dimanche 28 mai 2023

"Jésus souffla sur eux"




Actes 2, 1-6
1 Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.
2 Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis.
3 Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer.
5 Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.
6 Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.

Jean 20, 19-23
19 Le soir de ce même jour [dimanche de Pâques] qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l’Esprit Saint ;
23 ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."

*

Aujourd'hui s'accomplit ce qu'annonçait Jean le Baptiste : je vous baptise d'eau, celui qui vient après moi et qui était avant moi est celui qui baptise d'Esprit saint. Ce que dit le Baptiste vaut aussi pour nos baptêmes d'eau. Le Christ seul peut donner l'Esprit que l'eau de nos baptêmes symbolise, comme pour les Samaritains d'Actes 8, 15-17 qui baptisés d'eau, vont recevoir l'Esprit saint, le souffle de Dieu que communique à ses disciples le Ressuscité soufflant sur eux.

Notre texte nous ramène au soir du dimanche de Pâques, cinquante jours avant la fête de Shavouoth, Pentecôte. Les disciples sont enfermés : « Par crainte des chefs judéens, les portes de la maison où ils se trouvaient étaient verrouillées ». Puis ils vont passer de la crainte (des Judéens, de leurs chefs, de la part de ces Galiléens : pas des juifs ! — qu’ils sont eux-mêmes !) à la libération : « Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous." »

C’est suite à cela qu’ils vont passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire à l'envoi : « Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie." » — Recevez l’Esprit Saint : et déliez ceux qui sont liés — cf. Mt 16, 19. Jésus souffla sur eux pour un envoi à toutes les nations, symbolisé au jour de Pentecôte par la louange dans les langues des nations…

« La paix soit avec vous » — avec cette parole, le texte donne le comment du don de cette paix : par l’Esprit saint. Cet Esprit qui vient du Père, le Père l’envoie par Jésus ressuscité. Ici s’ouvre la porte de la liberté à laquelle nous sommes invités à notre tour. Et cette liberté est une question de pardon. Une traduction très courante veut que Jésus dise aux Apôtres : « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » Comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés ! Les Apôtres sont envoyés pour communiquer la libération que Jésus vient de leur octroyer dans le don de l’Esprit saint. La communiquer abondamment. Pas la mégoter.

Il se trouve qu’une tout autre traduction de cette parole est possible : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Ce qui correspond à l’équivalent chez Matthieu, « délier » (délier les personnes et lier le péché). Voilà donc qui donne tout autre chose : remettre les péchés et les soumettre. Deux faces de la libération. Remettre les péchés, c’est pardonner, soumettre les péchés, c’est permettre de les dominer.

Être libéré, donc, du fruit du péché. Et cela est en rapport étroit avec le pardon. Souvenez-vous de l’épisode de Caïn. Je lis, au livre de la Genèse, ch. 4, v. 6-8 : « Le Seigneur dit à Caïn : "Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le." Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère et le tua. »

Le péché est tapi à ta porte… Mais toi, domine-le. On a entendu la suite, Caïn ne l’a pas dominé. Caïn n’a pas reçu le pardon, la rémission de ses péchés. Il jalousait son frère. Il n’a pas reçu le pardon, l’élargissement de son cœur et la capacité de pardonner. Il n’a pas reçu la capacité de soumettre le péché : le péché l’a vaincu, Caïn ne l’a pas dominé… N’ayant pas reconnu cette part sombre de lui-même.

Et voici le fruit de l’Esprit saint, dans la promesse de Jésus aux Apôtres : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Cela inclut la reconnaissance de la part sombre qui est en nous.

Sans quoi, la puissance du péché, c’est la mort, affirme la Bible. Jésus a vaincu la mort. « Il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. »

Le Ressuscité qui a vaincu la mort a pouvoir sur tout. Il a pouvoir même sur le péché. Il ouvre même comme possible l’impossible commandement donné à Caïn : « domine sur le péché ». Impossible, Caïn n’ayant fait que projeter sur son frère la frustration qui l’habitait.

