dimanche 23 décembre 2018

“Tu es bénie entre toutes les femmes”




Michée 5, 1-5 ; Psaume 80 ; Hébreux 10, 5-10 ; Luc 1, 39-45

Luc 1, 39-45
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
41 Or, lorsque Elisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein !
43 Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l’enfant a bondi d’allégresse en mon sein.
45 Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira ! »

*

Après l’annonce angélique la concernant, on trouve ici Marie enceinte qui rend visite à sa parente enceinte elle aussi, miraculeusement elle aussi (Luc 1, 36). On a appris par ailleurs dès le début de l’Évangile que la famille d’Élisabeth et de Zacharie est une famille sacerdotale. Élisabeth est une descendante d’Aaron (Luc 1, 5). Zacharie son mari est prêtre. La visite de Marie correspond dès lors à ce qu’enseigne la Torah en matière de soupçon d’infidélité conjugale (Nombres 5) : un mari suspicieux devait faire appel à un prêtre. Ce que ne fait pas Joseph, mais Luc suggère ainsi que Marie fait indirectement attester par un prêtre la vérité de ce qui lui arrive. L’acclamation d’Élisabeth en témoigne : « tu es bénie entre toutes les femmes », s’exclame-t-elle à la vue de Marie.

Cela signifie aussi, Élisabeth étant sa parente, que par Marie, Jésus se rattache à la lignée sacerdotale. Ce qui n’en fait pas un prêtre pour autant, mais qui n’est sans doute pas indifférent quand on sait que c’est Jean le Baptiste, le fils d’Élisabeth, qui le désignera (dans le quatrième Évangile) comme l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde, fonction sacerdotale. On est avec le Baptiste et sa parenté dans un milieu sacerdotal.

Et Jean baptisera Jésus, baptême auquel Jésus donnera une signification sacerdotale. Or Jésus est présenté, par Luc lui-même, comme fils de David, et donc de tribu royale, par la généalogie, adoptive pour lui, de Joseph. De lignée royale, symbole nécessaire pour être le Messie, mais qui exclut a priori l’aspect sacerdotal. Cf. Épître aux Hébreux 7, 14 : « il est notoire que notre Seigneur est sorti de Juda, tribu dont Moïse n’a rien dit pour ce qui concerne le sacerdoce », d'où, Héb 8, 4 : « S’il était sur la terre, il ne serait pas même sacrificateur ». Dimension sacerdotale de l’oeuvre de Jésus pourtant — mais d'un autre ordre, céleste, éternel, selon l’Épître aux Hébreux —, fonction décisive pour ce qui s’avèrera être le plein sens de sa tâche messianique.

*

Mais alors, si le fils d’Élisabeth est celui qui investit Jésus dans sa fonction sacerdotale céleste, éternelle, en le baptisant, alors, et malgré sa célèbre réticence à le baptiser (selon son humilité devant celui dont il hésite même à « délier les sandales »), ne lui est-il pas supérieur dans l’ordre sacerdotal ?

Face à cela, Jean hésite à le baptiser, et confesse, à nouveau dans le quatrième Évangile, que Jésus le précède de toute l’éternité : « il était avant moi », dit-il !

C’est la même idée que l’on retrouve ici. Jean, déjà dans le sein de sa mère, tressaille en la présence de la mère enceinte du Messie. Et la mère de Jean traduit, selon l’Esprit saint, précise le texte, le sens de ce tressaillement : « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni. Cela m’est un privilège que tu me visites ! » — « Bienheureuse celle qui a cru. »

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« Bienheureuse parce que tel est le fruit de ton sein. » On retrouve plus tard, en Luc 11 (v. 27-28), une bénédiction semblable prononcée par une autre une femme :

« Une femme, élevant la voix du milieu de la foule, dit à Jésus : Heureux le sein qui t’a porté ! Heureux les seins qui t’ont allaité ! Et il répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »

Bénédiction similaire à celle d’Élisabeth, mais prononcée alors par Élisabeth dans l’intimité des commencements.

*

L’épisode du ch. 11 renvoie donc à ce ch. 1, à notre passage, et au v. 48, où Marie y fait elle-même écho : « toutes les générations me diront bienheureuse », disait Marie. Makaria, le même mot : la femme du ch. 11 entame l’accomplissement de la parole l’Élisabeth, et la parole de Marie sur elle-même : « toutes les générations me diront bienheureuse ».

Et Jésus, lui, la renvoie à cette autre bénédiction que prononçait Élisabeth sur sa mère ; en Luc 1, 45 : « heureuse celle qui a cru ». Et voilà qui nous renvoie aussi à toutes les grandes ancêtres, et en premier lieu à Sara, et à la promesse à Abraham. Espérer contre toute espérance, écouter la parole de Dieu et la garder pour la voir germer. « Heureux ceux qui écoutent la Parole et la gardent ». Et plus encore, ici : c’est le Fils de Dieu que Marie a porté.

Ici Dieu a renversé tous les impossibles : on croirait savoir que les stériles n’enfantent pas, pas plus que les vierges ; on croirait savoir que les morts ne ressuscitent ni que les prophètes ne marchent sur les eaux ou que les pains se multiplient pour les pauvres !

*

Et voilà que Dieu intervient ! Voilà que s’approche le temps où les souffrances prennent fin. Voilà que l’on découvre dans l’intimité de la rencontre de deux femmes, que Dieu, discrètement, prépare ce grand moment de façon cachée dans le sein d’une femme.

Cela, Jean dans le sein de sa mère et Élisabeth à son tour, le pressentent : le jour de la délivrance approche. Ce jour que nous fêtons à Noël. Et Élisabeth a perçu le comment de l’accueil de cette délivrance : « heureuse celle qui a cru à l’accomplissement de la promesse. »

Et elle est bien placée pour savoir, Élisabeth, elle, stérile mais qui a bénéficié pour sa part du miracle de l’enfantement.

Mais le miracle fondamental, c’est bien sûr le mystère de la Parole. Cette Parole non seulement a fait germer le sein d’Élisabeth, et le sein de Marie —, mais c’est cette Parole-même que Marie porte en son sein, c’est le Messie par qui vient la délivrance. Élisabeth l’a compris. Son miracle à elle est là comme signe, comme tout autre miracle, jamais fin en soi.

Marie, elle, porte une toute autre réalité. En elle la Parole devient chair, pour porter toutes nos délivrances. Cette Parole est la Parole qu’il s’agit d’écouter et recevoir. Cette même Parole que Marie recevait et qui faisant fructifier son sein vierge, cette Parole est ainsi annoncée comme une semence, qui, contre tous les malheurs, est destinée à germer jusque dans le Royaume.

L’intervention de Dieu n’est pas tant de l’ordre du coup d’éclat que du type de la semence. La semence d’une parole qui, reçue et gardée, produira des fruits inimaginables depuis le cœur de nos douleurs. La semence de la parole de Dieu dans le sein de Marie est celle du corps du Christ ressuscité.

*

Cette Parole engendre par le Christ des enfants qui ne sont pas nés de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. Au cœur des impossibles, c’est la Parole de Dieu seul qui fait germer son Royaume.

Bienheureux non seulement le ventre qui a porté le Christ et le sein qui l’a nourri, mais quiconque reçoit cette Parole qui a le pouvoir de faire germer le Royaume de Dieu, où toute douleur se taira enfin.


R.P., Poitiers 23.12.18


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