dimanche 19 juin 2022

Jusqu'à ce qu'il vienne




Genèse 14, 18-20 ; Psaume 110 ; 1 Co 11, 23-26 ; Luc 9, 11-17

1 Corinthiens 11, 23-26
23 Voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,
24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. »
25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. »
26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

*

Voilà un texte qui demande une lecture complète du passage où il s’insère. Avant d’y venir, commençons par ce propos que nous venons de lire : « Toutes les fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne ». On fait peu attention à la signification de ces mots, qui est peu enthousiasmante : on espérerait annoncer le Royaume, on rappelle une crucifixion…

La sainte Cène, célébrée alors au cours d'un repas, lieu de partage, résumée ensuite au pain et au vin seuls — les remarques de Paul dans notre passage n'y sont pas étrangères — ; la Cène vaut comme remise en question, à la fois quant aux divisions dans l’Église et quant à la vie sociale…

Qu'est-ce en effet que ce rite égalitaire, la Cène, qui n’efface ni les animosités ecclésiales, ni les écarts sociaux, qui hélas demeurent jusqu'au jour du royaume (« que ton règne vienne », prions-nous selon l'enseignement de Jésus) ? Le royaume, le règne de Dieu, est au milieu de nous, mais nous en sommes loin ! Et en attendant, jusqu’à la venue du Seigneur, c’est sa mort que nous annonçons… De cela, de ce que le règne de Dieu est différé, Paul donne un signe criant : dans l’Église où le royaume du Ressuscité est proclamé, on continue à être sujet à l’infirmité, à la maladie, et même à mourir (1 Co 11, 30) !

Face à cela, qu’offre l’Église ?… Des divisions — par référents identitaires, par groupuscules concurrents, par écarts sociaux… Alors Paul appelle à reconnaître à la sainte Cène la présence du Christ — à « discerner le corps du Seigneur » (1 Co 11, 29) —, sa mort, rappelée ainsi jusqu'à sa venue dans son règne… Car ce règne, règne d’unité et de paix, ne se voit pas !

« Moi, je suis de Paul ! moi, d’Apollos ! moi, de Céphas ! moi, de Christ !‭ Christ est-il divisé ? ‭» (1 Co 1, 12-13.) Attitude corinthienne que déplore l’Apôtre dès le début de l'Épître. Divisions par groupuscules, divisions par identités d’origine : dans un monde, la cité grecque au temps de Paul, gérée selon un polythéisme qui atteint tous les domaines de la vie, jusqu'aux plus quotidiens, comme la question alimentaire, quel repas partager quand la viande qui se consomme provient des sacrifices aux divinités grecques ? Dans ce contexte Paul essaye d’expliquer ce qu’il en est de l'usage de la liberté en regard des égards que l'on doit à autrui. « Vous avez été appelés à être libres. Seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon les désirs de votre propre nature. Au contraire, laissez-vous guider par l’amour pour vous mettre au service les uns des autres. Car toute loi se résume dans ce seul commandement : tu aimeras ton prochain comme toi-même », a-t-il dit dans ce sens aux Galates (Ga 5, 13-14).

Ces fameux désirs de notre propre nature (littéralement désirs de la chair), Paul en énumère les effets (Ga 5, 19-21), parmi lesquels, outre « l'idolâtrie » ambiante, « ‭les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les scissions ».

* * * * * * *

Cela ne concerne donc pas seulement la vie d’une communauté ecclésiale dans une cité païenne (puisque dans la liste des « œuvres de la chair », on trouve aussi « l'idolâtrie »), mais, énumérant « ‭les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les scissions », voilà qui est toujours à l'ordre du jour, quand l’Église n'a plus aucune pratique alimentaire particulière (les chrétiens mangeant de nos jours la même chose que tout le monde) qui la mettrait en porte à faux avec la cité laïque.

