupides.

Mais que de possibilités s'ouvrent au contraire par cet accueil : le pouvoir de devenir enfants de Dieu, juste par l'accueil, dans la foi, de cette Parole et de sa lumière, par l'accueil de cette Parole donnée d'abord dans le ministère de Moïse à Jean-Baptiste, Loi et Prophète, qui pour être témoins de la lumière, ne donnent pas le pouvoir de la vivre en vérité, dans la chair. La grâce seule peut faire franchir ce pas de la vérité incarnée. Elle est venue en Jésus-Christ, qui fait connaître celui que seul il connaît : le Père.

Car le connaître ne se fait que dans l'accueil de la Parole dans la chair, dans le fait de vivre de la Parole qui fait vivre, de voir de la lumière qui illumine nos yeux. Connaître, c'est être en communion. Connaître c'est être dans l'amour... Cette possibilité nous est donnée par Jésus-Christ, communion vivante avec Dieu, rencontre pleine de Dieu. De cette plénitude nous recevons tous. C'est là le cadeau de Noël. La réception de la Parole, son accueil, la grâce de la vivre, a donné celle même parole faite chair, croissant jusqu'en la résurrection.

Que cette Parole, qui est née en Marie il y a deux mille ans, Jésus, Parole éternelle qui nous a créés, Parole éternelle qui nous illumine - naisse en chacun de nous pour nous rendre féconds en Dieu. Qu'elle fasse germer en nous la grâce de l'accueillir d 'où qu'elle vienne ; de ne pas endurcir notre cœur lorsque nous l'entendons par la bouche de tous ses témoins, de Moïse à Jean-Baptiste, puis aux Apôtres et à tous les anonymes que nous côtoyons peut-être sans le savoir…

Et tous ceux, qui jusqu’aux confins du monde sont témoins des possibilités qu’ouvre cette parole — en étant comme autant de terres nouvelles à même d’être ensemencées des graines de cette lumière semée à Noël. Accueillir la Parole créatrice, illuminatrice, source de la vie nouvelle. Cette Parole est le Fils unique de Dieu, en qui demeure pour nous le pouvoir de devenir nous aussi enfants de Dieu.


RP, Poitiers 25.12.15


dimanche 20 décembre 2015

Dans le secret...



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Michée 5, 1-5 ; Psaume 80 ; Hébreux 10, 5-10 ; Luc 1, 39-45

Luc 1, 39-45
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
41 Or, lorsque Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein !
43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.
45 Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira ! »

*

Nous sommes au jour d'un secret, un secret qui se trame dans le sein d'une jeune fille, entre Dieu et elle, puis partagé ici entre deux femmes, secret qui caractérise ce qu'est un cadeau de Dieu. Un cadeau de Dieu est de l'ordre du secret ! Mais qui sait le voir ? L'enfant d’Élisabeth enceinte, qui tressaille dans le sein de sa mère, et Élisabeth, qui devine et s'exclame : « Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein ! »

*

Secret. Toujours et nécessairement secret le vrai don de Dieu, appelé à germer dans nos vies. Le secret ! Eh bien figurez-vous que c'est cela que signifie le père Noël, venant la nuit... à la veille de la naissance d'un enfant venant dans les ténèbres de l'humilité — la nuit, donc, dans le temps angélique — pour couvrir de lumière un monde enténébré (Es 9).

Il enseignera, ce Messie, que les plus petits que nous croisons sont lui-même venus dans le secret. C'est là ce qu'a très bien compris un évêque de l'Antiquité, nommé Nicolas, devenu saint Nicolas parce qu'il ne supportait pas, lui disciple d'un enfant pauvre, de voir la misère, plus particulièrement celle des enfants. Alors en secret, il leur faisait des cadeaux qui allégeaient leur peine.

Plus tard, la réforme luthérienne — fructueuse en pays scandinave, pays des premières apparitions de l'ange père Noël (car c'est un ange) avec ses allures de lutin des cultes scandinaves — la réforme luthérienne découvrait que saint Nicolas, dans son humilité, dévoilait des actions angéliques. Derrière saint Nicolas, un simple homme, s'ouvre le monde des anges, dévoilant la réalité de Dieu que personne n'a jamais vu.

Un ange est derrière saint Nicolas, ange qui sera figuré sous les traits des anges scandinaves, elfes et lutins. C'est la figure du père Noël que dévoile saint Nicolas, présence angélique du don gratuit.