Face à cela, le don de l'Esprit saint est aussi pénétration de tout ce qui fait notre être, jusqu'en ses zones d'ombre — pénétrant jusqu'aux profondeurs de Dieu, l'Esprit sonde tout en nous en dit Paul (1 Co 2, 10). Une pénétration empreinte de miséricorde, qui dit et promet que sa présence en nous nous révèle entièrement à nous-même et ainsi nous libère.

La liberté étant que nos fautes nous sont pardonnées, l’Esprit saint nous les soumet en nous permettant de connaître ce qui est en nous. Jésus souffla sur eux. Les Apôtres libérés par l’Esprit deviennent, par leur liberté, libérateurs à leur tour. C’est la bonne nouvelle qui nous est à nouveau donnée en ce dimanche de Pentecôte. Jésus souffla sur eux : recevez l’Esprit saint.

Percevons-nous son souffle aujourd’hui ? Dans ce souffle est la paix que donne Jésus, la paix de se savoir pleinement pardonné : vos péchés vous sont remis, l’Esprit saint vous les soumet. Vous n’avez pas même à vous venger pour quelque obscur désir ou jalousie, comme Caïn qui a été par là dominé. Vous n’avez que la liberté de vous savoir pardonnés, de savoir par là octroyer le pardon à votre tour.

C’est pourquoi l’Esprit saint prie en nous : Abba, Notre Père, pour l’accomplissement de cette demande : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Non pas que le pardon que nous octroyons soit la condition de notre propre pardon ! Mais la liberté qui est dans le fait d’être pardonnés nous libère du poids d’avoir à ne pas pardonner. Nous voilà donc devant le Christ, en ce dimanche de Pentecôte, le Christ ressuscité présent au milieu de nous, soufflant sur nous l’Esprit : recevez l’Esprit saint.

*

Jésus accomplit alors sa promesse (« il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime »). Il accomplit sa promesse à travers ce geste : il souffle sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu son Père. Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent » qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets.

Comme pour une nouvelle création — Genèse 2, 7 — Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie », c’est-à-dire l’Esprit de vie. Jésus reprend le geste de la Genèse à son compte, mettant en place une nouvelle création.

Cela commence par un envoi — Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Puis après eux à notre tour nous sommes envoyés en vue de l'accomplissement du projet de la création. Jésus passe le relais aux disciples puis à nous en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ».


RP, Pentecôte, 28/05/23
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(Textes du jour : Psaume 104 ; Actes 2, 1-11 ; 1 Corinthiens 12, 3b-7 & 12-13 ; Jean 20, 19-23)


jeudi 18 mai 2023

Ascension - Nouvelle absence, nouvelle présence




Actes 1, 1-11
1 J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné, depuis le commencement
2 jusqu’au jour où, après avoir donné, dans l’Esprit Saint, ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis, il fut enlevé.
3 C’est à eux qu’il s’était présenté vivant après sa passion : ils en avaient eu plus d’une preuve alors que, pendant quarante jours, il s’était fait voir d’eux et les avait entretenus du Règne de Dieu.
4 Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, "celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche :
5 Jean a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours."
6 Ils étaient donc réunis et lui avaient posé cette question : "Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ?"
7 Il leur dit : "Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ;
8 mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre."
9 A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards.
10 Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté
11 et leur dirent : "Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel."

Jean 17, 1-11
1 […] Jésus leva les yeux au ciel et dit : "Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
2 et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire.
5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 "J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole.
7 Ils savent maintenant que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m’as données. Ils les ont reçues, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés : ils sont à toi,
10 et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et j’ai été glorifié en eux.
11 Désormais je ne suis plus dans le monde ; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous sommes un.

