dimanche 24 avril 2022

Après la mission de Marie de Magdala…




Actes 4, 32-35 ; Psaume 118, 17-23 ; 1 Jean 5, 1-6 ; Jean 20, 19-31

Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit Saint ;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur !" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"
26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: "La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas : "Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."
28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."
29 Jésus lui dit : "Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.
31 Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.

*

Juste avant notre texte, nous lisons que ‭« Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses : va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu »‭ (Jean 20, 17-18). Après cela, on ne la verra plus, elle disparaît du texte.

*

Lorsque Jésus s’en va, il accomplit sa promesse (« il est préférable pour vous que je m’en aille, sinon l’Esprit saint ne viendra pas », Jean 16, 7). Marie la Magdaléenne, s'en allant de notre vue pour passer le relais aux Onze, est la seule disciple qui nous soit présentée comme ayant pleinement compris cette parole qu'avait dite Jésus. Elle est la seule à avoir repris cette action de Jésus, se retirer, comme, à la fin de tout, à imiter : « qui veut garder sa vie la perdra » avait-il dit (Jean 12, 25).

En contraste à Thomas, l’apôtre du désir de la vue, de la présence, elle est l’apôtre de l’absence, de l'invisibilité du Dieu de la Bible, de l’invisibilité de son souffle, son Esprit, qui souffle sans qu'on ne le voie : « le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va » (Jean 3, 8). De même, « il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime ».

Cette promesse, Jésus l’accomplit à travers son geste, souffler sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint venu du Père.

La Magdaléenne, elle, sort du récit.

C’est au point que Paul énumérant les témoins de la résurrection en 1 Corinthiens 15 ne la mentionne pas : « Christ est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ;‭‭ il est apparu à Céphas, puis aux douze.‭ ‭Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques-uns sont morts.‭ ‭Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.‭ ‭Après eux tous, il m’est aussi apparu à moi, comme à l’avorton » (1 Co 15, 4-8).

Plus encore que l’avorton, la Magdaléenne s’est effacée.

« Quiconque veut laisser une œuvre n’a rien compris. Il faut apprendre à s’émanciper de ce qu’on fait. Il faut surtout renoncer à avoir un nom, et même à en porter un. Mourir inconnu, c’est peut-être cela la grâce », écrira Cioran (Cahiers 1957-1972, p. 509), propos concernant tout un chacun. Pour nous : « Si nous pouvions ressentir une volupté secrète chaque fois qu’on ne fait aucun cas de nous, nous aurions la clef du bonheur », écrit-il aussi (Cioran, Cahier de Talamanca, p. 40).

Marie, elle, ne sera plus nommée, ne vivant que de la grâce, volupté secrète, d’être devant Dieu, ayant entendu du Ressuscité la parole : « ne me retiens pas ». Il retourne au Père, comme il l’avait dit. Il s’en est allé, il envoie l’Esprit. Quant à Marie, elle sait la promesse : « qui se détache de sa vie dans ce monde la garde pour la vie éternelle. »

*

Suite à quoi, selon le texte, « Jésus vint, il se tint au milieu de ses disciples et il leur dit : "La paix soit avec vous." Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. Jésus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. » (Jean 20, 20-22)

Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent » qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets.

*

Comme pour une nouvelle création de vie, effet du souffle donné...

Genèse 2, 7 : « Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et cet être humain devint vivant. » Se retirant dans son Shabbath (Gn 2, 2), Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » — l’Esprit de vie. Jésus reprend le geste du récit de la Genèse : se retirant, il met en place la nouvelle création : il donne tout à nouveau l’Esprit de Dieu.

De même qu’il a vécu lui-même dans la vérité de l’Esprit qui l’a animé, la nouvelle création, celle du monde de la résurrection, est animée de la vie de l’Esprit.

*

Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Une mission… C’est par des humains faibles que le projet de la création est appelé à être accompli. Marie de Magdala a compris, au point de ne plus apparaître, que Jésus, qu’elle imite en cela, nous passe le relais — comme le Père s’est retiré dans son repos lors de la création —, Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Marie la Magdaléenne est non seulement témoin première de la résurrection, mais témoin définitif du retrait du Christ passant le relais aux Apôtres.

