dimanche 26 novembre 2017

Christ caché et tout proche




Ézéchiel 34, 11-17 ; Ps 23 ; 1 Co 15, 20-28 ; Matthieu 25, 31-46

Ézéchiel 34, 11-17
11 Ainsi parle le Seigneur Dieu: Je viens chercher moi-même mon troupeau pour en prendre soin.
12 De même qu’un berger prend soin de ses bêtes le jour où il se trouve au milieu d’un troupeau dispersé, ainsi je prendrai soin de mon troupeau; je l’arracherai de tous les endroits où il a été dispersé un jour de brouillard et d’obscurité.
13 Je le ferai sortir d’entre les peuples, je le rassemblerai des différents pays et je l’amènerai sur sa terre; je le ferai paître sur les montagnes d’Israël, dans le creux des vallées et dans tous les lieux habitables du pays.
14 Je le ferai paître dans un bon pâturage, son herbage sera sur les montagnes du haut pays d’Israël. C’est là qu’il pourra se coucher dans un bon herbage et paître un gras pâturage, sur les montagnes d’Israël.
15 Moi-même je ferai paître mon troupeau, moi-même le ferai coucher — oracle du Seigneur Dieu.
16 La bête perdue, je la chercherai; celle qui se sera écartée, je la ferai revenir; celle qui aura une patte cassée, je lui ferai un bandage; la malade, je la fortifierai. Mais la bête grasse, la bête forte, je veillerai sur elle ; je ferai paître mon troupeau selon le droit.
17 « Quant à vous, mon troupeau, ainsi parle le Seigneur DIEU: Je vais juger entre brebis et brebis, entre les béliers et les boucs.

Matthieu 25, 31-46

31 « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire.
32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres.
33 Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche.
34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde.
35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli;
36 nu, et vous m’avez vêtu; malade, et vous m’avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi.
37 Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire?
38 Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir?
39 Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi?
40 Et le roi leur répondra: En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait!
41 Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche: Allez-vous-en loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.
42 Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire;
43 j’étais un étranger et vous ne m’avez pas recueilli; nu, et vous ne m’avez pas vêtu; malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.
44 Alors eux aussi répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou en prison, sans venir t’assister?
45 Alors il leur répondra: En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.
46 Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle. »

*

Derrière cette parabole fameuse de Matthieu, il y a Ézéchiel (texte de ce jour : ch. 34, 11-17), parlant du retour d’exil et de la façon dont les choses se passent tandis que Dieu ramène à lui ses brebis exilées, humiliées, maltraitées.

Les deux réalités, le départ pour l’exil (exil pour Babylone, mais surtout exil spirituel, loin de Dieu), puis le retour — c’est-à-dire le repentir —, donnent les deux faces d’un jugement, d’une séparation : ce que souligne Matthieu qui retient d’Ézéchiel cette dimension spirituelle : exil loin de Dieu — et qui étend le propos aux nations. L’exil a dévoilé qu’il y a des enfants d’Israël dispersés et cachés dans toutes les nations. Là où Ézéchiel parlait de l’Israël historique, Matthieu parle à présent des nations, pour dire la venue du règne de Dieu sur l’univers, sur toutes les nations.

*

L’appel, concernant toutes les nations, vaut aussi pour tous les temps. Où l’on retrouve le « veillez et priez », concernant alors non seulement le temps (« vous ne savez ni le jour ni l’heure »), mais concernant aussi le « comment ? » : sous quelle forme ? — : sous quelle figure le Fils de l’Homme se présente-t-il avant de se dévoiler ?

Nous ne savions pas que c’était sous cette figure-là, diront les justes ! Et c’est pourtant ainsi… « Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde ». Dans l’immédiat, ce Christ caché, le Fils de l’Homme, peut l’être dans les premiers disciples persécutés, les témoins du Christ, porteurs du Christ dispersés cachés et persécutés parmi les nations. Mais l’ignorance d’avoir accueilli Jésus (qui s’adresse ici à des croyants) nous contraint à entendre cela de façon plus large. Il est vraiment caché. Frappante, cette ignorance !

Dès lors, si le service du Christ caché peut-être rendu par quiconque, comme l’induit le texte, même non-croyant, quelle est alors notre spécificité comme chrétiens me direz-vous ? Eh bien simplement cette spécificité remarquable ! — : nous sommes avertis, nous savons où peut se cacher le Fils de l’Homme. Si ce n’est pas une spécificité et un privilège, qu’est-ce donc ?