Alors contrairement à ce que s'imaginent ceux qui sont lents à comprendre, le père Noël existe, manifestation angélique de l'art, appris secrètement de Dieu, de donner dans le secret, art de donner de la joie à ceux qui ressemblent au Messie nouveau-né dans sa crèche.

Car derrière cette figure angélique, il y a au plus haut des cieux, comme le déclament les anges effectivement présents à Noël selon les Évangiles — il y a la présence du don suprême, le grand cadeau de Dieu par lequel la paix vient sur la terre, — don de Dieu réconciliant le monde avec lui-même, le cadeau par lequel il prouve définitivement son amour envers nous.

*

Jean, dans le sein de sa mère, tressaille en la présence du secret du don de Dieu : caché dans la vie de la mère enceinte du Messie. Et la mère de Jean traduit, selon l'Esprit saint, précise le texte, le sens de ce tressaillement : « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni. Cela m'est un privilège que tu me visites ! » — « Bienheureuse celle qui a cru. »

« Bienheureuse parce que tel est le fruit de ton sein. » On retrouve plus tard, en Luc 11 (v. 27-28), une bénédiction semblable prononcée par une autre une femme, anonyme, celle-là : « Une femme, élevant la voix du milieu de la foule, dit à Jésus : Heureux le sein qui t’a porté ! Heureux les seins qui t’ont allaité ! Et il répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »

Bénédiction similaire à celle d'Élisabeth, prononcée d'abord par Élisabeth dans l'intimité des commencements.

*

L'épisode du ch. 11 renvoie donc à ce ch. 1, à notre passage, et au v. 48, où Marie y fait elle-même écho : « toutes les générations me diront bienheureuse », disait Marie. Makaria, le même mot : la femme du ch. 11 entame l'accomplissement de la parole l’Élisabeth, et la parole de Marie sur elle-même : « toutes les générations me diront bienheureuse ».

Et Jésus, lui, la renvoie à cette autre bénédiction que prononçait Élisabeth sur sa mère : en Luc 1, 45, elle prononçait : « heureuse celle qui a cru ». Et voilà qui nous renvoie aussi à toutes les grandes ancêtres, et en premier lieu à Sara, et à la promesse à Abraham. Espérer contre toute espérance, écouter la parole de Dieu et la garder pour la voir germer. « Heureux ceux qui écoutent la Parole et la gardent ». Et plus encore, ici : c'est le Fils de Dieu que Marie a porté.

Ici Dieu a renversé tous les impossibles : on croirait savoir que les stériles n'enfantent pas, pas plus que les vierges ; on croirait savoir que les morts ne ressuscitent ni que les prophètes ne marchent sur les eaux ou que les pains se multiplient pour les pauvres !

*

Et voilà que Dieu intervient ! Secrètement. Voilà que s'approche le temps où les souffrances prennent fin. Voilà que l'on découvre dans l'intimité de la rencontre de deux femmes, que Dieu, discrètement, dans le secret, prépare ce grand moment de façon cachée dans le sein d'une femme.

Cela, Jean dans le sein de sa mère et Élisabeth à son tour, le pressentent : le jour de la délivrance approche. Ce jour que nous fêtons à Noël. Et Élisabeth a perçu le comment de l'accueil de cette délivrance : « heureuse celle qui a cru à l'accomplissement de la promesse. » Et elle est bien placée pour savoir, Élisabeth, elle, stérile mais qui a bénéficié pour sa part du miracle de l'enfantement.

Mais le miracle fondamental, c'est bien sûr le mystère de la Parole. Cette Parole non seulement a fait germer le sein d'Élisabeth, et le sein de Marie —, mais c'est cette Parole-même que Marie porte en son sein, c'est le Messie par qui vient la délivrance. Élisabeth l'a compris. Son miracle à elle est là comme signe, comme tout autre miracle, jamais fin en soi.

Marie, elle, porte une toute autre réalité. En elle la Parole se fait chair, pour porter toutes nos délivrances. Cette Parole est la Parole qu'il faut écouter et recevoir. Cette même Parole que Marie recevait et qui faisant fructifier son sein vierge, cette Parole est ainsi annoncée comme une semence, qui, contre tous les malheurs, est destinée à germer jusque dans le Royaume.

