dimanche 26 juin 2016

"Qui regarde en arrière..."




1 Rois 19.16-21 ; Psaume 16 ; Galates 5.1-18 ; Luc 9.51-62

1 Rois 19, 19-21
19 [Élie] trouva Élisée, fils de Shafath, qui labourait; il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Élie passa près de lui et jeta son manteau sur lui.
20 Élisée abandonna les bœufs, courut après Élie et dit: "Permets que j’embrasse mon père et ma mère et je te suivrai." Élie lui dit: "Va ! retourne ! Que t’ai-je donc fait?"
21 Élisée s’en retourna sans le suivre, prit la paire de bœufs qu’il offrit en sacrifice; avec l’attelage des bœufs, il fit cuire leur viande qu’il donna à manger aux siens. Puis il se leva, suivit Élie et fut à son service.

Luc 9, 51-62
51 Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem.
52 Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s’étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
53 Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem.
54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent: "Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume?"
55 Mais lui, se retournant, les réprimanda.
56 Et ils firent route vers un autre village.
57 Comme ils étaient en route, quelqu’un dit à Jésus en chemin: "Je te suivrai partout où tu iras."
58 Jésus lui dit: "Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête."
59 Il dit à un autre: "Suis-moi." Celui-ci répondit: "Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père."
60 Mais Jésus lui dit: "Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu."
61 Un autre encore lui dit: "Je vais te suivre, Seigneur; mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison."
62 Jésus lui dit: "Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu."

*

On ne s’improvise pas disciple de Jésus. C’est lui qui appelle. On ne le suit que parce qu’on a entendu son appel.

Voilà un homme qui désire le suivre. Et, oh surprise, Jésus, tente de le décourager ! On l’imaginerait volontiers s’enthousiasmant de la spontanéité de l’homme : « mais bien sûr, viens, on recrute. La moisson est immense et il y a peu d’ouvrier… » Mais non ! Si tu me suis, l’avertit Jésus, tu n’auras « pas où poser la tête ». Pire que les bêtes, qui ont des tanières. Avec moi, rien de tout cela… Dur ! C’est en nous ayant bien avertis de cela, en ayant bien précisé les choses, qu’il lance son appel.

C’est lui qui appelle, et personne d’autre qui déciderait. Et quand il appelle, quand on a entendu sa voix, il faut tout laisser, sachant ce qu’il en est. « Il dit à un autre : "suis-moi." » En laissant tout, même ce qui semblerait accomplissement d’une évidence, de la bienséance — en fait un devoir : enterrer son père !

Tout laisser. Ici Jésus renvoie à Élie, au texte que nous avons lu. La présence d’Élie est fort prégnante dans tout notre passage. N’oublions pas que Jésus vient de rabrouer ses disciples voulant faire tomber le feu du ciel sur les récalcitrants ; il vient de les rabrouer au nom d’Élie découvrant le visage de Dieu dans le souffle doux et léger, là où croyant imiter Élie, ils voulaient jouer les prophètes guerriers.

Élie, donc, ici aussi. On a entendu le passage du livre des Rois. Le passage de la vocation d’Élisée. Élisée a entendu la voix silencieuse de Dieu. Élie n’a rien dit ; il a simplement jeté son manteau sur lui. Et Élisée a compris, non pas ce qu’Élie n’a pas dit : il ne l’a pas dit ! Élisée a perçu l’appel de Dieu, au-delà du geste d’Élie.

Et il décide de le suivre. Et pour cela, d’aller faire ses adieux à son père et à sa mère. Quoi de plus normal ! Ici Jésus est exégète de la Bible : il cite indirectement, devant celui qu’il appelle, ce passage que ses auditeurs connaissent sans doute bien, pour qu’ils comprennent bien. « Permets que j’embrasse mon père et ma mère et je te suivrai », a répondu Élisée. Et Élie lui dit : « Va ! Retourne ! Que t’ai-je donc fait ? ». Ou en d’autres termes : « je ne t’ai rien demandé ! »

C’est Dieu qui appelle, et personne d’autre. Voilà la façon dont Jésus a lu le passage de la vocation d’Élisée, perçue au seul frôlement du manteau d’Élie qui ne lui a effectivement rien demandé. Ce qui ne veut pas dire, évidemment, cela va sans dire, que Jésus, ou avant lui Élie, enseignent la muflerie, l’impolitesse ou la non-reconnaissance. Cela veut dire que dans le temps, dans notre temps, il y a un avant et un après l’appel de Dieu. Et qu’entre cet avant et cet après, il y a un abîme. On est d’un côté ou de l’autre.

