Actes 4, 32-35 ; Psaume 118, 17-23 ; 1 Jean 5, 1-6 ; Jean 20, 19-31
Jean 20, 19-31
Juste avant notre texte, nous lisons que « Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses : va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20, 17-18). Après cela, on ne la verra plus, elle disparaît du texte.
Lorsque Jésus s’en va, il accomplit sa promesse (« il est préférable pour vous que je m’en aille, sinon l’Esprit saint ne viendra pas », Jean 16, 7). Marie la Magdaléenne, s'en allant de notre vue pour passer le relais aux Onze, est la seule disciple qui nous soit présentée comme ayant pleinement compris cette parole qu'avait dite Jésus. Elle est la seule à avoir repris cette action de Jésus, se retirer, comme, à la fin de tout, à imiter : « qui veut garder sa vie la perdra » avait-il dit (Jean 12, 25).
En contraste à Thomas, l’apôtre du désir de la vue, de la présence, elle est l’apôtre de l’absence, de l'invisibilité du Dieu de la Bible, de l’invisibilité de son souffle, son Esprit, qui souffle sans qu'on ne le voie : « le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va » (Jean 3, 8). De même, « il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime ».
Cette promesse, Jésus l’accomplit à travers son geste, souffler sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint venu du Père.
La Magdaléenne, elle, sort du récit.
C’est au point que Paul énumérant les témoins de la résurrection en 1 Corinthiens 15 ne la mentionne pas : « Christ est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ; il est apparu à Céphas, puis aux douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Après eux tous, il m’est aussi apparu à moi, comme à l’avorton » (1 Co 15, 4-8).
Plus encore que l’avorton, la Magdaléenne s’est effacée.
« Quiconque veut laisser une œuvre n’a rien compris. Il faut apprendre à s’émanciper de ce qu’on fait. Il faut surtout renoncer à avoir un nom, et même à en porter un. Mourir inconnu, c’est peut-être cela la grâce », écrira Cioran (Cahiers 1957-1972, p. 509), propos concernant tout un chacun. Pour nous : « Si nous pouvions ressentir une volupté secrète chaque fois qu’on ne fait aucun cas de nous, nous aurions la clef du bonheur », écrit-il aussi (Cioran, Cahier de Talamanca, p. 40).
Marie, elle, ne sera plus nommée, ne vivant que de la grâce, volupté secrète, d’être devant Dieu, ayant entendu du Ressuscité la parole : « ne me retiens pas ». Il retourne au Père, comme il l’avait dit. Il s’en est allé, il envoie l’Esprit. Quant à Marie, elle sait la promesse : « qui se détache de sa vie dans ce monde la garde pour la vie éternelle. »
Suite à quoi, selon le texte, « Jésus vint, il se tint au milieu de ses disciples et il leur dit : "La paix soit avec vous." Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. Jésus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. » (Jean 20, 20-22)
Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent » qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets.
Comme pour une nouvelle création de vie, effet du souffle donné...
Genèse 2, 7 : « Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et cet être humain devint vivant. » Se retirant dans son Shabbath (Gn 2, 2), Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » — l’Esprit de vie. Jésus reprend le geste du récit de la Genèse : se retirant, il met en place la nouvelle création : il donne tout à nouveau l’Esprit de Dieu.
De même qu’il a vécu lui-même dans la vérité de l’Esprit qui l’a animé, la nouvelle création, celle du monde de la résurrection, est animée de la vie de l’Esprit.
Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Une mission… C’est par des humains faibles que le projet de la création est appelé à être accompli. Marie de Magdala a compris, au point de ne plus apparaître, que Jésus, qu’elle imite en cela, nous passe le relais — comme le Père s’est retiré dans son repos lors de la création —, Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Marie la Magdaléenne est non seulement témoin première de la résurrection, mais témoin définitif du retrait du Christ passant le relais aux Apôtres.
Accomplissant sa promesse, « il est préférable pour vous que je m’en aille, pour que vienne l’Esprit saint », le Ressuscité souffle sur eux… « Recevez l’Esprit Saint » et déliez ceux qui sont liés. Tel est l’envoi. La mission, pour une création nouvelle — dont nous sommes les acteurs, humains, trop humains, au point de vouloir voir, à l’instar de Thomas qui, absent au dimanche de Pâques, est présent huit jours après — comme aujourd'hui. Thomas est notre représentant, à nous qui n'avons pas vu, et voulons voir, et paraître, et qui sommes appelés à entrer dans la création nouvelle. Heureux ceux qui sans avoir vu ont cru.
