mercredi 25 décembre 2019

Au pays de l'ombre, une lumière resplendit




Ésaïe 52.7-10 ; Psaume 98 ; Hébreux 1.1-6 ; Jean 1.1-18
24/12 — Joyeux Noël !
Ésaïe 9, 1 & 5
1 Le peuple qui marchait dans les ténèbres
voit une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre,
une lumière resplendit.
[…]
5 Car un enfant nous est né,
un fils nous est donné.
La souveraineté est sur ses épaules.
On proclame son nom :
« Admirable, Conseiller, Dieu puissant,
Père éternel, Prince de la paix. »

Luc 2, 1-6
1 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier.
2 Ce premier recensement eut lieu à l’époque où Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville ;
4 Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David,
5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.
6 Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva […].

*

« Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière. »

Toutes choses ont commencé ainsi : dans une Parole qui fait venir le monde des ténèbres à la lumière — « que la lumière soit, et la lumière fut » (Genèse 1, 3) ; Parole créatrice qui a fondé un chaos de 13, 8 milliards d’années pour le faire naître au jour dans la lumière créatrice ; une Parole qui résonne dans le temps du récit de la Genèse selon la tradition juive il y a 5780 ans.

Et à nouveau la promesse d’Ésaïe : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière. » Ce texte lu à Noël nous rappelle que cette même Parole qui fait sortir la vie des ténèbres est à nouveau au recommencement de toute chose, il y a maintenant 2019 ans. Car ce que dit cette seconde date, c’est que le monde, qui n’est pas pleinement sorti de la nuit, est appelé — comme la fête juive de Hanoukka en donne, en ces jours même, l’espérance —, notre monde est appelé à renaître, à accéder à sa plénitude en paraissant en pleine lumière.

C’est cette espérance séculaire de la venue de la lumière de la délivrance, signifiée par toutes les fêtes de lumière des différents cultes, qui s’est ouverte à Noël.

L'origine la plus vraisemblable du mot Noël serait dans le gaulois noio hel signifiant « nouveau soleil ». Les origines de la fête s’enracinent dans les célébrations de la lumière, comme le culte du « soleil invaincu » chez les Romains et les autres fêtes de solstice des pays nordiques. Avant la réforme du calendrier par Jules César, le solstice d’hiver correspondait au 25 décembre du calendrier romain et les festivités ont continué de se tenir à cette date même après que le solstice eût correspondu au 21 décembre du calendrier julien.

C’est cette espérance d'une lumière nouvelle qui nous a rejoints à la crèche de Bethléem, une mangeoire d’animaux. Ici, comme nouveau soleil, c'est à la Parole créatrice qu’il est fait référence, et à la lumière qui en est le premier effet. Une lumière qui précède toute lumière.

Celle du soleil vient ensuite (au 4e jour selon la Genèse. Elle ne fait que commencer à naître selon le temps du solstice d’hiver) : mais la lumière que nous célébrons nous est donnée comme la vraie lumière, qui éclaire tout être humain venant dans le monde (Jn 1, 9).

Un monde extrait des ténèbres qui précèdent cette Parole illuminatrice. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière. » — « Car un enfant nous est né, un fils nous est donné. »

Luc 2, 7-14
7 Marie accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes.
8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau.
9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte.
10 L’ange leur dit : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple :
11 Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ;
12 et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »
13 Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait :
14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés. »

C’est en cette Parole créatrice qu’est « la lumière du monde » (Jean 8, 12), avant la lumière naturelle (Jean 1, 9-10). Lorsqu'elle s'exprime, la lumière apparaît : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut » (Genèse 1, 3). Cette vraie lumière est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme.

Cette lumière nous est donnée aujourd’hui comme celle de Noël. Le déroulement ultérieur de la création est le développement de cette illumination du monde, de sa sortie du chaos et des ténèbres. Les choses s’ordonnent en se distinguant, en se séparant : ainsi en premier, le jour d’avec la nuit.

C'est cette même Parole qui nous fait venir à l’être qui peut aussi nous faire venir à la vie de Dieu, à la vie éternelle, pourvu que nous l'accueillions. Car le monde, dès lors qu’il ne reçoit pas cette Parole par laquelle il existe, est dans les ténèbres, selon que c’est cette Parole qui sépare la lumière des ténèbres. Les bergers veillent durant la nuit (Lc 2, 8), et les voilà enveloppés de lumière (Lc 2, 9).

La Parole de lumière vient à Noël, comme petit enfant, de sorte que nous puissions l’accueillir le plus simplement… Donnant, à qui l’accueille, le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Autant de porteurs de cette Parole qui fait venir à la vie, lesquels ne sont pas nés de la chair, mais de Dieu. Recevoir la Parole qui fait advenir à la vie dans l’éternité.

Que de possibilités s'ouvrent par cet accueil : le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn 1, 12), juste par l'accueil, dans la foi, de cette Parole et de sa lumière. C'est là le vrai cadeau de Noël.

Luc 2, 15-20
15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux : « Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. »
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
17 Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers.

« Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître » pour que cette Parole, dont nous célébrons la naissance en Marie il y a deux mille ans, Parole éternelle qui nous a créés, promise à une souveraineté sans fin, Parole éternelle qui nous illumine — naisse en chacun de nous pour nous rendre féconds en Dieu.