Élisée l’a compris, et quand il retourne embrasser ses parents, c’est pour lui l’occasion de brûler tous les ponts qui seraient censés lui permettre de retourner avant cet appel. Il le signifie en brûlant son outil de travail, le consacrant à Dieu pour nourrir ceux qui ont faim : il « prit la paire de bœufs qu’il offrit en sacrifice ; avec l’attelage des bœufs, il fit cuire leur viande qu’il donna à manger aux siens. Puis il se leva, suivit Élie et fut à son service. »

C’est ce que Jésus redit. En soulignant toute la radicalité qui est dans l’appel de Dieu : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. » Et pour que les choses soient bien claires, à cet autre, qui a compris la référence, et qui à son tour lui cite quasi-explicitement le texte sur Élie et Élisée : « Seigneur ; permets-moi de faire mes adieux » : « quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. » Élisée était laboureur, tu seras laboureur du champ de Dieu ; comme il a dit à d’autres, pécheurs de poisson ceux-là : « je vous ferai pécheurs d’hommes ». C’est ainsi que Jésus envoie ceux qu’il appelle.

Laboureur du champ de Dieu. Et dans le champ de Dieu, les sillons ne peuvent qu’être droits. Parenthèse personnelle : mon père a connu les derniers temps du labour à traction animale. Et, m’a t-il dit, une chose indispensable pour ce dur travail, où il faut bien appuyer sur la charrue qui ne s’enfonce pas seule, c’est de fixer le bout de la ligne, parce que le bœuf, lui, ne va pas spontanément tout droit. La charrue va où regarde le laboureur. Les hommes de la terre auxquels s’adressait Jésus savaient bien l’effet d’un labourage où l’on regarderait en arrière : ça revient à faire du n’importe quoi ! Eh bien dans le champ de Dieu, à plus forte raison, c’est la même chose !

Voilà qui explique ce qu’il vient de dire sur les morts et ceux qui les enterrent. C’est bien dans l’esprit de ce que dit la Bible sur Élie et Élisée.

Ne pas enterrer les morts, ne signifie pas qu’il s’agit d’éviter les enterrements et de ne pas accomplir son devoir d’accompagner les siens dans le deuil et les larmes, évidemment.

C’est une façon de dire, puisqu’il s’agit du champ de Dieu, du champ qu’est son Royaume, que ce Règne, celui de Dieu, n’est pas derrière nous, dans les souvenirs et la nostalgie : « ne cherche pas parmi les morts celui qui est le vivant », dira l’ange à Marie de Magdala au dimanche de Pâques : il n’est pas ici, il est ressuscité.

Pour les disciples de Jésus, puisqu’il ne saurait y avoir de culte du tombeau vide, ni de son linceul, il ne saurait à plus forte raison y avoir pas de culte du passé, aussi glorieux soit-il. (Ou aussi tendre ait-il été, pour un passé familial, ici.) Le Royaume de Dieu n’est pas dans le passé.

Dans le passé, il n’y a au pire que nostalgie, au minimum vaine — quand, pire encore, elle n’est pas carrément morbide. Il n’y a là au pire que nostalgie (et à ce point, le rapport au passé n’a de sens que comme repentance : à savoir laisser le passé et se tourner vers l’appel de Dieu). Et au mieux, il y a là simplement leçon à entendre, comme l’a fait Jésus de la leçon d’Élie — puisque ceux qui ignorent leur passé sont condamnés à le répéter. Ce qui revient à tracer des sillons tordus.

Il n’y a aucun avenir dans le passé ; il n’y a d’avenir qui s’ouvre qu’en ayant les regards fixés sur Jésus, dit l’épître aux Hébreux. Aucun avenir dans le passé, aucun présent non plus. Le seul présent est dans l’appel de Dieu — car l’avenir qu’ouvre Jésus à ses disciples, à nous si nous entendons son appel, l’avenir qu’il nous ouvre est au présent : c’est aujourd’hui le règne de Dieu ; le Règne de Dieu est au milieu de vous. Et il nous y envoie en mission : allez le dire, et le vivre.