Avec cette grâce remarquable : si nous avons raté maintes fois le Christ, à présent nous savons, il est toujours temps d’effacer les ardoises pour l’accueillir tout à nouveau, où qu’il se présente pour nous arracher à ce temps qui se corrompt afin de nous élever dans l’éternité, dès aujourd’hui, prêts à la rencontre définitive de celui qui est venu sauver le monde.

*

Mais allons un peu plus loin. Parce que jusque là, tout cela reste à la fois théorique et au fond culpabilisant. Théorique parce que l’on ne perçoit pas forcément jusqu’où mène cet accueil de quiconque en qui se cache le Christ. Culpabilisant parce qu’on perçoit vite, pour ne pas dire immédiatement, qu’on n’en a évidemment pas fait assez !

On comprend vite que ce n’est pas seulement de quelques euros, ni de nourriture, vêtements, abri, ou visite qu’il est question. Et la progression dans le propos de Jésus le laisse bien apparaître : « j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi. »

On passe d’un besoin élémentaire : un sandwich, à des zones autrement inquiétantes.

À ce point, perce cette réflexion : « même si certes, je dois en prendre ma part, je ne peux toutefois pas porter toute la misère du monde ». Et alors la parole de Jésus semble devenir tout sauf Évangile libérateur.

*

« Misère du monde » ? C’est peut-être bien de cela qu’il s’agit en effet — tout particulièrement à notre époque de communication et de médiatisation mondialisées. Où l’on retrouverait ce qui est annoncé dans le propos de Jésus : le jugement des nations. Où l’on ne peut pas, l’on ne peut plus, ignorer ce que l’on sait concernant le reste du monde.

Posons-nous la question : où se cache le Christ aujourd’hui, aujourd’hui au sens précis de ce mois-ci, cette semaine-ci ? Avec ce que j’ai pu entendre notamment sur Internet, une question ne peut que nous/me tarauder : le Christ ne se cache-t-il pas aujourd’hui sous le visage d’un Africain, une Africaine sud-sahariens en Libye, réduits en esclavage sous nos yeux médiatiques, avec des nations, leurs nations et nos nations qui se taisent ou usent de diplomatie, en total décalage avec les cris de colère impuissante de tant de jeunes africains postant ces cris en vidéo sur les réseaux sociaux ? Quand est bafoué scandaleusement le premier article des Déclarations de Droits de l’Homme : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits », et les suivants bannissant maltraitance et torture.

Et quand on sait que le signe énorme qui est dans le « c’est à moi que vous l’avez fait » est l’établissement en dignité infinie, l’établissement du prochain au statut de fils ou fille de Dieu (la tradition juive a une histoire parallèle concernant les femmes, à accueillir toutes comme la mère possible du Messie)… Quand on sait que c’est de cette dignité-là qu’il est question, s’est creusée une vaste question !… Qui ressemble fort à un jugement des nations !

Où il apparaît que ces paroles, « c’est à moi que vous ne l’avez pas fait », portent aussi (avec ce qu’elles exigent) la marque de l’impossibilité de leur réel accomplissement ; et c’est terrible. C’est ici que doit d’abord nous conduire ce texte, sous peine d’être ou un passage vers une fausse bonne conscience de qui penserait avoir assez fait, celle d’un orgueil inconscient ; ou au contraire un vrai poids : « Malheur à moi car je suis perdu : j’ai vu les exigences de Dieu, et je n’y ai pas satisfait. »

Si on en est là, le texte a déjà accompli un de ses offices. Nous conduire à la grâce : alors l’ange prit une braise sur l’autel, « il m’en toucha la bouche et dit : "dès lors que ceci a touché tes lèvres, ta faute est écartée, ton péché est effacé" » (Es 6) ; une grâce qui n’est pas à bon marché, une grâce qui engage. Quand on en est là, on n’a bien sûr pas résolu la question humaine sur laquelle débouche ce texte.

Pas plus que vous, je n’ai de recette, mais force est de constater que l’heure est proche de la colère, redoutable, l’heure est venue de hurler notre impuissance devant Dieu. Où l’on entend tout à nouveau ces Psaumes chargés d’imprécations qui troublent tant notre paix et que le Christ a pourtant priés — c’était ses prières !

