dimanche 1 juin 2025

"Afin que le monde croie"…




Actes 7, 55-60 ; Psaume 97 ; Apoc 22, 12-20 ; Jean 17, 20-26

Livre du prophète Jonas (extraits)
Ch. 1 — 1 La parole de l’Éternel fut adressée à Jonas, fils d’Amitthaï, en ces mots :
2 Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle ! car sa méchanceté est montée jusqu’à moi.
3 Et Jonas se leva pour s’enfuir à Tarsis, loin de la face de l’Éternel. Il descendit à Japho, et il trouva un navire qui allait à Tarsis ; il paya le prix du transport, et s’embarqua pour aller avec les passagers à Tarsis, loin de la face de l’Éternel.
4 Mais l’Éternel fit souffler sur la mer un vent impétueux, et il s’éleva sur la mer une grande tempête. Le navire menaçait de faire naufrage. […]
8 Alors [les marins] lui dirent : Dis-nous qui nous attire ce malheur. Quelles sont tes affaires, et d’où viens-tu ? Quel est ton pays, et de quel peuple es-tu ?
9 Il leur répondit : Je suis Hébreu, et je crains l’Éternel, le Dieu des cieux, qui a fait la mer et la terre.
10 Ces hommes eurent une grande frayeur, et ils lui dirent : Pourquoi as-tu fait cela ? Car ces hommes savaient qu’il fuyait loin de la face de l’Éternel, parce qu’il le leur avait déclaré. […]
15 Puis ils prirent Jonas, et le jetèrent dans la mer. Et la fureur de la mer s’apaisa […].
Ch. 2 — L’Éternel fit venir un grand poisson pour engloutir Jonas, et Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits. […] Puis, suite à la prière de Jonas que nous avons lue en louange,
11 L’Éternel parla au poisson, et le poisson vomit Jonas sur la terre.
Ch. 3 — 1 La parole de l’Éternel fut adressée à Jonas une seconde fois, en ces mots :
2 Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et proclames-y la publication que je t’ordonne !
3 Et Jonas se leva, et alla à Ninive, selon la parole de l’Éternel. Or Ninive était une très grande ville, de trois jours de marche.
4 Jonas fit d’abord dans la ville une journée de marche ; il criait et disait : Encore quarante jours, et Ninive est détruite ! […]
10 Dieu vit [que les Ninivites, hommes et bêtes,] revenaient de leur mauvaise voie. Alors Dieu se repentit du mal qu’il avait résolu de leur faire, et il ne le fit pas.
Ch. 4 — 1 Cela déplut fort à Jonas, et il fut irrité.
2 Il implora l’Éternel, et il dit : Ah ! Éternel, n’est-ce pas ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays ? C’est ce que je voulais prévenir en fuyant à Tarsis. Car je savais que tu es un Dieu compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et qui te repens du mal.
3 Maintenant, Éternel, prends-moi donc la vie, car la mort m’est préférable à la vie.
[…] 10 Et l’Éternel dit : Tu as pitié du ricin qui ne t’a coûté aucune peine et que tu n’as pas fait croître, qui est né dans une nuit et qui a péri dans une nuit.
11 Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle se trouvent plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux en grand nombre !

Jean 17, 20-26
20 "Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi :
21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un,
23 moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde.
25 Père juste, tandis que le monde ne t’a pas connu, je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux."

*

… Ainsi le Christ a prié non seulement pour les Apôtres mais aussi pour celles et ceux qui croiront par leur parole — c’est-à-dire nous ! « Qu’ils soient un comme nous sommes un » !

C'est la seule prière de Jésus qui soit en quelque sorte publique dans les évangiles. Les autres fois, il se retire, au point que les disciples ne savent pas comment il prie, et le lui demandent : apprends-nous comment prier, où Jésus donne le Notre Père. Où l'on découvre que les prières de Jésus, très réservé sur les prières publiques (« toi, entre dans ta chambre et ferme la porte » — dans la chambre intérieure de ton être, pour celles et ceux qui n’ont pas une chambre à soi) —… les prières de Jésus sont les Psaumes, prières liturgiques d'Israël, que résume le Notre Père.

La prière que nous venons de lire, en Jean 17, ne fait pas exception, en cela qu'il ne s'agit pas d'une prière intime, mais d'un moment liturgique : prière de consécration des disciples.

Cela dit, vu le contenu de cette prière, l'unité, une question peut se poser — on la pose parfois : Jésus n’a-t-il donc pas été exaucé ?