Aujourd’hui son appel nous est lancé. Des signes, comme le manteau l’Élie, des paroles signifiées dans des gestes... C’est lui qui appelle, et lui seul, on ne décide pas par soi de le suivre — mais pour celui, pour celle qui a entendu son appel, c’en est fini, il n’y a plus d’hier. Il n’y a plus qu’un sillon qui ouvre le Royaume, aujourd’hui présent au milieu de nous.


R.P., Châtellerault, 26.06.16


dimanche 19 juin 2016

Élie à Sarepta




1 Rois 17.1-24 ; Zacharie 12.10-13.1 ; Psaume 63 ; Galates 3.26-29 ; Luc 9.18-24

1 Rois 17 v 7 à 16
7 Mais au bout d’un certain temps le torrent fut à sec, car il n’était point tombé de pluie dans le pays.
8 Alors la parole du Seigneur lui fut adressée en ces mots:
9 Lève-toi, va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et demeure là. Voici, j’y ai ordonné à une femme veuve de te nourrir.
10 Il se leva, et il alla à Sarepta. Comme il arrivait à l’entrée de la ville, voici, il y avait là une femme veuve qui ramassait du bois. Il l’appela, et dit: Va me chercher, je te prie, un peu d’eau dans un vase, afin que je boive.
11 Et elle alla en chercher. Il l’appela de nouveau, et dit : Apporte-moi, je te prie, un morceau de pain dans ta main.
12 Et elle répondit : le Seigneur, ton Dieu, est vivant ! je n’ai rien de cuit, je n’ai qu’une poignée de farine dans un pot et un peu d’huile dans une cruche. Et voici, je ramasse deux morceaux de bois, puis je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons.
13 Élie lui dit : Ne crains point, rentre, fais comme tu as dit. Seulement, prépare-moi d’abord avec cela un petit gâteau, et tu me l’apporteras ; tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils.
14 Car ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël : La farine qui est dans le pot ne manquera point et l’huile qui est dans la cruche ne diminuera point, jusqu’au jour où le Seigneur fera tomber de la pluie sur la face du sol.
15 Elle alla, et elle fit selon la parole d’Élie. Et pendant longtemps elle eut de quoi manger, elle et sa famille, aussi bien qu’Élie.
16 La farine qui était dans le pot ne manqua point, et l’huile qui était dans la cruche ne diminua point, selon la parole que le Seigneur avait prononcée par Élie.

*

1. Dieu a parlé à Élie. (Comment ?) Est-ce qu’on peut entendre la voix de Dieu aujourd’hui ?

Il est des temps, selon la Bible, où la Parole de Dieu est rare ! 1 Samuel 3, 1 : « Le jeune Samuel était au service du Seigneur devant Éli. La parole du Seigneur était rare en ce temps-là, les visions n’étaient pas fréquentes. [… Une nuit] 4 le Seigneur appela Samuel. Il répondit : Me voici ! 5 Et il courut vers Éli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Éli répondit : Je n’ai point appelé ; retourne te coucher. Et il alla se coucher. 6 Le Seigneur appela de nouveau Samuel. Et Samuel se leva, alla vers Éli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Éli répondit : Je n’ai point appelé, mon fils, retourne te coucher. 7 Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur, et la parole de le Seigneur ne lui avait pas encore été révélée. 8 le Seigneur appela de nouveau Samuel, pour la troisième fois. Et Samuel se leva, alla vers Éli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Éli comprit que c’était le Seigneur qui appelait l’enfant […]. »

« Il y a un temps pour parler et un temps pour se taire », dit L'Ecclésiaste (ch. 3)… Peut-être cela vaut-il aussi pour Dieu ?! Le temps, pour nous, de recevoir le silence, et d'entrer simplement dans la relecture, selon cette étymologie du mot religion : relire ce que Dieu a dit pour ré-apprendre à entendre sa voix, reprendre contact, selon la deuxième étymologie du mot religion : relier. Apprendre à discerner sa voix dans les signes diffus de sa présence… « Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles dont le son ne soit point entendu » (Ps 19, 3).