Qu’elle fasse germer en nous la grâce de l’accueillir d'où qu’elle vienne ; de ne pas endurcir notre cœur lorsque nous l’entendons où nous ne l’attendrions pas ; car Dieu a pour habitude de déguiser ses anges, comme il a déguisé Marie et Joseph en étrangers que l’on n’a pas su accueillir. Accueillir la Parole créatrice, illuminatrice, source de la vie nouvelle. Cette Parole qui vient à nous comme Fils unique de Dieu, « Prince de la paix » en qui demeure pour nous le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

*
25/12

Jean 1, 1-18

1 Au commencement était la Parole ; la Parole était avec Dieu ; et la Parole était Dieu.
2 Elle était au commencement avec Dieu.
3 Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
4 En elle était vie, et la vie était la lumière des humains.
5 La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas reçue.
6 Survint un homme, envoyé de Dieu, du nom de Jean.
7 Il vint comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Ce n'est pas lui qui était la lumière ; il venait rendre témoignage à la lumière.
9 La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde.
10 Elle était dans le monde, et le monde est venu à l’existence par elle, mais le monde ne l’a jamais connue.
11 Elle est venue chez elle, et les siens, les hommes, ne l’ont pas accueillie ;
12 mais à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu
— à ceux qui mettent leur foi en son nom.
13 Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d'une volonté de chair, ni d’une volonté d’homme, mais de Dieu.
14 La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité.
15 Jean lui rend témoignage, il s'est écrié : C’était de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car, avant moi, il était.
16 Nous, en effet, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce ;
17 car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
18 Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a raconté.

*

La lumière est venue dans un enfant. La lumière créatrice. Avant le verset 14, on est avant l’Incarnation, avant la venue en chair de Jésus. L’allusion à l’Incarnation et à sa lumière sera ce dont témoignera Jean le Baptiste, lui qui est le dernier témoin avant la venue du Royaume en cet enfant, Parole de lumière devenue chair, justement, car son témoignage est bien porté avant, bien que comme il le dit, la Parole soit avant lui.

La Parole, créatrice, au commencement de toute chose, est celle qui vient à nous à Noël, graine de lumière, pour ensemencer toute chose, pour mener le monde, la Création, à son achèvement. C'est à cette Parole des origines, créatrice, que renvoie ce commencement de l’évangile de Jean, et à la lumière qui en est le premier effet. Une lumière qui précède toute lumière, vraie lumière, qui éclaire tout humain venant dans le monde.

La lumière est celle de la vie, elle est celle de Noël. Elle nous illumine, dès l’instant où nous venons à la vie. C'est en elle que nous apparaissons quand la Parole qui nous fait exister est prononcée, toutes choses qui précèdent donc son Incarnation, sa venue comme chair. Et lorsque nous venons au jour, notre naissance, le jour naturel qui nous éclaire est alors symbole de cette lumière qui le précède de toute l’éternité, et qui vient à nous à Noël.

La Parole est au commencement, en vis-à-vis de Dieu, tournée vers Dieu. Tournée vers Dieu, en vis-à-vis comme l’image est en vis-à-vis dans le miroir qui réfléchit cette image. Dans le vis-à-vis de sa Parole, Dieu réfléchit, la Parole est Dieu même réfléchissant ; « la Parole était Dieu » — le mot pour Parole qu'emploie l’Évangile de Jean étant en grec le même mot que pour « raison » ; c'est le mot — logos — qui a donné « logique ». Dieu réfléchit, réfléchit en lui-même, Dieu raisonne, et parle, exprimant ce raisonnement — Parole de lumière.

« En cette Parole est la lumière du monde », avant même la lumière naturelle, donc. Lorsqu'elle s’exprime, la lumière, apparaît : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière est ». Cette vraie lumière est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme.

En cette lumière qui est celle de Noël, le monde de la résurrection est alors répandu comme une graine de lumière. C'est de la sorte que, graine de lumière et de résurrection, cette même Parole qui nous fait venir à l’être peut aussi nous faire venir à la vie de Dieu.

Comme lorsque les Apôtres disent au paralytique : « lève-loi et marche » —, « ceux qui ont reçu la Parole ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Cette Parole, qui est aussi celle de Jean le Baptiste, un témoignage, est donnée en premier lieu comme Loi par Moïse.

La grâce venue par Jésus-Christ est la force, le pouvoir de se lever à l’écoute de la Parole venue sous forme de Loi donnée par Moïse, premier témoin. La Loi est le premier témoin, où Jean le Baptiste, représentant les Prophètes, est le dernier de ceux-ci avant l’incarnation de la Parole, avant le devenir chair de la Parole reçue.

Allusion est faite à tous les témoins, à tous ceux qui reçoivent cette Parole. Allusion bien sûr à Marie, en qui la Parole est devenue chair, Jésus, quand elle la reçoit dans sa chair, comme nous tous sommes appelés à le faire. Allusion à Marie bien sûr, qui à nouveau apparaît a la fin de l’Évangile de Jean, à la croix, nouvel enfantement. Allusion à Marie puisque la venue en chair suit immédiatement le verset sur la réception de la Parole.

C'est pourquoi, ce texte — plus précisément au fond que ceux de Luc et Matthieu, qui sont donnés comme récits figurés — enseigne la naissance virginale.

Quant à nous aussi, à ceux qui ont reçu la Parole, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, comme autant de porteurs de cette Parole qui fait venir à la vie, lesquels ne sont pas nés de la chair, mais de la volonté de Dieu. Recevoir la Parole qui fait advenir à la vie. Et juste après : la Parole est devenue chair… Jésus.

