dimanche 29 janvier 2017

Les Béatitudes comme porte de la Torah




Sophonie 2.3 & 3.11-13 ; Psaume: 125 ; 1 Corinthiens 1.26-31 ; Matthieu 5.1-12
Esaïe 58.7-10 ; Psaume 112 ; 1 Corinthiens 2.1-5 ; Matthieu 5.13-16

Matthieu 5, 1-15
1 À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Et, prenant la parole, il les enseignait :
3 « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.
4 Heureux les doux : ils auront la terre en partage.
5 Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.
9 Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

13 « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14 « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.
15 Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. »

*

Dans le Sermon sur Montagne — Matthieu 5-7 —, Jésus nous livre sa lecture de la loi donnée au Sinaï, en nous rappelant : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5, 17).

Introduite par les Béatitudes, la Loi se trouve ainsi au cœur du Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile, comme bonne nouvelle de la libération, se trouve aussi dans la Bible hébraïque, Évangile qui est le même que celui du Nouveau Testament. Sous un certain angle il est la Loi elle-même, loi de liberté et de grâce. Jésus annonce le Règne de Dieu, ou « des cieux » — selon le respect de la Torah qui enseigne de ne pas prononcer le Nom en vain.

Des Béatitudes à l'appel à bâtir sur le roc de l'enseignement reçu des Écritures, dont « pas un trait de lettre ne passera » (Mt 5, 18), Jésus nous conduit au cœur du message de libération et de grâce qui retentit comme parole d’Éternité que le temps ne saurait éroder : « le ciel et la terre passeront, la Parole de Dieu subsiste au-delà du temps » (cf. Mt 24, 35 ; Es 40, 8).

« Heureux », le mot des Béatitudes reprend le premier mot des Psaumes, perçus dans le judaïsme comme la relecture priante de la Torah et dont le Notre Père, que l'on trouve au cœur du Sermon sur la montagne, est un résumé, — le premier mot des Psaumes, le premier mot du Psaume 1, « heureux », parle du bonheur de vivre de la Loi, la Torah :

1 Heureux l’homme
qui ne prend pas le parti des méchants,
ne s’arrête pas sur le chemin des pécheurs
et ne s’assied pas au banc des moqueurs,
2 mais qui se plaît à la loi du SEIGNEUR
et récite sa loi jour et nuit !
3 Il est comme un arbre planté près des ruisseaux :
il donne du fruit en sa saison
et son feuillage ne se flétrit pas ;
il réussit tout ce qu’il fait.
4 Tel n’est pas le sort des méchants :
ils sont comme la bale que disperse le vent.
5 Lors du jugement, les méchants ne se relèveront pas,
ni les pécheurs au rassemblement des justes.
6 Car le SEIGNEUR connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perd.

Il s'agit bien là d'observance de la Loi, précisément dans sa racine intérieure, quand plus rien de ce qu'elle promet ne se voit. Ainsi, le bonheur — selon ce sens du mot béatitude — est caché ; il est comme la face cachée de nos échecs, de nos fautes et nos gouffres. Cela est au cœur du message que nous livrent les Béatitudes. Le bonheur est la face cachée de nos défaites lorsqu’elles sont reconnues. Cela à l’encontre de l'apparence… qui fascine.

Alors, selon les quelques versets qui suivent les Béatitudes, nous pouvons devenir sel de la terre, qui lui donne du goût et la préserve de se corrompre ; et lumière du monde, qui rayonne depuis l'être intérieur de qui y scelle l'enseignement de la Parole de vie.

Nous voilà, en d’autres termes, contraints au refus de la superficialité. Refus du creux, copie superficielle de la vie, qui voudrait que le bonheur ne soit nulle part ailleurs que dans l’aisance matérielle, dans le fait d'être rassasié, dans les réjouissances, dans la considération que nous porte autrui. Jésus enseigne que le bonheur est à peu près le contraire. Tout ce qui brille n'est que clinquant et qui s'y fie rate le bonheur. Ce n’est pas qu'il faille souhaiter la pauvreté, la faim, le deuil, et d'être rejeté et haï !… Mais c’est pourtant pas loin de là que demeure, de façon cachée, la source du bonheur (v. 11-12)…

Où la richesse devient signe de malheur, où les fêtes sont une façon d’engloutir dans le bruit le manque et la soif de vérité. Où les réjouissances deviennent comme des cris étouffés de détresse secrète, cris de la faim de lumière, de présence, de justice. Où les rires ne sont plus que signes éclatants de solitude, comme des masques carnavalesques de larmes prêtes à jaillir… Et le désir d'être bien vu une lâcheté paralysant au fond des cœurs les paroles et les gestes de vérité, cette envie qui tenaille d'être enfin vrais ! Ce que Luc, ch. 6, soulignera explicitement. Face à cela est cet étrange bonheur que proclame Jésus ! Un bonheur au-delà des apparences qui est de vivre dans l'intériorité l’enseignement de la Torah.

