dimanche 28 août 2022

Urgente guérison





Proverbes 4, 1-9 ; Psaume 68 ; Hébreux 12, 18-24 ; Luc 14, 1-14

Luc 14, 1-14
1 Un jour de shabbat, il était venu manger chez l'un des chefs des pharisiens, et ceux-ci l'observaient.
2 Un hydropique était devant lui.
3 Jésus demanda aux spécialistes de la loi et aux pharisiens : Est-il permis ou non d'opérer une guérison pendant le shabbat ?
4 Ils gardèrent le silence. Alors il prit le malade, le guérit et le renvoya.
5 Puis il leur dit : Lequel de vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne l'en retirera pas aussitôt, le jour du shabbat ?
6 Et ils ne furent pas capables de répondre à cela.
7 Il adressa une parabole aux invités parce qu'il remarquait comment ceux-ci choisissaient les premières places ; il leur disait :
8 Lorsque tu es invité par quelqu'un à des noces, ne va pas t'installer à la première place, de peur qu'une personne plus considérée que toi n'ait été invitée,
9 et que celui qui vous a invités l'un et l'autre ne vienne te dire : « Cède-lui la place. » Tu aurais alors la honte d'aller t'installer à la dernière place.
10 Mais, lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place, afin qu'au moment où viendra celui qui t'a invité, il te dise : « Mon ami, monte plus haut ! » Alors ce sera pour toi un honneur devant tous ceux qui seront à table avec toi.
11 En effet, quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.
12 Il disait aussi à celui qui l'avait invité : Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie pas tes amis, ni tes frères, ni les gens de ta parenté, ni des voisins riches, de peur qu'ils ne te rendent ton invitation et qu'ainsi tu sois payé de retour.
13 Mais lorsque tu donnes un banquet, invite des pauvres, des estropiés, des infirmes, des aveugles.
14 Heureux seras-tu, parce qu'ils n'ont pas de quoi te payer de retour ! En effet, tu seras payé de retour à la résurrection des justes.

*

Un jour de shabbat. Le shabbat est le signe central de l’Alliance de grâce, selon la Torah, les pharisiens et (on va le voir) Jésus. D’où l’importance de ce texte pour percevoir ce qu’il en est de la pratique de Jésus : quelle observance du shabbat est la sienne ?

Le transgresse-t-il comme on l’entend parfois dire, le relativise-t-il ? Ce serait en contradiction avec son propre enseignement, requérant l’observance jusqu'au plus petit précepte de la Torah. Or le shabbat n’est pas un « petit précepte », étant inscrit au cœur du Décalogue, marquant à la fois une exigence éthique, comme règle sociale, soulignée par le Deutéronome ; et en outre donné comme signe de l'entrée de la Création dans le shabbat éternel, aspect souligné par l’Exode : tu observeras le shabbat comme signe du shabbat de Dieu au récit de la Création… Entrée dans le shabbat éternel… À bien y regarder, c'est sans doute là la clef de notre texte…

*

« Invite des pauvres, des estropiés, des infirmes, des aveugles. Heureux seras-tu, parce qu'ils n'ont pas de quoi te payer de retour » (v. 13-14). Voilà que Jésus invite à nouveau ses auditeurs à se faire des débiteurs insolvables, comme il l'a fait quelques chapitres avant dans la parabole du bon Samaritain qui se termine avec son fameux « va et, toi aussi, fais de même », à savoir fais-toi, comme le Samaritain, des débiteurs — insolvables qui plus est ! Aujourd'hui, les choses se précisent : « de peur qu'ils ne te rendent ton invitation et qu'ainsi tu sois payé de retour » (v. 12). Voilà qui déroge à tout ce que l'on croit savoir de la bienséance et du partage du don.

Voilà un texte qui, allant un peu plus loin que l'exhortation finale de la parabole du bon Samaritain, nous donne ainsi une illustration et une explication de la façon dont les derniers pourraient être les premiers et les premiers les derniers. Ça commence par le récit de la guérison d'un hydropique — un homme enflé, comme d'eau (de sérum) — guérison que Jésus effectue un jour de shabbat. Façon de provocation, selon toute apparence. Entrée en matière dont il faut tenir compte pour comprendre ce que développe Jésus dans la parabole qui suit cet incident, quant à être abaissé ou élevé.