Car avec son exigence de dignité, d’élévation au statut d’enfant de Dieu de quiconque en qui se cache le Christ, notre texte a posé l’espérance urgente d’un autre monde, avec pour fondement l’amour, concret, du prochain, aujourd’hui réduit en esclavage — « j’ai entendu la voix des opprimés » dit Dieu au livre de l’Exode ; où l’exigence d’une Cité nouvelle, déjà, en signe, se dessine pour les disciples : « Si cherchant sa route, / Un peuple t’écoute, / Il vivra heureux ; / Il verra les signes / Qui déjà désignent / La Cité de Dieu. » (Ps 33)

Que nous dit alors l’Évangile aujourd’hui ? Il nous dit que si, certes, « vous aurez toujours les pauvres avec vous », tous les humiliés, et on en voit aujourd’hui tout le tragique, ce dont il s’agit, c’est quand même d’une dignité perdue, perdue déjà, sans doute, aux portes de l’Éden, premier exil, portes fermées par l’Ange à l’épée flamboyante, dignité rétablie pleinement dans le Christ ressuscité (1 Co 15, 20-28)… et caché en chacun des plus petits de ses frères et sœurs, en chacun de nous, de vous, de ceux que nous côtoyons — une présence aimante propre à engloutir nos peurs, en son temps, ce temps tout proche, déjà là : « n’ayez crainte, je suis tout proche ».


RP, Châtellerault, 26/11/17


dimanche 12 novembre 2017

Dix demoiselles




Proverbes 8, 12-20 & 32-36 ; Psaume 63 ; 1 Thessaloniciens, 4, 13-18 ; Matthieu 25, 1-13

Matthieu 25, 1-13
1 Alors il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles qui prirent leurs lampes et sortirent à la rencontre de l’époux.
2 Cinq d’entre elles étaient insensées et cinq étaient avisées.
3 En prenant leurs lampes, les filles insensées n’avaient pas emporté d’huile ;
4 les filles avisées, elles, avaient pris, avec leurs lampes, de l’huile dans des fioles.
5 Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
6 Au milieu de la nuit, un cri retentit : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.”
7 Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes.
8 Les insensées dirent aux avisées : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.”
9 Les avisées répondirent : “Certes pas, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous ! Allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous.”
10 Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et l’on ferma la porte.
11 Finalement, arrivent à leur tour les autres jeunes filles, qui disent : “Seigneur, seigneur, ouvre-nous !”
12 Mais il répondit : “En vérité, je vous le déclare, je ne vous connais pas.”
13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.

*

Voilà un texte disant que nous ne savons ni le jour ni l’heure où le Christ venant en gloire est présenté en futur époux — de sa Dame-Église, Dame-Appelée, future épousée céleste (cf. 2 Jean, v. 1). Et voilà dix jeunes filles, demoiselles d’honneur de la Dame-Église, séduites par cet époux divin, emportées par la séduction de son Esprit, signifié par l'huile des lampes. Séduites, les sages les comme folles. Mais voici le sommeil…

« Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure. » Mais, nous ne savons ni le jour ni l'heure par rapport à quoi concrètement, hormis la délivrance lors de la rencontre de l'époux céleste ? Eh bien le contexte l'indique clairement : ici, la menace de la persécution, et donc la précarité des disciples, et la nôtre. Jésus a parlé aussi des soucis de ce monde, ou des joies illusoires (persécutions, joie, soucis — c'est la parabole du semeur, Mt 13), bref c'est tout ce qui nous fait perdre de vue la nécessité de veiller dans l'attente la délivrance. Ce qui précède immédiatement ce texte n’en laisse aucun doute :

Mt 24, 9-10 : « Alors on vous livrera aux tourments, et l’on vous fera mourir ; et vous serez haïs de toutes les nations, à cause de mon nom. Alors aussi plusieurs succomberont, et ils se trahiront, se haïront les uns les autres. »

Mt 24 : 37-39 : « Ce qui arriva du temps de Noé arrivera de même à l’avènement du Fils de l’homme. Car, dans les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et ils ne se doutèrent de rien, jusqu’à ce que le déluge vînt et les emportât tous »

Mt 24, 45-50 : « Quel est donc le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ? Heureux ce serviteur, que son maître, à son arrivée, trouvera faisant ainsi ! Je vous le dis en vérité, il l’établira sur tous ses biens. Mais, si c’est un méchant serviteur, qui dise en lui-même : Mon maître tarde à venir, s’il se met à battre ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes, le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas »

Persécution, fêtes, soucis. « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges »… Notre texte de ce jour…