Accomplissant sa promesse, « il est préférable pour vous que je m’en aille, pour que vienne l’Esprit saint », le Ressuscité souffle sur eux… « Recevez l’Esprit Saint » et déliez ceux qui sont liés. Tel est l’envoi. La mission, pour une création nouvelle — dont nous sommes les acteurs, humains, trop humains, au point de vouloir voir, à l’instar de Thomas qui, absent au dimanche de Pâques, est présent huit jours après — comme aujourd'hui. Thomas est notre représentant, à nous qui n'avons pas vu, et voulons voir, et paraître, et qui sommes appelés à entrer dans la création nouvelle. Heureux ceux qui sans avoir vu ont cru.

Car rien ne se fait, en termes de création nouvelle, renouvelée, sans un acte de foi en ce qui ne se voit pas, à ce qui semble impossible (cf. Hé 11). Car, à bien lire notre texte, la création nouvelle est fondée... sur le retrait, de Dieu, du Christ, de soi, comme le retrait de soi de la Magdaléenne, porte de liberté pour toutes et tous — « déliez ceux qui sont liés ».

Ici s’ouvre la porte de tous les possibles. Porte de liberté par le pardon qui seul libère : « ceux pour qui vous remettrez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis » (plutôt que « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus », comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !).

La libération est en deux volets : pardon des péchés, de tout ce qui rend captif à commencer par le souci de soi, de laisser une œuvre ou un nom, et soumission du péché qui rend captif, à commencer par ce souci de soi, soumis par l’Esprit pour une libération totale, une victoire totale sur tous les esclavages. Comme mort au péché à la croix et résurrection à la vie nouvelle.

Voilà les Apôtres envoyés, à la suite de la Magdaléenne qui s’est effacée — et nous à leur suite — pour communiquer pleinement la libération que par sa résurrection, Jésus vient d'octroyer dans le don de l’Esprit saint. Envoyés pour communiquer abondamment cette libération : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. » Et mieux : « Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis. »

Telle est la parole de liberté — par le retrait de soi, du souci de soi et de son prestige, de celui de son nom propre : Dieu seul nous donne notre vrai nom que lui seul connaît (Ap 2, 17) —, don et pardon qui met fin à la crainte et au souci de notre prestige, de notre nom, de nos œuvres, et nous envoie avec la paix de Dieu — qui nous est donnée dans le souffle de l’Esprit saint. « La paix soit avec vous. » — Bénédiction prononcée deux fois (v. 19 et 21), puis (v. 26) une troisième fois…


RP, Poitiers, 24.04.22
Liturgie :: :: Prédication


dimanche 17 avril 2022

"Ils n'avaient pas encore compris l'Écriture…"




Actes 10, 34-43 ; Psaume 118, 1-20 ; Colossiens 3, 1-4 ; Jean 20, 1-9

Colossiens 3, 1-4
1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ;
2 fondez vos pensées en haut, non sur la terre.
3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.
4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.

Jean 20, 1-9
1 Le premier jour de la semaine, à l’aube, alors qu’il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2 Elle court, rejoint Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l’a mis. »
3 Alors Pierre sortit, ainsi que l’autre disciple, et ils allèrent au tombeau.
4 Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.
5 Il se penche et voit les bandelettes qui étaient posées là. Toutefois il n’entra pas.
6 Arrive, à son tour, Simon-Pierre qui le suivait ; il entre dans le tombeau et considère les bandelettes posées là
7 et le linge qui avait recouvert la tête ; celui-ci n’avait pas été déposé avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre endroit.
8 C'est alors que l’autre disciple, celui qui était arrivé le premier, entra à son tour dans le tombeau ; il vit et il crut.
9 En effet, ils n’avaient pas encore compris l’Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts.

*

« Ils n’avaient pas encore compris l’Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts ». Pourquoi n’ont-ils pas compris ? Aujourd’hui, on répondrait : parce que la science nous dit que la résurrection est impossible. Est de l’ordre scientifique ce qui est reproductible en laboratoire. Ce qui s’est passé au dimanche de Pâques n’est pas reproductible en laboratoire… Alors ce qu’en disent les Écritures…

Et nous restons confrontés au tragique incontournable de notre condition. Allons toutefois un peu plus loin, pour voir de quel angle, irréfutable, nous parle la science, et de quel angle elle ne nous parle pas.