L'intervention de Dieu n'est pas tant de l'ordre du coup d'éclat que du type de la semence. La semence d'une parole qui, reçue et gardée, produira des fruits inimaginables depuis le cœur de nos malheurs. La semence de la parole de Dieu dans le sein de Marie est celle du corps du Christ ressuscité.

Cette Parole engendre par le Christ des enfants qui ne sont pas nés de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. Au cœur des impossibles, c'est la Parole de Dieu seul qui fait germer son Royaume.

Impossible ! Mais c'est précisément ça, l’Évangile ! Dieu, dans le secret, fait ce qui est impossible, ce que les sages ne peuvent pas admettre, ce que vient souligner l'ange père Noël : il n’existe pas disent les sages et les intelligents ! Mais les fous de l’impossible, du Dieu de l'impossible, savent le secret. Comme l'enseigne l'ange Père Noël donnant secrètement, le don gratuit se fait dans le secret. Le don de Noël, le Fils de Dieu, est venu dans le secret.


RP, Châtellerault, 20.12.15


dimanche 13 décembre 2015

Des Mages à Bethléem




Textes du jour : Sophonie 3, 14-18 ; Esaïe 12 ; Philippiens 4, 4-7 ; Luc 3, 10-18

Du mont Sinaï à la terre entière : suite du trajet de notre paroisse pour l'Avent 2015... Etant partis du Sinaï et du don de la Loi, nous rejoignons à présent les Mages venus à Bethléem, témoins de la signification universelle de l'Alliance. Quand Jean (Luc 3, 10-18 / Mt 3, 1 sq.) appelle à l'accomplissement de la prophétie d'Esaïe (ch. 40 sq.) par la mise en pratique de la justice qu'annonce le prophète, c'est à un texte annonçant l’élargissement de l'Alliance qu'il se réfère, un texte où la tradition a appris à lire l'importance du roi perse Cyrus (Esaïe 42), roi de la dynastie zoroastrienne des Achémédides dont les prêtres sont... les Mages, ancêtres de ceux de Matthieu 2, référant pour sa part à la Bible grecque des LXX pour lire (citant Esaïe 7) l'annonce de l'enfantement d'une vierge - cette même Bible des LXX qui se termine par la version grecque du livre de Daniel (14, 41) qui cite Cyrus disant : "Tu es grand, Dieu de Daniel ! et il n'y a pas d'autre Dieu que toi"... Quelques siècles après, Matthieu nous présente des Mages, à nouveau, prêtres de la religion perse, inscrits, dans la ligne de la proclamation de Cyrus, dans la proximité des traditions juive et perse...

*

Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici des Mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem,
2 et dirent : Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer.
3 Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s’informa auprès d’eux où devait naître le Christ.
5 Ils lui dirent : A Bethléhem en Judée ; car voici ce qui a été écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n’es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, Car de toi sortira un chef Qui paîtra Israël, mon peuple.
7 Alors Hérode fit appeler en secret les Mages, et s’enquit soigneusement auprès d’eux depuis combien de temps l’étoile brillait.
8 Puis il les envoya à Bethléhem, en disant : Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi moi-même l’adorer.
9 Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta.
10 Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie.
11 Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

*

« Les Mages se mirent en route ; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. » (Matthieu 2, 9)

Une prophétie de l'Avesta, le livre saint des Mages, prêtres de Ahura Mazda – selon le nom du Dieu unique dans la religion du prophète Zoroastre, en Perse d'où viennent les Mages – ; je cite : « À la fin des siècles, Ahura Mazda [Dieu] engagera une lutte décisive contre Ahriman [Le Mal] et l'emportera grâce à l'archange Sraoscha (l'obéissant), vainqueur du démon Ashéma. Une Vierge concevra alors un Messie, le Victorieux, le second Zoroastre qui fera ressusciter les morts ». En regard de cette prophétie, les Mages d'Iran oriental se recueillaient trois jours par an sur une montagne y guettant « l'étoile du grand roi », devant initier la nouvelle ère.

Matthieu fait bien référence à cette prophétie ! Ses mots l'indiquent : l'étoile « vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant ».