*

La menace de la persécution, ce qu’elle a d’inéluctable — « vous serez haïs de toutes les nations, à cause de mon nom » — est on ne peut plus claire. Signe la précarité de la vie de ce temps, avec ses fêtes et ses soucis. Fragilité. Et on ne peut plus clair le fait que cela surprend toujours ses victimes — comme au fond toute menace sur la fragilité de nos vies, persécution, maladie, guerres, etc. Une imminence telle qu’elle déconcerte toujours. « Ayez de l’huile en réserve » — « veillez donc », a dit Jésus à ses disciples. C’est toujours inattendu, d’autant que les victimes savent n’avoir rien fait pour mériter ça ! La menace rappelle à ses victimes ce qui vaut pour nous tous : la figure de ce monde passe. Et on l'oublie. L'huile de la vigilance diminue…

La fermeture de la porte de la salle de noces ressemble alors à celle de la porte de l’arche de Noé… tandis que dehors, ailleurs dans le monde, fait rage aux jours où parle Jésus la violence de la persécution ; ou en d’autres temps, ou en même temps ! la douceur d'un monde tiède ou les soucis du temps… tandis que le niveau d'huile diminue. Non que les demoiselles (car il s’agit bien sûr de demoiselles d’honneur et pas de polygamie : dans la polygamie, on n'a jamais épousé dix femmes en même temps ! Tout au plus successivement, et très rarement avec un tel nombre !) — non que que les demoiselles sages et avisées soient épargnées de la persécution, maladie, guerre, ni de tout ce qui fait perdre de vue que ce monde passe, mais elles savent le secret des fioles d'huile…

*

Persécution, soucis du monde, tiédeur… Ça ne concerne pas que le temps de Jésus !

Persécution, comme signe de ce que « vous n'êtes pas de ce monde ». De nos jours, de l’Afrique à l’Asie et au Proche-Orient, où les chrétiens araméens parlent encore la langue dans laquelle Jésus donnait cette histoire de demoiselles d’honneur. Ils ont subsisté, en Irak et en Syrie, souvent persécutés, depuis les origines chrétiennes, vierge sage veillant dans la nuit…

Les persécutions n’ont jamais cessé, comme n'ont jamais cessé les soucis de ce monde et la tiédeur du temps. C'est le vrai secret, caché derrière tous les motifs que l'on veut… et qui permet aux demoiselles dotées d'huile de persévérer. C'est le secret des fioles d'huile. Jésus est exclu de ce monde parce qu'il dérange les rouages trop bien huilés de ce monde, violent contre les uns, tiède et assoupissant contre les autres…

Au-delà des prétextes idéologiques, religieux ou dogmatiques, de la persécution, allant du motif ancien de la religion illégale, à celui de l’hérésie, au matérialisme dialectique soviétique et à l’interdiction actuelle d’ériger une église dans tel pays de la péninsule arabique — motifs qu’il ne faut pas négliger —, reste que l’instabilité d’un pays a toujours pour conséquence la prise à partie de ses minorités, de celles et ceux qui pensent ou croient différemment (juifs, yézidis aujourd’hui, hérétiques antan, chrétiens…). À l'instar de Jésus, le rejeté innocent, totalement innocent, bouc émissaire et agneau du sacrifice.

Et au-delà du confort douceâtre dans lequel baignent d'autres, dans les pays tranquilles, et dans l'ignorance des soucis de ce monde qui accablent leurs tout proches dans ces mêmes pays… Pour tous, les persécutés, les inquiets, les joyeux, Jésus dit le secret des fioles d'huiles des demoiselles d’honneur qui veillent dans la nuit…

*

Huile symbole de la sagesse qui fait défaut à cinq d’entre elles, huile symbole de l’Esprit prophétique qui semble manquer cruellement au temps où il serait le plus utile. Au temps où pullulent les faux prophètes qui clament « paix, paix, et il n’y a point de paix » (Jérémie 8, 11)… tandis que les prophètes de malheur — Jérémie et les autres, jusqu'à Jésus — se voient montrer du doigt, dans l'ignorance des vierges folles.

Elles nous ressemblent, cherchant à combler ce vide que nous connaissons tous et que « seul Dieu peut combler ». Car la sagesse de Dieu dévoile en nous tous ce vide, ce manque de Dieu : qui la sagesse appelle-t-elle d'autre en effet que ceux qui en manquent ?

Nous en manquons pour ne pas savoir que toutes les séductions passagères (passager que dit cruellement la persécution) ne sont qu'autant de signes de ce manque. Au fond, que trouvons-nous d’autre que cet enseignement dans la Bible ?