*

Lorsque Jésus prie, on le sait, il se retire, comme il enseigne à ses disciples de le faire — « quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret » (Mt 6, 6). Ce chapitre 17 de l’Évangile de Jean est la seule prière de Jésus dite publiquement. Prière liturgique de sanctification de ses disciples, comme prière liturgique d'ouverture de la nouvelle Création, écho à la liturgie divine du récit de la première Création dans la Genèse. ‭« Car en lui, le Christ, ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles » (Col 1, 16). À présent, dans cette prière, cela est révélé : c'est à la croix qui s'approche que le Fils, retiré à ses disciples, est glorifié.

« Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie » : dans cette glorification du Christ, son départ, qui est sa mort, sa crucifixion, se superpose à son Ascension. Apparaissent deux plans : au premier plan la croix et la mort, à l’arrière-plan, comme par transparence, l’Ascension.

Dans l’Ascension comme dans la crucifixion, le Christ nous est « enlevé » (Actes 1, 2). « Vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba à leurs yeux » (Actes 1, 9) ; « puis vous me verrez encore » : bientôt sa présence en gloire.

L'Ascension, comme la mort, est tout d'abord la marque d'une absence, au cœur de la nouvelle Création inaugurée au dimanche de Pâques, dans le signe du tombeau vide, écho à l'absence de Dieu ressentie dans la première Création.

Reprenons le récit de la Genèse…

‭Genèse 1, 1-4
1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.‭
‭2 La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.‭
3 Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut.‭
4 ‭Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres.‭
‭Genèse 2, 2
‭2 Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite.‭

La terre était informe et vide, littéralement tohu-bohu. Dieu est infini, il est présent partout. Ce qui fait qu'il n'y a en principe pas de place pour le monde. Alors Dieu s'est contracté, a créé en lui un espace, comme une femme en qui une place se crée pour laisser place à ce qui deviendra son enfant. Par des contractions, dans la douleur. Contraction : vous avez reconnu l’enseignement du judaïsme, tsimtsoum – le mot hébreu pour contraction.

Écho en Romains 8, 18-24a : « J’estime, écrit Paul, que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des enfants de Dieu : livrée au pouvoir du néant — non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. »

Dieu s’est retiré pour nous laisser une place (ce que redit le v. 2 du ch. 2 de la Genèse), une place dans l'espérance. Nous pouvons donc advenir, le monde peut exister, mais — c'est à ce prix — Dieu n'est pas là où est le monde. D’où le désordre de ce monde — la menace de la nature, son dérèglement, qui sont dans ce tohu-bohu, et jusqu’à la violence qui y prend place. Parole de foi, bien sûr : là où la source du bon est en retrait, là est le mal. Il a fallu que Dieu se retire, avec tous les risques que cela suppose, pour que le monde soit. Le monde peut devenir lui-même, mais c'est au prix du manque de Dieu, et donc au prix du défaut de plénitude de protection. Telle est notre situation vis-à-vis de Dieu. Nous pouvons devenir nous-mêmes, puisqu'il s'est retiré, mais c'est au prix de son manque, avec ce que cela a de tragique.

*

Alors Dieu, toutefois, a prévu une autre présence de lui-même, cachée, souffrante, nous accompagnant dans notre exil loin de lui, comme le souci et la prière des parents accompagne l'exil de l'enfant qui a voulu devenir sans eux.

Élie Wiesel à Auschwitz, à la question : « où est Dieu ? » répondait, voyant un adolescent pendu par ses bourreaux : il est là, qui pend.

C'est ce type de présence qui nous est donnée en Jésus-Christ. Une présence qui ne fait pas défaut mais qui n'empiète pas non plus : retrait, contraction. Au cœur de notre exil, il est là.

*

Dans l’absence du Christ, à nous retiré par la Croix et l'Ascension, Dieu nous ouvrant la nouvelle Création nous a ouvert une autre présence.

Comme Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir ; comme, entré dans son repos, il s'est retiré pour que nous puissions être, le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu.

C'est en ce sens que le départ de Jésus est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.