Comme on voit les Mages se rendant selon Matthieu au palais d'Hérode, on peut imaginer entre temps des Mages s'attendant d'abord à une naissance au palais royal de la Perse et ne trouvant rien de ce côté : pas d'héritier royal né en ce temps-là... Puis réfléchissant à leur conviction que le Sauveur, le « Saoshyant », le second Zoroastre, sera roi de tout l’univers, pas seulement de la Perse étant celui qui inaugurera l'ère de la résurrection, on peut élargir les investigations. Or, depuis plusieurs siècles, leurs pères et eux partagent leurs connaissances avec un autre peuple, les juifs, qui comme eux attendent un futur Messie – ils vont donc chez Hérode...

Il s'agit bien dans Matthieu d'un tournant qui a lieu dans les repères des Mages : ce qu'ils reçoivent comme le signe du passage à la nouvelle ère prend fin à ce moment là : l'ère nouvelle, celle de la résurrection, commence et celui qui l'introduit se trouve ici : Jésus. L'astre les a conduits en Judée, à Jérusalem, chez le roi, Hérode, la prophétie biblique les mène à Bethléem. Et quand ils y sont, le phénomène qui les a menés en Judée pour y percevoir la nouvelle ère « s'arrête ».

*

Tout le récit s’explique alors. On comprend en passant qu'il ne s'agit pas de l'astrologie des horoscopes modernes. L'organisation du calendrier, le repère des ères, en regard des prophéties de l'Avesta, est d'un autre ordre : on ne décèle pas un destin fixé des individus en fonction de leurs « signes ». On est dans l’ordre du calendrier – cycles très courts : les jours solaires, cycles courts : semaines et nouvelles lunes, grandes ères : la lecture par les Mages du calendrier des constellations les induit à fixer aussi ces grands cycles. Le tout est, en regard de l'astrophysique, aussi arbitraire que la fixation des semaines à sept jours. On est dans le symbolique... Comme le nombre de trois Mages, absent chez Matthieu, viendra ensuite symboliser les « trois continents » d'alors, correspondant aux trois cadeaux de l'évangile... Les Mages de Matthieu eux, cherchent selon leur rite et ses recoupements dans l’influence réciproque avec les juifs, le signe de l'ère nouvelle dans un roi des Judéens.

Le message de Dieu a rompu les frontières : c'est ce qui est au cœur de ce récit : Dieu est manifesté au monde. D'une façon surprenante. Car voilà que face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de sa présence dans un enfant pauvre ; la foi miraculeuse à la faiblesse d’un enfant. À ce point, c’est à nous d’emboîter le pas des Mages et de leur histoire étrange. Voilà des Mages arrivés dans la ville royale, Jérusalem, s’attendant au palais d’Hérode — et qui se retrouvent dans un village pauvre. Les voilà qui, loin des honneurs royaux, repartent par un autre chemin.

Nous n’avons pas eu les mêmes routes que les Mages. Nous avons eu chacun nos chemins, ceux de nos espérances, de nos étoiles confuses, de nos religiosités, de nos soucis, de nos fardeaux, jusqu’à l’enfant, qui mystérieusement, nous a guidés et accompagnés jusqu'à lui. À présent l’étoile s’arrête, dévoilant l’enfant, nouveau chemin, lumineux, qui commence devant nous...


RP, Poitiers 12-13;12;15


dimanche 6 décembre 2015

Le Décalogue - suite : quelle observance chrétienne ?




Esaïe 60, 1-11 ; Psaume 120 ; Philippiens 1, 4-11 ; Luc 3, 1-6 - « Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers. Toute vallée sera comblée, Toute montagne et toute colline seront abaissées ; ce qui est tortueux sera redressé, Et les chemins raboteux seront aplanis », prêche Jean (Luc 3, 4-5). Qu'est-ce d'autre qu'un appel au retour aux exigences de la Loi ?...

*
1) Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage.
2) Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ;
tu ne te feras pas d’images pour te prosterner devant elles
et pour les servir, car je suis le Seigneur ton Dieu.
3) Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu.
4) Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier.
5) Honore ton père et ta mère.
6) Tu ne commettras pas de meurtre.
7) Tu ne commettras pas d’adultère.
8) Tu ne commettras pas de vol.
9) Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
10) Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain.

(d’après Exode 20 – cf. Deutéronome 5)

*

Matthieu 5, 18-19 : « je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. — Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. »

C’est ce qui suit le propos de Jésus disant « ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Matthieu 5, 17).