Aujourd’hui, la science nous dit — par le rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) — que dans trois ans, les dégâts dus au réchauffement climatique seront irréversibles. Il faut changer tout de suite. Que fait-on sachant cela ? Rien… Quasiment pas un mot au cours de la campagne électorale de 1er tour ! Pourquoi ? Préoccupations d’identité ou querelles d’égos jugées plus urgentes ? Quelle que soit la réponse, comme Église, ne jetons pas la pierre aux gouvernants ! Que retiendra l’histoire, si elle continue, de ce à quoi s’intéressait l'Église de Poitiers pendant que la catastrophe avançait à grand pas ? Espérons que ce soit à autre chose qu’à des querelles d’égos conduisant tout aussi bien à la ruine, bien plus modeste celle-là, que celle qui menace ! L’Église est appelée à un tout autre témoignage…

Revenons à notre question de départ : que dit la science concernant notre vie et notre mort ? Au fond, l’histoire de la pensée le montre : on s’en fiche ! On ne retient de la science que ce qui vient conforter nos a priori. Au sujet de la catastrophe climatique, comme de tout le reste, y compris la vie et la mort. « Ils n’avaient pas encore compris l’Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts ». Pourquoi n’ont-ils pas compris ? Parce que cela coûte le dépassement de nos égos. Au fond, cela coûte tout. Aussi, pour surtout ne pas comprendre, on s’appuie sur des prétextes intitulés « science », en faisant mine de penser la résurrection comme ce qu’elle n’est pas. La résurrection est quelque chose dont la science ne parle pas — pas au sens de reproductible en laboratoire… La résurrection du Christ est tout autre chose.

*

On menaçait les premiers chrétiens de brûler leur corps pour empêcher leur résurrection. Leur être, notre être, serait-il dans ce qui en nous est consumable par le feu ? Si oui, dans quelle partie précisément de ce que l’on menaçait de brûler ? Quelle partie précisément de notre être devrait-on redouter de voir brûler ? Quelle partie échapperait à la puissance divine de résurrection ? Tel os essentiel ? Tel pivot de la structure de nos corps ? Quelle partie serait plus constitutive de nos êtres que telle autre ? Aujourd’hui, nous dirions notre cerveau — c’est tout de même le siège de notre pensée, dit-on de nos jours. Antan, ça pouvait être ailleurs, comme le cœur, devenu ensuite une simple pompe.

On sait pourtant que les premiers chrétiens avaient appris à ne pas redouter de telles menaces… Les martyrs brûlés ont-ils plus perdu de leur être que ceux qui sont morts âgés et de leur belle mort ? Non évidemment. Nous savons en outre (la science) que toutes nos cellules sont renouvelées en un an. Nous ne sommes plus, physiquement, ce que nous étions l’an dernier. Ce qui constitue notre être réel est plus profond… plus profond que nos profondeurs propres, que notre pensée, que notre mémoire. Nos êtres s’ancrent dans l’éternité de la mémoire de Dieu — seul éternel. Comprendre cela, comprendre ce que disent les Écritures, libère de tout, comme pour un nouvel Exode de la Pâque hors de l’esclavage, hors de l’esclavage du péché et de la mort. Cela libère de tout, et pour cela, ça coûte tout !

C’est au cœur de ce qui empêche de comprendre les Écritures, et c’est ce que scelle la foi du dimanche de Pâques : « vous êtes ressuscités avec le Christ » (Col 3, 1) ; « votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu » (Col 3, 3).

*

Voilà donc notre enveloppe temporelle dont nous nous dépouillons au jour le jour de son vieillissement (le texte de l’Épître aux Colossiens le dit précisément ainsi : « vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu », Col 3, 3) ; une enveloppe déjà entrée dans la mort, qui s’use, qui se dégrade de jour en jour ; jusqu’au moment où il faudra la quitter comme un vêtement qui a fait son temps.

