dimanche 31 décembre 2017

Présentation au Temple




Genèse 15, 1-6 & 21, 1-3 ; Psaume 105 ; Hébreux 11, 8-19 ; Luc 2, 22-40

Luc 2, 19-40
19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens.
20 Puis les bergers s’en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.
21 Huit jours plus tard, quand vint le moment de circoncire l’enfant, on l’appela du nom de Jésus, comme l’ange l’avait appelé avant sa conception.
22 Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur
23 — ainsi qu’il est écrit dans la loi du Seigneur : Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur —
24 et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons.
25 Or, il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël et l’Esprit Saint était sur lui.
26 Il lui avait été révélé par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur.
27 Il vint alors au temple poussé par l’Esprit; et quand les parents de l’enfant Jésus l’amenèrent pour faire ce que la Loi prescrivait à son sujet,
28 il le prit dans ses bras et il bénit Dieu en ces termes :
29 "Maintenant, Maître, c’est en paix, comme tu l’as dit, que tu renvoies ton serviteur.
30 Car mes yeux ont vu ton salut,
31 que tu as préparé face à tous les peuples :
32 lumière pour la révélation aux nations et gloire d’Israël ton peuple."
33 Le père et la mère de l’enfant étaient étonnés de ce qu’on disait de lui.
34 Syméon les bénit et dit à Marie sa mère : "Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté
35 — et toi-même, un glaive te transpercera l’âme ; ainsi seront dévoilés les débats de bien des cœurs."
36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge ; après avoir vécu sept ans avec son mari,
37 elle était restée veuve et avait atteint l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s’écartait pas du temple, participant au culte nuit et jour par des jeûnes et des prières.
38 Survenant au même moment, elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem.
39 Lorsqu’ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
40 Quant à l’enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui.

*

« Les bergers s’en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé. »

Que sera le lendemain de cette grande joie et de ces chants de louange qui ont été ceux des bergers — et les nôtres à Noël ? Ce lendemain sera-t-il plus riche que les lendemains d’une société de fêtes et de cadeaux pour qui Noël est reparti ?… Avec sa hotte pleine d'illusions, évidemment…

À présent que les chants ont cessé, à présent que la fête s’est tue, ne subsiste que la parole silencieuse… Celle de la promesse portée par l'enfant, objet de la méditation de Marie, sa mère : « elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens » nous dit le texte (Luc 2, 19)…

*

Puis tout rentre dans le quotidien qu’il faut bien rejoindre.

Et nous voilà huit jours après…

Comme il se doit l’enfant est circoncis. Puis ont passé les quarante premiers jours : c’est le temps des « relevailles » comme on aurait dit antan en Europe — en Judée d’alors le temps de la purification rituelle prévue par la loi de Moïse : le temps du retour de la jeune accouchée et de son fils dans la société des hommes.

La purification se fera au Temple de Jérusalem. Voilà donc un charpentier de Nazareth, accompagné de sa femme, se rendant au Temple pour présenter à Dieu leur fils premier-né.

Ce sera aussi sa consécration au Seigneur selon le rite qui veut que le premier né soit consacré à Dieu et à son culte. On sait que cette consécration est, depuis la Torah, réservée aux membres de la tribu de Lévi. Les premiers nés des autres tribus d’Israël sont rachetés par une offrande.

En y entrant, Joseph et Marie ont donc acheté dans la cour du Temple deux tourterelles, ou pigeons, pour les offrir en sacrifice, le sacrifice des pauvres — ceux qui sont plus aisés offrent un agneau et un pigeon. On imagine le père tenant les oiseaux à la main, la mère portant dans ses bras le petit enfant.

Sans que l’arrivée de ces étrangers pauvres ne provoque la moindre curiosité des autres fidèles venus là pour prier, ils amènent leur sacrifice. Et les voilà s’en retournant, quand un homme, renommé à Jérusalem pour sa sagesse et sa piété, qu’on appelait Syméon, vient vers eux, contemple le petit enfant et comme poussé par une impulsion — par l’Esprit saint —, le prend dans ses bras.

Puis à haute voix, au milieu du murmure confus des prières que les fidèles adressent à Dieu, il entonne un cantique d’actions de grâce, qui signale à tous cet enfant comme « la lumière des nations et la gloire d’Israël ».

Pour lui, son œuvre est accomplie, l’œuvre de sa vie — à savoir la vigilance dans l’attente de ce jour :

« Maintenant, Maître, c’est en paix, comme tu l’as dit, que tu renvoies ton serviteur.
Car mes yeux ont vu ton salut,
que tu as préparé face à tous les peuples :
lumière pour la révélation aux nations et gloire d’Israël ton peuple. »


*

Une prophétie étrange, qui annonce que par cet enfant l’extension espérée de l’Alliance aux nations, signe du Royaume, va s’accomplir pour la gloire d’Israël, premier porteur de cette Alliance.

Et en même temps, on le sait c'est comme un lieu de passage difficile pour tout le peuple qu’annonce Syméon, la crise d'appartenance du judaïsme fidèle : peut-on croire que Jésus est le Messie ? — puisqu’on sait que l’élargissement sera difficile, comme un accouchement.

Ce n’est pas sans rapport avec cela que Luc insistera sur la soumission de Jésus et de ses parents à la Loi (le respect de la Loi sera mentionné 5 fois dans ce bref passage).

À ce point, Marie est comme la figure du peuple croyant, du peuple du carrefour représenté en Jésus : « Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté — et toi-même, un glaive te transpercera l’âme ; ainsi seront dévoilés les débats de bien des cœurs, » dit le vieux prophète à Marie.

C’est que la nature humaine n'accueille pas le Christ sans qu'il ne suscite une crise profonde.

La chute et le relèvement annoncés par Syméon sont alors non pas les attitudes de deux camps opposés, mais la réalité des chutes et du relèvement dans une même vie : en premier lieu pour Marie, pour le peuple d'Israël, pour tout homme, à la fois pécheur, et donc soumis à la Loi qui le façonne selon la volonté de Dieu, et croyant, juste par la seule grâce.