Jésus : l’expression par excellence de ce raisonnement en Dieu, de ce vis-à-vis éternel de Dieu et de sa Parole, comme son reflet, sa réflexion, est Jésus-Christ, sa Parole devenue chair (Jean 1, 14). Lorsqu’il l’exprime, le monde prend forme et s’éclaire (voir Colossiens ch. 1, concernant Jésus-Christ : « tout a été fait en lui, par lui et pour lui »).

Le pouvoir de devenir enfants de Dieu est dans l’accueil, dans la foi, de cette Parole et de sa lumière, l’accueil de cette Parole donnée d’abord dans le ministère de Moïse, puis jusqu'à celui de Jean le Baptiste, Loi et Prophètes, qui pour être témoins de la lumière, ne donnent pas le pouvoir de la vivre en vérité, dans la chair. La grâce, parce qu'elle est donnée dans la simplicité de l'enfant, cette grâce seule, peut faire franchir ce pas de la vérité incarnée. Elle est venue en Jésus-Christ, qui dit celui que seul il connaît : le Père.

Car le connaître ne se fait que dans l'accueil de la Parole dans la chair, dans le fait de vivre de la Parole qui fait vivre, de voir de la lumière qui illumine nos yeux. Connaître, c'est être en communion. Connaître c’est être dans l’amour… Cette possibilité nous est donnée par Jésus-Christ, communion vivante avec Dieu, rencontre pleine de Dieu. De cette plénitude nous recevons tous. C'est là le cadeau de Noël. La réception de la Parole, son accueil, la grâce de la vivre, a donné cette même Parole devenue chair, croissant jusqu’en la résurrection.

Que cette Parole, née de Marie, Jésus, Parole éternelle qui nous a créés, Parole éternelle qui nous illumine — naisse en chacun de nous pour nous rendre féconds en Dieu. Qu’elle fasse germer en nous la grâce de l’accueillir lorsque nous l’entendons — par la bouche de tous ses témoins, de Moïse à Jean le Baptiste, puis aux Apôtres et à tous les anonymes que nous côtoyons peut-être sans le savoir…

Et tous ceux, qui jusqu’aux confins du monde sont témoins des possibilités qu’ouvre cette Parole — en étant comme autant de terres nouvelles à même d’être ensemencées des graines de cette lumière semée à Noël. Accueillir la Parole créatrice, illuminatrice, source de la vie nouvelle. Cette Parole est le Fils unique de Dieu, en qui demeure pour nous le pouvoir de devenir nous aussi enfants de Dieu.


RP, Poitiers, Noël 2019


dimanche 22 décembre 2019

Vers Noël... côté père




Ésaïe 7.10-16 ; Psaume 24 ; Romains 1.1-7 ; Matthieu 1.18-25

Ésaïe 7, 10-16
10 Le Seigneur dit encore à Achaz :
11 Demande un signe au Seigneur, ton Dieu, soit dans les profondeurs du séjour des morts, soit dans les lieux les plus élevés.
12 Achaz répondit : Je ne demanderai rien, je ne provoquerai pas le Seigneur.
13 Ésaïe dit alors : Écoutez, je vous prie, maison de David ! Ne vous suffit-il pas de lasser la patience des hommes, que vous lassiez encore celle de mon Dieu ?
14 C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : la jeune fille est enceinte, elle mettra au monde un fils et l'appellera du nom d'Immanou-El (« Dieu est avec nous ») .
15 Il se nourrira de lait fermenté et de miel quand il saura rejeter ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon.
16 Mais avant que l'enfant sache rejeter ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon, la terre des deux rois qui t'épouvantent sera abandonnée.

Matthieu 1, 18-25
18 Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint.
19 Joseph, son mari, qui était juste et qui ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la répudier en secret.
20 Comme il y pensait, l'ange du Seigneur lui apparut en rêve et dit : Joseph, fils de David, n'aie pas peur de prendre chez toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient de l'Esprit saint ;
21 elle mettra au monde un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.
22 Tout cela arriva afin que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l'entremise du prophète :
23 "La vierge sera enceinte ; elle mettra au monde un fils et on l'appellera du nom d'Emmanuel", ce qui se traduit : Dieu avec nous.
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui.
25 Mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût mis au monde un fils, qu'il appela du nom de Jésus.

*

Nous voici au terme du cycle de l’Avent, avec Joseph. Lorsque Matthieu nous présente Joseph, il nous présente un homme qui a déjà pleinement assumé ce qui lui arrive, ce qui, a priori, n’a rien de réjouissant, compromettant son avenir. Homme juste que Joseph, dit le texte, qui ne veut pas exposer sa fiancée à la honte, ni à la menace que son état pourrait faire peser sur elle ; elle dont il a pourtant d’abord pensé qu’elle… lui en avait préféré un autre… avant même le mariage, comme le peuple avec son Dieu, aurait dit le prophète Osée que va citer Matthieu un peu plus loin (Mt 2, 15 / Os 11, 1). Voilà ce qu’a dessiné le texte.

Joseph, homme juste, dit Matthieu, homme de pardon, donc, comme le Joseph de la Genèse pardonnant à ses frères. Cet autre Joseph, celui de Marie, pardonnant… non pas à Marie : il croit la vision angélique qui l’a assuré de son innocence. Il pardonne… à Dieu lui-même ! Et adoptant Jésus.

