jeudi 30 mai 2019

"Il fut élevé pendant qu’ils le regardaient"




Actes 1.1-11 ; Psaume 47 ; Hébreux 9.24-28 & 10.19-23 ; Luc 24.46-53

Actes 1, 3-11
3 Après qu’il eut souffert, [Jésus] apparut vivant [à ses disciples], et leur en donna plusieurs preuves, se montrant à eux pendant quarante jours, et parlant des choses qui concernent le royaume de Dieu.
4 Comme il se trouvait avec eux, il leur recommanda de ne pas s'éloigner de
Jérusalem, mais d'attendre ce que le Père avait promis, ce que je vous ai
annoncé, leur dit-il;
5 car Jean a baptisé d'eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du
Saint Esprit.
6 Alors les apôtres réunis lui demandèrent: Seigneur, est-ce en ce temps que tu
rétabliras le royaume d'Israël?
7 Il leur répondit: Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que
le Père a fixés de sa propre autorité.
8 Mais vous recevrez une puissance, le Saint Esprit survenant sur vous, et vous
serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et
jusqu'aux extrémités de la terre.
9 Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu'ils le regardaient, et une nuée le
déroba à leurs yeux
10 Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent,
11 et dirent : Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu allant au ciel.

Luc 24, 46-53
46 Et il leur dit: Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour,
47 et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
48 Vous êtes témoins de ces choses.
49 Et voici, j’enverrai sur vous ce que mon Père a promis ; mais vous, restez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la puissance d’en haut.
50 Il les conduisit jusque vers Béthanie, et, ayant levé les mains, il les bénit.
51 Pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux, et fut enlevé au ciel.
52 Pour eux, après l’avoir adoré, ils retournèrent à Jérusalem avec une grande joie ;
53 et ils étaient continuellement dans le temple, louant et bénissant Dieu.

*

Dans le départ du Christ, c’est une réalité à la fois étonnante et connue de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent — il est ici —, il est aussi absent, caché, comme l’est aussi le Père — nous ne le voyons pas.

Déjà quelques quarante jours avant l’Ascension, le départ du Christ, par sa mort, est donné comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » (Lc 24, 41 ; Ac 1, 11) à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait Jésus. Voilà qui prend sa forme définitive au jour de l’Ascension.

Concernant le Christ, cette absence est en premier lieu le signe de son règne, de ce que l'on n'a point mainmise sur lui, un peu comme ces princes antiques qui exerçaient leur pouvoir en restant toujours cachés de tous derrière une série de voiles — sauf à quelques occasions réservées à leurs proches. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle et du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux lisant l'Exode (25, 40). Temple céleste dans lequel officie le Christ, selon l'Épître. « Car le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, en imitation du véritable, mais il est entré dans le ciel même, afin de comparaître maintenant pour nous devant la face de Dieu » (Hé 9, 24). C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort — ce qui est signifié dans sa Résurrection et son Ascension : le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée. Il nous quitte, donc, mais ne nous laisse pas orphelins.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence au-delà de l'absence, et nous met dans la communion de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus. Nous laissant la place, il nous permet alors de devenir ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire dans les temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume ; accomplissement de la Création.

L’Ascension nous dit, dans cette perspective, que s’ouvre pour nous à présent une nouvelle étape du projet de Dieu… Ouvrant dès à présent sur la vie éternelle : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3).

C’est à une dépossession de ce quoi nous sommes attachés que nous sommes appelés — dite ici en termes de repentance en vue du pardon, valant jusqu’à toutes la nations (Lc 24, 47). Or cette repentance, comme dépossession correspond précisément à l'action mystérieuse de Dieu dans la création, jusqu’au jour éternel de la résurrection. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos.

Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes en Dieu pour la résurrection.

Il y a là une puissante parole d’encouragement pour nous. L’Esprit saint remplit de sa force de vie quiconque, étant dépossédé, jusqu’à être abattu, en appelle à lui en reconnaissance, au cœur de cet abattement, de tout ce que sa présence, de ce que tous ses dons, de ce que tous les jours de joie et de présence, à présent révolus, nous ont octroyé.

C’est alors, alors que nous sommes sans force, que tout devient possible. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse », est-il dit à Paul (2 Co 12, 9).