*

L'observance du shabbat n'est pas facultative. L’Alliance a deux parties : Dieu et le peuple. Quant à Dieu, il a fait une promesse à Abraham pour sa descendance. Quant au peuple, il s'agit de remplir sa part, c'est-à-dire observer les préceptes, mais au risque, qui nous concerne jusqu'aujourd'hui nous aussi, d’en faire ainsi une sorte de manuel d'autosatisfaction religieuse. C'est à cela que Jésus s'en prend, à sa façon radicale, par cette guérison incongrue annoncée par une question provocante.

Jésus guérit un homme atteint d'une maladie qui semble ne présenter aucune urgence — c'est-à-dire qu'il aurait pu être guéri le lendemain : les cabinets médicaux sont fermés le week-end, sauf urgence. Mais voilà que Jésus répond à ses interlocuteurs qu'il y a là urgence.

En cas de réelle urgence, les pharisiens admettent sans la moindre difficulté la légitimité des interventions au jour du shabbat, comme les médecins le week-end — d'où le silence qui suit la question de Jésus. Dans un cas d’urgence, celui d'une question immédiate de vie ou de mort, il n'y aurait ni discussion ni contestation. Pas plus pour un être humain que pour un bœuf tombé dans un puits. Car il ne faut pas s'imaginer, à partir de la remarque de Jésus sur le bœuf tombé dans un puits — exemple que Jésus rajoute à un fils, premier exemple trop évident — ; il ne faut pas s'imaginer qu'un pharisien quel qu'il soit aurait préféré la vie de son bœuf à une vie humaine en danger ! Les choses étaient prévues, le Talmud en garde souvenir, pas de difficulté dans ce cas. Mais voilà, ici, on a affaire à une personne qui pouvait attendre un jour de plus. De quoi choquer : Jésus, méprise-t-il le shabbat ?

Jésus ne méprise pas le shabbat ; mais il considère le cas de ce malade comme urgent ! C'est là qu'est le débat, peut-être d'une autre urgence que celle de la maladie — même si l'on convient qu'un jour de souffrance est une éternité pour celui qui en est affligé.

L'urgence en question est celle du Jour d'éternité précisément, celle du Royaume de Dieu. Le shabbat en est le signe, signe de gratuité, signe de grâce, signe et présence du Royaume de Dieu, ce jour où Dieu s'est retiré, et où tous sont invités à être délivrés et à entrer dans le repos — et pas seulement à observer scrupuleusement le rituel qui symbolise cette délivrance et la gratuité du shabbat de Dieu. Sans quoi on risque de n'être qu'enflé de bonne conscience, comme l'hydropique — beau symbole — était enflé. À guérir d'urgence !

Voilà qui permet d'éclairer la parabole qui suit : qu'est-ce que cette façon d'être enflé de bonne conscience, à se croire premier, en s'arrogeant les places d'honneur ? — et pourquoi le Maître du repas du Royaume pourrait juger qu'il s'agit de ranger les convives autrement.

*

On peut saisir ainsi que se mettre à la première place consiste, en usant de critères soi-disant religieux — ou autres —, à établir des catégories prioritaires, et s'y placer soi-même, sur la base d'une bonne conscience qui revient à être… enflé. Maladie à guérir d'urgence !

Enflé, éventuellement — ô comble — et c'est le risque que Jésus décèle chez ses interlocuteurs, à la mesure de ce recueil de « principes pour être en règle avec Dieu » que l'on a fait de la Bible. Voilà qu'on se fait fort de constater qu'on accomplit la plupart des rites qu'elle prescrit — ce qui est certes bel et bon — à commencer par un des plus importants — il est tout de même dans les dix commandements — le shabbat, ce signe de la gratuité de la grâce de Dieu. Or la Bible n'est pas un manuel de savoir-vivre religieux : son but n'est pas de nous faire penser que nous sommes en règle avec Dieu. Car quiconque se pense en règle avec Dieu, se mettra d'une façon ou d'une autre dans les meilleurs fauteuils, comme les convives de la parabole, carrément dans les premiers.

Voilà qui est à guérir d'urgence !… Avant que Dieu ne bouleverse un ordre indu : « quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé ».