Mt 16, 1-3 : « [Ils] abordèrent Jésus et, pour l’éprouver, lui demandèrent de leur faire voir un signe venant du ciel. 2 Jésus leur répondit : Le soir, vous dites : Il fera beau, car le ciel est rouge ; 3 et le matin : Il y aura de l’orage aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre. Vous savez discerner l’aspect du ciel, et vous ne pouvez discerner les signes des temps. »

Apprendre à écouter la petite voix intérieure qui nous dit ce que Dieu attend de nous — reprenons le récit de Samuel (1 Samuel 3, 8-9) : « Éli comprit que c’était le Seigneur qui appelait l’enfant […] et il dit à Samuel : Va, couche-toi ; et si l’on t’appelle, tu diras : Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute. »

2. Le miracle du bol de farine et l’huile — pourquoi est-ce qu’il y avait plein de miracles dans La Bible mais on n’en voit plus aujourd’hui ?

« Plein de miracles dans la Bible » ? Si l'on veut. On a trois temps principaux où les miracles sont nombreux : Moïse et ses proches, Élie et Élisée, Jésus et ses disciples L’Épître aux Hébreux, déjà, en parle au passé (ch. 2, 4).

Et bien sûr, quand les miracles semblent cesser, on est tenté de se poser des questions à leur sujet.

Et puis bien plus tard, les premiers temps de la science moderne ont conduit à penser que tout ça n'a aucune réalité. Aux XVIIIe et XIXe siècles, on arrive à la conclusion que tout ça est impossible. Ça ne correspond pas aux lois de la science moderne dont on découvrait toutes les conséquences. C'est l'époque où l'on ne croit vrai que ce qu'on sait… Un peu comme à Nazareth, on ne peut pas croire ce Jésus qu'on connaît trop.

Luc 4, 23-26 : « Fais ici, dans ta patrie, tout ce que nous avons appris que tu as fait à Capernaüm, demande-t-on à Jésus venu chez lui. 24 Mais, dit-il, je vous le dis en vérité, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. 25 Je vous le dis en vérité : il y avait plusieurs veuves en Israël du temps d’Élie, lorsque le ciel fut fermé trois ans et six mois et qu’il y eut une grande famine sur toute la terre ; 26 et cependant Élie ne fut envoyé vers aucune d’elles, si ce n’est vers une femme veuve, à Sarepta, dans le pays de Sidon. »

Depuis le début du XXe, on sait que c'est plus compliqué — les découvertes des savants contemporains ont élargi le domaine de ce que l'on sait, au-delà de ce qui se voit. Les lois de ce qui se voit ne marchent plus quand on entre dans ce qui ne se voit pas à l’œil nu. Il existe des choses impossibles, qui ne sont pas pour autant des miracles, mais qui existent quand même !

Les miracles eux aussi sont impossibles. Ils relèvent de la parole créatrice. Du Dieu de l'impossible. Tel est le Dieu d’Élie — qui dans la suite du récit ressuscite le fils de la veuve. Et comme pour la parole qu'il s'agit de savoir entendre même quand elle semble rare, il faut savoir percevoir l'action mystérieuse de Dieu. Les miracles sont aussi appelés signes, signes du Règne de Dieu qui s'est approché.

3. Quand nous voyons des enfants mourir de faim dans le monde, nous ressentons un sentiment d’injustice. Pourquoi est-ce que les enfants meurent dans un coin du monde tandis que chez nous, il y a autant de gaspillage  ?

On vient de parler du Règne de Dieu, dont les miracles sont des signes — signes donnés plus particulièrement dans trois temps, d'abord ceux de Moïse et d’Élie qui apparaissent entourant Jésus lors de la transfiguration, quand Jésus apparaît en pleine lumière entre Moïse et Élie, et qu'il présente ce moment comme l’apparition du Règne de Dieu, précisément.

Le Règne de Dieu est le temps où toute douleur et toute injustice ont disparu. Car oui, c'est de l'injustice en effet que ce déséquilibre entre misère et surabondance.

Cela pose aussi la question de notre part à cela… Le récit de la veuve nous en dit un mot : la confiance, la confiance dont la veuve a fait preuve. Elle aurait pu refuser de s’occuper d’Élie, et faire comme elle avait projeté. Prendre son dernier repas avec son fils, en ce temps de famine, et attendre la mort. Elle a eu confiance en la parole d’Élie, cette confiance que Jésus demande à ses disciples devant la foule qui a faim : Luc 9:13 : « Jésus leur dit : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Mais ils répondirent : Nous n’avons que cinq pains et deux poissons […] ».