Avec, pour Marie, qui médite tout ce qui advient, l’annonce de son déchirement à la Croix, bien sûr. Car les moments de carrefour sont des déchirures, et ne sont pas que des déchirures intérieures. Les déchirures de l’histoire, comme des déchirures d’outres éclatées par le vin nouveau, se traduisent hélas généralement par des violences concrètes.

Le monde nouveau dessiné par la Loi de Dieu et ses témoins les prophètes, advient porté par l’Esprit qui pousse ses témoins dans un temps qui pressent que le monde nouveau le verra tout perdre — seuls les prophètes savent ce qu’il va y gagner.

La Loi et l'Esprit — l'Esprit qui meut les prophètes —, la Loi et l'Esprit qui accompagnent Syméon, Anne, les parents de Jésus, ne sont alors pas deux réalités en conflit ou des alternatives.

*

Quatre personnages différents, autour de l'enfant, du Fils de Dieu. Leur vie quotidienne est ce qu’elle est : ses joies, ses peines, ses labeurs. Et par l'Esprit Saint, ils comprennent et confessent, dans le Temple, que le salut a fait irruption dans leur vie.

Cela pourrait ressembler à un culte de paroisse ordinaire… Le culte : des paroissiens d'âges, d'expériences et d'origines diverses, qui ne se connaissent pas nécessairement et ne se sont pas choisis, mais qui, appelés ensemble par l'Esprit, éclairés par lui, confessent de vive voix : « Nos yeux ont vu ton salut ».

Si après le fracas de la fête de ce monde et ses désillusions de chaque année, tandis que s’éloignent les chants de Noël et la louange des bergers ; s’il reste à chacun de nous quelque chose du retour sur soi de Marie, qui « retenait tous ces événements en en cherchant le sens » — s’il subsiste en chacun de nous cette vraie part de Noël, alors nous pouvons entrer dans la suite des temps avec cette parole de Syméon : « mes yeux on vu ton salut ».

Nous pouvons y entrer avec confiance face à tout ce que cela pourra amener d’inattendu dans notre histoire et dans nos jours.

Un fils nous est né, un enfant nous a été donné — signe bien plus humble que les chœurs angéliques de Noël. Et c’est cela qui nous reste, pour que notre méditation puisse recevoir la parole du prophète Syméon : « mes yeux ont vu ton salut », en vue d’une nouvelle louange, tournée vers l’avenir, celle d’Anne la prophétesse — « célébrant Dieu et à parlant de l’enfant à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem »


RP, Poitiers, 31.12.17


lundi 25 décembre 2017

Que tout l'univers le célèbre !




Ésaïe 52, 7-10 ; Psaume 98 ; Hébreux 1, 1-6 ; Jean 1, 1-18

Hébreux 1, 1-6
1 Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu,
2 dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par lequel il a aussi créé les mondes,
3 et qui, étant le reflet de sa gloire et l’empreinte de sa personne, et soutenant toutes choses par sa parole puissante, a fait la purification des péchés et s’est assis à la droite de la majesté divine dans les lieux très hauts,
4 devenu d’autant supérieur aux anges qu’il a hérité d’un nom plus excellent que le leur.
5 Car auquel des anges Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils, Je t’ai engendré aujourd’hui ? Et encore : Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils ?
6 Et lorsqu’il introduit de nouveau dans le monde le premier-né, il dit : Que tous les anges de Dieu l’adorent !

*

Que tous les anges de Dieu l’adorent ! Avec tous les habitants des mondes, créés par lui. De Bethléem, à Jérusalem et aux confins de l’univers. Monde visible et invisible.

Dans l’Évangile de Luc, la multitude de l'armée des anges se joint aux bergers pour proclamer la gloire céleste de celui par qui la bienveillance divine accompagne le monde des humains. "Car un enfant nous est né" (Ésaïe 9, 5).

L’Évangile de Jean nous enseigne qu'il est la Parole des origines, la lumière qui précède toute lumière visible, et qui nous rejoint. Et c'est là, selon Marc (1, 1), le "commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu".

Dans l'Évangile selon Matthieu, des prêtres lointains, les Mages, amènent des cadeaux aux pieds de ce Messie biblique, aux pieds de l'enfant né dans les ténèbres de l'humilité - la nuit, donc, dans le temps angélique - pour couvrir de lumière jusqu'à sa Galilée mal sortie de cette nuit, selon Ésaïe (ch. 9, v. 1-2).

Ces fameux Mages venus d’Orient, le pays d’où se lève le soleil, les voilà bientôt sacrés rois, accomplissant les prophéties annonçant les rois de toutes les nations venant à Jérusalem, devenus trois Rois-Mages représentant les rois des trois continents d'alors, rois rayonnants de lumière, là où Matthieu les présentait comme des prêtres arrivant peut-être quelques deux ans après l’événement - des savants dira-t-on bientôt, miraculeusement présents, grâce à leur science des étoiles, la nuit du 25 décembre -0001 (année correspondant à la soustraction, tout-à-fait symbolique, faite à partir de Luc 3, 23 : "Jésus avait environ trente ans lorsqu’il commença son ministère, étant, comme on le croyait, fils de Joseph, fils d’Héli, [etc.]"). Car voilà qu'on s’est mis à enseigner que Jésus est né un 25 décembre. Mais, nous disent les savants, les successeurs des Mages en quelque sorte, le 25 décembre c'est impossible : les bergers de Luc ne pouvaient être dans les champs en cette saison. Au XVIe siècle, quand Calvin y insiste, c'est loin d'être un acquis. Nombreux alors croient encore que le 25 décembre est autre chose que la date d'une fête païenne en l'honneur du soleil - vénéré alors sous la forme de telle ou telle divinité solaire, comme Mithra, dont quelques Mages étaient peut-être, selon leur religion, des adeptes. Calvin corrige, à juste titre. Mais aujourd'hui, qui se sait pas cela ?