Ainsi les disciples qui viennent de perdre Jésus, dans une faiblesse immense, sont à la veille de recevoir la puissance qui va les envoyer, pleins de la seule force de Dieu, jusqu’aux extrémités de la terre.

En se retirant, ultime humilité, ultime pudeur à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour que jusqu’au jour où il faut nous retirer à notre tour, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée.

Non pas ce que nous projetons de nous-mêmes, non pas ce que nous croyons être en nous situant dans le regard des autres, mais ce que nous sommes vraiment, devant Dieu et qui paraît pleinement au jour de la résurrection.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous concevons de nous-mêmes.

Le Christ lui-même s'est retiré, entrant dans son règne pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu entrant dans son repos pour laisser le monde être.

C'est ainsi que se complète notre création à l'image de Dieu, que se constitue notre être de résurrection.

Et pour le temps en ce monde qui nous est imparti, demeure sa promesse : « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12, 9).

Hébreux 10, 19-23 :
19 Ainsi donc, frères & sœurs, puisque nous avons, au moyen du sang de Jésus, une libre entrée dans le sanctuaire
20 par la route nouvelle et vivante qu’il a inaugurée pour nous au travers du voile, c’est-à-dire, de sa chair,
21 et puisque nous avons un souverain sacrificateur établi sur la maison de Dieu,
22 approchons-nous avec un cœur sincère, dans la plénitude de la foi, les cœurs purifiés d’une mauvaise conscience, [avec ce signe du] corps lavé d’une eau pure.
23 Retenons fermement la profession de notre espérance, car celui qui a fait la promesse est fidèle.


RP, Poitiers, Ascension, 30.05.19


dimanche 26 mai 2019

Pour la guérison des nations




Actes 15.1-29 ; Psaume 67 ; Apocalypse 21.10-23 ; Jean 14.23-29

Actes 15, 16-29
Il est écrit (dit Jacques citant Amos 9, 11-12 – version LXX) :
16 Après cela, je viendrai reconstruire la hutte écroulée de David.
Les ruines qui en restent, je les reconstruirai, et je la remettrai debout.
17 Dès lors le reste des hommes cherchera le Seigneur,
avec toutes les nations qui portent mon nom.
Voilà ce que dit le Seigneur,
il réalise ainsi ses projets

18 connus depuis toujours.
19 « Je suis donc d’avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des nations qui se tournent vers Dieu.
20 Écrivons-leur simplement de s’abstenir des souillures de l’idolâtrie, de l’immoralité, de la viande étouffée et du sang.
21 Depuis des générations, en effet, Moïse dispose de prédicateurs dans chaque ville, puisqu’on le lit tous les shabbats dans les synagogues. »
22 D’accord avec toute l’Église, les apôtres et les anciens décidèrent alors de choisir dans leurs rangs des délégués qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabas. Ce furent Judas, appelé Barsabbas, et Silas, des personnages en vue parmi les frères.
23 Cette lettre leur fut confiée : « Les apôtres, les anciens et les frères saluent les frères des nations, qui se trouvent à Antioche, en Syrie et en Cilicie.
24 Nous avons appris que certains des nôtres étaient allés vous troubler et bouleverser vos esprits par leurs propos ; ils n’en étaient pas chargés.
25 Nous avons décidé unanimement de choisir des délégués que nous vous enverrions avec nos chers Barnabas et Paul,
26 des hommes qui ont livré leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ.
27 Nous vous envoyons donc Judas et Silas pour vous communiquer de vive voix les mêmes directives.
28 L’Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables :
29 vous abstenir des viandes de sacrifices aux idoles, du sang, des animaux étouffés et de l’immoralité. Si vous évitez tout cela avec soin, vous aurez bien agi. Adieu ! »

Jean 14, 23-29
23 Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure.
24 Celui qui ne m’aime pas n’observe pas mes paroles ; or, cette parole que vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé.
25 Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous ;
26 le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit.
27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.
28 Vous l’avez entendu, je vous ai dit : “Je m’en vais et je viens à vous.” Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, car le Père est plus grand que moi.
29 Je vous ai parlé dès maintenant, avant l’événement, afin que, lorsqu’il arrivera, vous croyiez. »

*

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. » Il s'agit d'un rapport à la parole de Jésus, qui est celle du Père (v. 24), il s'agit d'une relation à cette parole telle qu'elle correspond à la présence de Jésus et du Père au cœur de la vie de qui la garde parce qu'il l'aime, la chérit, chérit celui qui la porte. C'est déjà la présence de l'Esprit saint par lequel cette parole vit en qui la reçoit, devient parole vivante qui produit son fruit d'amour.