Mais quel rapport entre l’adoption de Jésus par Joseph et nous ? En quoi cette naissance, la naissance de cet enfant déjà Roi, me concerne ? En quoi dit-t-elle le retour à Dieu et le terme du cheminement de son peuple ? Qu’en est-il pour moi au-delà de la simple histoire de cette jeune fille, Marie, qui a un enfant sans que son fiancé n’y soit pour rien ? Eh bien, au-delà de cette superbe histoire de pardon et d’adoption, l’Évangile nous offre la parole du salut en Jésus-Christ.

Joseph adopte Jésus comme son enfant. Comme le nom même de Jésus l’indique (1, 21), il porte le salut du Seigneur ; le nom Jésus signifiant « le Seigneur sauve » ; il est lui-même en sa chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Eh bien, c’est cela qu’il s’agit pour nous aussi d’adopter : le salut de Dieu, son projet pour nous, même dérageant — pour que s’accomplisse la promesse selon laquelle Dieu sera avec nous : Emmanuel. Dans un signe qui à l’origine annonce et la délivrance de Jérusalem menacée par Samarie alliée à Damas, et la réconciliation de tout le peuple, de Jérusalem et Samarie, et de toutes les nations.

Où se résout le fameux dilemme, à savoir : mais enfin, comment s’appelle-t-il, ce petit : Jésus ou Emmanuel ? Le Seigneur sauve, selon le nom « Jésus » — et ce salut est sa présence avec nous — Emmanuel, Dieu avec nous ; selon la promesse de la bénédiction : « le Seigneur est avec toi ». Jésus présence de Dieu parmi nous, demeure de Dieu, son Temple, qu’il nous faut être à notre tour.

Pour cela, il nous appartient d’accepter à notre tour ce que Joseph a accepté : accepter que la réalité la plus importante de notre vie ne vienne pas de nous-mêmes, et même nous dérange, comme un enfant qui ne vient pas de nous. Le salut éternel n’est pas quelque chose que nous devons produire par nous-mêmes, il est à recevoir, à adopter comme Joseph adopte dans la foi l’enfant que porte Marie. Le salut de Dieu est ainsi comme une réalité nouvelle qui nous surprend et nous dépasse, une réalité vivante que l’on ne peut connaître qu’en acceptant de la recevoir et de l’aimer : « Dieu avec nous ».

Joseph a du mal à accepter cette naissance, nous avons du mal à adopter le salut de Dieu. Cela choque notre volonté naturelle, celle d’être, tout seul, artisan de notre vie. Mais c’est vital. C’est déjà une bonne idée de placer son espérance, sa foi, en quelque chose de plus grand que soi-même. C’est déjà bien, par exemple, d’avoir foi en un idéal.

Mais plus que cela, en choisissant d’adopter cet enfant, Joseph reconnaît à Dieu sa place au-dessus de lui-même. Et il nous indique à l’avance que Jésus vient pour une mission inouïe : notre salut éternel.

Joseph, alors, a choisi : placer sa foi en Dieu, et faire passer ses propres aspirations après.

*

C'est ainsi que l’accomplissement de nos vies se fait quand nous sommes habités, transformés, fécondés par la présence de Dieu. C’est pourquoi Jésus est Emmanuel, c’est-à-dire « Dieu avec nous ».

Cette transformation, cette nouvelle dimension de notre vie est au-delà des mots de notre quotidien.

Aussi les témoins de Jésus en parlent-ils par images — disant que nous pouvons devenir « enfants de Dieu », que nous pouvons « naître d’en haut », « naître de Dieu », « naître du souffle de Dieu ».

Autant d’expressions qui nous disent aussi que notre naissance spirituelle est quelque chose qui doit se vivre dans notre quotidien. Cette vie nouvelle ne peut entrer dans notre vie qu’à l’exemple de la naissance du Christ, Dieu venant féconder ce que nous sommes pour qu’il en naisse quelque chose de nouveau et d'éternel.

Notre vie biologique pour heureuse qu’elle puisse être, est évidemment limitée en durée et en qualité. Quelle qu’elle soit, Dieu vient dans notre propre histoire, d’Abraham à nos jours, et il y vient comme de l’extérieur, pour nous féconder et faire grandir en nous une réalité nouvelle. Comme l’Esprit de Dieu porte la parole qui fait germer le corps de Marie.

Cette présence, tout en nouveauté, de la vie divine dans le quotidien de Marie est à l’origine de la conception de l’être nouveau qu’est Jésus — qui est ainsi fils de Dieu et d’une fille des hommes.

Notre existence est faite pour être fécondée par la présence permanente de la nouveauté de vie en Dieu, au cœur de notre réalité biologique, intellectuelle, sociale, artistique, professionnelle, etc.

Sans cette fécondation, nous restons stériles pour Dieu. Une vie ignorant sa portée spirituelle oublierait de manière illusoire ne serait-ce que le vieillissement inexorable de notre corps, en se réfugiant dans l’agitation. Attitude et stérile et frustrante, sans avenir.

En sens inverse, nier la dimension matérielle et concrète de nos êtres appelés comme tels à être fécondés par la parole de Dieu, conduit également à une vie évidemment incomplète, selon que « qui veut faire l’ange fait la bête ».

