dimanche 15 janvier 2012

Passages de relais




1 Samuel 3, 3-16 ; Psaume 40 ; 1 Corinthiens 15, 15-20 ; Jean 1, 35-42

1 Samuel 3, 3-10
3 La lampe de Dieu n’était pas encore éteinte, et Samuel était couché dans le temple de l’Eternel, où était l’arche de Dieu.
4 Alors l’Eternel appela Samuel. Il répondit : Me voici !
5 Et il courut vers Eli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Eli répondit : Je n’ai point appelé ; retourne te coucher. Et il alla se coucher.
6 L’Eternel appela de nouveau Samuel. Et Samuel se leva, alla vers Eli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Eli répondit : Je n’ai point appelé, mon fils, retourne te coucher.
7 Samuel ne connaissait pas encore l’Eternel, et la parole de l’Eternel ne lui avait pas encore été révélée.
8 L’Eternel appela de nouveau Samuel, pour la troisième fois. Et Samuel se leva, alla vers Eli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Eli comprit que c’était l’Eternel qui appelait l’enfant,
9 et il dit à Samuel : Va, couche-toi ; et si l’on t’appelle, tu diras : Parle, Eternel, car ton serviteur écoute. Et Samuel alla se coucher à sa place.
10 L’Eternel vint et se présenta, et il appela comme les autres fois : Samuel, Samuel ! Et Samuel répondit : Parle, car ton serviteur écoute.

Jean 1, 35-42
35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples.
36 Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : “Voici l’agneau de Dieu.”
37 Les deux disciples, l’entendant parler ainsi, suivirent Jésus.
38 Jésus se retourna et, voyant qu’ils s’étaient mis à le suivre, il leur dit : “Que cherchez-vous ?” Ils répondirent : “Rabbi-ce qui signifie Maître-,où demeures-tu ?”
39 Il leur dit : “Venez et vous verrez.” Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; c’était environ la dixième heure.
40 André, le frère de Simon-Pierre, était l’un de ces deux qui avaient écouté Jean et suivi Jésus.
41 Il va trouver, avant tout autre, son propre frère Simon et lui dit : “Nous avons trouvé le Messie !” – ce qui signifie le Christ.
42 Il l’amena à Jésus. Fixant son regard sur lui, Jésus dit : “Tu es Simon, le fils de Jean ; tu seras appelé Céphas” – ce qui veut dire Pierre.

*

Éli à Samuel (1 Sam 3, 3-16), Jean à Jésus, plus tard Jésus aux Douze (Jn 16, 7), les Douze aux diacres (Ac 6), etc. Chaque fois un passage de relais, chaque fois un moment fixé. Ce que le grec appelle kaïros, une « fenêtre de tir » en termes actuels.

1) Jean sait qu’il va être persécuté : Hérode, qu’il a mis en cause, n’en restera pas là. Pour Jean c’est le temps de ce passage de relais, qu’il accepte déjà malgré ses doutes — « es-tu celui qui doit venir ? » demandera-t-il encore à Jésus, alors qu’il est emprisonné et bientôt exécuté. Quoiqu’il en soit alors, il sait que le moment est là. Il envoie ses disciples à celui qui va mourir aussi, mais plus tard, d’une mort porteuse d’un tout autre sens — l’Agneau de Dieu. Pour ses disciples, c’est un changement — comme un changement de demeure : « où demeures-tu ? » demandent-ils à Jésus — « Venez et vous verrez. »

« Vous verrez »… quoi ? De la souffrance — « l’Agneau de Dieu » (v. 36) — de la souffrance avant la gloire. Et, avant la gloire : … du visible ! — un homme qui marche (v. 36) — qui marche à la croix : « voici l’Agneau de Dieu »

« L’Agneau de Dieu ». L’Agneau vainqueur du combat de la fin des temps, sans doute, dans la prédication de Jean. Mais aussi la victime sacrificielle ! — à laquelle renvoie l’évocation de l’agneau à travers plusieurs épisodes bibliques. Parmi lesquels :

- Isaac, le fils d’Abraham, qui pose à son père la question « mais où est donc l’agneau pour l’holocauste ? », Abraham répond : « C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste ».