En une nuit de veille, nos dix demoiselles s'assoupissent. Un assoupissement qui atteint tous les vivants, désignant notre passage en ce monde. Le sommeil cessera d'un moment à l'autre.

*

L’huile des sages n’est alors rien d’autre que cette sagesse de la foi qui seule rend pleinement disponible à l’époux, qui peut venir d’un moment à l’autre. Les folles simplement, n’ont pas su être disponibles à l’époux. Et nous, savons-nous être disponibles ? Le temps est si bref.

Sommes-nous disponibles à quoi que nous demande l’époux de la Dame céleste que nous sommes de façon cachée, sommes-nous disponibles à quoi qu’il nous demande en attendant, à son service, c’est-à-dire au service de notre prochain pour rendre ce monde qui passe plus beau, moins violent là, moins vain ici ? Il nous faut alors recevoir l’huile de l’Esprit, ou toutes les joies de la vie comme dons de Dieu en un monde qu’il faudra quitter. Et nul ne sait ni le jour ni l’heure.

Mais dans cette certitude d’un manque que rien ne saurait combler, perce alors le regard de Dieu. Avec cette parole : « Voici l’époux, sortez à sa rencontre » (Mt 25, 6).


R.P., Poitiers, 12.11.17


dimanche 5 novembre 2017

"Quiconque s’élèvera sera abaissé"




Malachie 2, 1-10 ; Psaume 27 ; 1 Thessaloniciens 2, 6-13 ; Matthieu 23, 1-12

Matthieu 23, 1-12
1 Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples:
2 "Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse :
3 faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas.
4 Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes, alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.
5 Toutes leurs actions, ils les font pour se faire remarquer des hommes. Ils élargissent leurs phylactères et allongent leurs franges.
6 Ils aiment à occuper les premières places dans les dîners et les premiers sièges dans les lieux de culte,
7 à être salués sur les places publiques et à s’entendre appeler Maître par les hommes.
8 Pour vous, ne vous faites pas appeler Maître, car vous n’avez qu’un seul Maître et vous êtes tous frères.
9 N’appelez personne sur la terre votre Père, car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste.
10 Ne vous faites pas non plus appeler Docteurs, car vous n’avez qu’un seul Docteur, le Christ.
11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
12 Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé.

*

Il ressort de notre texte que ce qui importe pour Jésus c’est la vérité des paroles annoncées, qu'il reconnaît aux pharisiens : « faites et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire »… La vérité des paroles annoncées, et puis surtout la mise en pratique de ces paroles… Faites ce qu’ils disent, qui est très bon, faites ce qu’ils disent de toute façon, à défaut de faire ce qu’ils font, dit Jésus de ces bons prédicateurs. Quant aux actes — « … ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas ». Mais, de quoi s'agit-il, que ne font-ils pas ?

Pour percevoir ce dont il s’agit, il faut tout d’abord savoir qui sont et que font pharisiens et scribes : des gens remarquables que ces scribes à qui nous devons notre Bible, dont ils ont transmis les textes avec une fidélité minutieuse. Paul n'aurait pas été aussi grand s'il n'avait été pharisien. Des gens qui allaient jusqu'à donner la dîme de tous leurs biens ! Quel trésorier d’Église ou d'entraide n’aimerait pas avoir un peu plus de pharisiens parmi les cotisants et donateurs ?!

Oui, avant de commencer à dresser le début d'un réquisitoire, il est utile de penser à cette richesse spirituelle qui est la leur. Vraiment, pharisiens et scribes étaient parés de toutes les vertus. On va voir que n'est pas leur absence de vertus qui fait problème à Jésus, ça en est la surabondance ! De quoi s’agit-il donc ? Puisque loin de ne pas en faire, des œuvres, ils en font au contraire, au point que leurs actes sont remarquables ! Et que du coup tout le monde les remarque ! Cela leur vaut cette estime commune qu’ils semblent goûter tant.

*

Où l’on doit tenter d’en venir en deçà de la surface, à ce que pourrait être l’héritage commun à mettre en œuvre : « ne vous laissez pas imposer de fardeaux », ces fardeaux qu’ils ne touchent pas, dit Jésus de certains de ceux qui l’interpellent ! Qu’est-ce à dire ? De quoi est-il question, puisqu’il ne faut pas entendre par là des bonnes œuvres ? — dont ils ne manquent pas : ces fardeaux-là, les bonnes œuvres, ils les touchent, et plus que du doigt, ils en portent vraiment le poids. Il faut donc chercher ailleurs…

Par exemple, si on lit le texte, être salué sur les places publiques, admiré, etc., quel fardeau pour y parvenir — fardeau dont eux n’ont pas besoin de s’encombrer : ils sont déjà installés dans les meilleurs sièges des repas et des temples !