Le double commandement du Deutéronome et du Lévitique — « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme, de tous tes moyens », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » — est cité chez Matthieu, Marc, Luc, ou Paul, mais pas chez Jean. À la place, on a « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » et « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ». Cela revient certes à une citation du double commandement — mais pas littérale, et de ce fait présenté sous un autre angle, d'une façon précisée, un peu comme quand Jésus commente la Loi, chez Matthieu, en termes de « moi je vous dis. » Il ne contredit jamais la Loi, mais en offre un vécu personnel, une lecture intimement personnelle : non pas dans le « on », mais dans le « je », « moi je ». Eh bien ici, chez Jean, il en est de même, pour Jésus, mais, de façon explicite, pas simplement pour Jésus seul, mais pour les disciples, par le don de l'Esprit saint, du Paraclet, du Consolateur qui vient combler le vide de sa mort à l'avantage de ses disciples : « réjouissez-vous de ce que je vais au Père ».

Il s'agit d'une relation toujours nouvelle à la parole du Père qui est celle de Jésus, c'est-à-dire donnée comme un vécu : je vous ai donné un exemple vient-il de dire après avoir lavé les pieds de ses disciples : c'est quelques versets plus haut. Ici nous comprenons que ce n'est pas d'une imitation, comme d'une recette, qu'il s'agit, mais d'un exemple de ce que le vécu de la loi doit être toujours nouveau, toujours chargé d'imagination et de surprise, rien de l'ordre de la routine ou de la recette. Le commandement est toujours nouveau, il l'a toujours été, depuis le Lévitique, et même depuis la création du monde.

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». Cet amour de Dieu qu'on ne voit pas consiste à garder sa parole. Quelque chose de très classique au fond, et de toujours radicalement nouveau. Et qui est la présence aimante de Dieu en nous. « Mon Père aimera celui qui garde ma parole. Et par cette parole gardée le Père et moi demeurerons en lui, en elle ». Et cela, c'est le don de l'Esprit saint qui « vous enseignera toutes choses par le rappel, la concrétisation en vous, de tout ce que je vous ai enseigné ». C'est là au fond quelque chose de classique dans le judaïsme, où aussi, c'est toujours nouveau : garder les commandements, les observer à son humble mesure et contribuer ainsi à la réparation du monde, de ce monde blessé.

*

Actes 15 — Eh bien, dans la perspective qui fonde la mission des douze, puis de Paul ; selon sa conviction que le règne de Dieu concernant toutes les nations est advenu avec le tournant glorification/résurrection du Christ, que Jésus annonçait dans le texte de Jean que nous venons d’approcher : toutes les nations (etné/goïm) sont appelées sans qu’elles n’aient à devenir autre que ce qu’elles sont quant à leur personnalité propre. Et donc, pas plus que les nations n’ont à devenir juives quant à leur identité rituelle, les juifs, dont l’identité vocationnelle est fondée sur la Loi qui porte cette promesse que Paul considère comme advenue, n’ont à devenir non-juifs !

À tous, comme l’a demandé Jésus, jusqu’aux nations des extrémités de la terre : « il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père » a-t-il affirmé juste avant (Jn 14, 2). À tous : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. » À tous, donc : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre ». Dans le commandement d’amour reçu de la loi de Moïse s’ouvre la guérison des nations ! Dans laquelle loi on trouve aussi les préceptes de Noé proposés aux nations par Jacques selon Actes 15, et en quoi Jean et Paul sont d’accord, selon Galates 2, 9.

On a entendu ce qui est proposé : « Qu’on leur écrive de s’abstenir des souillures des idoles, de l’impudicité, des animaux étouffés et du sang » (Ac 15, 20). C’est la Loi de Noé selon le Talmud de Babylone, traité Sanhédrin 56a : Nos sages ont enseigné : sept lois ont été données aux fils de Noé [à l’humanité] : – établir des tribunaux, / – interdiction de blasphémer, / – interdiction de l’idolâtrie, / – interdiction des unions illicites, / – interdiction de l’assassinat, / – interdiction du vol, / – interdiction d’arracher un membre d’un animal vivant.