- Puis l’agneau évoque, bien sûr, le rite de la Pâque, qui chaque année, rappelle au peuple que Dieu l’a libéré. La nuit de la sortie d’Égypte, on sait que Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel de l’agneau égorgé : désormais, chaque année, cela vous rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l’agneau signe votre libération.

- L’agneau évoque aussi Moïse d’une autre façon. Les commentaires juifs de l’Exode comparent Moïse à un agneau : ils imaginent une balance : sur l’un des deux plateaux, toutes les forces de l’Égypte rassemblées : Pharaon, ses chars, ses armées, ses chevaux, ses cavaliers. Sur l’autre plateau, Moïse représenté sous la forme d’un petit agneau. Eh bien, face à la puissance des Pharaons, ce sont la faiblesse et l’innocence qui l’ont emporté…

- Et aussi, le mot « agneau » fait penser, bien sûr, au serviteur de Dieu du Livre d’Ésaïe, comparé à un agneau : « Brutalisé, il s’humilie ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n’ouvre pas la bouche » (Es 53, 7). Le serviteur du livre d’Ésaïe subit donc la persécution — mais il est ensuite exalté : « Voici que mon serviteur triomphera, il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême » (Es 53, 13).

Voilà quoiqu’il en soit, à ce terme d’agneau, l’évocation d’images d’abord cruelles ! Mais comme pour Moïse face à Pharaon, comme pour le serviteur du livre d’Ésaie broyé par la persécution, c’est pour un triomphe de la faiblesse sur la force.

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2) Car le passage de relais de Jean à Jésus est celui qui conduit l’Agneau à la croix, pour un second passage de relais : de la croix aux disciples — Jean 16, 7 : « il est préférable pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous ; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai. » Jésus sait : c’est pour maintenant. Un signe : la venue de Grecs qui veulent le voir (Jean 12) : le moment est là, dit-il à ses disciples, et c’est effectivement pour quelques jours après, en pleine fête de Pâques : ils ne le verront plus.

Où l’on retrouve la question de la demeure : beaucoup de demeures… Celui qui demeure en moi, je demeurerai en lui… Œuvre du Consolateur promis par Jésus. Consolateur. Jésus console ses disciples — déjà de ce qu’ils vont voir bientôt : la violence qui déferle contre leur maître, à qui on demande tout et son contraire, il s’agit de le piéger — au point qu’il cesse de se défendre, et subit jusqu’à la croix : l’Agneau de Dieu annoncé par le Baptiste.

Aux disciples aussi sera donné un traitement indigne : Jésus les envoie porter la parole de la vie. On leur en voudra pour cela !

On cherchera à les détourner de faire cela seul pour quoi ils sont envoyés : donner la parole de Dieu. Entre ceux qui la supportent mal et ceux qui succombent à l’impatience et qui reprochent aux disciples le fait que la parole est de l’ordre de la semence et qu’elle ne germe pas sitôt semée, les disciples auront fort à faire, fort à endurer.

Tâche ingrate que d’être envoyé prêcher… sachant qu’il est de la nature de cette tâche de ne pas en voir le fruit. « Je vous enverrai un autre Consolateur », promet Jésus. Agneau de Dieu, je l’ai vécu.

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3) Des disciples aux diacres. Actes 6, 1-4 : « En ce temps-là, le nombre des disciples augmentant, les Hellénistes [les Grecs] murmurèrent contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour. Les Douze convoquèrent la multitude des disciples, et dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables. C’est pourquoi, frères, choisissez parmi vous sept hommes, de qui l’on rende un bon témoignage, qui soient pleins d’Esprit-Saint et de sagesse, et que nous chargerons de cet emploi. Et nous, nous continuerons à nous appliquer à la prière et au ministère de la parole. »

Jésus avait confié aux Douze la tâche prêcher, de donner la parole de Dieu. Attachés à ce ministère, les Apôtres ne voient pas spontanément certaines réalités, certaines souffrances : les veuves des Hellénistes sont en difficulté. Ce sont les Hellénistes, les Grecs, qui attirent l'attention des Douze. « Les [Grecs] murmurèrent contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour. »