Ce faisant, en cela aussi on est très proche des Psaumes, comme le Psaume 1 que nous venons de lire. Très proche aussi de l'Ecclésiaste qui conclut son discours par « crains Dieu et observe ses commandements, c'est là tout l'homme » (Ecc 12, 13), l'Ecclésiaste dont on retrouve bien des accents dans le Sermon sur la montagne.

Et cela nous permet de ne pas recevoir le bonheur dont il est question comme un bonheur d'arrière-monde qui serait le lot futur de ceux qui décideraient de ne pas vivre dans le temps !

Ecclésiaste 5, 18-20 :
18 Voici ce que j’ai vu : c’est pour l’homme une chose bonne et belle de manger et de boire, et de jouir du bien-être au milieu de tout le travail qu’il fait sous le soleil, pendant le nombre des jours de vie que Dieu lui a donnés ; car c’est là sa part.
19 Mais, si Dieu a donné à un homme des richesses et des biens, s’il l’a rendu maître d’en manger, d’en prendre sa part, et de se réjouir au milieu de son travail, c’est là un don de Dieu.
20 Car il ne se souviendra pas beaucoup des jours de sa vie, parce que Dieu répand la joie dans son cœur.

Chez l'Ecclésiaste, la conscience permanente de la condition qui permet en tout temps la perception de ce rachat : la conscience du don de Dieu.

Ecclésiaste 6:2 : « Il y a tel homme à qui Dieu a donné des richesses, des biens, et de la gloire, et qui ne manque pour son âme de rien de ce qu’il désire, mais que Dieu ne laisse pas maître d’en jouir, car c’est un étranger qui en jouira. C’est là une vanité et un mal grave. »

« Correctif » de cette vanité, qui reste vanité quoiqu'il en soit : la conscience du don de Dieu. Là est la racine du bonheur, bref, les Béatitudes…

*

Mais cependant, on ne sache pas que les chrétiens observent les 613 mitsvoth — les 613 commandements de la Loi biblique ? me direz-vous ! Où il faut parler de ces trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect cérémoniel (les cérémonies religieuses de la Loi) et l’aspect judiciaire (dans la gestion de la vie le la Cité), sont perçus, quant à leur lettre, comme correspondant à un temps et à une culture donnée. Mais ils peuvent varier dans leur pratique selon les circonstances. Pour l’aspect judiciaire : par exemple les formes de gouvernements, qui sont variables selon les lieux. Quant à l’aspect cérémoniel, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit (sacrifices correspondant pourtant à des préceptes cérémoniels). Cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des traditions culturelles.

*

Cela dit, l’aspect cérémoniel de la Loi est essentiel, comme fondement céleste. C’est le sens du culte : dessiner la dimension verticale de nos vies, la dimension de la relation avec Dieu, qui occupe fortement les quatre premières paroles du Décalogue. Car la dimension verticale de nos vies se dessine pour nous via des rites et des cérémonies, que ces rites soient chrétiens, juifs, ou autres. Il se trouve que pour Jésus, ce sont des rites juifs, ceux de la Torah. C’est aussi le cas pour le Nouveau Testament et le rituel chrétien qui en est issu.

Sous cet angle, l’observance de la Loi de Moïse pour les chrétiens est le fait d’Israël ! Quelle observance chrétienne de la Loi de Moïse ? L’observance juive vivante. Le christianisme des nations sans Israël est tout simplement bancal. Cela nous conduit à réaliser la nature relationnelle du christianisme : sa nature est d’être en relation, en vis-à-vis d’Israël.

*

Quant à l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection — qui au-delà du Décalogue, se résume au « double commandement » : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton être et ton prochain comme toi-même » ; et « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse / fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse » — ; cet aspect de la Loi n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances. Il concerne donc tous, au-delà du seul Israël.

En son cœur on retrouve le « tu choisiras la vie » du Deutéronome, se déployant en injonctions comme « lève-toi et marche », commandement adressé par Pierre au paralytique dans les Actes de Apôtres ; ou, en Jean 11 : « sors de ta tombe », commandement adressé par Jésus à Lazare, autant d’applications du fameux « va pour toi » (lekh lekha) commandement adressé dans la Genèse à Abraham — et donc « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que donne le Deutéronome.