Car rien ne se fait, en termes de création nouvelle, renouvelée, sans un acte de foi en ce qui ne se voit pas, à ce qui semble impossible (cf. Hé 11). Car, à bien lire notre texte, la création nouvelle est fondée... sur le retrait, de Dieu, du Christ, de soi, comme le retrait de soi de la Magdaléenne, porte de liberté pour toutes et tous — « déliez ceux qui sont liés ».
Ici s’ouvre la porte de tous les possibles. Porte de liberté par le pardon qui seul libère : « ceux pour qui vous remettrez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis » (plutôt que « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus », comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !).
La libération est en deux volets : pardon des péchés, de tout ce qui rend captif à commencer par le souci de soi, de laisser une œuvre ou un nom, et soumission du péché qui rend captif, à commencer par ce souci de soi, soumis par l’Esprit pour une libération totale, une victoire totale sur tous les esclavages. Comme mort au péché à la croix et résurrection à la vie nouvelle.
Voilà les Apôtres envoyés, à la suite de la Magdaléenne qui s’est effacée — et nous à leur suite — pour communiquer pleinement la libération que par sa résurrection, Jésus vient d'octroyer dans le don de l’Esprit saint. Envoyés pour communiquer abondamment cette libération : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. » Et mieux : « Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis. »
Telle est la parole de liberté — par le retrait de soi, du souci de soi et de son prestige, de celui de son nom propre : Dieu seul nous donne notre vrai nom que lui seul connaît (Ap 2, 17) —, don et pardon qui met fin à la crainte et au souci de notre prestige, de notre nom, de nos œuvres, et nous envoie avec la paix de Dieu — qui nous est donnée dans le souffle de l’Esprit saint. « La paix soit avec vous. » — Bénédiction prononcée deux fois (v. 19 et 21), puis (v. 26) une troisième fois…
Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit Saint ;
23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur !" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"
26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: "La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas : "Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."
28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."
29 Jésus lui dit : "Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.
31 Ceux-ci l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.
*
Juste avant notre texte, nous lisons que « Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses : va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20, 17-18). Après cela, on ne la verra plus, elle disparaît du texte.
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Lorsque Jésus s’en va, il accomplit sa promesse (« il est préférable pour vous que je m’en aille, sinon l’Esprit saint ne viendra pas », Jean 16, 7). Marie la Magdaléenne, s'en allant de notre vue pour passer le relais aux Onze, est la seule disciple qui nous soit présentée comme ayant pleinement compris cette parole qu'avait dite Jésus. Elle est la seule à avoir repris cette action de Jésus, se retirer, comme, à la fin de tout, à imiter : « qui veut garder sa vie la perdra » avait-il dit (Jean 12, 25).
En contraste à Thomas, l’apôtre du désir de la vue, de la présence, elle est l’apôtre de l’absence, de l'invisibilité du Dieu de la Bible, de l’invisibilité de son souffle, son Esprit, qui souffle sans qu'on ne le voie : « le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va » (Jean 3, 8). De même, « il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime ».
Cette promesse, Jésus l’accomplit à travers son geste, souffler sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint venu du Père.
La Magdaléenne, elle, sort du récit.
C’est au point que Paul énumérant les témoins de la résurrection en 1 Corinthiens 15 ne la mentionne pas : « Christ est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ; il est apparu à Céphas, puis aux douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Après eux tous, il m’est aussi apparu à moi, comme à l’avorton » (1 Co 15, 4-8).
Plus encore que l’avorton, la Magdaléenne s’est effacée.
« Quiconque veut laisser une œuvre n’a rien compris. Il faut apprendre à s’émanciper de ce qu’on fait. Il faut surtout renoncer à avoir un nom, et même à en porter un. Mourir inconnu, c’est peut-être cela la grâce », écrira Cioran (Cahiers 1957-1972, p. 509), propos concernant tout un chacun. Pour nous : « Si nous pouvions ressentir une volupté secrète chaque fois qu’on ne fait aucun cas de nous, nous aurions la clef du bonheur », écrit-il aussi (Cioran, Cahier de Talamanca, p. 40).