… Notre cité contemporaine, où apparaissent cependant des pratiques alimentaires spécifiques dans d'autres cultes, posant la question de l'attitude à adopter. L’Église aurait peut-être ici une réflexion à partager, en regard de l'enseignement de Paul. Rappelons juste que, quant à l'attitude des chrétiens de Corinthe du Ier siècle par rapport aux viandes issues de rites sacrificiels, question religieuse, Paul développe, sur la base de la décision d’Actes 15, 19-21 (« s'abstenir des idoles »), son raisonnement (1 Co 8 à 10) en faveur du maintien de la pratique classique de la Synagogue : on s'abstient des viandes consacrées aux idoles (1 Co 8, 13), concrètement on mange casher, c’est-à-dire consacré au Dieu unique ! Si le raisonnement de Paul semble complexe, c’est qu’il lui faut convaincre les disciples d'origine païenne de s’abstenir de viandes sacrificielles de la cité d’alors sans pour autant réintroduire la croyance qu’il y aurait des idoles à craindre : s’abstenir de manger la viande sacrificielle du monde ambiant tout en sachant qu'il n’y a rien à craindre ni à croire derrière les idoles !

En tout cela, le mot clé est : égards — pour les plus faibles en la foi en premier lieu, l’espérance d’une Église fidèle relevant de la foi. Mais attention à ce point à ne pas se laisser piéger par la mauvaise foi de ceux qui se déclarent eux-mêmes choqués par ce qui ne correspond pas à leurs convictions propres. Calvin fournit, en un temps qui n'était plus celui de Paul, des indications qui actualisent pour son temps ce qu’écrit l’Apôtre. Dans les pages de l’Institution de la religion chrétienne consacrées aux scandales, c'est-à-dire ce qui peut faire chuter autrui de la foi, c’est-à-dire ce dont parle Paul demandant tous les égards envers ceux qu'il appelle les faibles, Calvin écrit (trad. H. Évrard), III, xix, 11 sq. :

« J'approuve la distinction courante entre le scandale qui se cause et le scandale qui se prend. …

La première sorte de scandale n'affecte que les faibles ; la seconde est le fait d'une aigreur [méchante contre une action innocente]. … Nous userons de notre liberté chrétienne en la pliant à l'ignorance de nos frères qui sont faibles, mais non à l'irritable arrogance des [hypocrites]. … Notre liberté ne nous est pas donnée pour nous opposer à nos frères qui sont faibles, puisque [l’amour] nous met à leur service en tout et partout. Elle nous est donnée pour que, notre conscience ayant la paix avec Dieu, nous vivions aussi en paix avec les hommes. Et quant à la susceptibilité des [hypocrites], la parole de notre Seigneur nous montre quel cas nous devons en faire : laissez-les. Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. …

… Tout ce que nous venons de dire au sujet des scandales concerne les choses indifférentes, celles qui ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes. … »


* * * * * * *

Ayant fait ce détour, lisons à présent le texte en entier, qui nous permet de mieux saisir ce dont il est question…

1 Corinthiens 11, 17-31
17 Vos réunions, loin de vous faire progresser, vous font du mal.
18 Tout d'abord, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, me dit-on, et je le crois en partie :
19 il faut même qu'il y ait des scissions parmi vous afin qu'on voie ceux d'entre vous qui résistent à cette épreuve.
20 Mais quand vous vous réunissez en commun, ce n'est pas le repas du Seigneur que vous prenez.
21 Car vos repas partagés n’abolissent en rien vos écarts sociaux, qui font que l'un a faim, tandis que l'autre est rassasié à en être ivre.
22 N'avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Ou bien méprisez-vous l'Église de Dieu et voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? Que vous dire ? Faut-il vous louer ? Non, sur ce point je ne vous loue pas.
23 En effet, voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,
24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. »
25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. »
26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.
27 C’est pourquoi qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur.
28 Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange du pain et boive de la coupe ;
29 car qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même.
30 C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de malades, et qu’un grand nombre sont morts.
31 Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. […]

*

Dans un monde divisé, quelle signification a ce signe du Royaume qu’est la sainte Cène, si les inimitiés continuent jusque dans l’Église ? Car le problème derrière ce texte, on l’a entendu, est donc bien les divisions — concrètement : en fixations identitaires, en groupuscules opposés, en écarts sociaux. Cela en contradiction avec la vocation qui est celle de l'Église.