Et comme au temps d’Élie avec la farine et l'huile qui ne diminuaient pas, comme au temps de Moïse avec la manne qui ne cessait pas et qui pourrissait quand on en prenait trop — image du gaspillage et de son scandale —, Jésus multiplie le peu des disciples, appelant tout à nouveau à la confiance. Mais bien sûr, c'est fou, comme d'entendre la voix de Dieu ou de croire des choses impossibles comme les miracles. Dieu est bien le Dieu de l'impossible, et c'est cela qu'il s'agit de croire ! Croire malgré tout en la bonté, cette réalité impossible et pourtant vraie.

*

4. Si Dieu est bon, pourquoi est-ce qu’il y a la famine et d’autres catastrophes dans le monde ?

Comme pour sa voix que l'on n'entend pas ou les miracles qui sont impossibles, on est dans la Bible avec un Dieu qui est au-delà ce que l'on peut en dire, un Dieu tout proche, mais dont le monde est infiniment éloigné, le Dieu d'un Royaume qui n'est pas de ce monde, selon les mots de Jésus.

Et pourtant, lui est tout proche : « S'il ne pensait qu'à lui-même, S'il retirait à lui son esprit et son souffle, Toute chair périrait soudain, Et l'homme rentrerait dans la poussière. » (Job 34, 14-15)

Tout proche d'un monde qui est si loin de lui. Peut-être l'histoire de la venue du Règne de Dieu est celle d'un rapprochement du monde d'avec le Dieu qui en est la source. Loin de sa source, le monde est la proie au mal qui s'y déploie. « Devant toi la vie et la mort dit le Deutéronome : choisis la vie, afin que tu vives ». La vie qui est dans cette « parole tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur. »

C'est le Dieu d’Élie, qui donne la vie, contre les idoles qu'il combat, et qui sont assoiffées de sang. Dans un monde décroché de sa source et où il y a tant de souffrance, le Dieu vivant et vrai n'est pas celui au nom duquel on en rajoute dans la violence et le mal — ce dieu-là, qui agite hélas l'actualité, est l'idole que combattait Élie, assoiffé de sang — ; le Dieu vivant et vrai est celui qui pleure avec nous, qui est venu à nous avec larmes, pour nous accompagner jusqu'au cœur de nos douleurs, qui lui ont arraché ces larmes. Jésus a pleuré devant la mort de Lazare. Il a pleuré sur Jérusalem en passe d'être détruite par Rome. La bonté de Dieu est dans ces larmes versées sur un monde décroché de sa source, et qu'il appelle encore à choisir la vie.


RP – avec les questions du groupe de préKT, Poitiers, 19/06/16


dimanche 5 juin 2016

"Le souffle de l’enfant revint en lui"




1 Rois 17.17-24 ; Psaume 30 ; Galates 1.11-19 ; Luc 7.11-17

1 Rois 17.17-24
17 Après cela, le fils de la femme, maîtresse de la maison, tomba malade, et sa maladie fut si violente qu’il ne resta plus en lui de respiration.
18 Elle dit alors à Élie : Pourquoi te mêles-tu de mes affaires, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour évoquer ma faute et pour faire mourir mon fils ?
19 Il lui répondit : Donne-moi ton fils. Il le prit de ses bras, le monta dans la chambre à l’étage, où il habitait, et le coucha sur son lit.
20 Puis il invoqua le Seigneur, en disant : Seigneur, mon Dieu, causerais-tu du mal à cette veuve dont je suis l’hôte, en faisant mourir son fils ?
21 Il se mesura trois fois sur l’enfant, invoqua le Seigneur, en disant : Seigneur, mon Dieu, je t’en prie, que le souffle de cet enfant revienne en lui !
22 Le Seigneur entendit Élie : le souffle de l’enfant revint en lui, et il reprit vie.
23 Élie prit l’enfant, le descendit de la chambre dans la maison et le donna à sa mère. Élie dit : Regarde, ton fils est vivant.
24 La femme dit à Élie : Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur dans ta bouche est vérité.

*

Pour situer ce texte, il convient de se rappeler ce que confronte Élie au 1er livre des Rois...