Heureux celui, celle, qui entre ainsi dans la vie du Royaume des cieux, ancré au plus intime de l'être intérieur.

« Ceux qui se confient en l’Éternel
Sont comme la montagne de Sion : elle ne chancelle point,
Elle est affermie pour toujours. »
(Psaume 125, 1)


RP, Exoudun, 29/01/17 / Poitiers 05/02/17


dimanche 15 janvier 2017

"L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde"




Ésaïe 49, 3-6 ; Psaume 40 ; 1 Co 1, 1-3 ; Jean 1, 29-34

Ésaïe 49, 3-6
3 Et il m'a dit : Tu es mon serviteur, Israël, c'est en toi que je montre ma splendeur.
4 Mais moi, j'ai dit : C'est pour rien que je me suis fatigué, c'est pour le chaos, la futilité, que j'ai épuisé ma force ; assurément, mon droit est auprès du Seigneur et ma récompense auprès de mon Dieu.
5 Maintenant le Seigneur parle, lui qui me façonne depuis le ventre de ma mère pour que je sois son serviteur, pour ramener à lui Jacob, pour qu'Israël soit rassemblé auprès de lui ; je suis glorifié aux yeux du Seigneur, car mon Dieu a été ma force.
6 Il a dit : C'est peu de chose que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et pour ramener les restes d'Israël : j'ai fait de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre.

Jean 1, 29-34
29 Le lendemain, il voit Jésus qui vient vers lui et il dit: "Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
30 C’est de lui que j’ai dit: Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était.
31 Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c’est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau."
32 Et Jean porta son témoignage en disant: "J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui.
33 Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit: Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint.
34 Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu."

*

« C’est de lui que j’ai dit: Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. » (v. 30). Tel est le rôle de Jean : témoigner d’un plus grand que lui. Un témoin.

Comme un témoin planté dans le sable du désert apparaît avant la lumière, avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît d’abord, que parce que la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. Invisible dans les ténèbres. « Il vient après moi, mais il était avant moi », dit Jean de Jésus.

Être l’ombre qui fait paraître la lumière, tel est le rôle de Jean. N’être visible que comme ombre de la lumière. Là est toute la mission et la prédication du prophète : s’abaisser, être simple ombre, pour faire apparaître la lumière.

Qui s’abaisse jusqu’à jouer son vrai rôle d’ombre-témoin est signe du Christ ; mais qui s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, brillant, exalte sa piété, son savoir, sa beauté, sa richesse, ses titres — autant de pâles loupiotes en regard de la lumière de celui qui est lumière — cherche donc nécessairement à vivre dans les ténèbres pour mettre en relief cela, qui ne se voit pas dans la lumière : si une faible loupiote doit briller, il lui faut du sombre, il ne faut pas qu’elle soit allumée en plein jour...

Jean a choisi : s’effacer ; plus que briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière : c’est de cette façon qu’il peut aplanir le chemin du Seigneur : en se sachant indigne d’en dénouer les sandales.

Si sa prédication et son geste si chargé de sens, son baptême, sont l’ombre de la lumière ; à combien plus forte raison les nôtres, nos gestes. C’est le baptême spirituel, administré de façon invisible, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve — et point les bains et autres ablutions que seules peuvent administrer les hommes. Comme le dit Jean de lui-même, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, pas de communiquer l’Esprit. Ainsi, ce ne sont point nos paroles, aussi pertinentes seraient-elles, qui sont vérité — mais c’est la Parole éternelle seule, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver.

Jean est un simple témoin, comme un bâton, planté là. Il sait ne produire que de l’ombre… mais qui montre par là la source de la lumière. La lumière vient du point exactement inverse à l’ombre que ce point produit. C’est cela Jean : le témoin de la terre, indiquant a contrario la lumière du ciel, depuis l’ombre qu’elle projette par lui. L’homme de l’humilité qui annonce la gloire de l’humilité quand elle est à son comble… car celui qu’il annonce comme la lumière scelle la vérité de l’humilité comme élévation dans la lumière…

*

C’est ainsi qu’à présent le témoin Jean, le Baptiste, nous présente Jésus comme l’homme de l’humilité, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », réminiscence de l’humilité du serviteur d'Ésaïe 53 et de tout le contenu de cette section du Livre d’Ésaïe que nous appelons « Chants du Serviteur ». Un Serviteur que le Baptiste et les témoins du Nouveau Testament reconnaissent en Jésus, désigné à présent comme l'Agneau de Dieu.