Souvenons-nous : « ‭L’Esprit du Seigneur est sur moi, Parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé,‭ Pour proclamer aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de la vue, Pour renvoyer libres les opprimés », lit-on en Luc 4, 18, relatant la première prédication de Jésus.

Lu par Jésus dans la synagogue de Nazareth comme inauguration de son ministère, ce texte cite le livre du prophète Ésaïe annonçant le règne de Dieu (És 61, 1). Commentaire de Jésus : « Aujourd’hui cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie ». Reprise de ce même texte d’Ésaïe, on lit un peu plus loin (Luc 7, 22) : « Allez rapporter […] ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, ‭les‭ ‭morts‭ ‭ressuscitent‭, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.‭ » Annonce du règne de Dieu, où la misère, la maladie et la mort-même sont vaincues !

Or qu'en est-il depuis, en Église y compris ? Non seulement la souffrance et la maladie n'ont pas disparu (« il y a parmi vous des infirmes et des malades, et un grand nombre sont morts » – v. 30), non seulement, donc, on meurt : nul n'y échappe ; mais même ce minimum en signe du règne de Dieu qu'est l'établissement de la justice sociale demeure à venir, comme comble du désamour — dont les divisions en groupuscules et référents identitaires sont le symptôme.

Alors Paul ramène le signe de la Cène à ce qu'il est : non plus un repas comme celui auquel le Christ participera avec nous au jour de sa venue dans son règne, mais le signe, qui se limite donc au pain et au vin, de son corps rompu et de son sang répandu — jusque là lors de repas partagés… À présent mangez chez vous, puisque vos repas partagés n’abolissent en rien les écarts sociaux qui demeurent en l’état !… Et qui demeurent en l’état dans l'Église comme ailleurs en ce monde si plein de déséquilibres, où « les uns sont rassasiés jusqu’à en être ivres, tandis que les autres ont faim » (v. 21) ; cela contre l’espérance du règne de Dieu où les querelles d’egos sont enfin reconnues vaines, où tous sont un et où les abîmes des disparités de ce monde sont comblés — « ou bien (v. 22) méprisez-vous l'Église de Dieu et voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? » (Cf. Ac 5, 1-10 !)

Autant de raisons pour lesquelles nous sommes invités à nous savoir indignes en nous-mêmes — lui seul est notre dignité : jugez-vous vous-mêmes, et ainsi, vous sachant indignes en vous-même, à la différence du monde qui a la manie de se croire digne et qui est incapable de discerner la souffrance que partage le Christ — que chacun se juge, et « qu'ainsi il mange et boive », en participation à la coupe amère du Christ (v. 28) : « vous annoncez sa mort » !, cela dans l'espérance de son règne.

Nous voilà bien en chemin d’Exode en un temps de dépendance de Dieu pour le pain, un pain d’aujourd’hui pour lequel nous prions Dieu de pourvoir, un pain d’aujourd’hui qui est désormais, en signe, celui de demain… Avec une seule exigence : ne pas perdre de vue la visée qui demeure notre flambeau dans le désert : « vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. » Ce qui inclut de viser l’unité — au-delà de toute scission (1 Co 11, 18-19) —, unité et justice.


RP, Poitiers, 19.06.22
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dimanche 12 juin 2022