Alors les Apôtres vont faire comme leur maître, et comme avant lui Jean le Baptiste : le moment est là ; ils vont passer le relais. « Les Douze convoquèrent la multitude des disciples, et dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables. » Tâche confiée à ceux qui se sont plaints — enfin à sept de leur communauté qu’ils doivent choisir eux-mêmes — les Apôtres font cela à la suite de ce qu’avait dit Jésus : « donnez leur vous-même à manger » — Jésus bénissant le pain.

La tâche des Douze, l’annonce de la parole de Dieu, n’est pas la tâche qu’ils vont confier à d’autres en instituant les diacres. Celle-ci n’est pas la leur, sans quoi tout serait gâché : l’Eglise du Christ, perdant ce qui la fonde, la Parole divine, se dissoudrait en Ong !

Mais ce que les circonstances exigent n’est pas pour autant du facultatif : un des fruits de la parole des Douze est précisément ce que les circonstances leur demandent, qui vont les amener à ce passage de relais à des diacres. Le moment est là, il était inattendu. Ce n’en est pas moins le moment précis, le moment opportun.

Un passage de relais, qui comme celui de Jean à Jésus et celui de Jésus aux Douze, semble avoir tout l’air d’un abandon :

« Il vous est avantageux que je m’en aille, que je ne reste pas avec vous, sans quoi rien ne se fera, ni ce que vous aurez à faire et que vous seriez tenté de me voir faire à votre place ; ni ce que j’ai à faire, qui est autre chose » — Jean l’a annoncé : « Celui-ci est l’Agneau de Dieu. » — Pour vous : « vous verrez où je demeure » : au sein du Père qui envoie votre Consolateur, celui qui est votre force quand la parole que vous semez n’a pas encore germé, au jour où on vous le reproche jusqu’à vous persécuter à votre tour pour cela. Qu’il n’en soit pas ainsi dans l’Église. Il y est question de moments fixés et de passages de relais.

Pour les diacres, l’animation solidaire qui suit ce nouveau passage de relais, fruit de la parole des Apôtres, est leur tâche, pas celle des Apôtres, pas celle des envoyés de la parole. Chacun son appel. Des envoyés de la parole, les Douze, passant le relais aux diacres, on est porté à leur demander ce qui serait aujourd’hui l’équivalent d’un BAFA ou une qualification d’assistante sociale, choses très honorables. Mais qui ne sont pas de celles de leur envoi.

C’est pourquoi ils passent, dans ce domaine, le relais, sans quoi non seulement la parole ne serait plus annoncée comme elle doit l’être, mais la tâche diaconale, fruit de la parole annoncée, serait accomplie d’une façon inadéquate par ceux dont ce n’est pas l’envoi. Paul le soulignera à l’envi : j’ai été envoyé pour prêcher, et prêcher la croix — pas même pour baptiser ! Dire la parole de Dieu sans en voir le fruit : un temps pour semer, un temps pour moissonner. Tel sème, rappelle Paul, tel autre arrose, tel autre recueille. Dieu fait croître. Pour les Douze, un des fruits de leur parole est un manque, un besoin : la parole, ayant atteint les Hellénistes, a suscité des besoins.

Besoins qui impliquent un nouveau passage de relais, à un moment précis. Vers le ministère diaconal, un moment de la fructification de la parole, pour une autre tâche, qui est confiée à toutes celles et tous ceux qui s’y engagent. Et l’histoire des passages de relais ne s’arrêtera pas là… Que dire aujourd’hui, avec la chute du « triple A » pour notre pays et ses conséquences sociales. Moment opportun pour notre journée de l’entraide, entraide cruciale dans la mission de l'Eglise, et pour laquelle le texte de ce jour porte un appel.

Le ministère de Jésus est déjà un passage de relais à un moment précis : « Fixant son regard sur Jésus qui marchait, Jean dit : “Voici l’agneau de Dieu.” »

RP,
Antibes, 15.01.12


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