RP, Poitiers, Ascension, 18.05.2023
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dimanche 14 mai 2023

Un autre Consolateur




Jean 14, 15-21
15 "Si vous m’aimez, vous observerez mes commandements ;
16 moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Consolateur qui restera avec vous pour toujours.
17 C’est lui l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous.
19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus ; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi.
20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous.
21 Qui a mes commandements et les observe m’aime ; et qui m’aime sera aimé de mon Père, je l’aimerai et je m'en ferai connaître."

*

« Oui, tout ce bien va s’opérer ; oui, cette régénération va s’accomplir ; nulle puissance sur la terre n'est en état de l'empêcher ». Je viens de citer le révolutionnaire Camille Desmoulins. Il écrit cela en 1789. J'aurais pu citer quantité d’autres révolutionnaires. Ils ont tous ce mot constamment à la bouche : régénération, c’est-à-dire « re-naissance », « nouvelle naissance », concrètement : inscription de la loi dans les cœurs, sans laquelle la proclamation de la loi reste abstraite. Reprise de ce qu’annonçait le prophète Ézéchiel (ch. 36) : j'inscrirai ma loi au-dedans d’eux afin qu’ils suivent mes prescriptions.

Avant de revenir à cela, venons-en à notre texte de l'Évangile de Jean, qui ne dit pas autre chose lorsqu'il parle de la relation de l'Esprit et des disciples.

Jésus leur annonce : vous connaîtrez l'Esprit… parce que vous le connaissez déjà. Vous vivrez de l'Esprit parce que vous en vivez déjà ! C'est là rien d'autre que ce que ce que disent les v. 16-17 : « le Père vous donnera… l'Esprit de vérité… parce… vous le connaissez, parce qu'il demeure près de vous et qu'il sera (ou : parce qu'il est *) en vous »…

L'Esprit vous est donné, à vous en qui il demeure. Étrange ? Donné à ceux, celles, avec qui il demeure déjà, contrairement au « monde », c’est à dire à « l’apparence » — que connote le mot employé, « cosmos », qui a donné « cosmétique » —, le monde apparent donc, qui lui ne peut pas le recevoir, parce que, pourtant aimé de Dieu (Jn 3, 16), il ne le connaît pas ; c’est-à-dire parce que tout cela lui reste extérieur, abstrait.

Vit de l'Esprit — celui, celle, qui aime Jésus, et qui donc garde sa parole. Qui ne l'aime pas, c'est là ce qu'il appelle « le monde », ne garde pas ses paroles, est étranger donc à la vie de l'Esprit saint. Le rapport est étroit entre l'Esprit de Jésus et l'obéissance à sa parole, à ses préceptes (v. 21).


Le don de l'Esprit

Des préceptes, donnés extérieurement : « aimez-vous les uns les autres », et leur concrétisation, leur inscription dans les cœurs.

Où il est question de l'Alliance entre Dieu qui donne la loi et son peuple qui la reçoit en son cœur, Alliance renouvelée en Jésus-Christ ; et élargie par lui à toutes les nations. On peut le dire ainsi : l'Alliance, ou la Torah telle qu’elle s'inscrit dans les cœurs par le don de l'Esprit. C’est un des aspects connus des Prophètes et qui est dit à nouveau par le Christ à ses disciples.

Ainsi, en Jésus Christ, Dieu dévoile l'universalité de la promesse et de l’Alliance. La promesse faite aux origines à Abraham s'étend à tous ceux et celles qui ont la foi d'Abraham, universellement proclamée par les témoins du Christ.

L'Alliance est appelée à s'étendre jusqu’aux extrémités de la Terre, elle s'élargit à tous les peuples. Ce qui renvoie à l’enseignement biblique selon lequel, en deçà même de l'Alliance que Dieu scelle avec son peuple, son Esprit est présent à la Création du monde — « il planait à la face des eaux » dit la Genèse — porteur de la Parole par laquelle tout a été fait — porteur de la lumière qui éclaire tout être humain venant dans le monde (Jean 1, 9).

*

L'Alliance est ouverte à toutes les nations. Eh bien, c'est cela l'universalisme que retrouvent les révolutionnaires modernes, Anglais, Américains, puis Français, se réclamant de l’héritage biblique — voir la forme des tables de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : les tables de la Loi du Sinaï. Mais si cela n'est que sur des tables, où en est le vécu ? D’où la notion d'inscription de ces tables dans les cœurs, la notion de régénération.

Il s’agit d’un renouveau de vie pour un vécu de l'Alliance dans la liberté, pas par contrainte. Le don de l'Esprit n'est point la rupture de l’Alliance d’Abraham et de Moïse, mais bien son renouvellement, dans toute sa profondeur, sa racine intérieure. La Loi biblique se déploie jusque dans ses extensions dans les Déclarations modernes, dont les cœurs sont appelés à vouloir les vivre, concrètement — selon la promesse qui se dévoile pour les disciples par l'Esprit du Père promis par Jésus.


La vie de l'Esprit

C'est là la racine, en quelque sorte, de la vie de l'Esprit, un souffle humble et discret, répandu abondamment, comme la semence de la parabole du semeur, image de l'effusion de la Parole et de l'Esprit. Et comme le large ensemencement du semeur ne préjuge en rien de la récolte, la semence de la Parole et de l'Esprit ne préjuge pas de la germination et de l'éclosion de son fruit.

C'est de celui que nous prions, Dieu, que dépend la suite des choses, que vienne le jour de la promesse de Jésus : « vous recevrez l'Esprit de vérité parce que vous le connaissez, qu'il demeure en vous ». Et voici comment nous savons que nous l'avons connu : c'est en gardant ses commandements (cf. 1 Jn 2, 3) — certes dans l’humilité de notre cheminement. Car la responsabilité qui ressort de notre liberté d'enfants de Dieu s'exerce dans l'humilité.

« Celui qui dit : je l'ai connu et qui ne garde pas ses commandements est un menteur », dit la 1ère Épître de Jean (1 Jean 2, 4). Et son commandement est en ce cœur de la Loi : que nous nous aimions les uns les autres, « pas en parole ni avec la langue, mais en action et en vérité », poursuit la même Épître (1 Jean 3, 18). Une parole qui n'est pas accompagnée d'actes est un mensonge. Voilà qui nous contraint tous à l'humilité : qui de nous prétendra le connaître ? Notre connaissance, à la mesure de notre amour, n'est jamais que partielle, embryonnaire. Notre participation à l'Esprit de Dieu, n'est jamais que prémisse, que participation à une promesse. C’est en cela que l’Esprit promis est aussi Consolateur, consolant notre manque, consolant le deuil des disciples alors que Jésus va mourir : « je ne vous laisserai pas orphelins » (Jn 14, 18).

C'est ainsi que, comme à des enfants, à chacune et chacun de nous s'adresse la promesse du Christ : « vous recevrez l'Esprit ». Comme des enfants, nous ne connaissons que partiellement, et c'est, seule, cette connaissance partielle, qui fonde notre espérance d'une plénitude toujours à venir, notre espérance de voir jaillir de nos cœurs les fleuves d'eau vive du Royaume éternel : « qui croit en moi, annonce Jésus, des fleuves d'eau vive jailliront de son sein » (Jean 7, 38). « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive » (Jean 7, 37).


R.P., Poitiers, 14.05.23
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* Selon la lectio difficilior : "ὅτι παρ’ ὑμῖν μένει καὶ ἐν ὑμῖν ἐστιν." ("ἐστιν" / "estin" = "est", plutôt que "ἐσται" / "estaï" = "sera").


(Textes du jour : Actes 8, 5-17 ; Ps 66 ; 1 P 3, 15-18 ; Jean 14, 15-21)


dimanche 7 mai 2023

"Croyez du moins à cause de ces œuvres"




Jean 14, 1-12
1  "Que votre cœur ne se trouble pas : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2  Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ?
3  Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.
4  Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin."
5  Thomas lui dit : "Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ?"
6  Jésus lui dit : "Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi.
7  Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu."
8  Philippe lui dit : "Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit."
9  Jésus lui dit : "Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : Montre-nous le Père ?
10  Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ! Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres.
11  Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi ; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.
12  En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père.

*

« Si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres. » Qu'est-ce à dire ? Que Jésus a observé pleinement ce que son Père prescrit.

Dans l’Évangile de Jean, il s'agit par œuvres non pas tant de miracles (ils sont appelés signes dans l’Évangile de Jean) que de l'observance de l'enseignement biblique, avec sa valeur pour la réparation du monde : tikun ‘olam en hébreu — dans le judaïsme observer le moindre précepte de la Torah c’est commencer à réparer le monde, ce monde abîmé : tikun ‘olam, réparation du monde. C’est là la volonté de Dieu, ses œuvres.

La pleine observance des commandements qui est celle de Jésus est requise de nous aussi, qui nous voulons ses disciples : « qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais », et même, précise Jésus, — pour la réparation du monde, mais en toute humilité (la pleine observance de Jésus n'est pas nôtre !) — « il en fera de plus grandes, parce que je m’en vais au Père » (Jn 14, 12).

Quelques citations de ce même Évangile : « Les œuvres que le Père m’a donné d’accomplir, ces œuvres mêmes que je fais, témoignent de moi que c’est le Père qui m’a envoyé » (Jn 5, 36). Ou : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi » (Jn 10, 25). Ou encore : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. Mais si je les fais, quand même vous ne me croyez point, croyez à ces œuvres, afin que vous sachiez et reconnaissiez que le Père est en moi et que je suis dans le Père. » (Jn 10, 37-38)

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Rappelons-nous les circonstances de ce texte : Jésus va partir. Concrètement, il va mourir — pour la réparation du monde. À la veille de sa mort, il donne comme un testament à ses disciples. Une promesse de consolation pour les temps difficiles qu’ils auront à traverser jusqu’à la pleine réparation du monde, lors de la venue du Règne de Dieu.

C'est en regard des temps difficiles qui s'annoncent jusque là que l'on trouve, comme consolation, ce texte très connu, le verset 6 — « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi ». Il n’est ainsi pas question ici de conversion à une religion, mais d'entrée dans l'intimité du Père — et cela dans le contexte du départ de Jésus : « où je vais, vous en savez le chemin » (v. 4). Voilà qui donne un tour particulier à ce verset. Par là, le disciple est appelé à venir, en Jésus, à une position semblable à celle qui est la sienne vis-à-vis du Père.

« Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi. » Voilà une parole qui ainsi, devient parole de consolation, qui annonce le Consolateur, l’Esprit de vérité, « qui vous conduira dans toute la vérité » — au-delà de tout ce que nous traversons de douleurs et de détresse. Car cela vaut au-delà des temps de persécutions comme celle que va traverser Jésus et bientôt ses disciples. D’autres épreuves sont en vue. Le disciple du Christ reçoit ainsi la promesse d’un Esprit, l’Esprit de Dieu, qui précède tous les temps et toutes les détresses, et qui ancre le disciple au-delà des faux-semblants dans une vérité indestructible. Voilà une consolation indicible, vrai chemin de Vie — Chemin, Vérité et Vie. « Je suis le chemin et la vérité et la vie », promet Jésus.

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Rappelons-nous que l'Évangile selon Jean débute par la présentation de la Parole éternelle, venue en Jésus Christ, qui demeure éternellement dans le sein du Père. Demeurer dans le sein du Père. Ce à quoi nous sommes appelés aussi. « Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père » : c’est-à-dire que chaque disciple est appelé à vivre aussi lui-même, comme être unique, cette relation d'intimité avec Dieu qui est la Consolation de Jésus et celle des siens ; et cela dès aujourd’hui.