Où il apparaît qu’accomplir la Loi ne l’abolit pas ! Contrairement à la tentation commune qui revient à considérer que Jésus ayant accompli la Loi, il n’y aurait plus à l’observer ! Si l’on ne réintroduit pas subrepticement l’idée d’abolition de fait sous le terme d’accomplissement, si donc on lit le propos jusqu’au bout, une question se pose : Quid de l’observance chrétienne de la Loi de Moïse ?

La réponse la plus connue passe par le Décalogue, qui semble conservé, via une lecture de la Bible hébraïque orientée vers la venue du Christ. Vraiment observés ces « dix commandements » ?

L’observance chrétienne du Décalogue en soi s’avère problématique dès qu’on l’aborde de façon concrète. Quid d’une observance chrétienne du Shabbath, par exemple ?

La difficulté apparaît à travers le débat qui s’est levé dans certains courants du protestantisme anglo-saxon, où l’on s’est attaché à observer le dimanche comme un Shabbath, ce que le dimanche n’est pas. Le débat a débouché pour certains sur la décision d’observer vraiment le Shabbath, et cela le jour du Shabbath, le samedi.

On pourrait aussi mentionner le commandement sur les représentations (« tu ne te feras pas d’images cultuelles »), que plusieurs courants du christianisme historique (courants majoritaires) estiment ne pas concerner les chrétiens et leurs images du Christ et des personnages historiques de la tradition.

Quid donc de l’observance du Décalogue, en tout cas en son aspect cérémoniel. — Je fais par ce mot allusion à des distinctions qui vont apparaître (je vais y venir) entre différents plans (moral et judiciaire) de signification des commandements, outre leur plan cérémoniel, proprement religieux, qui manifestement est peu retenu par le christianisme.

Le rapport chrétien à la Bible est largement de l’ordre de la transposition. Le texte biblique renvoie à une réalité éternelle, ce qui est dans le texte lui-même — cf. Exode 25, 40 : « Regarde, et fais d’après le modèle qui t’est montré sur la montagne ». Cf. la lecture qu’en fait l’Épître parlant du culte biblique comme « image et ombre des choses célestes, selon que Moïse en fut divinement averti lorsqu’il allait construire le tabernacle : Aie soin, lui fut-il dit, de faire tout d’après le modèle qui t’a été montré sur la montagne. » (Hébreux 8, 5)

La question de l’observance de Loi demeure, qui a débouché sur une distinction, formalisée par Calvin et dans sa lignée, en trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect judiciaire est cet aspect de la Loi qui, selon sa primauté par rapport aux pouvoirs, se concrétise dans une vie de la Cité gérée de façon jurisprudentielle, donc souple. Il en ressort que cet aspect est perçu, quant à la lettre de la Loi, comme correspondant à des temps et à une culture donnée : par exemple les formes de gouvernements, qui sont variables selon les lieux.

On en dira la même chose quant à l’aspect cérémoniel (les cérémonies religieuses de la Loi) perçu lui aussi, quant à sa lettre, comme correspondant à un temps et à une culture donnée. Dans cette perspective la pratique varie selon les lieux, les temps et les circonstances. Ainsi, quant à l’aspect cérémoniel, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit (sacrifices correspondant pourtant à des mitsvoth cérémonielles). Une perspective calviniste considère que cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des cultures. À l’instar de l’aspect judiciaire.

En revanche l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection, n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances. L’aspect moral peut être considéré comme se déployant en vertus, rejoignant la morale naturelle et contribuant à l’établissement d’une morale universelle commune, une éthique partagée par juifs et nations. Une seule citation pour illustrer cela : Paul aux Galates (5, 22) : « le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité », écrit-il. Voilà tout simplement des vertus commune, que l’on retrouve chez les stoïciens, les aristotéliciens, etc. comme vertus dites naturelles — avec cependant cette caractéristique, dans la perspective chrétienne, qui est d’être enracinées dans une nature perçue, en regard de la Torah, comme création, qui trouve écho jusque dans le Décalogue sous son angle cérémoniel : « en six jours le Seigneur a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du repos et l’a sanctifié » (Exode 20, 11).

La loi naturelle est « corrigée » — en regard de la Loi biblique. Ce qui nous conduit à postuler la nécessité de la pérennité d’Israël pour que l’Église, les Églises, ne soient pas bancales !