1 Rois 16 (juste avant qu’Élie n’apparaisse dans le livre) :
29 Achab, fils d’Omri, régna sur Israël, la trente-huitième année d’Asa, roi de Juda. Achab, fils d’Omri, régna vingt-deux ans sur Israël à Samarie.
30 Achab, fils d’Omri, fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur, plus que tous ceux qui avaient été avant lui.
31 Et comme si c’eût été pour lui peu de chose de se livrer aux péchés de Jéroboam, fils de Nebath, il prit pour femme Jézabel, fille d’Ethbaal, roi des Sidoniens, et il alla servir Baal et se prosterner devant lui.
32 Il éleva un autel à Baal dans la maison de Baal qu’il bâtit à Samarie,
33 et il fit une idole d’Astarté. Achab fit plus encore que tous les rois d’Israël qui avaient été avant lui, pour irriter le Seigneur, le Dieu d’Israël.
34 De son temps, Hiel de Béthel bâtit Jéricho ; il en jeta les fondements au prix d’Abiram, son premier-né, et il en posa les portes au prix de Segub, son plus jeune fils, selon la parole que le Seigneur avait dite par Josué, fils de Nun.

Alors apparaît Élie…

Dans notre texte, le prophète est à Sarepta, non loin de Sidon, dans cette Phénicie où l'on a le culte du Baal, culte mu par la peur, avec parfois jusqu'à des sacrifices d'enfants comme ceux que signale notre texte concernant la refondation de Jéricho. Pays d'où vient cette Jézabel que confronte Élie. Il y est hébergé par une veuve qui vient de perdre son fils.

Il ne faut pas imaginer une querelle religieuse insignifiante entre Élie d'un côté, Achab et Jézabel de l'autre, chacun son dieu, querelle de mots… Non, l'enjeu est considérable, ce qui explique aussi la violence, quand en réponse au massacre des prophètes de Dieu par Jézabel, Élie glisse à son tour à la tentation d'éliminer les prophètes du Baal sanguinaire. Car Élie confronte un culte qui va parfois jusqu'aux sacrifices d'enfants. À présent il est hébergé, selon l'appel de Dieu, chez cette veuve qui appartient à cette Phénicie des Baals.

Et voilà que dans cette Phénicie où la crainte du Baal peut mener jusqu'à de telles extrémités, cette veuve vient de perdre son fils. Cette femme sait qui est Élie, qu'elle appelle « homme de Dieu ». Elle sait les exigences du Dieu qu'il sert, contre la cruauté de ceux de la Phénicie. Et voilà que son enfant lui est enlevé. Première réaction, on l'a entendue : « Es-tu venu chez moi pour évoquer ma faute et pour faire mourir mon fils ? » Parole terrible qui évoque à la fois la cruauté du culte de sa tradition et du péché de l'idolâtrie qui induit cela, mais aussi, peut-être, enfoui, celui de désobéir, en hébergeant l'ennemi de ses dieux, à ce Baal que son peuple craint ; et en outre l’intuition diffuse de la sainteté du Dieu d’Élie qui opère au quotidien depuis longtemps le miracle de la permanence du peu de nourriture qui lui reste… « La farine qui était dans le pot ne manqua point, et l’huile qui était dans la cruche ne diminua point, selon la parole que le Seigneur avait prononcée par Élie » (1 R 17, 16).

Tout cela en regard de la douleur de la perte de son fils.

*

Alors Élie va invoquer Dieu (v. 20 et 21) « en disant : Seigneur, mon Dieu, causerais-tu du mal à cette veuve dont je suis l’hôte, en faisant mourir son fils ? » Puis, dit le texte : « Il se mesura trois fois sur l’enfant, invoqua le Seigneur, en disant : Seigneur, mon Dieu, je t’en prie, que le souffle de cet enfant revienne en lui ! »

« Se mesura trois fois » : c'est ce que dit le texte littéralement, que la plupart de nos versions rendent par « s'étendit trois fois » tant l’expression est étrange ! Et pourtant le mot, fréquent dans la Bible, n'est jamais traduit, ailleurs, par étendre !, toujours par mesurer. On peut penser que les traductions ont voulu résoudre la difficulté en empruntant à la résurrection opérée plus loin par Élisée, qui effectivement pour sa part, s'étend de tout son long sur l'enfant qui va se relever de la mort, réchauffant son corps. Mais rien de cela ici. Ici il est bien question de se mesurer – trois fois.