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« Agneau de Dieu ». À cette formule, à l’époque, se superposent des correspondances, essentiellement liées à la Pâque. Cette simple formule de Jean, « l'Agneau de Dieu » signifie alors beaucoup de choses. La signification première étant l’agneau de la fête de la Pâque.

Mais alors la parole de Jean pourrait sembler bien obscure. Ce n’est pas un agneau, qui apparaît, mais un homme, Jésus. Désignant un agneau que l’on mange en famille en se souvenant que sa mort a évité au peuple la mort que subissaient les Égyptiens.

Voilà qui donne toute une série de sens à la vie de cet homme, Jésus, qui à son tour rappellera l’utilisation de cette parole lors de la commémoration de son dernier repas. À l’instar de l’agneau, cet homme fait don de soi, cet homme est solidaire de tous les autres.

*

Où l’on retrouve Ésaïe. C'est en s'identifiant au peuple pécheur, que Jésus apparaît comme agneau de Dieu qui enlève le péché du monde — qui donc délivre de la mort, et d’une autre mort que celle de l’exil en Égypte.

C'est comme un être faible (Es 49, 4) au sein d'un peuple opprimé, affaibli, sans force, que le Serviteur du livre d'Ésaïe reçoit de la faveur de Dieu, qui est sa force (v.5), l'investiture qui en fait son porte-parole jusqu'aux extrémités de la Terre (Es 49, 5-6). Un agneau… C'est ce Serviteur-là dont Ésaïe 42 nous disait qu'il n'élève pas la voix, qu'il ne brise pas le roseau blessé, figure qui annonce le ministère de Jésus.

Au-delà d’Ésaïe se dessine donc bien l’Agneau de l’Exode auquel Ésaïe renvoie ; ainsi, par-delà l’Exode, qu’à Isaac, le fils d’Abraham au moment de sa ligature. Autant de figures de faiblesse, d’humilité, quoiqu’il en soit.

*

Figure étonnante que ce Messie faible et humble. Et on voit là se dessiner le visage du Christ, qui adressera ses paroles apaisantes, qui n'écrasent pas l'être blessé, le peuple exilé dans sa faiblesse, sa fatigue, son désespoir, mais qui fustige violemment quiconque, sûr de soi, voudrait l’écraser sous des jugements.

*

Le Serviteur, lui, n'écrase pas le lumignon qui chancelle, ne brise pas le roseau froissé ; il en partage la faiblesse. Il fait sienne la fatigue du peuple. C'est pourquoi Dieu l'élève en cette croix où il va jusqu'au bout, à la gloire qui est la sienne.

C'est pour les malades qu'il vient, non pour les bien-portants ; pour les pécheurs, non pour les justes. Dans ce geste, venir au Baptiste, qui le solidarise avec le peuple captif du péché et du poids de sa culpabilité, Jésus reçoit de l'Esprit, publiquement, sa consécration pour entrer dans son ministère messianique, qui marque le temps de la fin de l'exil du peuple dans le péché et la culpabilité : il enlève le péché du monde. Par ce geste, il exprime sa prise en charge, en obéissance au Père, de son rôle de serviteur, celui qui se solidarise avec le peuple exilé, selon Ésaïe.

C'est l’œuvre de la seule grâce de Dieu, qui vient nous rejoindre dans les lieux de nos égarements pour nous placer devant lui, dans la liberté de l'Esprit, fin de tous les exils, liberté fondée sur la confiance en sa faveur.

*

Il est un baptême dont Jésus doit être baptisé (Luc 12, 50), qui s'annonce en ce jour : son engloutissement dans les eaux sombres de la mort où il rejoindra — on ne peut plus totalement — le peuple qu'il rachète.

Il nous rejoindra jusqu'à la douleur de sa mort, il nous rejoint jusqu'aux sinuosités de nos égarements, par quoi il nous garantit que rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu (Romains 8, 38-39), pas même nos propres tortuosités. Il enlève le péché du monde.

Car il nous a rejoints, devant Jean, « baptisant en vue de la repentance », jusqu'à nos repentirs et jusqu'à nos prières.

Il nous rejoint jusqu'à nos prières avec tout ce qu'elles peuvent avoir de tortueux, mesquin ou commerçant ; ou au mieux ce qu'elles peuvent avoir de marqué par ce que nous sommes. Le Christ n'a-t-il pas fait siens les Psaumes d'hommes chargés de faiblesses, de désirs de vengeance et d'auto-justifications ? Et c'est pour cela que nous louons Dieu avec les Psaumes, ces Psaumes qui nous ressemblent ; ce n'est pas parce qu'ils seraient autant de « Notre Père », de prières modèles du Seigneur.