Dans la présence de Dieu (« personne n'a jamais vu Dieu, le fils unique nous l'a — littéralement — raconté », Jn 1, 18. Il nous a redit cette invisibilité de Dieu), les particularités individuelles de chacune et chacun sont appelées à devenir autant de signes du Dieu invisible, à l'image de Jésus. C'est pourquoi (v. 12), celui qui croit en lui fait aussi les œuvres du Christ. Mieux, par l'accès à Dieu dévoilé par Jésus, dévoilé dans sa glorification à la croix par sa résurrection, les œuvres des disciples en sont même plus grandes que celles d'avant le dévoilement en Jésus de ce qui se peut savoir de Dieu.

Cela parce que le dévoilement de Dieu en Jésus, scellé dans son départ, sa crucifixion, est attesté par sa résurrection : ici quand il parle de son retour — « lorsque je serai allé vous préparer une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi » (v.3), — plutôt que de sa Parousie, de sa venue glorieuse, Jésus parle d’abord de sa résurrection. C'est là le retour qui suit son départ par la croix. Ce qui signifie que cette présence de ceux qui croient en la maison du Père ne renvoie pas tant à un après la fin des temps ou à un après la mort, qu'à un dès ici-bas. Ainsi, notre texte est immédiatement suivi par la promesse du don de l'Esprit saint. Car c’est bien ici bas que les disciples marchent dans le chemin de Vérité et de Vie — et c’est cela être disciple.

Ce qui est donné à chacune et chacun dans sa résurrection, le fait qu'en Jésus se dévoile l'entrée dans l'intimité du Père est ce qui s'est alors manifesté dans le temps, sous la chair : en Jésus homme, Dieu s'est dit lui-même. Sa Parole est donnée, est devenue chair. Tout ce qui se peut savoir de Dieu est dévoilé à la connaissance des disciples. Il s'agit là d'une connaissance concrète, dans laquelle on entre pour y prendre part. Il n'est pas question que de connaissance en un sens purement théorique (la « vérité » comme discours), mais de l’entrée dans un vécu — la Vie, dans l'intimité du Père, dès ici-bas.

Une telle nouvelle a de quoi étonner, sachant combien nous demeurons, en même temps, loin de nous-mêmes, dispersés. Mais c'est précisément là l'Évangile : il n'est d'entrée dans la vie du Père que par ce dévoilement. Et on sait que ce dévoilement est dans un cheminement qui débouche sur sa croix et par elle, sur la Vie.

C'est en quoi Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie. Cette entrée dans l'intimité du Père qui se donne dans notre temps en Jésus, est le dévoilement du Dieu éternel. Par sa venue en chair, le Père se dévoile dans le Fils. Et l'éternité du Fils déborde infiniment sa stricte présence au temps. Lorsque dans le temps, Jésus parle ou agit, c'est le Père, qui dans l'éternité, est en train d'accomplir ses œuvres. Et en lui, cela vaut pour chacune et chacun de nous, cela donne à nos actions une portée éternelle.

« Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père ». Cela signifie qu'entrer par le Christ dans la maison de Dieu veut dire, non pas tomber dans un déficit de vie, mais devenir pleinement soi-même, comme le Christ n'est pas moins homme de par sa communauté de nature avec Dieu, mais est au contraire pleinement homme.

Il y a là pour nous ouverture à une cessation des morcellements de nos vies ; l'intimité du Père et du Fils fonde dans l’Esprit saint la possibilité de rencontres vraies contre des vies désagrégées, atomisées, bardées de murs de désespoir. Vivre dans l'intimité de Dieu : devenir soi-même sous le regard du Père. Chemin de la rencontre du Père, manifestation de la vérité contre les masques, Jésus est aussi, et par là-même, la Vie. C’est la consolation qui nous est donnée par l’Esprit saint.


RP, Châtellerault, 7.05.2023
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(Textes du jour : Actes 6, 1-7 ; Psaume 103 ; 1 Pierre 2, 4-10 ; Jean 14, 1-12)