Alors, fête du Messie biblique, Messie de Bethléem, ou fête païenne ? Et si, comme tout en étant né à Bethléem en Judée, Jésus est aussi galiléen, - si sous un certain angle, un angle bien réel, Jésus était vraiment né un 25 décembre ? Si nos païens d'ancêtres dans la foi, avaient vraiment été saisis par l'Esprit de Dieu, Esprit par lequel on perçoit que ce Messie biblique concerne aussi les païens ? Qu'est-ce en effet que le 25 décembre ? C'est la fête du solstice d'hiver, le moment où la nuit cesse de croître et où le jour augmente, le moment où la lumière nous rejoint dans nos ténèbres. Ne dit-on pas que Jésus est le soleil de justice ? Voilà que dans l'Empire romain, on fêtait ce jour-là la fête du soleil, et voilà que le christianisme a triomphé dans l'Empire même, après trois siècles de persécution. Certes le temps est resté le temps, l’Empire est resté l’Empire, persécutant bientôt, hélas, tous ceux qui n’étaient pas chrétiens, juifs comme païens. Mais les plus sages ont discerné quand même dans cette rencontre d’une fête solaire un signe que ceux les savants d'aujourd'hui pourraient ne pas reconnaître parce que cela ne correspond pas à la rigueur de l'Histoire.

Dans l'Histoire, Jésus n'est pas né un 25 décembre. Certes. Mais si l'on est attentif on peut être à même de percevoir qu'il est aussi une autre dimension. Rappelons-nous que les anges, messagers de l'indicible, figures du monde invisible, ont empli les cieux de leur louange au jour de la naissance de Jésus - selon la parole de l’Épître aux Hébreux citant le Ps 97, v. 7 : "que tous les anges de Dieu l'adorent". Rappelons-nous que le temps des anges n'est pas le nôtre, qu'il est entre le nôtre et celui de Dieu, où "mille ans sont comme un jour". Si, en toute rigueur historienne, Jésus n'est effectivement sans doute pas né un 25 décembre, ne sont-ils pas éclairés de ce qu'il est des réalités au-delà des nôtres, ceux qui ont soupçonné les vérités de ce temps céleste, un temps dont le vrai signe dans notre temps est effectivement le 25 décembre. Ici le jour nouveau se lève, brillant d'une lumière dont on ne soupçonnait pas même l'existence, on passe des temps nocturnes de nos âmes aux temps solaires, au temps du soleil de justice, qui concerne tous les peuples, qui concerne les païens.

Et voilà que l’on date à présent nos siècles à partir de sa naissance. Et que l’on est passé avec le Christ à un calendrier solaire - car le calendrier liturgique biblique est lui un calendrier lunaire, au cœur duquel est inscrite aussi la promesse de la lumière, exprimée par la fête juive de Hanoukka, célébrée aussi en ces temps de solstice d’hiver. Voici un calendrier, solaire, se levant du solstice solaire d'hiver, dont le premier mois, janvier, est celui qui succède immédiatement à celui donné pour la naissance de Jésus, huit jours après, c’est-à-dire le jour de sa circoncision - selon le temps angélique s'entend.

Point de contradiction ici : le Messie de la Bible concerne bien aussi les païens. C'est vers lui, vers sa lumière, que sont venus les Mages, des nations d'Orient. C'est vers lui que se dresse l'arbre de Jessé, père de David roi d'Israël, comme l'arbre de toute la création qui se dresse vers sa lumière qu'annonce cette même étoile des Mages.

Et à y regarder de près, les yeux de la foi découvrent alors que cette fête que l'on dirait païenne est celle de la bonne nouvelle du salut de Dieu pour les païens, que représentent les Mages. Elle est celle du chant de toute la création à la rencontre de la lumière à laquelle elle est appelée.

Car c'est bien là le sens de l'arbre de Noël, figure de celui de Jessé et de celui de toute la création que Dieu fait croître à sa rencontre. Symbole païen ? Introduit par la réforme luthérienne pour symboliser la vérité du 25 décembre, celle de la naissance du Christ. Un arbre qui se dresse vers la lumière annoncée par l'étoile, comme celui de la famille de Jessé et de David et celui de toute la création vers son salut. Cela en passant par la faute même qu'il s'agit de couvrir, symbolisée par les boules de nos arbres, qui sont au départ simplement des pommes stylisées - pommes (malum en latin), pommes du bien et du mal, mal (malum aussi en latin) englouti par le Christ dans la lumière, qui dès lors parcourt toute la création, lumière figurée elle par les guirlandes de lumière qui courent dans tout l'arbre.

Et le père Noël, avec ses allures de lutin ? On a évoqué l’histoire des Mages, ces prêtres persans qui menaient des cadeaux aux pieds d'un David biblique, aux pieds d'un enfant né dans les ténèbres de l'humilité - la nuit, donc, dans le temps angélique - pour couvrir de lumière jusqu'à sa Galilée païenne.

Il enseignera que les plus petits que nous croisons sont lui-même venus dans le secret. C'est là ce qu'a très bien compris un évêque de l'Antiquité, nommé Nicolas, devenu saint Nicolas parce qu'il ne supportait pas, lui disciple d'un enfant pauvre, de voir la misère, plus particulièrement celle des enfants. Alors en secret, il leur faisait des cadeaux qui allégeaient leur peine, comme les Mages offrant leurs dons au Christ.

Plus tard, toujours la réforme luthérienne - fructueuse en pays scandinave - découvrait que saint Nicolas, dans son humilité, dévoilait des actions angéliques. Derrière saint Nicolas, un simple homme, s'ouvre le monde angélique, dévoilant lui-même la réalité de Dieu. Un ange est derrière saint Nicolas, comme derrière les Mages, étrangers en visite, rappelant les étrangers visitant Abraham, et dans lesquels le patriarche reconnaissait le présence angélique, et la présence de Dieu même lui annonçant la naissance de son enfant. Un ange est derrière saint Nicolas, ange qui sera figuré sous les traits des anges scandinaves, elfes et lutins, et qui emprunte au passage la pourpre épiscopale du saint qu'il représente à une célèbre boisson gazeuse l'embauchant pour une publicité ! C'est la figure du père Noël, que dévoile saint Nicolas, une figure angélique du don gratuit - caché derrière l'abondance malheureuse des sociétés riches, comme promesse du jour de la justice enfin établie.