Marie, elle, ne sera plus nommée, ne vivant que de la grâce, volupté secrète, d’être devant Dieu, ayant entendu du Ressuscité la parole : « ne me retiens pas ». Il retourne au Père, comme il l’avait dit. Il s’en est allé, il envoie l’Esprit. Quant à Marie, elle sait la promesse : « qui se détache de sa vie dans ce monde la garde pour la vie éternelle. »
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Suite à quoi, selon le texte, « Jésus vint, il se tint au milieu de ses disciples et il leur dit : "La paix soit avec vous." Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. Jésus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. » (Jean 20, 20-22)
Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent » qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets.
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Comme pour une nouvelle création de vie, effet du souffle donné...
Genèse 2, 7 : « Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et cet être humain devint vivant. » Se retirant dans son Shabbath (Gn 2, 2), Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » — l’Esprit de vie. Jésus reprend le geste du récit de la Genèse : se retirant, il met en place la nouvelle création : il donne tout à nouveau l’Esprit de Dieu.
De même qu’il a vécu lui-même dans la vérité de l’Esprit qui l’a animé, la nouvelle création, celle du monde de la résurrection, est animée de la vie de l’Esprit.
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Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Une mission… C’est par des humains faibles que le projet de la création est appelé à être accompli. Marie de Magdala a compris, au point de ne plus apparaître, que Jésus, qu’elle imite en cela, nous passe le relais — comme le Père s’est retiré dans son repos lors de la création —, Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Marie la Magdaléenne est non seulement témoin première de la résurrection, mais témoin définitif du retrait du Christ passant le relais aux Apôtres.
Accomplissant sa promesse, « il est préférable pour vous que je m’en aille, pour que vienne l’Esprit saint », le Ressuscité souffle sur eux… « Recevez l’Esprit Saint » et déliez ceux qui sont liés. Tel est l’envoi. La mission, pour une création nouvelle — dont nous sommes les acteurs, humains, trop humains, au point de vouloir voir, à l’instar de Thomas qui, absent au dimanche de Pâques, est présent huit jours après — comme aujourd'hui. Thomas est notre représentant, à nous qui n'avons pas vu, et voulons voir, et paraître, et qui sommes appelés à entrer dans la création nouvelle. Heureux ceux qui sans avoir vu ont cru.
Car rien ne se fait, en termes de création nouvelle, renouvelée, sans un acte de foi en ce qui ne se voit pas, à ce qui semble impossible (cf. Hé 11). Car, à bien lire notre texte, la création nouvelle est fondée... sur le retrait, de Dieu, du Christ, de soi, comme le retrait de soi de la Magdaléenne, porte de liberté pour toutes et tous — « déliez ceux qui sont liés ».
Ici s’ouvre la porte de tous les possibles. Porte de liberté par le pardon qui seul libère : « ceux pour qui vous remettrez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis » (plutôt que « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus », comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés !).
La libération est en deux volets : pardon des péchés, de tout ce qui rend captif à commencer par le souci de soi, de laisser une œuvre ou un nom, et soumission du péché qui rend captif, à commencer par ce souci de soi, soumis par l’Esprit pour une libération totale, une victoire totale sur tous les esclavages. Comme mort au péché à la croix et résurrection à la vie nouvelle.
Voilà les Apôtres envoyés, à la suite de la Magdaléenne qui s’est effacée — et nous à leur suite — pour communiquer pleinement la libération que par sa résurrection, Jésus vient d'octroyer dans le don de l’Esprit saint. Envoyés pour communiquer abondamment cette libération : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. » Et mieux : « Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis. »
Telle est la parole de liberté — par le retrait de soi, du souci de soi et de son prestige, de celui de son nom propre : Dieu seul nous donne notre vrai nom que lui seul connaît (Ap 2, 17) —, don et pardon qui met fin à la crainte et au souci de notre prestige, de notre nom, de nos œuvres, et nous envoie avec la paix de Dieu — qui nous est donnée dans le souffle de l’Esprit saint. « La paix soit avec vous. » — Bénédiction prononcée deux fois (v. 19 et 21), puis (v. 26) une troisième fois…
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