Esprit de vérité




Proverbes 8, 22-31 ; Psaume 8 ; Romains 5, 1-5 ; Jean 16, 12-15

Proverbes 8, 22-31
22 Le SEIGNEUR m’a engendrée, prémisse de son activité,
prélude à ses œuvres anciennes.
23 J'ai été sacrée depuis toujours,
dès les origines, dès les premiers temps de la terre.
24 Quand les abîmes n’étaient pas, j’ai été enfantée,
quand n’étaient pas les sources profondes des eaux.
25 Avant que n’aient surgi les montagnes,
avant les collines, j’ai été enfantée,
26 alors qu’Il n’avait pas encore fait la terre et les espaces
ni le premier grain de la poussière du monde.
27 Quand Il affermit les cieux, moi, j’étais là,
quand Il grava un cercle face à l’abîme,
28 quand Il condensa les masses nuageuses en haut
et quand les sources de l’abîme montraient leur violence ;
29 quand Il assigna son décret à la mer – et les eaux n’y contreviennent pas –,
quand Il traça les fondements de la terre. 30 Je fus maître d’œuvre à son côté,
objet de ses délices chaque jour, jouant en sa présence en tout temps,
31 jouant dans son univers terrestre ;
et je trouve mes délices parmi les hommes.

Jean 16, 12-15
12 J’ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant ;
13 lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.
14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera.
15 Tout ce que possède mon Père est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi.

*

SEIGNEUR, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle chante ta splendeur !
Par la bouche des tout-petits et des nourrissons,
tu as fondé une forteresse contre tes adversaires.
(Psaume 8, 2-3)

Les tout-petits… Si la vérité est tout proche de nous, nous sommes loin d’elle : elle relève de ce que Dieu a « caché aux sages, et a révélé aux tout-petits » (Matthieu 11, 25). « L’Esprit de vérité vous fera accéder à la vérité tout entière », promet alors Jésus, au jour de son départ. Adressée à ses Apôtres, c'est une parole qui concerne aussi ceux qui suivront, recevant la parole des Apôtres — c’est-à-dire nous.

« L’Esprit de vérité vous fera accéder à la vérité tout entière ». Cela, bien sûr, ne préjuge en rien de ce qu’il en est de notre participation effective à cet accès à la vérité : celui qui aime en paroles et non en action et en vérité n’a pas connu Dieu, et ment en prétendant l’avoir connu, de même que ment celui qui prétend n'avoir pas de péché (1 Jean 2, 4 ; 3, 18). Celui qui pèche n’a pas connu Dieu et celui qui prétend n’avoir pas de péché ne l’a pas connu non plus et n'est pas dans la vérité (1 Jean 1, 8). Le don de la vérité est appelé à se déployer.

*

Au jour où Jésus s’adresse à ses disciples dans ce texte de Jean 16, la croix s’approche, chose cachée aux sages, chose incompréhensible à toutes nos sagesses. Celui qui est annoncé comme le Bien-aimé de Dieu, le maître du Royaume, peut-il mourir de la sorte ? Voilà qui est incompréhensible et qui pourtant est le don de la vérité, qui se dévoilera comme telle au matin du dimanche de Pâques, sans qu’alors tout le sens n’en ait été saisi par les disciples.

C’est l’Esprit saint, l’Esprit du Père qui vit en Jésus qui leur dévoilera la signification de la croix du Ressuscité : qui le glorifiera ! Le glorifiera ! Rappelons que sous ce terme l’évangile de Jean désigne la croix ! (Cf. Jean 12, 23 & 32-33.) Or cela, au jour où Jésus parle, les disciples ne peuvent le saisir. Et même le simple événement du dimanche de Pâques, comme événement, n’est que la première ouverture vers un dévoilement dans lequel l’Esprit saint va conduire les disciples, et avec eux, nous tous. Ce qui doit venir, à commencer par la croix au jour où Jésus parle, va être dévoilé.

Un dévoilement qui dit cette vérité entière inaccessible comme telle à nos intelligences, cachée aux sages et aux intelligents. La vérité de Dieu se donne dans l’humilité du Fils, une révélation qui vaut pour toute la vie humaine de Jésus, de Pâques à la Croix et à Noël, ce premier moment d’humilité du Fils de Dieu rendu infiniment proche de nous par une vérité dont nous sommes très loin mais qui porte pour nous toute consolation et à laquelle seul l’Esprit consolateur peut nous conduire.