Il est par ailleurs beaucoup question de souffle dans ce texte, avec les mots qui ont donné âme, ou vie, car la vie n'est qu'un souffle. Et la Bible grecque des Septante n'a pas donné le mot grec s’étendre, mais « souffler », souffler trois fois. Voilà qui donne un indice de ce qui est derrière ce mot : se mesurer. La mesure, comme poids du souffle, pour demander à Dieu que « le souffle de cet enfant revienne en lui ! » Combien pèse ma vie, mon souffle, face à la vie de cet enfant ? Avec ce chiffre trois, qui est le chiffre du définitif, comme Paul priera trois fois avant de renoncer, comme dans les civilisations anciennes, telles celle d’Élie et de la veuve, on doit prononcer trois fois la parole de la répudiation, par exemple, pour qu'elle soit définitive. Alors par trois fois Élie mesure sa vie, son souffle, sur la vie de l'enfant, pour un constat définitif : ma vie est comme la sienne, un souffle. Avec tout ce que cela a d'ambigu : notre vie est un souffle, notre vie n'est qu'un souffle. Souffle de Dieu qui fait être, souffle de Dieu qui fait cesser d'être : « Le Seigneur Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Genèse 2:7). Mais aussi : « L’herbe sèche, la fleur tombe, Quand le vent du Seigneur souffle dessus. — Certainement le peuple est comme l’herbe » (Es 40, 7).

Le souffle de la vie s'est retiré de l'enfant. Souffle de vie, souffle comme fragilité, qui est aussi définitivement celle d’Élie, qui mesure par trois fois sa vie à celle de l'enfant – Élie prophète d'un Dieu qui n'est pas le Baal de la terreur.

Son Dieu à lui n'est pas celui pour lequel on sacrifie la vie d'autrui, on n'échange pas une vie contre une ville, comme à Jéricho, une vie d'enfant pour la soif d'un Baal. Son Dieu à lui est celui au contraire du don de soi. C'est aussi le sens de cet épisode. Dieu ne condamne pas la veuve pour son péché réel ou supposé en lui prenant son fils. C'est ce que porte le geste priant d’Élie, se mesurer à l'enfant. Ma vie pour sa vie.

Alors Élie « se mesura donc trois fois » : vie pour vie. Le souffle revient en lui. Et Élie rend son fils vivant à la veuve. Peut-être le jeune homme a-t-il l'âge de nos confirmands, lesquels, avons-nous dit tout-à-l'heure, passent du regard des parents, des maîtres, des amis, regards qui les a fait advenir comme enfants de la chair, pour y recevoir en lieu et place le regard que Dieu leur adresse dans le Christ pour les faire advenir par l'Esprit saint à la liberté des enfants de Dieu. Comme pour une résurrection, une vie nouvelle.

« La femme dit à Élie : Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur dans ta bouche est vérité. » (v. 24)

*

La parole de Dieu, parole créatrice venue en Jésus, qui à Naïn, ressuscite le fils d'une autre veuve, dans un texte qui évoque clairement Élie – ici sur la simple énonciation d'une parole créatrice ; ici aussi sur le mode du vie pour vie… Annonce de la croix de celui qui accomplit la vérité du Dieu qui donne la vie, qui donne sa vie.

Luc 7.11-16
11 [Jésus] se rendit dans une ville appelée Naïn ; ses disciples et une grande foule faisaient route avec lui.
12 Lorsqu’il approcha de la porte de la ville, on portait en terre un mort, fils unique de sa mère, qui était veuve ; et il y avait avec elle une importante foule de la ville.
13 Le Seigneur la vit ; il fut ému par elle et lui dit : Ne pleure pas !
14 Il s’approcha et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s’arrêtèrent. Il dit : Jeune homme, je te l’ordonne, réveille-toi !
15 Et le mort s’assit et se mit à parler. Il le rendit à sa mère.
16 Tous furent saisis de crainte ; ils glorifiaient Dieu et disaient : Un grand prophète s’est levé parmi nous, et : Dieu est intervenu en faveur de son peuple.


RP, Poitiers, 05/06/16