Alors Jésus appelle celui qui l'invitait, à inviter — plutôt que les convives qui lui ressemblent, ses proches ou ceux qui lui sont proches par leur perfection morale, ceux honorent sa table de leur richesse ou de leur — réelle — honorabilité, et qui peut-être, l’inviteront en retour à leurs tables de choix — ; Jésus l'appelle à inviter ceux que l'on a l'habitude de mépriser. Avec en outre le motif qu'ils ne pourront pas rembourser, qu'ils ne pourront pas rendre l'invitation… N'ayant donc pas de quoi être enflés !

Le piège de l’orgueil, puisque c'est de cela qu'il s’agit, la prétention d'être irréprochable, à s'arroger la bonne place, se dévoile ici dans toute sa splendeur : prétention d'être d'une pureté telle qu'on pourrait la déployer, agissant entre bons par pure gratuité ! Agir par pure gratuité serait certes bel et bon si nous étions d'une telle perfection, celle d'être entre bons qui se rendent leur bonté, perfection surhumaine, perfection inhumaine.

Où l'on retrouve à son comble l'illusion d'être en règle : dans la prétention d'aimer de façon gratuite. Jésus barre cette issue illusoire par un défi : « invite donc ceux qui ne pourront pas te rendre ». Des « débiteurs » qui ne peuvent pas rembourser ! Inaptes à la réciproque. Jésus met ici en question jusqu’à la vérité de la bonne intention : jusqu’à quel point un acte « gratuit » est-il gratuit ? C'est une véritable « dette de gratuité » qui est ainsi dévoilée via cette mise en honneur de ceux qui ne peuvent pas rembourser : tu n'as pas les moyens de tes prétentions d'être à la hauteur des exigences qui fonderaient une communauté de bons, en règle, aptes à donner. Toi le premier es un invité au festin céleste, au seul bénéfice de la grâce gratuite — don de résurrection, comme cela apparaîtra « à la résurrection des justes ».

Où chacun de nous devient le débiteur insolvable, invité au festin d'un Royaume dont il n'est évidemment pas à même d'en mériter ou d'en rembourser quoique ce soit. C'est ainsi que s'ouvre un cercle qui va bien au-delà des supposés bons entre eux, mais qui s'élargit à celles et ceux qui nous ressemblent comme débiteurs insolvables, bien obligés dès lors à faire de même que le maître invitant !

*

Ainsi, il est un autre regard de Dieu, celui du Christ qui honore le méprisé, que nous sommes tous à bien y regarder, un regard qui mène quiconque a perçu qu'il se pose sur lui sur elle, à savoir qu'on ne saurait être soi-disant apte à aimer, en règle avec Dieu, que par inconscience. Ce regard dévoile à qui a perçu que Dieu le pose sur lui, sur elle, que c'est là le regard qui seul fait vivre. C'est ce regard du Christ qui suscite l'attitude que Dieu agrée, et qui consiste à s'attendre à lui seul, et à ne pas se fier à toutes nos prétendues mises en règle, jusqu'à s'imaginer comme Dieu, aptes au don gratuit. C'est par la foi seule, qu'il s'agit de vivre devant Dieu, Dieu qui a seul le pouvoir de faire naître en nous, et à l'égard de nos prochains, les comportements qu'il attend de nous.


RP, Rouillé, 28/08/22
Prédication (format imprimable)


dimanche 21 août 2022

Porte étroite




Ésaïe 66, 18-21 ; Psaume 117 ; Hébreux 12, 5-13 ; Luc 13, 22-30

Luc 13, 22-30
22 Il passait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem.
23 Quelqu’un lui dit : "Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ?" Il leur dit alors :
24 "Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas.
25 "Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous, et qu’il vous répondra : Vous, je ne sais d’où vous êtes,
26 "alors vous vous mettrez à dire : Nous avons mangé et bu devant toi, et c’est sur nos places que tu as enseigné ;
27 et il vous dira : Je ne sais d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites ce qui est injuste.
28 "Il y aura les pleurs et les grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors.
29 Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.
30 "Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers."

*

Voilà une parole terrible, donnée comme inaugurant le jour du Royaume de Dieu et de sa porte — étroite, et désormais fermée !… Opposée à la porte large, selon Matthieu (Mt 7, 13).