Alors contrairement à ce que s'imaginent ceux qui sont lents à comprendre, le père Noël existe, manifestation angélique de l'art de donner dans le secret, de l'art de donner de la joie à ceux qui ressemblent au nouveau-né dans sa crèche. "Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. La souveraineté est sur ses épaules. On proclame son nom : « Merveilleux - Conseiller, Dieu - Fort,
Père à jamais, Prince de la paix. » Il y aura une souveraineté étendue et une paix sans fin pour le trône de David et pour sa royauté, qu’il établira et affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours – l’ardeur du Seigneur de l’univers fera cela" (Ésaïe 9, 5-6).

Comme le proclament les anges présents à Noël selon les Évangiles - il y a parmi nous la présence du don suprême, le grand cadeau de Dieu par lequel la paix vient sur la terre aux hommes par sa bienveillance, - don de Dieu réconciliant le monde de la Bible et celui des païens, le lion et l'agneau, le cadeau par lequel il prouve définitivement son amour envers nous ; et la promesse de l’établissement prochain de la justice.


R.P., Poitiers, Noël, 25.12.15


dimanche 24 décembre 2017

Grâce terrible




2 Samuel, 7, 1-16 ; Psaume 89 ; Romains 16, 25-27 ; Luc 1, 26-38

Luc 1, 26-38
26 Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth,
27 à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David ; cette jeune fille s'appelait Marie.
28 L'ange entra auprès d'elle et lui dit : « Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi. »
29 À ces mots, elle fut très troublée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.
30 L'ange lui dit : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
31 Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus.
32 Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;
33 il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n'aura pas de fin. »
34 Marie dit à l'ange : « Comment cela se fera-t-il puisque je n'ai pas de relations conjugales ? »
35 L'ange lui répondit :
« L'Esprit Saint viendra sur toi
et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ;
c'est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu.
36 Et voici que Élisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d'un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile,
37 car rien n'est impossible à Dieu. »
38 Marie dit alors : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l'as dit ! » Et l'ange la quitta.

*

« Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu… » Qui est la jeune femme qui reçoit cette parole ? Une inconnue. Elle ne demeure pas dans les palais d’Hérode. Elle ne convoite rien de cet-ordre-là ni une future célébrité hypothétique. Et elle restera inconnue pour longtemps.

« Réjouis-toi, toi qui as la faveur de Dieu… » Quelle est cette faveur ? Pas la gloire, mais quelque chose qui a tout pour ne pas réjouir une jeune femme vierge, tout particulièrement en son temps : cette faveur, cette grâce, est celle de devenir fille-mère !

Grâce terrible, dont il lui est demandé sans détour, avant même qu’elle ne sache ce dont il s’agit, de se réjouir ! Quelle amertume ne pourrait-elle pas ressentir à la parole qui suit : « tu sera enceinte », amertume comme celle d’une sombre ironie !

Mais oh surprise, la jeune femme semble à des lustres de l’amertume — qui nous pousse si facilement à récriminer… Un regard sur la jeune femme de Galilée est propre à renverser l’ironie amère qu’elle nous semblerait avoir dû ressentir — et ramène à leur proportion nos prétendus mérites, actions jugées indispensables et autres sacrifices ou déclarés tels !

La voix de l’ange qui invite Marie à se réjouir retentit jusqu’aujourd’hui pour chacun de nous, lorsque Dieu nous confie sa faveur, aussi étrange soit-elle ! Quoiqu’il nous confie, il nous l’annonce en ces termes : « Réjouis-toi… », de quelque faveur qu’il te charge. Réjouis-toi : en cela-même le Seigneur est avec toi. Recevoir comme une grâce ce que Dieu nous confie, qui n’a pas toujours à première vue l’allure d’une route de gloire — quand nous sommes portés à récriminer pour peu que cela tarde.

Ce que Dieu nous confie, c’est sa parole, qui seule fait advenir sa promesse. Sois joyeuse : cette parole, on le comprend est adressée aussi à l’Église, et crée l’Eglise, malgré nos impatiences et récriminations qui risquent de tout froisser. C’est encore ce que nous dit ce qui arrive à cette jeune femme — sa grossesse, a priori un drame à l’époque. Mais là naît l’Église. Mieux, là naît celui pour qui est l’Église, celui en qui naît l’Église.

La jeune femme, elle, qui ne sait pas encore cela, est troublée, nous dit le texte, elle s’interroge sur le sens de cette salutation.

Et l’ange redit : « tu as trouvé grâce auprès de Dieu » puis continue : « Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils ». Fille-mère pour cette fiancée — le texte a mentionné Joseph —, telle est la grâce qu’elle reçoit d’une parole qui engendre ce qu’elle annonce. La parole « crée » la grossesse, la parole de Dieu dite par l’ange est une citation (Genèse 16, 11) : « Voici que tu es enceinte et tu vas enfanter un fils ».

Futur ? Présent ? La parole qui crée est au-delà du temps. « Que la lumière soit, et la lumière fut » / littéralement « était » — tu vas être enceinte, tu es enceinte, et tu vas enfanter. La même parole qui est féconde de la lumière qu’elle annonce (et que rappellent nos bougies de l’Avent comme la fête de Hanoukka) — la même parole est féconde de l’enfant qui va en naître. Elle est féconde aussi de l’acquiescement de Marie qui va suivre ce que la parole a créé en elle : « qu’il me soit fait selon ta parole ».

Ce « oui » — « qu’il me soit fait selon ta parole » — est lui-même don de la même parole de Dieu qui fait advenir le Fils éternel de Dieu à son humanité et fruit de l'Esprit saint qui « couvrira » Marie « de son ombre », il n’en est pas la condition. La parole qui crée l’humanité du Christ crée aussi, précède infiniment, le « oui » de Marie.

Un « oui » qui n’en est que plus remarquable. Dans ce oui est déjà l’épée qui lui transpercera l’âme que va bientôt annoncer à Marie le prophète Syméon (Luc 2). Car avant que ne se réalise la promesse que vient de lui faire l’ange — ton fils auquel tu donneras le nom de Jésus « sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n'aura pas de fin » — avant que ne se réalise cette promesse, le jour de la gloire qui consacrera aussi la grandeur de ce que vit Marie — avant cela, c’est d’un chemin de douleur qu’il s’agit d’abord.