Or voilà que Jésus nous rejoint dans les faiblesses qui sont les nôtres, et élève par sa mort, dans les eaux de cet autre baptême, qui « lui viennent jusqu'à la gorge », ces prières de nos faiblesses jusqu'à la gloire de la filiation éternelle.

Et c'est de la sorte qu'il nous rejoint, aux pieds du Baptiste, jusque dans nos repentirs. C'est alors, nous ayant rejoint dans les lieux les plus sombres de nos obscurités, qu'il accomplit toute justice. Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu, peut dire le Baptiste.

*

Jean, le plus grand des prophètes, dira Jésus, a su la grandeur du Royaume de Dieu qui se manifeste devant lui en Jésus. Le Royaume des souffrants est plus grand que lui, grand prophète.

Il a vu en cet homme, porteur de l'Esprit de grâce, celui qui est avant lui, avant tous, avant que le monde fût.

La grâce précédant l'univers, devançant les prophètes, qui se présente aujourd'hui, en Jésus Christ, est plus grande que nos désespoirs, plus légère que les plus lourds de nos fardeaux.

C'est là ce que voient ces premiers disciples que nous présente l'Évangile de Jean : ils voient où Jésus demeure (Jean 1, 39). Dès avant que le monde fût, il demeure dans le sein du Père, d'où il répand la grâce et la vérité.

C’est tout le sens de ce propos étrange : « Un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. Moi-même, je ne le connaissais pas ». Voilà un homme qui vient d’auprès de Dieu en qui demeure dans toute l’éternité, et qui de la gloire éternelle vient nous rejoindre au cœur de nos réalités, même les plus désespérantes.

C'est là l'Agneau de Dieu, le Serviteur humilié, qui ainsi, enlève le péché du monde.


R.P., Poitiers, 15.01.17.


dimanche 8 janvier 2017

“L’astre vint s’arrêter…”




Ésaïe 60, 1-6 ; Psaume 72 ; Éphésiens 3, 2-6 ; Matthieu 2, 1-12

Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: “Où est le roi des Judéens qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage.”
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 “A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.”
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: “Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage.”
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.
10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

*

« Voici que l’astre, que les Mages avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. » (v. 9)

Voilà un verset dont on s’arrête assez peu sur son étrangeté astronomique : « l’astre s’arrêta » dit le texte.

C’est la troisième de ces étrangetés dans la Bible. On note en général les deux autres du même genre, on oublie celle-là, pourtant donnée dans un des textes bibliques les plus lus.

La première est la plus connue : l’arrêt du soleil et de la lune au livre de Josué — ch.10, v.12-13 :
12 Josué parla à l’Eternel, le jour où l’Eternel livra les Amoréens aux enfants d’Israël, et il dit en présence d’Israël : Soleil, arrête-toi sur Gabaon, Et toi, lune, sur la vallée d’Ajalon!
13 Et le soleil s’arrêta, et la lune suspendit sa course, Jusqu’à ce que la nation eût tiré vengeance de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le soleil s’arrêta au milieu du ciel, Et ne se hâta point de se coucher, presque tout un jour.
La seconde est un peu moins connue. On la trouve au livre d’Ésaïe, ch. 38, v. 7-8, où l’on lit que le soleil a reculé :
7 Voici, de la part de l’Éternel, le signe auquel tu connaîtras que l’Éternel accomplira la parole qu’il a prononcée.
8 Je ferai reculer de dix degrés en arrière avec le soleil l’ombre des degrés qui est descendue sur les degrés d’Achaz. Et le soleil recula de dix degrés sur les degrés où il était descendu.

On a donc une troisième étrangeté de ce type dans ce texte très connu de la visite des Mages, et on ne la remarque en général pas.

Elle pourrait pourtant peut-être expliquer les deux autres !

Contrairement à ce qui fait regarder de haut les gens d’une époque dont on condamne ipso facto une supposée incompétence astronomique, ces récits nous parlent peut-être d’un au-delà de l’astronomie !

Chose ignorée, accompagnée de remarques fort proches de celle que porte Tintin et le temple du soleil sur les connaissances incas*. On y voit Tintin prédisant une éclipse solaire à partir d’une coupure de journal qui l’annonce. Ce qui provoque un profond désarroi des Incas* dont la bande dessinée ignore sans doute à dessein que leurs observations des astres leur permettait depuis très longtemps de prédire les éclipses.

Tintin témoigne en fait d’une époque où le grand public, ébloui par les incontestables progrès de la science moderne, regardait de haut celle de l’Antiquité… Tels ceux qui ironisent sur ces histoires de soleil, lune et autres astres qui s’arrêtent…

Et voilà que Matthieu nous parle clairement d’une sortie des déterminismes astraux, et donc d’un au-delà de l’observation des astres, laquelle était néanmoins surprenante.