Une vérité pleinement révélée aux Apôtres dans le Nouveau Testament, et par eux, à nous, mais qui devra être reçue et vécue par chacun dans la suite des temps et jusqu’à nous. Cela commence par le don de l’Esprit qui conduit les plus sages dans l’humilité de la vérité. Hors cela, la Croix est incompréhensible, tout comme la venue en chair de la Parole éternelle — choses cachées aux sages et aux intelligents, mais révélées à l’humilité, ce don des plus petits.

*

Autant de choses incompréhensibles à commencer par la Croix et à continuer par Noël et par toute la vie du Christ, que l’Esprit saint fait découvrir comme sagesse plus sage que le monde. Une vérité inaccessible comme telle aux plus hautes intelligences tant l’humilité de Dieu est au-delà de toute attente, comme il était incompréhensible que Jésus mourût.

Au jour où Jésus prononce ces paroles annonçant l’Esprit de vérité à ses disciples, à la veille de sa mort, ils ne pourront pas comprendre avant que l’Esprit ne les y guide, ne leur fasse découvrir que Dieu se donne où on ne l’attend pas : dans ce qui est humble.

Alors, la vérité, dont nous sommes loin, s’est approchée, très proche de nous, venue parmi nous et en nous par l’Esprit de vérité, pour nous ouvrir à sa consolation : notre faiblesse, celle de notre intelligence qui ne peut saisir tous les paramètres de ce qui fonde nos êtres, celle de nos maigres vertus, est la faiblesse dans laquelle s’accomplit la puissance de Dieu.

Car sa puissance s’accomplit dans la faiblesse, pour que nous recherchions dans ce qui est humble cette sagesse cachée dans l’humilité de notre prochain, dévoilée à nous en Jésus humble et mourant, lui parole éternelle glorifiée de la sorte, de sorte que tout genou fléchisse devant le Crucifié !

Or, c’est Dieu même qui est manifesté ici. Ce dimanche est traditionnellement appelé dimanche de la Trinité. Notre texte de Jean, proposé à notre méditation en ce dimanche, nous dit ce qu’il est en de cette manifestation de Dieu, ce que veut dire ce terme de Trinité : l’Esprit nous conduit dans la vérité entière, qui est que Dieu, Père d’éternité, se dévoile pleinement dans l’humilité, vécue jusqu’en son cœur par son Fils.

Dans le terme Trinité, et c’est pour cela qu’on en dit qu’il est un mystère, Dieu se manifeste comme celui que l’on attendrait en aucun cas de cette façon : donné dans celui qui a pris forme d’esclave, nous rejoignant jusqu’à la mort pour être déployé en nous par l’Esprit dans tout ce qui doit venir. Il nous précède dans tous nos lendemains et nous y ouvre la vérité entière.


RP, Châtellerault, Trinité, 12/06/22
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dimanche 5 juin 2022

Pentecôte, ou : “Il nous a aimés le premier”




Actes 2, 1-11 ; Psaume 104 ; Romains 8, 8-17 ; Jean 14, 15-26

<b>Psaume 104, 1-3</b> <blockquote><i>Mon âme, bénis l&#8217;Éternel&nbsp;! Éternel, mon Dieu, tu es infiniment grand&nbsp;! Tu es revêtu d&#8217;éclat et de magnificence&nbsp;!&#8237;<br> &#8237;Il s&#8217;enveloppe de lumière comme d&#8217;un manteau&nbsp;; Il étend les cieux comme un pavillon.&#8237;<br> &#8237;Il forme avec les eaux le faîte de sa demeure&nbsp;; Il prend les nuées pour son char, Il s&#8217;avance sur les ailes du vent.&#8237;</i></blockquote> <br /> <b>Actes 2, 1-6</b> <blockquote><i>1 Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.<br> 2 Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un fort coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis.<br> 3 Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres&nbsp;; il s'en posa sur chacun d'eux.<br> 4 Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer.<br> 5 Or des juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.<br> 6 Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.</i></blockquote> <br /> <b>Romains 8, 14-16</b> <blockquote><i>14 [&#8230;] ceux-là sont enfants de Dieu qui sont conduits par l&#8217;Esprit de Dieu&nbsp;: <br> 15 vous n&#8217;avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des enfants adoptifs et par lequel nous crions&nbsp;: Abba, Père. <br> 16 Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.</i></blockquote> <br /> Jean 14.15-26
15 Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements,
16 et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur qui soit éternellement avec vous
17 l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point ; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il est en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous.
19 Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, car je vis, et vous vivrez aussi.
20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et que je suis en vous.
21 Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui qui m’aime. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, moi aussi je l’aimerai et je me manifesterai à lui.
22 Jude, non pas l’Iscariot, lui dit : Seigneur, d’où vient que tu te feras connaître à nous, et non au monde ?
23 Jésus lui répondit : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.
24 Celui qui ne m’aime pas ne garde point mes paroles. Et la parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé.
25 Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous.
26 Mais le consolateur, l’Esprit saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.