Ce « oui » est l’acceptation de la douleur à venir, la douleur des épreuves qui accompagnent tout chemin de vie d’une mère, la douleur, dont elle ne sait pas encore ce qu’elle sera, pour elle terrible — « une épée te transpercera l’âme » —, de voir son fils humilié, calomnié par le monde entier, traité comme criminel, torturé et crucifié pour cela. L’acceptation de cet avenir qu’elle ne connaît pas encore est dans le oui de Marie — « qu’il me soit fait selon ta parole ».

Après viendra la plénitude la joie, la reconnaissance du rôle unique de celle que Calvin nomme à plusieurs reprises « Notre Dame », lui qui, comme Luther, ne remet nullement en cause ni ce qui concerne la virginité de la jeune femme, ni l’immensité de ce qui lui arrive et qui en fait la mère de son Seigneur, la mère de son Dieu ! Grand mystère que Calvin ne conteste nullement tout en préférant que l’on utilise l’expression « mère du Seigneur », comme pour rejoindre l’humilité de celle qui répond par un simple « oui » à ce qui lui arrive de terrible en vérité.

Un « oui », donc, qui exclut par avance toute récrimination, précisément parce qu’il est chargé d’une radicale humilité.

Elle ne prétend à rien. C’est la force de Dieu, selon le nom « Gabriel » donné au messager céleste — car nul ne peut voir Dieu, on n’en perçoit que l’Ange, le messager —, c’est donc la force de Dieu, toute de douceur, qui seule agit ; la force d’une parole énoncée dans l’intimité et non pas devant de vastes auditoires. Fût-elle prononcée devant des foules, elle n’en aurait pas plus de force, celle qui bouleverse l’âme dans l’intimité — « ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12).

La parole qui a bouleversé le monde, qui a fait advenir le Royaume espéré depuis des siècles dans le sein d’une jeune fille, parole indicible, parole silencieuse, est la force de Dieu.

Ce n’est pas par nos agitations, ce n’est pas par nos prétentions à faire de grandes choses et à en attendre une reconnaissance dont le manque nous rend amers, que Dieu crée le monde nouveau, mais par une humble parole prononcée dans la plus intime des intimités, une parole qui loin de toute amertume ou récrimination, fruits de nos prétentions, fait dire à celle qui l’a reçue « qu’il me soit fait selon ta parole », quoiqu’il advienne. Quant à l’amertume que porte son nom, Marie, elle en connaîtra la nature profonde, au pied de la Croix, quand sa foi la voit alors déjà changée en douceur infinie, écho de son « oui », « qu’il me soit fait selon ta parole » — qu’il me soit fait selon ce qui est déjà advenu en moi, ce que ta parole a déjà accompli en moi !


RP, Châtellerault, 4e dimanche de l'Avent, 24.12.17


samedi 16 décembre 2017

Ombre et lumière




Ésaïe 61, 1-11 ; Luc 1, 46-54 ; 1 Thess 5, 16-24 ; Jean 1, 6-8 & 19-28

Jean 1, 6-8 & 19-28
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu : son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.
[…]
19 Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Judéens envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question : "Qui es-tu ?"
20 Il fit une déclaration sans restriction, il déclara : "Je ne suis pas le Christ."
21 Et ils lui demandèrent : "Qui es-tu ? Es-tu Élie ?" Il répondit : "Je ne le suis pas." — Es-tu le Prophète ?" Il répondit : "Non.
22 Ils lui dirent alors : "Qui es-tu ?… que nous apportions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ! Que dis-tu de toi-même ?"
23 Il affirma : "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur, comme l'a dit le prophète Ésaïe."
24 Or ceux qui avaient été envoyés étaient des Pharisiens.
25 Ils continuèrent à l'interroger en disant : "Si tu n'es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète, pourquoi baptises-tu ?"
26 Jean leur répondit : "Moi, je baptise dans l'eau. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ;
27 il vient après moi et je ne suis même pas digne de dénouer la lanière de sa sandale."
28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.

*

Un dialogue entre des religieux qui lui sont envoyés, et Jean, interrogé. Un dialogue en forme de questions-réponses : qui es-tu, toi qui n’es reconnu par personne d’autorisé, en tout cas pas par nous, responsables religieux ? Et Jean, qui ne prétend rien, rien qu’accomplir la volonté du Dieu qui l’envoie ; Jean rejette en bloc toutes les références flatteuses que certains lui appliquent, autant de vrais titres glorieux.

Et pourtant les rumeurs persistantes ont tout pour l’encourager à céder à cette tentation, pour l’inciter à succomber aux croyances qui sont derrière. Pensez : Jean être céleste ! Prophète venu du ciel ! On lui reconnaît même fréquemment une fonction qui s’inscrit dans la lignée d’une étrange parole du prophète Malachie, cette parole qui annonçait la venue future d’Élie, cet autre prophète qui, lui, avait été enlevé au ciel !

Alors, Jean, nouvel Élie ? Oh, allez, peut-être pas forcément, pour tous, un ange descendu du ciel, mais simplement un précurseur semblable à l’Élie de Malachie, au message de l’Élie de Malachie. Voilà qui n’est déjà pas mal : un homme envoyé de Dieu, dit le texte-même que nous avons lu : cela pourrait s’interpréter dans le sens où on le pousse.

*

Être céleste, Jean, ou nouvel Élie ? Il n’a pas cette prétention : lui est l’homme de la terre, simple messager de l’aplanissement du chemin où va passer un autre ; un simple témoin, témoin de la lumière, d’une lumière qui le dépasse de tout l’infini qui est entre celui qui vient du ciel précisément, cette lumière, et lui, Jean, qui, comme tous les témoins, n’est que poussière du désert, et signe d’une lumière si puissante que l’ombre seule en fait deviner la source. Cette lumière qui précède le monde et par laquelle le monde a été fait : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. » (Jean 1, 1-5).

On sait d’où vient la lumière en voyant l’ombre qu’elle projette depuis un simple témoin. Jean est ce témoin. Il sait ne produire que de l’ombre ; mais qui montre l’origine de la lumière.

C’est cela Jean : le témoin de la terre, indiquant a contrario la lumière du ciel, depuis l’ombre qu’elle projette par lui. Le témoin, voix dans le désert, apparaît avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. « Il vient après moi, mais il était avant moi », dit Jean de Jésus.

Là apparaît le grand rôle de Jean : être l’ombre qui fait paraître la lumière. N’être visible que comme ombre de la lumière. Là est toute la mission de Jean : s’effacer, être simple ombre, pour faire apparaître la lumière. Ou, pour le dire dans les termes d’Ésaïe, qu’il cite : aplanir le chemin du Seigneur qui vient, Jésus, la Parole éternelle : quiconque s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, se prétend brillant, vit pour cela nécessairement dans les ténèbres !

Jean a choisi : s’effacer ; plus que de briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière : c’est de cette façon qu’il peut aplanir le chemin du Seigneur : en se sachant indigne d’en dénouer les sandales. Même sa prédication et le baptême qu’il donne, sont l’ombre de la lumière. À combien plus forte raison pour nous. C’est le baptême administré de façon invisible, comme un souffle, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve. Comme le dit Jean, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, de témoigner, pas de communiquer l’Esprit.

De même, c’est la Parole éternelle, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver — et point nos paroles, aussi remarquables sembleraient-elles.

*

S’il en est ainsi de nos paroles et gestes religieux, que dire alors de nos autres diverses gloires passagères, autant d’instruments qui pourraient être au service du Seigneur, autant d’instruments inutiles, au mieux, d’oppression au pire pour qui n’y prend point garde !

On pourrait dire cela de tous les aspects glorieux, croyons-nous, de nos vies : autant de possibles abats-jours visant sans le savoir toujours clairement, à voiler le Christ… Alors aujourd’hui, que l’attente de Dieu donne à chacun de nous de devenir un peu une ombre, l’humble ombre du soleil magnifique que nous pourrons ainsi fêter et accueillir dignement. Que Dieu nous accorde cette joie : être ainsi vraiment de la fête qui est d'être appelés à devenir enfants de Dieu dans la lumière que nous attendons à Noël.


R.P., 3e dimanche de l'Avent,
Vivonne, 16.12.17, Poitiers, 17.12.17


dimanche 10 décembre 2017

"Allons donc jusqu’à Bethléem"




Ésaïe 40, 1-11 ; Psaume 85 ; 2 Pierre 3, 8-14 ; Marc 1, 1-11

Ésaïe 40, 1-11
1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur de Jérusalem, et criez lui Que sa servitude est finie, Que son iniquité est expiée, Qu’elle a reçu de la main de l’Éternel Au double de tous ses péchés.
3 Une voix crie : Préparez au désert le chemin de l’Éternel, Aplanissez dans les lieux arides Une route pour notre Dieu.
4 Que toute vallée soit exhaussée, Que toute montagne et toute colline soient abaissées ! Que les coteaux se changent en plaines, Et les défilés étroits en vallons !
5 Alors la gloire de l’Éternel sera révélée, Et au même instant toute chair la verra ; Car la bouche de l’Éternel a parlé.
6 Une voix dit : Crie ! — Et il répond : Que crierai-je ? Toute chair est comme l’herbe, Et tout son éclat comme la fleur des champs.
7 L’herbe sèche, la fleur tombe, Quand le vent de l’Éternel souffle dessus. — Certainement le peuple est comme l’herbe :
8 L’herbe sèche, la fleur tombe ; Mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement.
9 Monte sur une haute montagne, Sion, pour publier la bonne nouvelle ; Élève avec force ta voix, Jérusalem, pour publier la bonne nouvelle ; Élève ta voix, ne crains point, Dis aux villes de Juda : Voici votre Dieu !
10 Voici, le Seigneur, l’Éternel vient avec puissance, Et de son bras il commande ; Voici, le salaire est avec lui, Et les rétributions le précèdent.
11 Comme un berger, il paîtra son troupeau, Il prendra les agneaux dans ses bras, Et les portera dans son sein ; Il conduira les brebis qui allaitent.

Marc 1, 1-4
1 Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
2 Selon ce qui est écrit dans Ésaïe, le prophète : Voici, j’envoie devant toi mon messager, Qui préparera ton chemin ;
3 C’est la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers.
4 Jean parut, baptisant dans le désert, et prêchant le baptême de repentance/de retour, pour la rémission des péchés.

*

Luc 2, 13-15
13 Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :
14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés."
15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.

*

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ont chanté les anges — « multitude de l’armée céleste ». Il s’est passé là quelque chose d’extraordinaire, qui fait chanter toute la Création visible et invisible — « toute chair verra la gloire du Seigneur » (Ésaïe (40, 5).

D’un côté toute la puissance — la Création et ses fondements célestes, les armées célestes ; de l’autre l’humilité de la crèche où naît le souverain de toutes ces armées célestes, toute la « multitude de l’armée céleste »… « la gloire de l’Éternel sera révélée », écrit Ésaïe (40, v. 5).

Car voilà donc que la chose essentielle, celle que chantent les anges, s’est passée à Bethléem, s’est passée dans l’humilité, et concerne celui qui vaut que toutes les puissances de la Création y joignent leur louange.

Cela concerne les bergers — disant « allons donc jusqu’à Bethléem » —, et nous concerne avec eux. Cela aussi les anges le clament ! C’est le deuxième aspect de leur chant de louange : « paix sur la terre parmi les hommes de la bienveillance ».

Cela en écho à la parole de Dieu à Salomon accomplissant la construction du Temple : « si mon peuple sur qui est invoqué mon nom s’humilie, prie, et cherche ma face, et s’il se détourne de ses mauvaises voies, — je l’exaucerai des cieux, je lui pardonnerai son péché, et je guérirai son pays. » (2 Chroniques 7, 14).

*

La grâce immense que fait Dieu à chacun de nous, c'est de nous rencontrer dans la plus humble des humilités. C'est la révélation de la gloire infinie de Dieu, proclamée au livre d'Ésaïe et chantée par les anges, qui est donnée dans l'humilité de sa présence. C'est sa faveur pour nous qui nous donne de revenir à ce que nous sommes, au plus petit de ce que nous sommes, devant l'infini de ce Dieu d'infini célébré par les anges. C'est la parole d'ÉsaÏe reprise par Jean le Baptiste, la voix dans le désert prêchant « revenez », « trouvez ma faveur dans l'humilité », dit Dieu — « si mon peuple s’humilie » —, et promettant la paix.

