dimanche 15 janvier 2017

"L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde"




Ésaïe 49, 3-6 ; Psaume 40 ; 1 Co 1, 1-3 ; Jean 1, 29-34

Ésaïe 49, 3-6
3 Et il m'a dit : Tu es mon serviteur, Israël, c'est en toi que je montre ma splendeur.
4 Mais moi, j'ai dit : C'est pour rien que je me suis fatigué, c'est pour le chaos, la futilité, que j'ai épuisé ma force ; assurément, mon droit est auprès du Seigneur et ma récompense auprès de mon Dieu.
5 Maintenant le Seigneur parle, lui qui me façonne depuis le ventre de ma mère pour que je sois son serviteur, pour ramener à lui Jacob, pour qu'Israël soit rassemblé auprès de lui ; je suis glorifié aux yeux du Seigneur, car mon Dieu a été ma force.
6 Il a dit : C'est peu de chose que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et pour ramener les restes d'Israël : j'ai fait de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu'aux extrémités de la terre.

Jean 1, 29-34
29 Le lendemain, il voit Jésus qui vient vers lui et il dit: "Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
30 C’est de lui que j’ai dit: Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était.
31 Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c’est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau."
32 Et Jean porta son témoignage en disant: "J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui.
33 Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit: Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint.
34 Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu."

*

« C’est de lui que j’ai dit: Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. » (v. 30). Tel est le rôle de Jean : témoigner d’un plus grand que lui. Un témoin.

Comme un témoin planté dans le sable du désert apparaît avant la lumière, avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît d’abord, que parce que la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. Invisible dans les ténèbres. « Il vient après moi, mais il était avant moi », dit Jean de Jésus.

Être l’ombre qui fait paraître la lumière, tel est le rôle de Jean. N’être visible que comme ombre de la lumière. Là est toute la mission et la prédication du prophète : s’abaisser, être simple ombre, pour faire apparaître la lumière.

Qui s’abaisse jusqu’à jouer son vrai rôle d’ombre-témoin est signe du Christ ; mais qui s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, brillant, exalte sa piété, son savoir, sa beauté, sa richesse, ses titres — autant de pâles loupiotes en regard de la lumière de celui qui est lumière — cherche donc nécessairement à vivre dans les ténèbres pour mettre en relief cela, qui ne se voit pas dans la lumière : si une faible loupiote doit briller, il lui faut du sombre, il ne faut pas qu’elle soit allumée en plein jour...

Jean a choisi : s’effacer ; plus que briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière : c’est de cette façon qu’il peut aplanir le chemin du Seigneur : en se sachant indigne d’en dénouer les sandales.

Si sa prédication et son geste si chargé de sens, son baptême, sont l’ombre de la lumière ; à combien plus forte raison les nôtres, nos gestes. C’est le baptême spirituel, administré de façon invisible, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve — et point les bains et autres ablutions que seules peuvent administrer les hommes. Comme le dit Jean de lui-même, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, pas de communiquer l’Esprit. Ainsi, ce ne sont point nos paroles, aussi pertinentes seraient-elles, qui sont vérité — mais c’est la Parole éternelle seule, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver.

Jean est un simple témoin, comme un bâton, planté là. Il sait ne produire que de l’ombre… mais qui montre par là la source de la lumière. La lumière vient du point exactement inverse à l’ombre que ce point produit. C’est cela Jean : le témoin de la terre, indiquant a contrario la lumière du ciel, depuis l’ombre qu’elle projette par lui. L’homme de l’humilité qui annonce la gloire de l’humilité quand elle est à son comble… car celui qu’il annonce comme la lumière scelle la vérité de l’humilité comme élévation dans la lumière…

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C’est ainsi qu’à présent le témoin Jean, le Baptiste, nous présente Jésus comme l’homme de l’humilité, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », réminiscence de l’humilité du serviteur d'Ésaïe 53 et de tout le contenu de cette section du Livre d’Ésaïe que nous appelons « Chants du Serviteur ». Un Serviteur que le Baptiste et les témoins du Nouveau Testament reconnaissent en Jésus, désigné à présent comme l'Agneau de Dieu.

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« Agneau de Dieu ». À cette formule, à l’époque, se superposent des correspondances, essentiellement liées à la Pâque. Cette simple formule de Jean, « l'Agneau de Dieu » signifie alors beaucoup de choses. La signification première étant l’agneau de la fête de la Pâque.

Mais alors la parole de Jean pourrait sembler bien obscure. Ce n’est pas un agneau, qui apparaît, mais un homme, Jésus. Désignant un agneau que l’on mange en famille en se souvenant que sa mort a évité au peuple la mort que subissaient les Égyptiens.

Voilà qui donne toute une série de sens à la vie de cet homme, Jésus, qui à son tour rappellera l’utilisation de cette parole lors de la commémoration de son dernier repas. À l’instar de l’agneau, cet homme fait don de soi, cet homme est solidaire de tous les autres.

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Où l’on retrouve Ésaïe. C'est en s'identifiant au peuple pécheur, que Jésus apparaît comme agneau de Dieu qui enlève le péché du monde — qui donc délivre de la mort, et d’une autre mort que celle de l’exil en Égypte.