*

« Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, car je vis, et vous vivrez aussi.
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.
« Le consolateur, l’Esprit saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. »


C’est ce qu’un célèbre chrétien indien du XXe siècle, le Sadhou Sundar Singh, perçoit et dit de façon imagée : « je vis un être inondé de clarté se tenir devant moi, revêtu de lumière et de beauté. […] Des rayons d’amour répandant la vie à flot sortaient de lui, avec une telle force qu’ils pénétrèrent mon âme jusqu’à la remplir. »

Il poursuit, parlant de « paroles si magnifiques que même si j’écrivais plusieurs livres, je ne pourrais tout raconter. Car ces réalités célestes ne pourraient être expliquées qu’en langage céleste… »

Qu’est-ce donc là d’autre que ce qu’évoque Paul écrivant que nous n’avons pas les mots, pas même pour prier : « l’Esprit saint vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas comment prier » (Ro 8, 26) ; l’Esprit qui « fait de nous des enfants de Dieu et qui nous permet de crier à Dieu : "Abba, Père !" » (Ro 8, 15) — le Notre Père.

*

Ayant évoqué le Sadhou Sundar Singh, je lui emprunterai, pour illustrer cette présence de Dieu dans l’Esprit saint de façon indicible, au-delà des mots, et au-delà de nos forces, de nos faiblesses, de nos âges, cette petite histoire qu’il relate :

« Un porteur d’eau avait deux grandes jarres, suspendues aux deux extrémités d’une pièce de bois qui épousait la forme de ses épaules. L’une des jarres avait une brèche, et, alors que l’autre jarre conservait parfaitement toute son eau de source jusqu’à la maison du maître, la première jarre en perdait presque la moitié en cours de route.

Cela dura deux ans, pendant lesquels, chaque jour, le porteur d’eau ne livrait qu’une jarre et demi d’eau à chacun de ses voyages. Bien sûr, la jarre parfaite était fière d’elle, puisqu’elle parvenait à remplir sa fonction du début à la fin sans faille. Mais la jarre abîmée avait honte de son imperfection et se sentait déprimée parce qu’elle ne parvenait à accomplir que la moitié de ce dont elle était censée être capable.

Au bout de deux ans de ce qu’elle considérait comme un échec permanent, la jarre endommagée s’adressa au porteur d’eau, au moment où celui-ci la remplissait à la source.

— "Je me sens coupable, et je te prie de m’excuser."

— "Pourquoi ?" demanda le porteur d’eau. "De quoi as-tu honte ?"

— "Je n’ai réussi qu’à porter la moitié de ma cargaison d’eau à notre maître, pendant ces deux ans, à cause de cette faille qui fait fuir l’eau. Par ma faute, tu fais tous ces efforts, et, à la fin, tu ne livres à notre maître que la moitié de l’eau. Tu n’obtiens pas la reconnaissance complète de tes efforts", lui dit la jarre abîmée.

Le porteur d’eau fut touché par cette confession, et répondit :

— "Pendant que nous retournons à la maison du maître, je veux que tu regardes les fleurs magnifiques qu’il y a au bord du chemin".