La paix de Dieu, sa bienveillance accordée pleinement, et signifiée dans la banalité que porte l’apparence de l’enfant de la crèche pour qui s’élève la louange de toute la Création, cette paix se donne à expérimenter dans la bienveillance qui en découle parmi les hommes, puis depuis les hommes qui deviennent par leur bienveillance autant de signes de ce que la bienveillance divine est effectivement octroyée — et qu’elle se répand.

Là est tout le contraste que nous donne ce chant de louange angélique entre la puissance divine dans la Création, la magnificence du Créateur, et son effacement dans l’enfant en lequel il vient à nous.

*

À ce moment le récit entre dans toute son humilité — « si mon peuple s’humilie » —, venir aux pieds du tout-petit, ce que nous savons communément nous figurer : « Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche ». Mais là est tout le salut ! « Après l’avoir vu, les bergers racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. » Rien de plus à dire !

Qu’à s’étonner, comme l’ont fait les auditeurs des bergers, et à reprendre nos chemins avec les bergers qui « s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu ».

Le Créateur tout-puissant célébré par les armées célestes a bien répandu sa bienveillance, depuis Bethléem, pour que comme en cascades cette bienveillance qui jaillit de la crèche de l’enfant jusqu’en sa résurrection, se répande désormais parmi les hommes et les femmes ce monde et par les hommes et les femmes de ce monde.

*

Et cela se donne dans ce simple dévoilement : « Christ, Dieu et homme, ne fait qu’une seule personne. Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ. Aussi, quand nous réfléchissons à Dieu, nous faut-il perdre de vue l’espace et le temps, car Notre-Seigneur Dieu, notre créateur est infiniment plus haut que l’espace, le temps et la création. » J’ai cité Martin Luther (Propos de Table, Aubier 1992, p. 204).

C'est là le « commencement de l’Évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu » (Marc 1, 1). Dans et l’espace et le temps, le Dieu d'éternité nous a rejoints. Selon Luc, il a donné ce signe de sa présence aux bergers, puis par eux à tous : « un nouveau-né dans une crèche ». Nous aussi, « allons donc jusqu’à Bethléem »… « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu » !


R.P. Poitiers, 10.12.17


dimanche 3 décembre 2017

Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez




Ésaïe 63, 16 à 64, 7 ; Psaume 80 ; 1 Corinthiens 1, 3-9 ; Marc 13, 33-37

Marc 13, 33-37
33  Prenez garde, veillez (et priez), car vous ne savez quand ce sera le moment.
34  Il en sera comme d’un homme qui part en voyage, laisse sa maison, donne pouvoir à ses serviteurs, à chacun sa tâche, et commande au portier de veiller.
35  Veillez donc, car vous ne savez quand viendra le maître de la maison, le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin;
36  craignez qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve endormis.
37  Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez.

*

En une nuit d’absence du maître, parti en voyage en nous ayant confié ses biens — par trois fois, Jésus appelle à veiller, à rester éveillés.

*

La parabole est donnée au terme d’une prophétie faisant allusion à la profanation du Temple dans le livre de Daniel — Mc 13, v. 14 : « Lorsque vous verrez l’abomination de la désolation établie là où elle ne doit pas être — que le lecteur fasse attention »… Une prophétie écrite — « que le lecteur comprenne ! » précise le texte — comme un avertissement pour des lecteurs.

« L’abomination de la désolation » renvoie au prophète Daniel, qui annonce ainsi comme signe de catastrophe, une idole, « l’abomination de la désolation », au cœur du Temple — cela concerne donc dans l’Évangile de Marc en premier lieu ce qui adviendra en 70 : moment de grande détresse, allant des idoles romaines dans le Temple, à sa destruction et à la dévastation de Jérusalem par les Romains.

Mais Marc l’a écrit sans le mot « Temple » : l’avertissement peut donc être élargi : « Lorsque vous verrez l’abomination de la désolation établie là où elle ne doit pas être » (v. 14). À la veille de chaque tournant pour le peuple de Dieu, on assiste à ce phénomène qui annonce la fin d’un temps : des idoles à la place du Dieu unique que l’on ne peut représenter. Ce que le livre de Daniel appelle « l’abomination de la désolation », au cœur du Temple. Le texte de Marc évoque cela. Sans dire exactement : « établie dans le Temple » — mais : « établie là où elle ne doit pas être ». Pour un monde dans la nuit.

La détresse incomparable que signifie « l’abomination de la désolation », vaut donc pour le temps du temple de Jérusalem, mais aussi dès lors pour tous les temps qui suivent. Tandis qu’au cœur de l’avertissement brille la promesse de la délivrance : l’avènement du Fils de l’Homme céleste. Une délivrance à toute autre mesure que les délivrances qui se voient…

Lorsque « l’abomination de la désolation » est avérée, le monde semble comme vidé de la présence de Dieu, les cieux-mêmes sont ébranlés, comme dans le récit du déluge. 70 s’annonce comme un de ces moments — un signe visant une autre dimension, où tout est remis en cause.

Ébranlement des puissances des cieux par la gravité de la violence subie — comme en 70, ou encore, comme l'histoire nous a réservé d’innombrables terribles moments, nous obligeant parfois à reconsidérer tout ce qu’on a dit avant du monde et de Dieu ; les cieux ébranlés comme d’une autre façon ils peuvent être bouleversés lors d’une nouvelle configuration des espaces célestes, ainsi sous le regard de la lunette de Galilée, préfigurant de dix ans l'ébranlement de la guerre de Trente ans comme fin d'un monde…

Ici, c’est la violence destructrice qui atteint jusqu’au signe de la présence de Dieu, le Temple, profané. Au cœur de cette détresse, annonce Jésus, apparaît, le signe du Fils de l’Homme qui est dans les cieux, signe contradictoire, scellant la détresse d’un côté : « toutes les familles de la terre se frapperont la poitrine » ; ouvrant d’un autre côté, et par là-même, sur une délivrance radicalement nouvelle : promesse d’un monde nouveau…

Car à présent, Jésus annonce plus que ce qui concerne le Temple en dur : l’idole « là où elle ne doit pas être » — aujourd'hui l'idole unique que l'on veut faire passer pour le Dieu unique en tuant en son nom !