S’il n'y a pas lieu de délégitimer la Loi pour conduire les juifs à cesser de l’être, il est tout autant illégitime d’exiger des nations qu’elles cessent d’être ce qu’elles sont ! Simplement le rituel de Moïse concerne les juifs (cf. Exode 19, 5-6) — valant comme tel jusqu’à la fin du temps, selon Jésus (Matthieu 5, 18). La loi biblique, loi de liberté, n’est pas remise en cause ! — cf. Ro 7, 12-14 : « La loi est sainte ». La dimension morale universelle de la Loi est reprise sans problème par Paul, avec son cœur reçu dans le judaïsme : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14 / Lv 19, 18), et ses développements (Ga 5, 15-23). Et cela, cette dimension morale, vaut pour tous et pour tous les temps, entrant dans l'intimité de ce qu'est chacun : garder cette parole au cœur de chacun de la façon dont Jésus l'a vécue — en « je », « comme je vous ai aimés ».

*

Et il n'y a rien d'angoissant à ce que nous ne sommes pas à la mesure de la hauteur des paroles et des actes de Jésus. Chacun sa mesure, précisément. C'est pourquoi, « que votre cœur cesse de se troubler et de craindre » — « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Pas à la manière du monde ». « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. » Ma parole portera son fruit, par mon Esprit, l'Esprit du Père, qui est l'amour qu'il vous porte par sa parole, ma parole qui habite en vous — et portera son fruit en amour du prochain.

*

Apocalypse 21, 9-23
9 Alors l’un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept derniers fléaux vint m’adresser la parole et me dit :
Viens, je te montrerai la fiancée, l’épouse de l’agneau.
10 Il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne,
et il me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu.
11 Elle brillait de la gloire même de Dieu. Son éclat rappelait une pierre précieuse, comme une pierre d’un jaspe cristallin.
12 Elle avait d’épais et hauts remparts.
Elle avait douze portes
et, aux portes, douze anges et des noms inscrits :
les noms des douze tribus des fils d’Israël.
13 A l’orient trois portes, au nord trois portes,
au midi trois portes et à l’occident trois portes.
14 Les remparts de la cité avaient douze assises,
et sur elles les douze noms des douze apôtres de l’agneau.
15 Celui qui me parlait tenait une mesure, un roseau d’or,
pour mesurer la cité, ses portes et ses remparts.
16 La cité était carrée : sa longueur égalait sa largeur. Il la mesura au roseau, elle comptait douze mille stades :
la longueur, la largeur et la hauteur en étaient égales.
17 Il mesura les remparts, ils comptaient cent quarante-quatre coudées,
mesure humaine que l’ange utilisait.
18 Les matériaux de ses remparts étaient de jaspe,
et la cité était d’un or pur semblable au pur cristal.
19 Les assises des remparts de la cité s’ornaient de pierres précieuses de toute sorte.
La première assise était de jaspe, la deuxième de saphir,
la troisième de calcédoine, la quatrième d’émeraude,
20 la cinquième de sardoine, la sixième de cornaline,
la septième de chrysolithe, la huitième de béryl,
la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase,
la onzième d’hyacinthe, la douzième d’améthyste.
21 Les douze portes étaient douze perles.
Chacune des portes était d’une seule perle.
Et la place de la cité était d’or pur comme un cristal limpide.
22 Mais de temple, je n’en vis point dans la cité,
car son temple, c’est le Seigneur, le Dieu souverain, ainsi que l’agneau.
23 La cité n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer,
car la gloire de Dieu l’illumine, et son flambeau, c’est l’agneau.
Apocalypse 22, 2
2 Au milieu de la place de la cité et des deux bras du fleuve,
est un arbre de vie produisant douze récoltes.
Chaque mois il donne son fruit,
et son feuillage sert à la guérison des nations.

*

Psaume 67. Que Dieu nous bénisse et nous garde
(Trad. Théodore de Bèze / fr. moderne R. Chapal)
Que Dieu nous bénisse et nous garde,
Lui dont la joie est de donner ;
Dans son amour qu’il nous regarde
Et nous serons illuminés.
Tous ceux qui espèrent
Verront sur la terre
S’ouvrir un chemin,
Car Dieu qui s’avance
Est la délivrance
De tous les humains.

RP, Poitiers, 26/05/19


dimanche 19 mai 2019

"Commandement nouveau"




Actes 14. 21-27 ; Psaume 145 ; Apocalypse 21. 1-5 ; Jean 13. 31-35

Jean 13, 31-35
31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ;
32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c’est bientôt qu’il le glorifiera.
33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j’ai dit aux autorités judéennes : “Là où je vais, vous ne pouvez venir”, à vous aussi maintenant je le dis.
34 « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.
35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

*

« Commandement nouveau ». En quoi ce commandement est-il nouveau ? Écoutons ce qu’en dit la première épître de Jean…

1 Jean 2, 7-8 :
7 Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien que vous avez eu dès le commencement ; ce commandement ancien, c’est la parole que vous avez entendue.
8 Toutefois, c’est un commandement nouveau que je vous écris […].

Commandement nouveau « que vous avez eu dès le commencement ». Une parole qui renvoie à la nouveauté éternelle de la rencontre du Christ : c’est d’éternité qu’il est question, c’est éternellement que le commandement est nouveau, comme le commandement du Lévitique auquel il est ici fait écho parle d’éternité — « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév 19, 18) est l’expression dans le temps de la parole du Deutéronome « tu aimeras le Seigneur ton Dieu » (Dt 6, 5), Dieu d’éternité.

*

« Là où je vais, vous ne pouvez venir » — parole qui précède immédiatement le don renouvelé du commandement d’Éternité, le commandement d'amour. Là où Jésus va c’est à la mort — la sortie de Judas (v. 31) en est le signe. Mort en croix que l’évangile de Jean appelle gloire, manifestant la gloire de Dieu, son être de Dieu-amour — cf. par ex. ch. 12, v. 28-33 (ici v. 31-32). Mort comme conséquence d’un amour dont il n’en est pas de plus grand et dont Jésus vient de donner le signe en lavant les pieds de ses disciples : « pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15, 13).

Et là, vous ne pouvez venir, précise-t-il alors. L’amour dont je vous ai donné le signe et l’exemple est hors de portée. On n’aime pas jusqu’à la mort. À preuve, ce qui est encore loin d’être la mort, on ne donne pas tous ses biens. On ne donne que de son superflu. Par exemple, on ne remédie pas aux écarts de revenus faramineux de notre société. Celui qui a infiniment plus estime l’avoir mérité face à celui qui n’a rien. Faut-il un autre signe de ce qu’on n’aime pas comme Jésus a aimé ? « Là où je vais, vous ne pouvez venir »… Et pourtant… « à ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

Alors Jésus a ouvert une voie pour que nous venions quand même — un peu, à notre mesure ; un disciple est un apprenti. À l’école de l’empathie — préparation pour plus tard : « tu me suivras plus tard », dit Jésus à Pierre juste après (v. 36). École de la vie : apprendre à aimer — un exercice, écrit C.S. Lewis, dans son livre Apprendre la mort / A grief observed, à propos du mariage avec son épouse juste décédée. Un exercice d’éternité, puisque comme le dit saint Augustin, il n’y a qu’un seul amour. Conviction que l’on retrouve, développée, sous la plume d’un spirituel iranien du XIIe siècle, du nom de Rûzbehan : « Amour humain, amour divin, il ne s’agit, dit-il, que d’un seul et même amour, et c’est dans le livre de l’amour humain qu’il faut apprendre à lire la règle de l’amour divin. Il s’agit donc d’un seul et même texte, mais il faut apprendre à le lire. »

Début de l’école, quel qu'en soit le lieu : empathie — se mettre à la place de l’autre dans une humble mesure, jusqu’à ne pas lui en vouloir de nous avoir quitté(e), quand Jésus l’a aimé(e) — « tu me suivras plus tard ». C’est ce que le romancier Albert Cohen a appelé « tendresse de pitié » — comme une ouverture à la bonté. D’autant que la vie est brève et que comme toi, dit-il, ton prochain est voué à la mort.

Et puis, « si tu sais que l’autre, écrit-il, ne peut être que ce qu’il est, comment lui en vouloir, comment ne pas lui pardonner ? […] Tu considéreras alors cet innocent avec une tendresse de pitié, et tu n’y auras nul mérite » (Albert Cohen, Carnets 1978, p. 174).