Pour être ce que nous sommes selon l’image du Christ, nous devons naître comme lui. C'est-à-dire, nous concernant, recevoir la présence de Dieu au cœur de notre histoire personnelle, pour que nous devenions enfant de Dieu selon notre humanité.

La présence de Dieu dans notre vie ne remplace pas ce que nous sommes, elle le féconde. Et ce nous-mêmes qui naît de la sorte est effectivement un être nouveau, mais c’est en même temps ce que nous sommes — en plénitude, comme réalité nouvelle fondée en Dieu.

C’est de la sorte qu’en Jésus, Dieu accomplit le salut dans le concret de nos vies.


RP, Poitiers, 4e dimanche de l'Avent, 22.12.19


dimanche 15 décembre 2019

La voix de celui qui crie dans le désert




Ésaïe 11, 1-10 ; Psaume 72 ; Romains 15, 4-9 ; Matthieu 3, 1-12
Ésaïe 35, 1-10 ; Psaume 146 ; Jacques 5, 7-10 ; Matthieu 11, 2-11

Ésaïe 11, 1-10
1 Puis une nouvelle pousse sortira du tronc de Jessé, un rameau sortira de ses racines.
2 L’Esprit de l’Éternel reposera sur lui : Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte de l’Éternel.
3 Il sera inspiré par le respect de l’Éternel ; Il ne jugera point sur l’apparence, Il ne prononcera point sur un ouï-dire.
4 Mais il jugera les pauvres avec justice, Et il arbitrera avec droiture pour les malheureux de la terre ; Il frappera la terre de sa parole comme d’un bâton, Et du souffle de ses lèvres il fera disparaître le méchant.
5 La justice sera la ceinture de ses hanches, Et la fidélité la ceinture de ses reins.
6 Le loup habitera avec l’agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau ; Le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble, Et un petit enfant les conduira.
7 La vache et l’ourse auront un même pâturage, Leurs petits un même gîte ; Et le lion, comme le bœuf, mangera de la paille.
8 Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, Et l’enfant sevré mettra sa main dans la caverne du serpent.
9 Il ne se fera ni tort ni dommage Sur toute ma montagne sainte ; Car la terre sera remplie de la connaissance de l’Éternel, Comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent.
10 En ce jour, la racine de Jessé sera là comme un drapeau pour les peuples ; Les nations se tourneront vers lui, Et la gloire sera sa demeure.

Matthieu 3, 1-6
1 En ce temps-là parut Jean le Baptiste, prêchant dans le désert de Judée.
2 Il disait : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche.
3 Jean est celui qui avait été annoncé par Ésaïe, le prophète, lorsqu’il dit : C’est ici la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers.
4 Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
5 Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain, se rendaient auprès de lui ;
6 et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve du Jourdain.

Plus tard… Matthieu 11, 2-5
2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples :
3 « Es-tu “Celui qui doit venir” ou devons-nous en attendre un autre ? »
4 Jésus leur répondit : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez :
5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres […]. »

*

Une citation pour commencer, qui date de 1979 : « Notre anxiété fait écho à celle du Voyant [de l'Apocalypse] dont nous sommes plus près que ne le furent nos devanciers, y compris ceux qui écrivirent sur lui, singulièrement l'auteur des Origines du christianisme [Renan], lequel eut l'imprudence d'affirmer : "Nous savons que la fin du monde n'est pas aussi proche que le croyaient les illuminés du premier siècle, et que cette fin ne sera pas une catastrophe subite. Elle aura lieu par le froid dans des milliers de siècles…" L'Évangéliste demi-lettré a vu plus loin que son savant commentateur, inféodé aux superstitions modernes. Point faut s'en étonner : à mesure que nous remontons vers la haute antiquité, nous rencontrons des inquiétudes semblables aux nôtres. La philosophie, à ses débuts, eut, mieux que le pressentiment, l'intuition exacte de l'achèvement, de l'expiration du devenir. » (Emil Cioran, Écartèlement, éd. Gallimard, p. 60-61.)

L’actualité, du rapport du GIEC à la COP 25, donne raison plus à Cioran qu'aux savants expliquant que les propos du Nouveau Testament sur la fin du temps sont insupportables, et aux optimistes qui les suivent en nous invitant à poursuivre les affaires en exploitant la planète et en vivant la fête de la consommation « comme au temps de Noé » (Mt 24, 37)… en tout cas pour ceux qui en ont les moyens. La promesse d’Ésaïe que nous avons lue, annonçant de nouveaux cieux et une nouvelle terre « où habite enfin la justice » (2 Pierre 3, 13), où il ne se fait plus « ni tort ni dommage » (És 11, 9) ; cette promesse qui nous enjoint aujourd’hui au combat spirituel, ancré dans cette espérance : « que ton règne vienne », pose notre responsabilité et récuse ipso facto les théories climato-sceptiques — quand bien même on avancerait l’idée de cycles cosmiques du chaud et du froid pour refuser toute responsabilité humaine… Un tel refus est non seulement extrêmement risqué, mais en outre relève de la soumission à Mammon (l’argent comme idole) — en tant que préférant au témoignage de la foi les bénéfices consuméristes, pour ceux qui en ont les moyens, et qui consument en premier lieu la terre, à commencer par appauvrir les plus pauvres, pour un profit toujours plus destructeur.