Et voilà ce qui apparaît dans la clarté du dimanche de Pâques : le Christ a été relevé d’entre les morts. Et pour qu’on ne s’y trompe pas, le corps, de toute façon, n’est pas là. Ce corps, cette enveloppe, qu’il a dépouillée à la croix. « Recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ », affirmera l’Apôtre. Bref, le relèvement du Christ d’entre les morts au dimanche de Pâques, nous arrache à tout ce qui est vain, nous libère de tout ce qui est vain, à commencer par nos querelles d’égos, nos préoccupations d’égos, dépouillés à la croix du Ressuscité : « vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu ».

Pour nous, il a dépouillé le corps temporel, provisoire, douloureux, et il a été relevé d’entre les morts. Et pour que cela apparaisse dans toute sa clarté, le tombeau est vide : la pierre en a été ôtée pour que nous n’y restions pas. L’envoi hors du lieu de sa mort commence où demeurent les vôtres, les êtres humains, elle est où vous êtes envoyés, pas autour d’un tombeau.

Ce qui rend surprenant que l’on ait développé le culte du tombeau vide, du saint sépulcre, et autres reliques de Jésus, hélas, en plus, comme prétextes pour persévérer dans nos querelles d’égos, dans nos guerres d’égos !… Perverses au point d’avoir même utilisé le prétexte du tombeau vide pour nourrir querelles et guerres.

J’exagère ? Pour garantir les pèlerinages vers ce tombeau… vide ! on a fomenté huit croisades, parmi d’autres guerres, jusqu'à aujourd'hui, voire bénies par des Églises, l'actualité nous le hurle, hélas.

Voilà quoiqu’il en soit qu’il n’est pas ici, pas au tombeau. Et vous n’êtes pas appelés à y être non plus. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. » Allez donc dans la Cité terrestre, est-il dit à Marie de Magdala et aux autres témoins.

Parce que ce qui vaut pour le Christ, et c’est là que son relèvement d’entre les morts est aussi un dévoilement de ce que disent les Écritures, une révélation ; ce qui vaut pour lui, vaut, en lui, aussi pour nous. « Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu ». « Vous êtes ressuscités avec le Christ. »

Notre vrai être n’est pas dans la dépouille de nos corps, pas plus que dans notre pensée ou dans notre mémoire propres, et surtout pas dans la vanité de nos égos, mais caché avec le Christ, en Dieu.

Ce qui ne rend pas nos corps temporels insignifiants. Ils sont la manifestation visible de ce que nous sommes de façon cachée. Et ils sont le lieu de la solidarité. Le corps que le Christ s’est vu tisser dans le sein de sa mère manifeste dans notre temps ce qu’il est définitivement devant Dieu, et qui nous apparaît dans sa résurrection. Il est un autre niveau de réalité, celui qui apparaît dans la résurrection. Or nous en sommes aussi, à notre tour, de façon cachée. C’est cet autre niveau qu’il nous faut rechercher, pour y fonder notre vie et notre comportement dans le provisoire.

*

« Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire », annonce l’Apôtre.

Alors désormais, « recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; fondez vos pensées en haut ». C’est-à-dire non pas : vivez en haut, comme dans les nuages de lendemains qui déchanteront, mais poursuivez votre route terrestre forts de ce que vous pouvez désormais fonder vos pensées en haut, dans la foi à la résurrection de Jésus.

Vous êtes morts avec Jésus et ressuscités avec lui. « Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. » C’est à ce niveau de réalité-là qu’est notre vrai être. Vivre de la résurrection du Christ éternel, pour marcher vivants dès aujourd’hui sur les routes du provisoire.


RP, Pâques, 17.04.22
Diaporama :: :: Prédication


jeudi 14 avril 2022

"Savez-vous ce que je vous ai fait ?”



Gravure, Mark I. Nelson

Exode 12, 1-14 ; Psaume 116 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jean 13, 1-15

Jean 13, 1-15
1 Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue, l’heure de passer de ce monde au Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême.
2 Au cours d’un repas, alors que déjà le diable avait jeté au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, la pensée de le livrer,
3 sachant que le Père a remis toutes choses entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu,
4 Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint.
5 Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.
6 Il arrive ainsi à Simon-Pierre qui lui dit : « Toi, Seigneur, me laver les pieds ! »
7 Jésus lui répond : « Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, mais par la suite tu comprendras. »
8 Pierre lui dit : « Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi. »
9 Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
10 Jésus lui dit : « Celui qui s’est baigné n’a nul besoin d’être lavé, car il est entièrement pur : et vous, vous êtes purs, mais non pas tous. »
11 Il savait en effet qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il dit : « Vous n’êtes pas tous purs. »
12 Lorsqu’il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus prit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Savez-vous ce que je vous ai fait ?
13 Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis.
14 Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ;
15 car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi.

*

Jeudi saint, entre deux dimanches, Rameaux et Pâques. Lors du premier de ces deux dimanches, lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, on ne sait pas exactement ce qu’on demande, — comme Abraham (Genèse 22), quand il commence avec Isaac sa montée vers le mont Morija, ne sait pas encore. La figure d’Abraham « sacrifiant » Isaac peut être prise comme étant en arrière-plan : les textes que nous avons lus aujourd'hui nous font entrer plus loin dans ce parallèle qui s’ouvre lors de l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. Abraham ne sait pas encore qu'il s'agit de retrouver Isaac en vérité, et non plus tel qu'il le connaissait jusque là. À Rameaux, en ce jour de joie, on ne sait pas que celui que l'on acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle dévoilée lors du dimanche qui vient, Pâques.

Abraham a dû trouver un autre Isaac que le jeune homme avec lequel il est monté. Où est l’agneau ? a demandé Isaac. Rameaux annonce le sacrifice de l'agneau au vendredi saint, pour la résurrection du Christ éternel au dimanche Pâques.

Il s'agit de renoncer, comme Abraham a renoncé. Il lui a fallu laisser Isaac être ce qu'il est devant Dieu. Il lui a fallu en sacrifier ce qu'il croyait en savoir. Il nous faut sacrifier nos Isaac tels que nous les comprenons pour recevoir Isaac libre devant Dieu.

Il s’agit, de Rameaux à Pâques, d'apprendre à sacrifier le Messie tel que nous le concevons — « qui dites-vous que je suis ? » avait-il demandé — pour retrouver dès maintenant le Sauveur éternel, révélé au dimanche de Pâques.

Il s’agit de le découvrir dans sa vérité éternelle. Pour cela, il faudra sacrifier ce que l'on croyait en savoir. Et cela coûte des larmes, celles d’Abraham montant avec Isaac, celles des disciples perdant le Christ, celles des femmes au pied de la croix.

Écho à ce que dit Jésus à ses disciples au moment de sa mort : « vous ne me verrez plus ». Et puis vous me verrez, ajoute-t-il. Un Jésus est sacrifié, celui que l'on croyait connaître, pour qu’apparaisse le vrai Jésus, que l'on ne peut saisir — Jésus Christ éternel.

Cela est donné à valoir pour nous, pour chacune et chacun de nous. Il nous faut sacrifier ce que l'on croit pouvoir posséder de ses proches, et de soi-même, pour paraître en pleine lumière, né de Dieu. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » dira Paul aux Colossiens (Col 3, 3).

Et aujourd'hui, Jeudi saint, Jésus nous montre comment.

*

On est au soir du dernier repas, qui ne sera pas relaté en Jean. C'est pourtant ce à quoi on s’attendait. Or il vient toujours comme on ne s'y attend pas. Jésus nous donne à présent à la place du dernier repas sa signification. Il faut abandonner ce que l'on croyait de lui. Il s'offre pleinement. Et voilà qu'au grand bouleversement de ses disciples, il leur lave les pieds. Non pas que le geste n’existe pas jusque là : il existe bel et bien au contraire. C'est un geste courant à l'époque, où l'on marche longtemps sur les routes poussiéreuses. Mais ce geste reposant, offert après la route, c'est normalement un serviteur qui est est chargé, pas le maître !

À présent le maître se montre tel qu'il est : serviteur. Il faut alors pour les disciples abandonner la figure du maître : ils ne verront plus son visage. Il faut renoncer à la figure maître tel qu'on l'attend pour le trouver serviteur. Et ça coûte, ça coûte beaucoup, ça coûte tout.

Et Pierre ne veut pas : « Toi ? Me laver les pieds à moi ! Jamais ! »

Pierre dit son refus à plusieurs reprises : il ne peut renoncer à la figure du maître qu'il a conçue. Jusque, devant l’insistance de Jésus, à tenter de comprendre ce geste comme n'impliquant pas ce renoncement à ce qu'il croit savoir du maître… Ah oui, il parle de sa puissance de sauveur, qui nous a lavés de toutes nos fautes : « Alors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »

Bien sûr Jésus est le sauveur, qui les a purifiés. Mais ce geste-ci, à présent, est celui du serviteur, celui par lequel Jésus leur dit le sacrifice de toute image que l'on peut avoir de lui auquel il faut consentir, et par là le sacrifice de l'image que chacun de nous a de lui-même.

« Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »

Non pas qu'il faille reproduire ce geste-là. L’Église ancienne n'a pas retenu ce geste comme pratique liturgique — ce qui aurait pu en faire manquer le sens, les premiers disciples qui ont retenu ce souvenir l'ont bien senti : il ne s'agit pas d'un rite, pas d'une pratique liturgique mais d'un modèle de vie, d'un exemple, dont le cœur est le renoncement. À travers le renoncement à l’image du maître, à toute image du maître — qui s'apprête à mourir avec lui sur la croix, il s'agit à présent de renoncer à toute image de soi, à tout ce que l'on croit de soi. Comme Abraham renonçant à ce qu'il croit d'Isaac. Mourir à soi-même. Jésus l'a souvent dit. À présent, il a montré comment : « c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »

Aujourd'hui, au jour où Jésus renonce à sa vie pour entrer dans l'éternité du matin de Pâques, il s’agit pour nous de renoncer à tout ce que nous concevons de nous-mêmes, pour recevoir la vie d'éternité qui est dans le renoncement du Christ.


RP, Poitiers, jeudi saint, 14/04/22
Prédication (format imprimable)


dimanche 3 avril 2022

"Va, et ne pèche plus"




Ésaïe 43, 16-21 ; Psaume 126 ; Philippiens 3, 8-14 ; Jean 8, 1-11

Jean 8, 1-11
1 Jésus gagna le mont des Oliviers.
2 Dès le point du jour, il revint au temple et, comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner.
3 Les scribes et les Pharisiens amenèrent alors une femme qu'on avait surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe.
4 "Maître, lui dirent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère.
5 Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ?"
6 Ils parlaient ainsi dans l'intention de le mettre à l'épreuve, pour pouvoir le mettre en boîte. Mais Jésus, s’étant baissé, écrivait avec le doigt sur le sol.
7 Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit : "Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre."
8 Et s'inclinant à nouveau, il écrivait sur le sol.
9 Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l'un après l'autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. Comme la femme était toujours là, au milieu du cercle,
10 Jésus se redressa et lui dit : "Femme, où sont-ils donc? Personne ne t'a condamnée?"
11 Elle répondit : "Personne, Seigneur", et Jésus lui dit : "Moi non plus, je ne te condamne pas : va, et désormais ne pèche plus."

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« Nous croyons que l’homme devant Dieu est à la fois pécheur et justifié ; que l’Église est à la fois pécheresse et pardonnée », dit une de nos confessions de foi…

Eh bien, c'est à cela que nous conduit le cœur de ce récit : l’Église à la fois pécheresse et pardonnée. Mais voyons comment notre texte dit cela, comment il arrive à ce point.

« Ils parlaient ainsi dans l'intention de le mettre à l'épreuve », lit-on au verset 6, et s'il ne passe pas l'épreuve, il se retrouvera « mis en boîte », discrédité. Mais quelle est l'épreuve ? Elle repose en grande partie, comme les autres épreuves proposées à Jésus selon les Évangiles, sur les doutes de ses interlocuteurs quant à sa culture religieuse. N'oublions pas que Jésus vient d'un territoire, la Galilée, périphérique et peu éclairé. Alors ceux des scribes — des spécialistes de la Loi, de la Torah — qui l'interrogent peuvent être portés à douter de sa culture biblique. Car la question, savoir s'il faut lapider la femme, est déjà résolue depuis longtemps par les maîtres de la tradition. On ne lapide pas ! (Cf. Talmud, Traité Sota 47a : « Quand se sont multipliés les cas d'adultère, les tribunaux n'ont plus appliqué la sentence de Sota ».) D'autant que c'est l'État, en l'occurrence l'ordre romain qui règne directement ou indirectement, qui a le dernier mot en matière d’exécutions.