Cette façon humble de suivre Jésus de loin, comme ceux des disciples présents à la croix, est la voie de préparation de ce qui a été appelé l’Imitatio Dei, l’imitation de Dieu, qui a compassion de toi, qui fait pleuvoir sur tous et briller son soleil sur tous, sans aucun mérite.

Alors on s’approche du lieu de la gloire que Jésus reçoit du Père, qui n’est autre que son élévation à la croix. Cette crucifixion qui semble n’être que le lieu de l’ignominie et qui est en fait le lieu de sa glorification — même racine en grec, sembler et être glorifié !

« Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». Ce n’est pas un fardeau accablant que ce commandement nouveau, plus ancien que la création du monde : c’est juste apprendre que dans la brièveté de la vie, faite de tant de misères, il n’y a pas de place ni de temps pour ne pas s’ouvrir à la bonté.


RP, Poitiers, 19.05.19


dimanche 12 mai 2019

"Moi, je leur donne la vie éternelle"




Actes 13.14-52 ; Psaume 100 ; Apocalypse 7.9-17 ; Jean 10.27-30

Jean 10, 27-30
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent.
28 Et moi, je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront pas pour l'éternité et personne ne pourra les arracher de ma main.
29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père.
30 Moi et le Père nous sommes un.

*

« Mes brebis écoutent ma voix et je les connais ». « Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur », disait le Seigneur par le prophète Osée (ch. 2, v. 16). Ou le renard de Saint-Exupéry au Petit Prince : « si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font entrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. »

« Mes brebis écoutent ma voix et je les connais, […]. Moi, je leur donne la vie éternelle […] et personne ne pourra les arracher de ma main […] et de la main de mon Père » (Jean 10, 27-29). Point, pour elles, de mort pour l'éternité (v. 28)…

Mais alors, qu'est-ce que cette histoire de mort pour l'éternité ?

— Pour la Bible, il y a deux mondes : ce monde visible, passager, provisoire, où nos vies se terminent par la mort ; ce monde où l’herbe sèche et la fleur se fane, comme le dit le prophète Ésaïe (ch. 40, 7-8) : c’est la mort pour ce temps, ce temps si bref de nos vies terrestres.

— Et puis il y a une autre réalité, un autre monde, celui du règne de Dieu, dont la Parole subsiste éternellement (Ésaïe 40, 7-8), monde dont Jésus parle comme de son royaume : mon royaume n’est pas de ce monde-ci (Jean 18, 36), ce monde passager, mais du monde éternel. Ce royaume est celui de la résurrection, dans lequel Jésus promet que Dieu fait entrer dès aujourd’hui quiconque croit en lui. Dès aujourd’hui, comme par une première résurrection.

Cette résurrection qui a lieu dès aujourd’hui dans nos vies, première résurrection, nous guérit de ce que l’évangile appelle la première mort, mort spirituelle, agissant avant même la mort physique qui met terme à nos vies. Cette première mort est une mort spirituelle — nous allons voir un peu plus dans un moment de quoi il s’agit.

Disons déjà qu'à cette première mort, mort spirituelle, Jésus donne pour remède, dès aujourd’hui, une résurrection spirituelle, la première résurrection — résurrection qui a lieu dans nos vies aujourd’hui.

Jésus l’a dit précédemment à un homme, Nicodème, venu l’interroger à ce sujet (Jean 3) : le baptême en est le signe : signe de l’entrée dans la vie de l’Esprit, naissance d'en haut pour la vie spirituelle, la vie d’éternité, dont personne ne peut nous arracher.

Alors, qu'est-ce donc que cette première mort, la mort spirituelle ? — que Jésus a le pouvoir de vaincre, comme il va en donner le signe au chapitre suivant en ressuscitant Lazare (Jean 11) ?

Cette mort spirituelle, c'est le désespoir, le désespoir profond qui ronge les vies, une vraie mort qui ronge aujourd’hui nos sociétés réputées « apaisées » — en tout cas concernant notre pays puisque ça fait 70 ans qu’on ne connaît plus de guerres en Europe occidentale. Ce qui n’empêche pas les ravages de la mort spirituelle, qui se traduit par des litanies de détresse, de remords pour ce qu'on a vécu ou pour ce qu'on n'a pas vécu, de culpabilité ; bref, on connaît les affres infernales. C'est là un premier séjour des morts, un enfer que l'on tente de noyer de tous temps dans la distraction — ainsi aujourd'hui dans le bruit permanent, par exemple, diffusé maintenant dans des centres commerciaux, des lieux publics habités de musiques de fond, et autres moyens d'étouffement provisoire d'un enfer qui revient quand on l'attend le moins.

