dimanche 23 septembre 2018

Savoir qui était le plus grand...




Jérémie 11.18-20 ; Psaume 54 ; Jacques 3.16–4.3 ; Marc 9.30-37

Marc 9, 30-37
30 Partis de là, ils traversaient la Galilée et Jésus ne voulait pas qu’on le sache.
31 Car il enseignait ses disciples et leur disait : “Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, lorsqu’il aura été tué, trois jours après il ressuscitera.”
32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l’interroger.
33 Ils allèrent à Capharnaüm. Une fois à la maison, Jésus leur demandait :
“De quoi discutiez-vous en chemin ?”
34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils s’étaient querellés pour savoir qui était le plus grand.
35 Jésus s’assit et il appela les Douze ; il leur dit :
“Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.”
36 Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et, après l’avoir embrassé, il leur dit :
37 “Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même ;
et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé.”

*

Alors que Jésus vient d’annoncer à ses disciples qu’il va être crucifié pour que sa seule gloire soit celle que Dieu lui donne, dans sa résurrection, les disciples — qui n’ont pas compris, dit le texte — se querellent pour savoir qui d’entre eux est le plus grand ! Le décalage est total !

*

Et Jésus de leur demander alors calmement : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » — avec une absence d’indignation qui ne s’explique sans doute pas autrement que par une grande tolérance devant nos cœurs irrémédiablement tortueux, tolérance due sans doute à une connaissance sans illusion de cette tortuosité.

Peut-être aussi, du coup, l'indulgence, la patience dont Jésus fait preuve ici est-elle due à quelque lassitude face aux préoccupations des douze, si humaines après tout.

Patience en rapport aussi, dès lors, avec l’incroyable naïveté de leur questionnement.

À cela s’ajoute le fait qu’étant avec lui, ses disciples ont quand même part au mépris du Christ — « si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier et le serviteur de tous » (v. 35) — ; ils subissent de toute façon ce mépris qui débouchera sur la croix.

*

Puis Jésus met un enfant au milieu d’eux. Il vient donc de leur donner cette forte leçon : « si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier et le serviteur de tous ». Invitation à se faire le dernier car c’est là seulement le chemin de la vraie gloire.

Mais alors, que donne-t-il en exemple dans un enfant ? Il faut bien répondre à cette question. Est-ce donc son humilité ? Où, comme on semble parfois aimer le penser, l’humilité vaudrait innocence…

Mais il suffit d’avoir observé un enfant, ou d’avoir un peu la mémoire de notre propre enfance pour considérer avec prudence l’innocence de ces arracheurs d’ailes de mouches. Est-ce alors l’humilité comme absence de sens critique, bref avaler n'importe quoi, qui caractériserait l’enfant qui nous serait donnée en exemple ? Évidemment pas ! — quoique cette hypothèse ait dû avoir très tôt du succès, puisque Paul s’empresse de dire aux Corinthiens que sous cet angle, il ne leur faut pas se comporter comme des enfants.

Devant la tortuosité des disciples, notre tortuosité — serait-ce alors la simplicité de l’enfant que Jésus soulignerait ? Peut-être en un sens. En ce sens qu’un enfant n’a pas encore appris tous les rouages de la tortuosité. Mais à y regarder de près l’explication est insuffisante. Les disciples ne sont pas si experts que cela en manœuvres. Ils ont même quelque chose de transparent, de naïf même, qui explique une part de cette absence d’indignation de Jésus (on en a parlé). Pas loin d’être touchant. Et même exemplaire d’une certaine façon. Cela contre notre façon de prendre souvent les disciples de haut en ironisant quand les évangiles nous disent, comme ici, qu’ils ne comprenaient pas ce que Jésus disait ! Ce sont quand même eux qui ont écrit les textes dans lesquels ils dressent ces portraits par lesquels ils nous semblent si ridicules. Un peu d’humilité de notre part à leur égard est donc de mise. L’exemple de l’enfant vaut bien pour nous ici.

L’humilité, c’est bien cela. Oh, non pas l’humilité subjective, l’humilité d’attitude qui serait celle de l’enfant ! Il suffit d’en voir un faire un caprice, pour se rendre compte qu’ils ne se prennent déjà pas pour quantité négligeable… Les enfants aussi sont des pécheurs — Calvin les appelait avec humour « des petites crapules ».

Non ce n’est pas parce qu’ils seraient remarquables d’innocence, ou qu’ils auraient déjà appris à être confits en sainteté, serait-ce sous forme d’humilité, que Jésus en met un comme en place d’honneur au milieu des disciples. C’est de son humilité objective qu’il s’agit : à savoir, puisqu’il est petit, on le regarde de haut (on est, à l'époque, dans une autre perspective que celle qui aujourd'hui veut des enfants-rois) ; on ne lui demande pas son avis, on le considère comme quantité négligeable ; bref, au fond, on le méprise. Eh bien c’est en cela qu’il ressemble à Jésus, qui tout roi qu’il est devant Dieu, va être méprisé, rejeté, crucifié, tandis que les siens tirent des plans sur la comète et spéculent sur leur grandeur respective au regard de leur place dans le futur gouvernement messianique.

Voilà où l’enfant est pour eux, pour nous, un exemple : peu considéré, une figure de Jésus, et à travers lui, de Dieu.

*

Et puis au fond, il y a là une leçon sur la liberté : celui qui veut s’exalter lui-même, acquérir de la gloire, devient sans le savoir l’esclave de tous les flatteurs au-dessus desquels il s’imagine s’élever. Apparemment le premier, il est en fait le dernier.

Tandis que le plus méprisé apparemment, celui que nul ne considère en ce qui concerne les choses sérieuses comme le Règne du Christ, l’enfant, vit dans une parfaite liberté à l’égard de la mare de la flatterie qui préoccupe tant les chercheurs de trônes et de couronnes que nous pouvons tous être à notre façon : il y a aussi des couronnes à nos échelles, et qui suscitent bien des amères compétitions depuis les entreprises jusqu’aux Églises…

Alors, dans le Christ, qui n’a pas regardé comme une proie la gloire de Dieu qui est sienne dans l’éternité, celui qui reçoit l’enfant jugé comme lui sans grand intérêt, — reçoit le Dieu lui-même présent dans son envoyé, dont on ne perçoit pas assez que la gloire passe par son humiliation apparente, la croix, trop indigne pour qu’on puisse croire qu’elle est le lot du glorieux, du Fils d’éternité. Combien est-il tentant de préférer la gloire du Christ à sa croix ! Mais il n’est de gloire que celle de la croix.

*

Face à notre cœur, à nos tortuosités et à nos questions secrètes, la justice de Dieu est donnée à notre seule foi. C’est là le sens de ce que le Fils de l’Homme est venu pour servir et pour donner sa vie en rançon pour beaucoup.

Que chacun donc lui fasse confiance. Il peut tout renouveler, tout transformer. C’est cela le Royaume qu’il vient instaurer, et non pas un règne où chacun ne vise qu’à dominer autrui. Jésus lui, donne en exemple ce qu’il y a de plus petit à nos yeux.


R.P., Poitiers, 23.09.18


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire