dimanche 3 août 2025

“C’est encore là une vanité”




Ecclésiaste 1,2 ; 2,21-23 ; Ps 90 ; Colossiens 3, 1-11 ; Luc 12, 13-21

Ecclésiaste 1,2 ; 2,21-23
1. 2 Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
2. 21 Car tel homme a travaillé avec sagesse et science et avec succès, et il laisse le produit de son travail à un homme qui ne s’en est point occupé. C’est encore là une vanité et un grand mal.
22 Que revient-il, en effet, à l’homme de tout son travail et de la préoccupation de son cœur, objet de ses fatigues sous le soleil ?
23 Tous ses jours ne sont que douleur, et son partage n’est que chagrin ; même la nuit son cœur ne repose pas. C’est encore là une vanité.


Luc 12, 13-21
13 Quelqu’un dit à Jésus, du milieu de la foule : Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage.
14 Jésus lui répondit : Ô homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ?
15 Puis il leur dit : Gardez-vous avec soin de toute avarice  ; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, serait-il dans l’abondance.
16 Et il leur dit cette parabole : Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté.
17 Et il raisonnait en lui-même, disant : Que ferai-je ? car je n’ai pas de place pour serrer ma récolte.
18 Voici, dit-il, ce que je ferai : j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens ;
19 et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois, et réjouis-toi.
20 Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ce que tu as préparé, pour qui sera-ce ?
21 Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu.


*

“Un tour au cimetière Montparnasse.
Tous, jeunes ou vieux, faisaient des projets. Ils n’en font plus.
Bon élève, fort de leur exemple, je jure en rentrant de cesser à tout jamais d’en faire.
Promenade indéniablement bénéfique.”

(Emil Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, Quarto p. 1669)

L’homme riche hypothétique de la parabole donnée par Jésus faisait des projets. Au temps de la rédaction de l'Évangile de Luc, mettons quelques brèves décennies après la parabole, il n’en aurait plus fait… Et de toute façon, “insensé, cette nuit-même ton âme te sera redemandée”.

Nous serions tentés de nous dire : pour lui peut-être, mais ses projets visaient peut-être ses enfants éventuels, prévoir leur héritage…

Si l’on est attentif au contexte d'énonciation de la parabole que donne Luc, elle vaut aussi sous cet angle : la parabole est donnée par Jésus en réponse à la demande qui lui est faite d’arbitrer une question d'héritage, demande à laquelle Jésus a refusé d’accéder, répondant en mettant en garde contre l’avarice !

On trouve là, comme en de nombreux passages des Évangiles, des accents de l’Ecclésiaste chez Jésus. Témoin le texte proposé aussi pour ce jour, que nous venons de lire.

L’Ecclésiaste, un livre dont la sagesse ne postule même pas la foi, comme le propos de Jésus ne parle tout d’abord pas de foi. Quiconque, même non croyant, est à même d’entendre sa parole de sagesse, à laquelle fait écho Cioran revenant du cimetière.

Pour l’Ecclésiaste, en arrière-plan, il s'agit de dire le fait que nous ne maîtrisons pas ce qui nous advient, selon l’infinité des paramètres qui se résument derrière le mot Dieu, infinité de paramètres qui forcément nous échappent. Folie que de ne pas admettre ce simple fait — “l’insensé est celui qui dit ‘il n’y a pas de Dieu’”, disent les Ps 14 et 53 : à savoir, à une époque où l’athéisme n’existe pas encore, l’insensé est celui qui croit maîtriser ce qui advient — “insensé, cette nuit-même ton âme te sera redemandée”, met en garde Jésus. Autant de choses qui, au bout du compte, nous dépassent.

Comme tout le reste, notre avenir nous dépasse. L’avenir de nos projets nous dépasse aussi (cf. Hiroshima, en cette semaine qui commémore le 80e anniversaire de l’explosion atomique). Ce qu’en feront ceux qui nous succéderont nous dépasse de même. Jésus ne dit pas autre chose. On est d’abord avec une affirmation qui ne requiert pas la foi, qui elle, apparaît seulement dans un second temps. Quiconque peut le comprendre : simple sagesse…

Cela vaut pour la richesse matérielle, dont l’espérance, selon Jésus, relève de l’avarice (cette “racine de tous les mots”, en dit Paul — 1 Ti 6, 10). Cela vaut aussi pour d'autres richesses, ne nous leurrons pas. Jusqu’à tel intellectuel, fût-il pasteur ou théologien, qui espère transmettre son savoir par des livres, ou des œuvres, d’art ou autre.