« Vous êtes le Temple de Dieu », soulignent les Écritures. C’est là le vrai sanctuaire : qu’est-ce donc qui est installé où cela ne doit pas être ? Qu’est-ce qui trône dans le « lieu très saint » du Temple de nos vies, c’est à dire au plus intime de nous même ; qu’est-ce qui y trône ? Si c’est ce qui ne doit pas y être, il y a menace !

Que dire alors de nos jours, où le Temple de Dieu, marque de la dignité humaine, est bafoué en ce cœur symbolique qu'en est pour nos jours le premier article des Déclarations de Droits de l’Homme : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits », et les cinq article suivants de la Déclaration de 1948 bannissant maltraitance et torture… Une grimaçante idole ne trône-t-elle pas au cœur du sanctuaire quand sous nos, yeux, en Libye (et ailleurs), des hommes, dont la vocation est d'être le sanctuaire de Dieu, sont réduits aujourd'hui en esclavage ?

*

À présent, par trois fois, Jésus appelle directement à veiller, ou à rester éveillés, comme en l’attente d’un homme parti en voyage en nous ayant confié ses biens.

1. La première fois il s’adresse à ses interlocuteurs et illustre ses paroles d’une petite parabole d’homme en voyage qui confie des tâches, et notamment au portier chargé, lui particulièrement, de veiller, ce qui fait d’ailleurs un quatrième appel à veiller, indirect celui-là, allusif, puisque adressé au portier.

2. La deuxième fois, Jésus reprend l’exhortation, mais il passe de l’histoire indirecte, à un « vous » introduit dans ce qui n’est donc plus simplement une parabole.

3. La troisième fois, il passe du “vous” au “tous”. Ce qui peut s’entendre dans premier temps comme les disciples auxquels il s’adresse et les disciples à venir qui entendront ou liront ces propos, c’est-à-dire, nous, ou bien ses contemporains d’un côté, et le reste du monde de l’autre, c’est-à-dire encore nous.

Une fois : “vous”, veillez, avec illustration dans laquelle apparaît un portier chargé, lui, de veiller. Une deuxième fois, la parabole se confond avec l’exhortation; “Vous” deviennent chacun “portiers”. Une troisième fois, on passe à “tous” — tous portiers en quelque sorte. La petite parabole de l’homme parti en voyage laisse à penser qu’il y a plusieurs tâches.

Mais la tâche du portier est la plus importante, voire la seule qui compte, celle en tout cas qu’il s’agit de rechercher : veiller. Pendant le départ du maître, ses serviteurs ont l’autorité, ce qui n’est pas rien, ce qui n’est pas rien quand on comprend qui représente l’homme : le maître absenté, à savoir Dieu !

Le départ du Maître, de Dieu, ou du Christ, n’est pas un départ pour rire. Dieu est réellement absent, nous sommes dans la nuit — ce qui est signifié ici dès le départ par le fait que le Père seul sait, pas même les anges, ni même le Fils !

Voilà qui est ambivalent : en premier lieu c’est tragique. Nous voilà seuls en un monde dont l’Histoire nous montre chaque jour combien il est épouvantable. Du coup l’autorité ayant été remise aux serviteurs, chose qui fait peur, Dieu n’est pas coupable des horreurs que commettent les hommes.

Mais quand même : pourquoi donc est-il parti ? Un voyage !? Si on était chez Luc (19, 12), on le saurait : il est parti pour être investi de la royauté. Ici c’est tout de même un peu pareil : dans le temps de son exil, de son absence, il ne règne pas. Absence réelle dont on sait les conséquences tragiques.

C’est que durant cette absence, autre chose, peut-être règne en nos vies — peut-être même que son absence est en rapport avec le fait qu’il a été détrôné du lieu très saint de nos vies. Et peut-être que l’on ne sait pas cela, peut-être qu’on l’ignore, jusqu’au jour, où… « lorsque vous verrez l’abomination de la désolation établie là où elle ne doit pas être » — « lorsque vous verrez » précise le texte. Un jour apparaît que quelque chose régnait au cœur de nos vies en l’absence maître sans que — jusque là — on s’en soit rendu compte.

Alors, lorsque vous « lorsque vous verrez l’abomination de la désolation établie là où elle ne doit pas être » c’est que le temps de la délivrance s’est approché…

*

Et c’est ici précisément que la bonne nouvelle intervient dans la prophétie donnée par Jésus. À ce moment précis, le jour de la délivrance est en vue. Un autre monde est possible parce qu’on a vu l’abomination de la désolation installée où elle ne doit pas être…

Du coup, en percevant bien cela, voilà qu’on comprend mieux l’importance de la tâche du portier, de la vigilance : la vraie vie, la joie, est dans la présence du Maître, pas dans son absence, alors qu’il semble absent du cœur du Temple, remplacé par une idole.

Voilà qui éclaire d’une lumière crue, et encore faible certes, comme celle d’une chandelle dans la nuit, un aspect du tragique de notre vie agitée. Voilà qui rend tellement souhaitable ce retour du maître, déjà au cœur de nos vies.

Voilà que la vraie vie est de veiller. Il y a quelque chose à ne pas rater. « Vous ne savez pas quand ce sera le moment » disait Jésus au début de son exhortation. Ne vous endormez donc pas de ce sommeil qui consiste à s’imaginer que le temps de ce monde est éternel, et qu’on peut se comporter — d’une part, autrement qu’en gérant provisoire ; et par ailleurs qu’on peut se permettre de croire que ce train qu’on rate aujourd’hui repassera demain.

À nouveau, c’est aujourd’hui le jour du salut. C’est aujourd’hui que le bonheur passe à portée de main. Ce soir ? Cette nuit ? Demain matin ? C’est de cette façon étrange que vient le Royaume, que du cœur de l’absence, le Maître se fait présent au milieu de nous.


RP, Poitiers, 1er dimanche de l'Avent, 3/12/17