Parole donnée en « vous ». Adressée donc au lecteur de l’Évangile, à chacune et chacun de nous qui lisons, donc, en réponse à la question « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? »

Une parole annoncée comme devant entrer dans l’histoire. Quand ? Lors d’une des dates terribles dont est constellée l’histoire ? Et pourquoi pas une date apparemment anodine ? Les événements du Nouveau Testament ont alors totalement échappé à la « grande Histoire », aux « grands médias » — : la date de la porte fermée aurait tout d'une date anodine, comme une date qui signe pourtant la disparition des témoins de la parole de la grâce, par exemple. Quand les témoins se raréfient autant que la fréquentation régulière des temples… temples où sont censés se trouver les témoins — non ?

Face à la porte étroite dont parle Jésus — on a, selon Mt 7, 13, la porte large : large est la porte, spacieuse est la voie qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Quelques citations des Évangiles et de Jésus pour illustrer le propos :

Une grande ‭foule‭ suivait Jésus, parce qu’elle voyait les signes qu’il opérait.‭ (Jn 6, 2)

Plus loin : ‭Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.‭ (Jn 6, 26)

Quel signe fais-tu donc, lui dirent-ils, afin que nous le voyions, et que nous croyions en toi ?‭ (Jn 6, 30)

Plusieurs crurent en son nom, voyant les signes qu'il faisait. Mais Jésus ne se fiait point à eux, parce qu'il les connaissait tous, et parce qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage d'aucun homme ; car il savait lui-même ce qui était dans l'homme. (Jn 2, 23-25)

‭Comme le peuple s’amassait en ‭foule‭, il se mit à dire : Cette engeance est méchante ; elle demande un signe ; il ne lui sera donné d’autre signe que celui de Jonas.‭ (Lc 11, 29) — Jonas qui n’ayant accompli aucun signe, a été lui-même le signe, que les Ninivites ont su voir, comme Jésus lui-même sera lui-même le signe.

Rien de spectaculaire à voir, rien qui fascine les foules, qui déçues de cette absence de spectaculaire, crieront crucifie. Jésus ne se fiait point à eux, car il savait lui-même ce qui est dans l'homme.

*

Retrouvons notre question : « Y a-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » demandait-on à Jésus — qui n’a pas répondu à cette question… « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas. » Voilà sa réponse ! « Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous, et qu’il vous répondra : Vous, je ne sais d’où vous êtes »

*

« On ne s’attroupe qu’autour des vendeurs d’illusions, en philosophie comme en tout. Le vide se fait toujours autour de celui qui ne s’abaisse pas à proposer. » (Cioran, Cahiers, p. 276)

Et voilà que l'Église cherche à proposer choses et autres — ce que Jésus n’a pas fait. Elle n'a qu'un sens : lui.

L'Église oublieuse de ce qu’elle est, cherche à imiter les assembleurs de foules. Oubliant le fond de sa réalité, de l'appel de celui qui s’est méfié des foules. Imitation de “ce qui marche” (ou qui est censé “marcher”) jamais vraiment couronnée de succès, ou alors bien provisoirement (sachant qu'il y a aussi des temps Gédéon, où il s’agit de diminuer le nombre des témoins — Juges 7, 2). Oubliant que l'original du succès sera finalement préféré à la copie (cf. pub Mini 1975). Je pense à ces Églises à grand succès qui ont un temps attiré les foules avant de se fourvoyer de promesses de miracles en théologies de l’abondance ou de la prospérité — puis actuellement de commencer à décliner (selon les études sérieuses menées aux USA), quelques décennies après le début du déclin des Églises historiques, qui ont tenté contre cela d’imiter à la fois les modes de la société ambiante, et les méthodes, la forme, des Églises-spectacle.

Or ce n’est pas cela que l'Église est appelée à rechercher ou à faire rechercher.