On ne lapide pas, a fortiori pas comme ça dans la rue, sauf à ce que cela s'assimile à un assassinat fanatique — comme celui d’Étienne dans le livre des Actes — qui aurait dû valoir à ceux qui en étaient coupables de comparaître, normalement, auprès des autorités romaines. L'épreuve vise à savoir si Jésus sait que la question est résolue par les pharisiens, dans un sens exactement similaire à la réponse qu’il va donner. Dans un sens propre à fonder l'abolition de la peine de mort. (Cf. Rabbi Eliézer : « Si un tribunal réussit à mettre à mort, plus d'un fauteur, tous les 70 ans, c'est un tribunal meurtrier ». Talmud, Traité Makot 7a. Ibid. : Rabbi Tarfon et Rabbi Akiva affirmèrent que s'ils faisaient partie du grand tribunal jugeant les peines de mort, aucun fauteur n'aurait été mis à mort.)

Car les pharisiens enseignent à ce sujet que si la Torah parle de lapidation, c'est en considérant des gens, le peuple du Sinaï, d'une sainteté telle qu'ils seraient à même de juger ! — et finalement de ne pas condamner, comme Jésus ne le fera évidemment pas.

Prétendre juger et condamner la femme reviendrait, comme l’enseignaient déjà les pharisiens, à s’auto-justifier, sans compter que, si Jésus comprenait la Torah ainsi, cela ferait de lui un fanatique inculte.

La Torah était lue dans les synagogues et expliquée ! (Elle n’était pas disponible en livre familial ou individuel comme elle le serait plus tard — après l'invention de l’imprimerie et des livres à bon marché.) Mais pas plus aujourd'hui qu’hier, on n’est censé lire en public et sans explication des textes tels que ceux qui en première lecture semblent prôner lapidations et autres exterminations !

Or l'explication pharisienne consiste précisément, via des réflexions parfois complexes (de tels textes n’étant pas simples !), à renvoyer chacun à sa conscience. « Qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle », dira Jésus (Matthieu 5, 28) dans cette même perspective.

Cela vaut jusqu’à aujourd’hui : lire sans explication de tels textes (semblant prôner lapidation, violence guerrière, etc.) a même quelque chose d’indécent ! Et il y a beaucoup de textes difficiles dans la Bible, qui réclament des explications qui ont pour effet de faire travailler les intelligences — c’est encore ce qu’en dira saint Augustin au Ve s. : les textes difficiles de la Bible sont là pour que nous exercions nos intelligences — que ce soit des textes comme celui auquel il est fait allusion ici (v. 5), des textes guerriers, et j’en passe. On les explique, on ne les lit pas sans les expliquer ! C’est pour cela que Dieu, parmi les divers dons qu’il octroie, a institué des scribes, rabbins et pasteurs…

Condamner « ces femmes-là », selon la formule dédaigneuse citée au v. 5, dévoile finalement le cœur trouble de tout accusateur — qui se met ainsi au-dessus du Décalogue écrit du doigt de Dieu (cf. Ex 31, 18 /Jn 8, 6 et 8), au-dessus de la Torah. Ainsi le dira l’Épître de Jacques (ch. 4, v. 11) : « qui juge son frère ou sa sœur, juge la Loi ». En effet cela revient à s’auto-justifier quant à ses fautes à soi, ce qui produit une surdité à toute compassion : dédaigner la femme accusée pour ne pas entendre ce qui se passe de façon confuse dans les profondeurs enfouies auxquelles Jésus renvoie chacun.

Voilà un point, parmi les autres, sur lequel Jésus et les pharisiens sont d'accord. Il est important pour nous de le savoir, ne serait-ce que pour ne pas faire des pharisiens les boucs émissaires d'une attitude qui n'est pas la leur ! D’autant plus que ce faisant, loin d'être du côté de Jésus et de la femme adultère pardonnée, nous basculerions sans nous en rendre compte du côté des lapidateurs !