*

Selon notre texte les Mages pour leur part cherchent un roi des Judéens. Hérode règne sur la Judée. Ils viennent bien sûr au palais royal, celui d’Hérode,… qui règne certes sur la Judée, mais qui est loin de régner sur les juifs ! Il est reconnu, bien sûr, mais du bout des lèvres. Placé là par les Romains, fustigé par la plupart des mouvements, lui et toute sa dynastie, fustigée par Jean le Baptiste et les disciples de Jésus comme par les pharisiens, Hérode se sait impopulaire, et comme tel, est tyrannique.

Il a beau avoir embelli le Temple, joué les grands monarques, il n’en est pas aimé pour autant, et il le sait.

On a beau aimer le magnifique palais de Versailles, cela n’a jamais fait de Louis XIV autre chose que ce qu’il a été, signataire de la révocation de l’Édit de Nantes et du Code noir.

Hérode ressemble un peu à cela. C’est ainsi que le massacre des Innocents qui, comme on le sait, suit notre épisode des Mages, relève largement des possibilités historiques. Hérode a perpétré plusieurs massacres des Innocents.

Bref, Hérode, roi des Judéens, n’est pas aimé des juifs, et il le sait. Et sa mauvaise réputation vaut pour la plupart des juifs du monde entier. Car le judaïsme est déjà une réalité internationale, depuis l’exil à Babylone.

Le judaïsme connaît un rayonnement qui influence les autres religions du monde antique, dont celle des Mages, prêtres zoroastriens. Et lorsque selon leur croyance aux prophéties de leur livre, l'Avesta, et leurs observations des astres, ils ont pressenti la naissance d’un roi des Judéens, ils se sont mis en route, non pas comme rois, mais comme prêtres, annonçant cependant l’hommage de rois futurs, selon le Psaume 72, selon le prophète Ésaïe aussi.

L’épisode a beau sembler étrange, il n’a rien d’invraisemblable : oui le rayonnement du judaïsme s’étend alors jusqu’en Perse. Oui l’espérance de délivrance que portent les prophètes d’Israël habite d’autres peuples.

*

Et Hérode sait bien que ce n’est pas lui qui est porteur de cette espérance. Il sait en tout cas qu’il n’en est pas porteur auprès de son peuple.

Alors la venue d’une délégation de prêtres étrangers cherchant un roi des Judéens est pour lui mauvais signe. Alors déjà le massacre des Innocents est en marche. Surtout quand les théologiens juifs de sa cour lui confirment la vocation de Bethléem, ville de David, comme ville messianique qui soulève l’espoir jusqu’en ce lointain Orient. Non, ce n’est pas chez lui qu’est né ce futur libérateur !

Ce que vont découvrir les Mages, c’est un enfant humble. Rien à voir avec le puissant Hérode au service de l’ordre romain.

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Les Mages sont alors comme une avant-garde de ce qui est avéré depuis : c’est dans l’humilité de l’enfant de Bethléem qu’est la promesse de la délivrance que les rois reconnaîtront bien un jour. Le texte de Matthieu est lourd d’une puissance prophétique… trop bouleversante sans doute pour qu’on sache en voir toute la portée !

Qu’est ce qui marque ce passage ? Une date symbolique (au solstice d'hiver), qui viendra coïncider ensuite à la date de la naissance de l’enfant qu’ont reconnu les Mages. Ou, pour être précis, la date symbolique de sa circoncision. Et c’est même l’Empire romain, dont Hérode est garant de son ordre, qui le premier verra cette date marquer son temps, avant de devenir repère de datation universelle : la circoncision de cet enfant. Les voies du Seigneur sont impénétrables, comme le dit la Bible. Et ce texte relatant la venue de Mages auprès de l’enfant est d’une portée prophétique troublante pour quiconque a des yeux pour voir.

Toutes les nations sont vouées au culte des astres selon la Torah, et comme chaque année, ça ne rate pas, nos journaux quotidiens rivalisent en prévisions astrologiques.

Deutéronome 4, 19-20 :
19 Veille sur ton âme, de peur que, levant tes yeux vers le ciel, et voyant le soleil, la lune et les étoiles, toute l’armée des cieux, tu ne sois entraîné à te prosterner en leur présence et à leur rendre un culte : ce sont des choses que l’Éternel, ton Dieu, a données en partage à tous les peuples, sous le ciel tout entier.
20 Mais vous, l’Éternel vous a pris, et vous a fait sortir de la fournaise de fer de l’Egypte, afin que vous fussiez un peuple qui lui appartînt en propre, comme vous l’êtes aujourd’hui.