Au fur et à mesure de leur montée sur le chemin, au long de la colline, la vieille jarre vit de magnifiques fleurs baignées de soleil sur les bords du chemin, et cela lui mit du baume au cœur. Mais à la fin du parcours, elle se sentait toujours aussi mal parce qu’elle avait encore perdu la moitié de son eau. Le porteur d’eau dit à la jarre :

— "T’es-tu rendue compte qu’il n’y avait de belles fleurs que de ton côté, et presque aucune du côté de la jarre parfaite ? C’est parce que j’ai toujours su que tu perdais de l’eau, et j’en ai tiré parti. J’ai planté des semences de fleurs de ton côté du chemin, et, chaque jour, tu les as arrosées tout au long du chemin. Pendant deux ans, j’ai pu grâce à toi cueillir de magnifiques fleurs qui ont décoré la table du maître. Sans toi, jamais je n’aurais pu trouver ces fleurs. »


Nous avons des failles, des brèches, des blessures, des défauts ? Nous sommes des jarres abîmées ? Certains d’entre nous sont diminués par la vieillesse, d’autres ne brillent pas par leur intelligence, d’autres sont diminués physiquement comme la jarre, d’autres sont encore trop petits pour comprendre… mais ce sont les faiblesses, et même les défauts en nous qui rendent nos vies riches pour Dieu — quand elles sont placées dans la présence de l’Esprit Saint.

Nous sommes appelés à ne pas craindre de reconnaître nos fautes, nos attitudes indues, nos égoïsmes, pour, étant ce que nous sommes, vivre enfin par le Christ, en nouveauté de vie, dans la puissance de l’Esprit saint.

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« Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit », promettait Jésus quelques jours avant Pentecôte (Actes 1, 5).

… En écho à ce que lorsque Jean baptisait, il annonçait : « Moi, je vous baptise d’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu » (Luc 3, 16) ; dix jours avant Pentecôte, Jésus reprend : « dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit » —, le jour est à présent venu…

Comme Jean, nous ne pouvons baptiser qu’avec de l’eau, cette eau qui coule de la jarre fêlée. L’Esprit saint est donné par un autre. Pentecôte nous rappelle cela. Pentecôte — Shavouoth, en hébreu. Fête des premières récoltes, ce jour est aussi celui du souvenir du don de la Torah, Traité de l’Alliance. Célébration du don de la Torah — dont les Prophètes annonçaient qu’elle est appelée à s’inscrire dans le cœur des croyants par le don de l'Esprit — « celui qui a mes commandements et qui les garde », en dit Jésus (Jean 14, 21) promettant l'Esprit saint.

Dans la promesse de la fidélité de Dieu, l’Esprit nous précède, précède même notre naissance… Et il précède notre baptême. Comme Jean, nous baptisons d'eau ; si le signe est différent : Jean baptise pour le repentir, nous baptisons en Christ, — le moyen est aussi l'eau, et l'Esprit annoncé par Jean est la vérité de ce que nous signifions par l'eau.

Dieu nous précède, son Esprit qui scelle en nous la promesse nous précède. Dieu est fidèle à Israël du fait de sa promesse aux pères, dit Paul (Ro 11, 28-29). Pour nous de même, « si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle car il ne peut se renier lui-même » (2 Ti 2, 13). Depuis Abraham, Isaac et Jacob, et quelle que soit l’infidélité des enfants, notre infidélité, Dieu demeure fidèle et n'abroge jamais rien de ce qu'il a dit et promis.

En outre, c'est ce que dit le miracle des langues lors de cette Pentecôte, cela s'étend à toutes les nations… En Jésus Christ ressuscité, inaugurant le Royaume promis, le Royaume qui commence par la Résurrection, Dieu nous dévoile cette précédence de l’amour de Dieu… Comme le dit notre liturgie : « Nous croyons que cela est vrai pour nos enfants, même s’ils ne le savent pas encore. En effet, “nous aimons Dieu parce qu’Il nous a aimés le premier” (1 Jean 4, 19) ».


RP, Poitiers, Pentecôte, 5/06/22
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