C’est une des raisons pour lesquelles les plus grands sages ont préféré ne pas écrire : Socrate, Épictète, Bouddha, etc., et on peut les multiplier — à commencer par Jésus, donnant un héritage vivant de sagesse, en n'écrivant que quelques marques sur la poussière du sol (cf. Jean 8, 6), vouées à s'effacer au premier souffle de vent, comme la vie des humains selon le Psaume 90 : “Tu les emportes, semblables à un songe, qui, le matin, passe comme l’herbe :‭ elle fleurit le matin, et elle passe, on la coupe le soir, et elle sèche” — “quand le vent de l’Éternel souffle dessus”, précise le prophète Ésaïe (40, 7).

Si un sage estime que quelques réflexions valent d’être conservées, l’Ecclésiaste (12, 12) précise qu’écrire peu suffit… écrire des pages valant pour témoigner non de soi, mais d’un autre, comme Paul ou les Évangélistes pour Jésus (ou pour Socrate Platon, pour Épictète Arrien dont le nom est généralement oublié, ou ses disciples pour le Bouddha). Celui qui n’a pas écrit est manifestement en position plus haute que ceux qui l’ont fait : il n’a fait pour sa part que s’abandonner à ce qui relève de Dieu seul.

Bref, dit Jésus, n’amasse pas dans ton grenier, ne sachant pas ce que sera demain, pour toi ou pour les tiens. Pour cela, c’est Dieu qui pourvoit, dirait l’Ecclésiaste. Ce qu’il laisse, ce qu’a laissé Jésus, est suffisamment précieux pour que Dieu lui-même prenne en charge sa diffusion : il a pourvu par les quelques disciples qui nous ont transmis ce que Jésus a laissé à Dieu, à son Père…

Qui sommes-nous pour vouloir nous transmettre nous-mêmes quand Jésus, portant le message le plus précieux, a laissé à son Père le soin de s’occuper de la suite et de sa diffusion ? Alors que dire des biens les plus fragiles et passagers, les biens matériels dont parle d’abord la parabole ?

“Cette nuit-même ton âme te sera redemandée”. Jésus pense peut-être aussi à la brièveté de sa propre vie, vouée à la croix !

Pour le reste, rappelle Paul, “la figure de ce monde passe” (1 Co 7, 31).

Et c’est ici qu’intervient la foi, comme passage de la sagesse à la confiance. Passage du Dieu reçu comme signifiant que nous ne maîtrisons pas ce qui advient, à l’Éternel comme Dieu favorable, révélé à Moïse : “je serai avec toi” (Ex 3, 12) — au cœur du Nom de la promesse.

Dans les livres de sagesse attribués à Salomon, c’est le passage de l’Ecclésiaste au Cantique des Cantiques, un Dieu à aimer — même, et peut-être surtout, quand on ne voit pas arriver ce que l’on désire (non seulement accepter, mais aimer ce qui advient) ; comme la Sulamite rendue inaccessible devient pour celui qui la désire la manifestation du Dieu qui habite une lumière inaccessible (1 Ti 6, 16) ; et comme le bien-aimé inaccessible le devient pour elle.

Or que nous dit Jésus dans cette parabole ? Que dans ce temps, ce que le riche espère, voir la figure de ce monde ne pas passer, se bâtir un avenir, lui sera enlevé “cette nuit même” !

Comme Jésus a tout remis à son Père dans la foi, il nous appelle, en parlant aux deux frères se disputant un héritage, à nous en remettre à Dieu seul, à vivre dès à présent dans la lumière de son Royaume — comme étant déjà morts à la figure d’un monde qui passe — “cette nuit même” —, pour entrer avec lui dans le monde de la résurrection…
comme morts à ce monde !… rejoignant un proverbe africain qui dit : “cabri mort ne craint point le couteau”.

C’est exactement ce que dit Paul dans le texte de ce jour de l’Épître aux Colossiens (3, 1-3) :
“Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ;
fondez vos pensées en haut, non sur la terre.
Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.”


RP, Châtellerault, 3 août 2025
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