L’aspect cérémoniel de la Loi s’avère en effet premier, comme fondement céleste. C’est le sens du culte : dessiner la dimension verticale de nos vies, la dimension de la relation avec Dieu, qui occupe fortement les quatre premières paroles du Décalogue. Car la dimension verticale de nos vies se dessine pour nous via des rites et des cérémonies, que ces rites soient chrétiens, juifs, ou autres. Il se trouve que pour Jésus, ce sont des rites juifs, ceux de la Torah. C’est aussi le cas pour le Nouveau Testament et le rituel chrétien qui en est issu.

Alors quid d'une observance chrétienne de la Loi de Moïse ? Eh bien, son observance pour les chrétiens est le fait d’Israël ! L’observance juive vivante. Le christianisme des nations sans Israël est tout simplement bancal. Cela nous conduit à réaliser la nature relationnelle du christianisme : sa nature est d’être en relation, en vis-à-vis d’Israël.

Quant à sa pratique universelle, Calvin distingue trois usages de la Loi : l’usage pédagogique, l’usage politique et l’usage normatif. Trois usages :

- Selon son usage pédagogique, la Loi produit en l’homme la conscience de son incapacité à accomplir ce qu’elle prescrit ou défend (exemple classique : l’interdit de la convoitise — qui peut dire être exempt de convoitise ? Son interdiction est pourtant un précepte du décalogue). Sous cet angle, la Loi sert de « pédagogue » pour nous conduire à recourir à la grâce de Dieu: reconnaissant n’être pas à la hauteur de ses exigences, j’en appelle à Dieu. Où l’on retrouve le « près de toi » (Deutéronome 30, 14) que Paul lira comme référant à la proximité, la présence, de la parole de Dieu en Jésus.
- Selon son usage politique ou civil, la Loi a pour but de restreindre le mal dans la Cité et de promouvoir la justice. Elle fournit des principes, qui s’appliquent de façon analogique selon les temps et les lieux dans la vie civile et politique.
- Selon son troisième usage, la Loi devient chemin de libération. Notre libération est effectivement mise en œuvre par ce que produit en nous l’injonction de la Loi. Exemple : le commandement donné à Abraham, ou au peuple libéré de l’esclavage : « quitte ton pays », « sors de l’esclavage ». La libération qui est dans le recours à la grâce ne produit son effet que si elle reçue et donc mise en œuvre.

La liberté donnée à la foi seule qui reçoit la grâce — ce seul recours, selon l’usage pédagogique de la Loi — ; cette liberté ne devient effective que lorsque l’exigence de la Loi donnée comme norme suscite, parce qu’elle est entendue, la mise en route obéissante.

Où il faut répondre à une question que la fidélité selon la pratique juive pourrait voir apparaître : mais on ne sache pas que les chrétiens protestants, et calvinistes, pratiquent les mitsvoth — les 613 commandements de la Loi biblique — ?! Pas plus que les autres chrétiens…

Où il faut revenir, à côté de trois usages de la Loi, aux trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection, devient le fondement d'une transposition analogique pour une observance intégrale de la loi mais de façon transposée, donc, via une reconduction méditée à son fondement éternel dont les textes sont l’expression temporelle, dans un temps donné, un enracinement donné, dont Israël demeure le témoin aussi longtemps que subsistent le ciel et la terre.

Le troisième usage de la Loi, l’usage normatif, apparaît alors comme mise en œuvre de son aspect moral, comme injonction libératrice. Où l’on retrouve les préceptes comme « lève-toi et marche » commandement adressé par Pierre au paralytique ; « sors de ta tombe » ; commandement adressé par Jésus à Lazare, « va pour toi » (Lekh lekha) commandement adressé par Dieu à Abraham — et « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que nous donne Moïse au Deutéronome.

Telle est alors la parole de Dieu donnée comme Loi, parole libératrice, créatrice d’impossible. C’est là le Dieu créateur de la Bible — et non pas une hypothèse en concurrence avec les laboratoires de recherche ! C’est devant un Dieu vivant que nous sommes placés… Dieu vivant et vivificateur par la Parole qui nous fonde comme êtres pour la liberté : « Tu choisiras la vie ».

Alors, « toute chair verra le salut de Dieu » (Luc 3, 6).


RP, Poitiers, 6/12/15 / cf. ici.