*

Nous voici donc au cœur de l'Avent (selon le mot latin « adventus », qui signifie « la venue »), où, après un 1er dimanche qui nous rappelait que tout n'est pas forcément rose, commence à croître la lumière de la promesse, qu'il s'agit de saisir pour le salut du monde, à travers un appel au changement de comportement, pour qu'un autre avenir se dessine pour tous.

De nos jours, l’Avent — comme fête chrétienne — est devenu synonyme de préparation de la fête de la venue de l’enfant Jésus. Mais l’expression « Venue du Christ » reste volontairement ambiguë, parlant à la fois de Noël et des derniers jours — du Jour du Règne de Dieu, temps du Messie qu'annonce le prophète Ésaïe, et que redit l'appel de Jean le Baptiste à un changement de vie, lancé selon les Évangiles après la naissance de Jésus.

Dans l'attente de la venue du Royaume promis, se déploie l'histoire de l'Alliance de Dieu avec les hommes, scellée avec Abraham, mais remontant à l'éternité, annoncée aux origines de l'humanité, Alliance sans cesse renouvelée avec Israël par la fidélité de Dieu, ouverte à toutes les nations, selon la foi chrétienne par la venue du Christ — célébrée à Noël —, et dont les fruits de paix sont annoncés par les prophètes dans l'espérance du Règne de Dieu accompli au dernier jour — « Il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte ; car la terre sera remplie de la connaissance de l’Éternel » (És 11, 9).

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L’Avent est observé depuis le Ve siècle, apparu à Tours, quand à partir de la fête de saint Martin, le 11 novembre, jusqu’à Noël, on jeûne trois fois par semaine. Le concile de Mâcon tenu en 581 adopte la pratique de Tours, et bientôt se généralise ce temps de repentance depuis le 11 novembre jusqu’à Noël. Il est également décidé que les cultes se feraient pendant l'Avent de la même façon que lors du Carême, c'est-à-dire comme un temps de repentance et de jeûne. C’est pourquoi durant l'Avent la couleur liturgique, retenue dans notre Église en sa branche luthérienne, sera la même qu’au temps du Carême : le violet.

Au VIe siècle, une liturgie de l’Avent voit aussi le jour à Rome, où le nombre de quatre dimanches se met en place. Dès le VIIIe siècle, le premier dimanche de l’Avent est marqué comme le commencement de l'année liturgique. Les bougies sont le symbole de la lumière qui vient, apportant l'espoir de la paix. Avant l'ère chrétienne, elles étaient déjà signes de lumière et de joie. Pensons à la fête juive de Hanoukka, célébrée cette année en même temps que Noël.

Au XIXe siècle, un pasteur luthérien allemand (Johann Heinrich Wichern) décida d'allumer chaque jour une bougie disposée sur une roue, pour marquer les 24 jours qui précédent Noël. La roue fût remplacée par une couronne de sapin et les bougies réduites à 4. Elles marquent les 4 dimanches qui précédent Noël. Elles symbolisent également les grandes étapes du Salut : la première est le symbole du pardon accordé à l'homme et à la femme au sortir de l’Éden selon la Genèse ; la seconde est le symbole de la foi d'Abraham avec qui est scellée l'Alliance, et des patriarches qui croient au don de la Terre promise ; la troisième est le symbole de la joie de David dont la lignée conduit jusqu'au jour du Royaume, témoignant de la pérennité de l'Alliance et de la promesse ; et la quatrième et dernière bougie est le symbole de l'enseignement des prophètes qui annoncent un règne de justice et de paix. Ou encore, elles symbolisent quatre étapes de l'histoire de l'Alliance en sa relecture chrétienne ; la Création, l'Incarnation, le retour à Dieu, la promesse de son Règne.

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Une Alliance, qui nous inscrit dans une mission de coopération avec Dieu (2 Co 6, 1) pour conduire ce monde à la porte d'un paradis, où : « le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, et l’enfant sevré mettra sa main dans la caverne du serpent. »

Où : « il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte ; car la terre sera remplie de la connaissance de l’Éternel, comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent. En ce jour […] les nations se tourneront vers lui, et la gloire sera sa demeure. » (Ésaïe 11, 8-10)

Mais rien n'est gagné d'avance de cette mission, de ce combat. D'où l’appel du Baptiste en écho d'Ésaïe : « Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche. […] Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers. » (Mt 3, 2-3)

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Un repentir, un changement de comportement, un aplanissement des sentiers de celui qui vient, annoncé par Ésaïe et que les chrétiens relisent en Jésus. Un changement de vie possible par la confiance en celui qui promet, celui qui a passé Alliance avec nous, et qui enseigne à nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés (Jean 13, 34). Il s'est engagé à ne pas nous lâcher, par cette Alliance qui remonte à l'éternité où se fonde l'envoi de l'humanité, et qui se scelle dans la promesse à Abraham pour être élargie à toutes les nations par Jésus, qui octroie l'Esprit pour aller vers tous les peuples selon la promesse d'Ésaïe : « la terre sera remplie de la connaissance de l’Éternel, comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent ».