Mais sont-ils à la mesure de la vérité qui leur vaut — qui nous vaut éventuellement — tant d’éloges ?… Vérité que se gardent bien de pratiquer les flatteurs qui en disent tant de bien… Où il vaut mieux, pour s’assurer la compagnie des flatteurs et des gens importants, ne toucher la vertu de vérité qu'avec prudence et modération… « Celui qui mange à la table du roi — ou du notable — ne peut pas dire la vérité au roi — au notable », dit un proverbe africain. Bref, ce genre de fardeaux-là, ils « se refusent à les remuer du doigt ». Où le goût de la popularité fait bien limite à la vertu.

Vous, dit Jésus à ses disciples, ne vous en laissez pas imposer. Faites simplement ce qu’ils disent, ce qu'ils prêchent, qui est très juste. C’est aussi, pour qui sait entendre, une bonne nouvelle qui sort de leur bouche, à recevoir par la seule confiance, la foi seule. Entendez-y donc les promesses de la grâce — gratuite mais pas à bon marché — car cela vous ôtera éventuellement quelques privilèges.

Ils élargissent les phylactères, comme certificat de vertu, de piété, d'humilité, pour être mieux appréciés ? Pas pour vous, dit Jésus… Du coup on est devenu plus subtil ! Pas de phylactères, pas de franges de prière, pas de tenue spéciale… On a retenu la leçon de Jésus — ou on croit l'avoir retenue —, et on laissé les phylactères visibles et autres tenues attitrées… pour d’autres certificats d’humilité, plus discrets ! Cela dit, on a gardé le goût des premières places chez les officiels et aux unes des magazines.

Pour ceux qui veulent être disciples de Jésus de la façon que prône Jésus, les choses sont appelées à se passer autrement…

Malaisé à entendre par les chercheurs de prestige médiatique. À ceux qui veulent de belles paroles de sagesse, ou des paroles puissantes et renversantes, rappelons-nous, Paul aux Corinthiens (ch. 1 et 2) : il oppose la faiblesse et l’insipide de la croix.

Jésus, avant lui, n’est dupe ni des critiques, ni des compliments, qui sont finalement la même chose, autant de pièges. De sa parole, il n’attend pas en écho des compliments et des échos dans les journaux. « Il a bien parlé », dira-t-on pour se croire dispensé de mettre en pratique sa parole ou de comprendre ce qu’il veut dire concrètement… Lui attend la mise en pratique qui libère en vérité.

Et puisque, apparemment, il ne cherche pas les compliments, on essaie donc de le déstabiliser en ruinant son audimat par des pièges… ce qui revient au même.

Car s’il n’a peut-être pas les phylactères aussi larges, on lui donne volontiers les titres flatteurs, et il n’a même pas la fausse de humilité de les refuser, remarquez — « un seul est votre docteur, le Christ », souligne-t-il. Ses disciples sont mis en garde, on tentera la même chose pour eux, les flatter, et cela leur plaira, nous plaira, forcément, bien que pour eux ce ne soit peut-être pas aussi mérité, ni exempt de la tentation de s’y complaire. Et ça ne vaut pas que pour les prédicateurs et autres scribes, théologiens et savants.

La vraie valeur est autre. « Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé ». Celui qui à nos yeux ne compte pas, c’est lui que Dieu exalte ; et c’est bien lui que le Christ a rejoint (Philippiens 2).

Alors pourquoi pas les rites, par lesquels même la parole de Dieu se fait signe, pourquoi pas les phylactères (Jésus n’a rien dit contre), pourquoi pas les différentes façons de célébrer la sainte Cène ou autres actes pastoraux, à la luthérienne, à la réformée ou autre, pourquoi pas les différentes organisations de l’Église. À l’instar des phylactères, cela a son sens, mais comme tout signe, cela est second, n’a pas fonction d’exalter celui qui en bénéficie, mais de le renvoyer, de nous renvoyer à la vérité de parole de Dieu et à son fruit.

La gloire, ici, est cachée. De sorte que la liberté du salut nous place devant Dieu seul. Vivre devant Dieu par la foi seule, c’est cela mettre en pratique la parole de la vérité, la loi de la liberté annoncée depuis la chaire de Moïse.


RP, Poitiers, 05.11.17