Toutes les nations ? demande César dans Astérix… Toutes ? Toutes, sauf en principe, une, selon la Torah, Israël. Toutes sauf une, à moins qu’elle ne soit dirigée par un Hérode, qui ne manque pas de sacrifier à la tradition commune et mondiale…

Et ça ne rate pas non plus, l’astre des Mages les conduit… à Hérode ! Le roi des Judéens.

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Mais le voyage des Mages n’est pas encore à son terme. La prophétie biblique les conduira, on le sait, à Bethléem… Où leur astre va… s’arrêter ! Aberration astronomique ! Vérité prophétique. Basculement au-delà des astres auxquels rendent hommage les nations…

Les Mages, eux, ont été conduits jusqu’où ils ne voulaient pas aller au départ, ils ont été conduits des ors du palais d’Hérode à l’humilité de l’enfant de Bethléem, et, chose inouïe, ce n’est pas à l’astre qui s’est arrêté qu’ils rendent hommage, mais à l’enfant.

*

La vraie lumière a lui ici. Les Mages l’ont reconnue. La vraie lumière devant laquelle s’arrêtent les astres. La lumière qui précède les astres, qui est à la source de leur création, comme de toute création, et dont la lumière des astres n’est que le reflet. C’est pourquoi dans la Bible les astres s’arrêtent devant la parole créatrice, venue à présent en l’enfant de Bethléem. Ce n’est pas un phénomène astronomique, c’est le signe de la place seconde de l’astronomie !

Souvenez-vous au commencement, « Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. » (Genèse 1, 3). Ce fut le jour un. Puis plus loin, au quatrième jour (v. 14-18) :
14 Dieu dit : Qu’il y ait des luminaires dans l’étendue du ciel, pour séparer le jour d’avec la nuit ; que ce soient des signes pour marquer les époques, les jours et les années ;
15 et qu’ils servent de luminaires dans l’étendue du ciel, pour éclairer la terre. Et cela fut ainsi.
16 Dieu fit les deux grands luminaires, le plus grand luminaire pour présider au jour, et le plus petit luminaire pour présider à la nuit ; il fit aussi les étoiles.
17 Dieu les plaça dans l’étendue du ciel, pour éclairer la terre,
18 pour présider au jour et à la nuit, et pour séparer la lumière d’avec les ténèbres.

Les astres ne précèdent pas la lumière !

La lumière créatrice, qui précède les astres, dévoilée dans l’enfant de Bethléem est « la véritable lumière », dit l’Évangile de Jean (ch. 1, v. 9-12),
9 lumière véritable qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
10 Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue.
12 Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

C’est là que les astres, et l’astre des Mages, s’arrêtent… C’est là ce qui est dévoilé dans cet enfant inconnu qu’ont, parmi les premiers, reconnu ces prêtres mazdéens qui lui rendent hommage. Enfant dans l’humilité dont la lumière précède celle des astres, et des puissants et des nations qui les célèbrent.

Et pourtant aujourd’hui encore, on n’a pas compris ! Aujourd’hui encore, on adore les puissants et les symboles de la puissance, éblouis par les lumières artificielles — même pas des astres ! Les Mages, par leurs cadeaux d’hommage, ont reconnu la royauté de l’enfant : l’hommage de l’or. Ils lui ont fait aussi l’hommage de leur propre dignité sacerdotale : le symbole de l’encens.

Et ils nous ont dit que la reconnaissance de sa dignité éternelle ne serait ni aisée, ni sans que l’histoire future, à commencer par la sienne, ne soit chargée de douleurs : la myrrhe, produit d’embaumement des princes royaux pour les sarcophages.

Aujourd’hui, nous marquons nos années à la venue de ce prince royal. Aujourd’hui des temples, nos églises, lui sont dédiés sur toute la face de la terre, hommage à sa dignité sacerdotale. Et aujourd’hui encore, le royaume de paix et de bonheur dont il est porteur est embaumé comme en un sarcophage. Cela aussi les Mages nous l’avaient dit, avec leur troisième cadeau, la myrrhe…

Et cette année encore, ils nous invitent à repartir avec eux par un autre chemin, celui de l’humilité du prince de la paix, cette paix qui naît d’une lumière imperceptible qui précède toute lumière, devant laquelle toute lumière vient s’arrêter et que nous sommes appelés tout à nouveau à recevoir.