Alors tout devient possible de ce que prône Paul aux Romains pour la réconciliation de tous (Ro 15, 7-9) : « Accueillez-vous donc les uns les autres, comme Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu […], que les nations glorifient Dieu à cause de sa miséricorde, selon qu’il est écrit : c’est pourquoi je te louerai parmi les nations, et je chanterai à la gloire de ton nom. »

Tel est le fruit de l'Alliance dont l'Avent nous rappelle le déploiement comme mission via le changement que prêchent les prophètes, la techouva, le retour — sans quoi tout pourrait péricliter. Pas besoin d'être grand prophète pour savoir, comme, entre autres, le rappelle Cioran dès 1979, que le monde court à sa perte, d’exploitation des plus pauvres en meurtres sanglants terroristes ou guerriers et en surexploitation des ressources. C'est de cela, de cette fuite en avant mortifère qu'il s’agit de revenir. Faites techouva, faites retour, crie le Baptiste après tous les prophètes, revenez, repentez-vous de cette fuite vers la mort. « J'ai mis devant toi la mort et la vie, choisis la vie afin que tu vives », dit le Deutéronome. C'est où nous sommes aujourd'hui !… Sans perdre de vue la lumière qui pointe, qui déjà nous illumine depuis Noël qui vient, « car un enfant nous est né, un fils nous est donné » (Ésaïe 9, 5).


RP,
Châtellerault, 2e dimanche de l'Avent, 8/12/19
Poitiers, 3e dimanche de l'Avent, 15/12/19


dimanche 1 décembre 2019

"Tenez-vous prêts", "veillez"




Ésaïe 2:1-5 ; Psaume 122 ; Romains 13:11-14 ; Matthieu 24,37-44

Matthieu 24, 37-44
37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme ;
38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,
39 et on ne se doutait de rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.
40 Alors deux hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre laissé ;
41 deux femmes en train de moudre à la meule : l'une est prise, l'autre laissée.
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.
43 Vous le savez : si le maître de maison connaissait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.
44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.

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« Mais pourquoi les hommes sont-ils méchants ? Que je suis étonné sur cette terre. Pourquoi sont-ils si vite haineux, hargneux ? Pourquoi adorent-ils se venger, dire aussi vite du mal de vous, eux qui vont bientôt mourir, les pauvres ? Que cette horrible aventure des humains qui arrivent sur cette terre, rient, bougent, puis soudain ne bougent plus, ne les rende pas bons, c’est incroyable. Et pourquoi vous répondent-ils si vite mal, d’une voix de cacatoès, si vous êtes doux avec eux, ce qui leur donne à penser que vous êtes sans importance, c’est-à-dire sans danger ? Ce qui fait que des tendres doivent faire semblant d’être méchants, pour qu’on leur fiche la paix, ou même, ce qui est tragique, pour qu’on les aime. » (Albert Cohen, Le livre de ma mère)

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« Soyez prêts dit Jésus à ses disciples, car le Fils de l'Homme viendra à l'heure où vous n'y penserez pas » (Mt 24, 44). Veillez, soyez prêts à ouvrir à votre Maître, qui viendra comme un voleur dans la nuit. Voilà qui est troublant : le Seigneur viendra comme un voleur, il viendra à l'heure où nous n'y penserons pas.

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Chaque fois que des lendemains sombres s’annoncent sur le monde, non seulement on ne sait pas le reconnaître, mais on a même tendance à en rajouter dans le déni — dans l'agitation, la distraction et les fêtes, la consommation, etc.

« Comme aux jours de Noé ». La seconde épître de Pierre rappelle que comme un ancien monde a été détruit par l’eau, ce monde-ci est gardé en réserve pour le jugement par le feu. Et « comme aux jours de Noé », on est tenté en tout temps de balayer les signes sombres à l’horizon d’un revers de main.

Je cite la seconde épître de Pierre (ch. 3, v. 3-10) :
3  […] Dans les derniers jours viendront des sceptiques moqueurs marchant au gré de leurs propres désirs
4  qui diront : "Où en est la promesse de son avènement? Car depuis que les pères sont morts, tout demeure dans le même état qu’au début de la création."
5  En prétendant cela, ils oublient qu’il existait, il y a très longtemps, des cieux et une terre tirant origine de l’eau et gardant cohésion par l’eau, grâce à la Parole de Dieu.
6  Par les mêmes causes, le monde d’alors périt submergé par l’eau.
7  Quant aux cieux et à la terre actuels, la même Parole les tient en réserve pour le feu, les garde pour le jour du jugement
/ i.e. de la crise / et de la perdition des impies.
8  Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour.
9  Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la repentance.
10  Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, jour où les cieux disparaîtront à grand fracas, où les éléments embrasés se dissoudront et où la terre et ses œuvres seront mises à découvert.

Mais, comme en tous temps, et comme en l'an 70 pour le monde auquel s’adresse d’abord Jésus — qui avertissait : la catastrophe adviendra dans « cette génération » (v. 34) —, quand la menace est prégnante, on préfère ignorer, voire faire taire les prophètes de malheur ; et on continue à se confondre en festivités, sans manquer d'y dire — sans avoir l'air d'y toucher — du mal des absents, et à vaquer à ses affaires, ses petites vengeances, sa consommation et sa surconsommation. « Comme aux jours de Noé ».

Et le déluge les emporte tous…

Tous, ou plus précisément, dans l’avertissement de Jésus quant à la menace imminente, il emporte ceux qui se comportent comme si tout ici-bas était éternel, mais « laisse » ceux qui, conscients de ce que tout cela a de provisoire, s’ancrent dans la vigilance, en vue de ce qui seul ne passe pas et qui s’apprête à se manifester dans la présence du Fils de l’Homme. Qu'est-ce que cela veut dire ? On essayera de le voir.