*

… Comme Jonas ne l’a pas été, apparemment ! On l’a entendu : Jonas prêche, selon ce que Dieu lui a commandé d’annoncer, que Ninive va être détruite. Or, au bout du compte, Ninive ne sera pas détruite, Dieu se détournant de la menace de destruction après le repentir de Ninive…

Jonas aurait-il donc faussement prophétisé ? Ne va-t-il pas passer publiquement pour un faux prophète ? Il connaît sa vocation, il sait que c’est peut-être même la vocation de sa vie, qu’il va essayer de fuir ! Car au bout du compte sa vocation passe par la nécessité de passer pour un faux prophète. Peut-être que la leçon du livre de Jonas est de nous dire qu’un faux prophète n’est pas nécessairement celui dont la prophétie ne se réalise pas — car la prophétie n’est pas divination ! Parfois le vrai prophète est celui dont le message, la menace en l’occurrence, ne se réalise pas, mais a pour effet de susciter le tournement vers Dieu…

Et si nous avions là une indication concernant notre lecture de la prière de Jésus pour l’unité de ses disciples ?

*

On est dans ce texte peu avant le départ du Christ. Un départ déjà vécu dans sa mort, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait-il. Si le Christ ressuscité (« vous me verrez à nouveau », avait-il dit aux disciples) est lui-même corporellement présent en tout lieu, comme le Père est présent partout, il est aussi désormais, comme l’est aussi le Père, caché à nos yeux, comme absent — nous ne le voyons plus. Nul n’a jamais vu Dieu.

Disciples d’un Christ qui ne se voit plus, témoins par lui d’un Dieu que nul ne voit, comment le dire, comment le faire percevoir ? Jésus vient de le dire : « que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé ». Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Seule façon donnée de faire percevoir le Dieu que nul n’a jamais vu et le Christ qui l’a manifesté, mais à présent absent lui aussi de notre vue. Mais… quel exaucement ?

… Quand il semble en être de même de l’unité qui se fonde dans l’unité du Père et du Fils… Nul n’a jamais vu cette unité, semble-t-il. Et pourtant : c’est « afin que le monde croie » ! Que l’unité se voie !… Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres », paroles données alors précisément que le Christ est enlevé des yeux du monde par la Croix.

Il nous est enlevé, donc déjà par sa mort sur la Croix, lui dont le Nom qu’il nous fait connaître est au-dessus de tout Nom. Il se retire, dans le Nom qu’il a fait ainsi connaître tout à nouveau comme le Nom caché. Il se retire… Non pas pour nous abandonner à notre détresse, à nos vies morcelées, à nos divisions, mais pour officier dans le Temple céleste — ainsi que nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) relisant l'Exode (25, 40) — ; un office unifiant le monde, octroyé dès la fondation du monde — « tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » — et nous en lui : c’est le cœur de notre unité. « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi ».

Or à travers cette prière de Jésus dite au jour de sa crucifixion, c’est à une dépossession semblable à la sienne que nous sommes appelés. C’est là où il est, c’est là sa gloire, la croix.

*

Jésus retiré dans la gloire — « maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui » — la gloire de la croix qui se profile, Jésus prie : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » (Jean 17, 24). Or cela est aussi déjà donné : « moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. » Sa prière est bien exaucée.

Là est l’unité déjà donnée : « près de toi dans ta bouche et dans ton cœur » — dans la plus radicale humilité, au cœur de notre faiblesse assumée à la croix comme élévation à la gloire ; le reste, « qu’ils parviennent à l’unité parfaite », est le chemin de notre « pas encore » vers le « déjà donné ». Ce qui est déjà donné dans l'unité du Père et du Fils peut prendre forme dans notre pas encore. Comme pour Jonas le repentir de Ninive… déjà pardonnée via la prédication du prophète.

Le « déjà » pour nous aussi n’est pas fictif : déjà justes en Christ, encore pécheurs en nous-mêmes — c’était déjà le cas dans l’Église primitive ! — ; déjà un en lui, par l’Esprit saint, dans l’unité du Père et du Fils, pas encore quant à la visibilité ; le monde qui nous est confié est encore divisé par d’immense abîmes, d’immenses injustices. Notre unité est toutefois réelle au cœur de notre diversité. Sa mesure, en vue de sa visibilité pour que le monde croie, est celle de notre foi, de notre confiance en celui qui nous l’a déjà donnée pour la déployer jusqu’à son accomplissement.


RP, Châtellerault, 1er juin 2025
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