RP, Poitiers, 08.01.17

(* Merci Philippe)

dimanche 1 janvier 2017

"Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et paix sur la terre"




Nombres 6, 22-27 ; Psaume 67 ; Galates 4, 4-7 ; Luc 2, 16-21

Que le Seigneur te bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son regard et t’accorde sa grâce !
Que le Seigneur porte sur toi son regard et te donne la paix !

(Nombres 6, 24-26)

Luc 2, 13-21
13 Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :
14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés."
15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres: Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche.
17 Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.
18 Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers.
19 Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur.
20 Et les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.
21 Quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception.

*

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ont chanté les anges — « multitude de l’armée céleste ». Il s’est passé là quelque chose d’extraordinaire, qui fait chanter toute la Création visible et invisible.

D’un côté toute la puissance — la Création et ses fondements célestes, les armées célestes ; de l’autre l’humilité de la crèche où naît le souverain de toutes ces armées célestes.

Les armées célestes viennent de se joindre à l’ange annonciateur, bouleversant mystère propre à terroriser les bergers. Un ange, même annonciateur d’une bonne nouvelle, est sans doute impressionnant. Et alors, quand s’y joint toute la « multitude de l’armée céleste »…

Mais voilà donc que la chose essentielle, celle qu’ils chantent là, s’est passée à Bethléem, s’est passée dans l’humilité, et concerne celui qui vaut que toutes les puissances de la Création y joignent leur louange.

Cela concerne les bergers, et nous concerne avec eux. Cela aussi les anges le clament ! C’est le deuxième aspect de leur chant de louange : « paix sur la terre parmi les hommes de la bienveillance ».

La paix de Dieu, sa bienveillance accordée en plénitude, et signifiée ici dans la banalité que porte l’apparence de l’enfant pour qui s’élève la louange de toute la Création, cette paix se donne à expérimenter dans la bienveillance qui en découle parmi les hommes, puis depuis les hommes qui deviennent par leur bienveillance autant de signes de ce que la bienveillance divine est effectivement octroyée — et qu’elle se répand.

Là est tout le contraste que nous donne ce chant de louange angélique entre la puissance divine dans la Création, la magnificence du Créateur, et son effacement dans l’enfant en lequel il vient à nous.

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À ce moment le récit entre dans toute son humilité, sa simplicité, ce que nous savons communément nous figurer : « Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche ». Mais là est tout le salut. « Après l’avoir vu, les bergers racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. » Rien de plus à dire !

Qu’à s’étonner, comme l’ont fait les auditeurs des bergers, et à méditer, comme la mère de l’enfant : « Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur. » Et reprendre nos chemins avec les bergers qui « s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit ».

L’enfant, lui aussi, poursuit sa route d’humilité, chemin de tous les humains, chemin de ceux de son peuple. Déjà ses parents le mènent sur ce chemin et le présentent à sa circoncision : « quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception ».

Signe extraordinaire à nouveau de ce qu’en lui est le salut des nations, — salut qui selon les promesses des prophètes, découle de Jérusalem, ville, en cet espace romain des nations, du peuple de la circoncision, Cité des origines et demain Cité céleste. Ce signe est en ce que l’Église, qui rassemble les nations autour de cet enfant, datera ses années, non pas du jour de sa naissance, mais du jour de sa circoncision : nous avons fêté sa naissance il y a huit jours. Aujourd’hui, 1er jour de l’année nouvelle, est commémoration de sa circoncision.

Le Créateur tout-puissant célébré par les armées célestes a bien répandu sa bienveillance, depuis le cœur de Jérusalem, envers toutes les nations, pour que comme en cascades cette bienveillance qui jaillit de la crèche de l’enfant jusqu’en sa résurrection, se répande désormais parmi les hommes et les femmes ce monde et par les hommes et les femmes de ce monde.

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Et cela se donne dans ce simple dévoilement : « Christ, Dieu et homme, ne fait qu’une seule personne. Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ. Aussi, quand nous réfléchissons à Dieu, nous faut-il perdre de vue l’espace et le temps, car Notre-Seigneur Dieu, notre créateur est infiniment plus haut que l’espace, le temps et la création. » J’ai cité Martin Luther (Propos de Table, Aubier 1992, p. 204).

Dans et l’espace et le temps, il a donné ce signe de sa présence aux bergers, puis par eux à tous : l’humanité du Christ.

« Les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu » (Luc 2, 20)… Que ce chemin des bergers soit celui qui s’ouvre dès à présent pour chacun de vous et de ceux qui vous sont chers… Ce sont les vœux que je formule pour chacune et chacun de vous pour 2017…

R.P. Poitiers, 01.01.17