La venue du Seigneur est présentée dans le texte d’aujourd’hui comme la surprise de l’incursion d’un voleur dans la nuit. Ou plus loin comme l’attente de l’époux par des jeunes filles d'honneur munies de lampes à huile. Il vient de toute façon au milieu de la nuit de ce monde, de façon surprenante, et il s’agit de rester vigilant, de veiller. « Tenez-vous prêts. »

Quand l’horizon s’assombrit, quand les catastrophes s’annoncent, quand la crise est là, alors risque de s’accentuer une tendance à la fuite en avant, entre distractions et agitation des affaires — la tentation de s’assoupir au lieu de veiller, c’est-à-dire le repli sur soi, qui est l’inverse de la vocation humaine. Cela précisément au moment où il faudrait au contraire lever la tête. Or, puisque les temps sont durs… voilà que s’accentue la tendance à se replier sur soi, et à vouloir vivre encore comme au temps où tout semblait rose. Comme aux jours de Noé… Vaquant aux habitudes dont on voudrait qu’elles perdurent, faisant la noce, des affaires et des fêtes. Et pourtant les jours sont sombres. Jésus vient de parler des signes qui annoncent les temps et les saisons, les lendemains de chaleur, de pluie ou de tempête.

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Ne savez-vous pas reconnaître les signes des temps, vous qui savez reconnaître les signes de la venue des saisons ? nous demande Jésus, le moment où il faut redoubler d’attention.

Un signe du même ordre est souligné plus loin : l’huile des filles étourdies d'une nuit de noces, qui s'endorment en attendant l'époux. Une huile qui brûle pour entretenir une flamme. Une huile que l’on ne peut garder à la place d’autrui, et dont il n’est plus temps d’en acheter. Image donnée par Jésus appelant à la vigilance dans le désir de vérité, toujours susceptible d’être vacillant, cette vigilance toujours de mise, qui ne peut être que fruit de l’Esprit dont l’huile est le symbole, et qui sourd au cœur de nos êtres…

Veiller — car c'est quand tout est apparemment bouché que l'Esprit ouvre de toutes nouvelles possibilités. Mais pour les voir, il s'agit de rester ouvert et attentif : c'est là savoir veiller pour saisir le renouveau qui s'annonce quand tout semble irrémédiable. Ainsi que « le Fils de l'Homme viendra à l'heure que vous ignorez ».

Et de quelle façon doit-on exercer notre vigilance ? Si on lit la suite du passage, on peut voir que c’est déjà en étant attentifs à ceux que Dieu place sur notre chemin — une ouverture solidaire donc (v, 45-46) : « Quel est donc le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ? Heureux ce serviteur, que son maître, à son arrivée, trouvera faisant ainsi ! » dit Jésus — c'est juste après son avertissement sur les jours de Noé. Redoubler d’attention : être attentif, et attentionné. « Suis-je le gardien de mon frère ? » avait demandé Caïn, meurtrier d’Abel. La réponse est donnée par Jésus : la vigilance ici est précisément être attentif à son frère, l’inverse du repli sur soi favorisé par les temps sombres — et qui semble caractériser les jours actuels, au prétexte juste et raisonnable que « c'est la crise ». Mais précisément, dit Jésus, c'est là au contraire qu'il s'agit de veiller — pour voir s'ouvrir de tout nouveaux possibles !

Heureux celui ou celle qui s’attache à ce service fidèle — et avisé… — v. 46 : « Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera faisant ainsi ! ».

Il ne s’agit donc pas, parlant de vigilance, de rester les yeux levés vers le ciel et replié quand même sur soi, mais ancrés en Jésus, de se tourner vers le monde pour l’enrichir des talents (toujours un des passages qui suit notre texte : la parabole des talents) que nous a confiés le Seigneur qui s’est absenté et dont on attend la venue…

Bref, si le Messie vient demain, il s’agit non pas de se replier dans la peur, mais de planter un arbre ! — comme le disait, plutôt que Martin Luther, Rabbi Yohanan Ben Zaccaï, qui vécut à Jérusalem lors de son saccage par les Romains, enseignant : « Si tu tiens un jeune arbre dans tes mains quand on te dit que le Messie arrive, plante d'abord ton arbre et ensuite tu sortiras pour le saluer », en attendant le renouveau définitif apporté par le Messie. Selon une recherche de ma collègue Ariane Massot, l'attribution de cette histoire talmudique à Luther remonte au Troisième Reich, avec ses prétentions millénaristes, qui courait vers sa fin quand, en octobre 1944, en conclusion d'une lettre circulaire clandestine, le pasteur Karl Lotz, membre de l’Église confessante la reprenait. Et si, pour éviter des soucis avec la censure, il avait maquillé une parole juive en citation de Luther ?… Illustrant la nécessité de veiller…

Voilà ce à quoi nous sommes appelés : veiller — rester ouverts à de nouveaux possibles et attentifs aux plus petits — et poser ainsi les pierres du Royaume. Tenez-vous prêts, et concrètement plutôt que de continuer à faire courir le monde à sa perte, poser déjà, comme plantant un arbre, des actes selon la loi du Royaume : plutôt que la stupide méchanceté déplorée par Albert Cohen, se mettre à l'écoute de la parole de Jésus « ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la repentance » (2 P 3, 9) : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 13, 34) — seule arme pour que l’humanité puisse traverser le déluge qui menace sans s’entre-déchirer.


RP, Poitiers, 1er dimanche de l'Avent, 01/12/19