C'est comme un être faible (Es 49, 4) au sein d'un peuple opprimé, affaibli, sans force, que le Serviteur du livre d'Ésaïe reçoit de la faveur de Dieu, qui est sa force (v.5), l'investiture qui en fait son porte-parole jusqu'aux extrémités de la Terre (Es 49, 5-6). Un agneau… C'est ce Serviteur-là dont Ésaïe 42 nous disait qu'il n'élève pas la voix, qu'il ne brise pas le roseau blessé, figure qui annonce le ministère de Jésus.

Au-delà d’Ésaïe se dessine donc bien l’Agneau de l’Exode auquel Ésaïe renvoie ; ainsi, par-delà l’Exode, qu’à Isaac, le fils d’Abraham au moment de sa ligature. Autant de figures de faiblesse, d’humilité, quoiqu’il en soit.

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Figure étonnante que ce Messie faible et humble. Et on voit là se dessiner le visage du Christ, qui adressera ses paroles apaisantes, qui n'écrasent pas l'être blessé, le peuple exilé dans sa faiblesse, sa fatigue, son désespoir, mais qui fustige violemment quiconque, sûr de soi, voudrait l’écraser sous des jugements.

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Le Serviteur, lui, n'écrase pas le lumignon qui chancelle, ne brise pas le roseau froissé ; il en partage la faiblesse. Il fait sienne la fatigue du peuple. C'est pourquoi Dieu l'élève en cette croix où il va jusqu'au bout, à la gloire qui est la sienne.

C'est pour les malades qu'il vient, non pour les bien-portants ; pour les pécheurs, non pour les justes. Dans ce geste, venir au Baptiste, qui le solidarise avec le peuple captif du péché et du poids de sa culpabilité, Jésus reçoit de l'Esprit, publiquement, sa consécration pour entrer dans son ministère messianique, qui marque le temps de la fin de l'exil du peuple dans le péché et la culpabilité : il enlève le péché du monde. Par ce geste, il exprime sa prise en charge, en obéissance au Père, de son rôle de serviteur, celui qui se solidarise avec le peuple exilé, selon Ésaïe.

C'est l’œuvre de la seule grâce de Dieu, qui vient nous rejoindre dans les lieux de nos égarements pour nous placer devant lui, dans la liberté de l'Esprit, fin de tous les exils, liberté fondée sur la confiance en sa faveur.

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Il est un baptême dont Jésus doit être baptisé (Luc 12, 50), qui s'annonce en ce jour : son engloutissement dans les eaux sombres de la mort où il rejoindra — on ne peut plus totalement — le peuple qu'il rachète.

Il nous rejoindra jusqu'à la douleur de sa mort, il nous rejoint jusqu'aux sinuosités de nos égarements, par quoi il nous garantit que rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu (Romains 8, 38-39), pas même nos propres tortuosités. Il enlève le péché du monde.

Car il nous a rejoints, devant Jean, « baptisant en vue de la repentance », jusqu'à nos repentirs et jusqu'à nos prières.

Il nous rejoint jusqu'à nos prières avec tout ce qu'elles peuvent avoir de tortueux, mesquin ou commerçant ; ou au mieux ce qu'elles peuvent avoir de marqué par ce que nous sommes. Le Christ n'a-t-il pas fait siens les Psaumes d'hommes chargés de faiblesses, de désirs de vengeance et d'auto-justifications ? Et c'est pour cela que nous louons Dieu avec les Psaumes, ces Psaumes qui nous ressemblent ; ce n'est pas parce qu'ils seraient autant de « Notre Père », de prières modèles du Seigneur.

Or voilà que Jésus nous rejoint dans les faiblesses qui sont les nôtres, et élève par sa mort, dans les eaux de cet autre baptême, qui « lui viennent jusqu'à la gorge », ces prières de nos faiblesses jusqu'à la gloire de la filiation éternelle.

Et c'est de la sorte qu'il nous rejoint, aux pieds du Baptiste, jusque dans nos repentirs. C'est alors, nous ayant rejoint dans les lieux les plus sombres de nos obscurités, qu'il accomplit toute justice. Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu, peut dire le Baptiste.

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Jean, le plus grand des prophètes, dira Jésus, a su la grandeur du Royaume de Dieu qui se manifeste devant lui en Jésus. Le Royaume des souffrants est plus grand que lui, grand prophète.

Il a vu en cet homme, porteur de l'Esprit de grâce, celui qui est avant lui, avant tous, avant que le monde fût.

La grâce précédant l'univers, devançant les prophètes, qui se présente aujourd'hui, en Jésus Christ, est plus grande que nos désespoirs, plus légère que les plus lourds de nos fardeaux.

C'est là ce que voient ces premiers disciples que nous présente l'Évangile de Jean : ils voient où Jésus demeure (Jean 1, 39). Dès avant que le monde fût, il demeure dans le sein du Père, d'où il répand la grâce et la vérité.

C’est tout le sens de ce propos étrange : « Un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. Moi-même, je ne le connaissais pas ». Voilà un homme qui vient d’auprès de Dieu en qui demeure dans toute l’éternité, et qui de la gloire éternelle vient nous rejoindre au cœur de nos réalités, même les plus désespérantes.

C'est là l'Agneau de Dieu, le Serviteur humilié, qui ainsi, enlève le péché du monde.


R.P., Poitiers, 15.01.17.


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