Or, les pharisiens ne lapidaient pas, parce que, on l'a dit, ils se considéraient insuffisamment saints pour juger… Exactement comme Jésus va le dire. Cela n'élimine pas la faute commise. La faute n'est pas niée ; elle est censée ici avoir été constatée par flagrant délit. C'était indispensable pour un constat d'adultère : flagrant délit (ce qui peut sembler rendre étrange l'absence de l'homme, visé en principe lui aussi par la sanction — on y revient) — flagrant délit constaté ; la trace de cette exigence s'est perpétuée dans l'islam, où sont requis quatre témoins qui, tenez-vous bien, doivent pourvoir affirmer avoir vu l'accouplement s'accomplir (avoir vu « la plume entrer dans l’encrier » ! Sic) — où la pratique de telles sanctions dans certains pays ou groupes musulmans tombe sous le coup de la dénonciation d'hypocrisie des lapidateurs qui se jugent eux-mêmes assez purs pour se livrer à de tels actes !

Mais bref, flagrant délit, la faute n'est pas niée dans notre texte ; mais elle est pardonnée. Là, Jésus s'avère, lui campagnard galiléen, n'être pas aussi inculte que cela — et les Évangiles ne manquent pas de nous le montrer fréquentant les synagogues, ou discutant avec les docteurs de la Loi. Et il sait que parmi les textes difficiles de la Torah le problème que posent ceux parlant de la peine de mort est résolu, et il sait comment.

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Cela noté, il faut aller un pas plus loin et retrouver la leçon prophétique sur l’adultère et son pardon comme image de l’idolâtrie du peuple qui cherche ses propres fantasmes religieux dans des idoles à sa propre image, et qui rejette ipso facto le vrai Dieu, Dieu autre au point que l’on ne prononce pas son nom. De même, l’adultère est comme en recherche d’une image fantasmée, restant en souffrance de ce que l’autre se trouve être réel, et donc ne correspond pas à ma propre image projetée… « Va et ne pèche plus », adressé par Jésus à la femme adultère, recoupe alors l’appel « revenez à moi, peuple adultère » que les prophètes crient au nom de Dieu.

Ici s'explique la fameuse absence de l'homme, pas relevée par Jésus : la femme de notre texte est une figure de l'Église, pécheresse pardonnée, coupable d'adultère vis-à-vis de Dieu, et pardonnée, à laquelle Jésus déclare : « va et ne pèche plus ! » Où est l'homme, demandait-on ? Mais ce n'est pas avec un homme que l'Église commet l'adultère, c'est avec ses idoles !… Desquelles la première est cette façon de s'adorer soi-même, de vouloir se placer sur un piédestal de façon à accuser autrui, se plaçant au-dessus de la Torah.

Si l'homme n'est pas là — et le problème du texte n'est pas un homme mais l'idole —, l'époux, lui, est là, celui de l’Église : c'est Jésus, qui pardonne, qui ne condamne pas, pénétrant le fond des cœurs de sorte que son pardon n'est pas à bon marché. Nous ne sommes pas juges pour condamner, nous ne le sommes pas non plus pour octroyer des pardons faciles, qui ne coûtent rien.

Jésus s'adresse à la conscience de chacun de ses interlocuteurs, de chacune et chacun de nous, dévoilant le secret des cœurs : à partir de quelle sainteté ose-t-on s'ériger en juge de quiconque ? La question ne peut que porter et troubler les consciences, à commencer par celles des plus âgés, qui ont une plus indubitable expérience de leur propre tortuosité. Et la femme de se retrouver sans plus d'accusateur. C'est aujourd'hui le jour du salut. Il est encore temps d'entrer dans le Royaume.

Alors Jésus, dont la sainteté le met en position de juge, et lui seul, prononce son verdict : « je ne te condamne pas. Va, et ne pèche plus ». Ce faisant, il annonce ce qui est le fondement du Royaume dont il est porteur : le pardon, la grâce seule, la faveur de Dieu, sans quoi ce Royaume demeurerait à jamais fermé, inaccessible.


R.P., Poitiers, 3.04.22
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