C'est face à cette mort spirituelle qu’est le désespoir que Jésus nous donne la certitude d’être en sa main, par la seule confiance en lui, un avec le Père, qui nous connaît chacun. Il est venu faire connaître le Père, que personne n’a jamais vu (Jean 1, 18).

« Mes brebis écoutent ma voix et je les connais » — « On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard du Petit Prince. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. »

Il est une autre voix qui depuis sa voix de bon berger résonne silencieusement au cœur de nos êtres — « ce n'est pas un discours, il n'y a pas de paroles, aucun son ne se fait entendre », en dit le Psaume 19. Et pourtant, Psaume 19 encore : « le jour l'annonce au jour, la nuit l'explique à la nuit. » La voix de la paix la plus profonde contre toute détresse.

C'est la voix du bon berger qui promet la vie d'éternité dans notre aujourd’hui. Je leur donne la vie éternelle, et elles ne mourront pas pour l'éternité. Cette mort qu'est le désespoir qui ronge en tout temps n'a pas le dernier mot : « personne ne pourra les arracher de ma main. Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père. Moi et le Père nous sommes un. » Source silencieuse d'un immense bonheur, celui d'être connu et aimé comme on est, plus profondément que tout.


RP, Poitiers, 12/05/2019


dimanche 5 mai 2019

Ils sortirent et montèrent dans la barque...




Actes 5, 27-41 ; Psaume 30 ; Apocalypse 5, 11-14 ; Jean 21, 1-19

Jean 21, 1-19
1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta.
2 Simon-Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble.
3 Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » Ils lui dirent : « Nous allons avec toi. » Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.
4 C'était déjà le matin ; Jésus se tint là sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.
5 Il leur dit : « Enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson ? » — « Non », lui répondirent-ils.
6 Il leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. » Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.
7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.
8 Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ.
9 Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain.
10 Jésus leur dit : « Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre. »
11 Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante-trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.
12 Jésus leur dit : « Venez déjeuner. » Aucun des disciples n'osait lui poser la question : « Qui es-tu ? » : ils savaient bien que c'était le Seigneur.
13 Alors Jésus vient ; il prend le pain et le leur donne ; il fit de même avec le poisson.
14 Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts.
15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime », et Jésus lui dit alors : « Pais mes agneaux. »
16 Une seconde fois, Jésus lui dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus dit : « Sois le berger de mes brebis. »
17 Une troisième fois, il dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : « M'aimes-tu ? », et il reprit : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime. » Et Jésus lui dit : « Pais mes brebis.
18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas. »
19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu ; et après cette parole, il lui dit : « Suis-moi. »

*

Ayant bénéficié de la pêche miraculeuse et reçu le repas présenté par le Ressuscité, Pierre, face à Jésus lui demandant pour la troisième fois s'il l'aime, est attristé. Quelle est cette tristesse ? La triple question de Jésus révèle en Pierre celle de la vérité de son amour…

On sait qu'en grec dans notre texte, il y a deux mots différents pour dire aimer. Deux fois Jésus emploie le mot agapè, qui signifie aimer au sens de chérir, et qui implique un comportement actif, et donc en l'occurrence l'obéissance, le service. Et Pierre ne répond jamais avec ce mot-là. Il en emploie un autre, phileo qui n'est pas moins fort, mais qui suppose un état de relation plutôt qu'un engagement. Une relation, très forte en l'occurrence, mais qui semble moins impliquer apparemment. Oui, tu sais que nous sommes en relation d'amitié, que l'amour nous lie — telle est la réponse de Pierre. Pierre, honnête, ne donne pas la parole de l'engagement.

Alors Jésus, lui posant une troisième fois la question, emploie cette fois le mot de Pierre, phileo. Sommes-nous en relation d'amitié, d'amour réciproque ? Et Pierre acquiesce une troisième fois, mais il est triste. Quelle est cette tristesse ? Il n'a pas pu lui dire qu'il l'aimait, au sens d'un engagement de sa part ? Il sait, Jésus sait aussi, qu'ils sont en relation amicale, au sens le plus fort : il y a un véritable amour entre eux. Mais Pierre n'a pas dit la parole, le mot que Jésus a dit.

Cela étant, par là, en reprenant ses mots apparemment moins engageants, Jésus rejoint Pierre. L'amour que je t'ai porté a créé cet état de fait, la relation amicale, relation d'amour maître-disciple, la relation Père-enfant, parce que, par moi, mon Père t'a reconnu comme son enfant, cette relation est là, elle existe, et elle créera en toi l'engagement dont tu sais qu'il est hors de portée.

Jésus rejoint Pierre en le rejoignant dans ses mots, rejoignant la crainte et la tristesse de Pierre dans ce qui est une véritable progression de l'énonciation de l'amour de Jésus.

Il se trouve que cela est confirmé par la version araméenne de ce passage, dans la Bible en araméen, la Peshitta, où le mot pour aimer est les trois fois le même — ce qui change c'est le mot pour brebis, qui indique, lui, une progression. Un mot qui traduit agneau, un autre mouton, un troisième brebis, qui résonnent respectivement avec le mot dire pour le premier, s'engager pour le second, se donner pour le troisième, à savoir la brebis en tant qu'elle est offerte, ce qui renvoie à Jésus lui-même, offert.

*

La tristesse de Pierre prend alors une connotation très forte : il sait que c'est le don de la vie de son maître, offert à la mort pour l'entrée dans la vie de résurrection qui crée en lui ce que Jésus lui demande.

Pierre entrevoit alors sans doute tout le sens de cette tâche de berger en se souvenant de ce que Jésus disait de lui-même, bon berger, dont la tâche, qu'il confie à présent à ses disciples, est finalement de conduire les brebis dès à présent dans les pâturages auxquels on accède en passant de la mort à la vie.

Jésus y a accédé alors que Pierre ne pouvait pas le suivre — et il le disait par trois fois, par trois reniements, voilà l'écho qui est dans sa tristesse —, et où il le suivra bientôt, alors qu' « un autre le ceindra », Jésus lui-même, qui l'appelle à nouveau par trois fois. Pierre avait décidément raison d'hésiter à répondre — hésitation prophétique. « Prends soin de mes brebis » insistait le Seigneur.

*

C'est ce qu'implique la suite de l'histoire, où Jésus annonce à Pierre qu'il étendra un jour les bras pour qu'un autre le mène où il ne voulait pas aller.

Pierre jeune fait ce qu'il veut, va où il veut. Ce matin-là encore il se ceint lui-même, pour aller à la rencontre de Jésus (v. 7). Pierre comprendra par les propos de Jésus que c'est source de tristesse. Mais le Père l'a accueilli, et lui apprendra, au prix de sa tristesse, la joie de la confiance, être ceint par un autre.

Un jour, et c'est déjà ce jour, il ne fera plus ce qu'il voudra, il n'ira plus où il voudra. Un jour, et c'est dès à présent, il obéira au-delà de toute crainte. Un autre le ceindra, et le conduira finalement à la suite de son maître, fût-ce à la croix où il n'avait pas suivi son maître. Bien plus douloureux que l'engagement et le service que Jésus lui demande aujourd'hui. Mais ce jour-là, Pierre aura appris cette confiance / obéissance qui vaut mieux que les mots qu'il n'a pas eu l’inconscience de prononcer.

Alors, le sens de ce qui vient de se passer lors de la pêche miraculeuse se dévoile : celui que les disciples n'avaient pas encore reconnu comme le Seigneur, un inconnu pour eux, leur a demandé à manger. Et ils n'ont alors rien, ils n'ont pris aucun poisson. Lorsque ce même inconnu pour eux leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez » — du côté du soleil à son zénith quand au devant est l'Est de ce petit matin —, ils le font, soucieux de lui donner à manger : ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener, dit le texte, donnant ensuite un nombre de poissons, 153, où depuis les pères de l'Eglise, on voit un symbole de la plénitude des peuples.

Et ils le reconnaissent : le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Pierre reconnaîtra le Seigneur ressuscité, et nous tous avec lui, en ceux vers qui il est envoyé ; le Seigneur dont les apparitions cesseront : va, donc, et pais mes brebis. À nouveau ils sont prêts à sortir et à monter dans la barque de celui qui les mènera aux extrémités de la Terre.


R.P. Châtellerault, 05.05.19