L'Église n'a pas de scène. Sur scène, il y a du spectacle. Le spectacle est parfaitement légitime, mais ce n’est pas la vocation et le rôle de l'Église.
L'Église n'a pas de spectacle, elle a un culte ;
dans le spectacle il y a une exposition, dans le culte il y a une reddition.
L'Église n'a pas de stars, elle a des serviteurs :
les stars éblouissent, les serviteurs obéissent.
L'Église n'a pas de fans, elle a des disciples ;
les fans applaudissent et flattent, les disciples apprennent et continuent.
L'Église n'a pas d'artistes, elle a des ministres (i.e. serviteurs et servantes),
les artistes se mettent en scène, les ministres servent.
L'Église n'a pas de public, elle a des adorateurs ;
nous sommes l'Église et nous ne donnons pas un spectacle,
nous offrons un culte à Dieu ;
le public assiste et réagit, les adorateurs se prosternent et se donnent.
Que le Christ Jésus soit au-dessus et en tous.

Quand l'Église oublie ce qu’elle est, la porte s’ouvre à tous les dévoiements, tout particulièrement aux dévoiements au nom de Dieu. Actualité : tentative d’assassinat d’un écrivain au nom de Dieu… (certes pas au nom du Dieu dont témoigne l'Église ! Mais…)

Dernières décennies du XXe siècle :

Le juge a demandé à l'homme qui a tenté d'assassiner le défunt écrivain égyptien Naguib Mahfouz :
« Pourquoi avez-vous poignardé Naguib Mahfouz ? »
Le terroriste a déclaré : « À cause de son roman - Les enfants de notre quartier ».
Le juge lui a demandé : « Avez-vous lu ce roman ? »
Le criminel a dit : « Non ! »

Quelques années avant, un autre juge demandait au tueur de l'ancien président égyptien Anouar Sadate :
« Pourquoi avez-vous tué le président Sadate ? »
Réponse : « Parce qu'il était laïque ! »
Le juge a alors demandé : « Que signifie laïque ? »
Et le tueur a dit : « Je ne sais pas ! »

Un autre juge a demandé, environ dix ans après, à l’homme qui a tué l'écrivain égyptien Faraj Fouda :
« Pourquoi avez-vous assassiné Faraj Fouda ? »
— « Parce que c'est un infidèle ! »
Le juge lui a demandé : « Comment saviez-vous qu'il était infidèle ? »
— « D'après les livres qu'il a écrits ».
Le juge a dit : « Lequel de ses livres vous laissait croire qu’il était infidèle ? »
Le terroriste : « Je n'ai pas lu ses livres ! »
Le juge : « Comment ? »
Le terroriste : « Je ne sais ni lire ni écrire ! »

On pense bien sûr aujourd’hui à la tentative d’assassinat de l’écrivain Salman Rushdie, envoyé aux gémonies par tant de ceux qui n’ont pas lu son œuvre. Ironie de l’histoire : c'est grâce à la fatwa contre lui que, comme tant d’autres, je me suis procuré le roman incriminé… Effet imprévu de la sentence. Ironie mordante : après la récente tentative d’assassinat de l’auteur les ventes de son livre s’envolent à nouveau.

La haine ne se propage jamais par la connaissance. Elle se propage toujours par ignorance. Il s’agit de cesser de juger et condamner autrui, la foi d’autrui, sa spiritualité, ses œuvres ou que sais-je d’autre, sur la base de préjugés qui nous empêchent de vraiment entendre — et cela vaut en premier lieu pour le message de l’Évangile.

Or c'est cela le débouché de la porte large : ressentiment face au manque de succès, de pouvoir, d'éloges, et autres choses de cet acabit. Jésus avait prévenu : Les rois des nations les maîtrisent, et ceux qui les dominent sont appelés bienfaiteurs. Qu'il n'en soit pas de même pour vous. (Luc 22, 25-26)

C’est cela la porte étroite…

Et aujourd’hui ? La nuit s'est épaissie. Une porte fermée : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites ce qui est injuste. » — « Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors. Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers. »

Voilà Dieu qui seul peut faire ce que ne n’avons pas su faire. Voilà un salut à une tout autre mesure, et qui laisse pourtant le goût amer de toutes nos poursuites de succès ou de pouvoir, et d’imitation de ceux qui semblent en avoir, puis de tous nos échecs et nos injustices, pour laisser place au seul roc de la promesse : « il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. » La promesse de Dieu, par la foi seule : telle est ainsi la porte étroite où il nous faut passer, par laquelle seule le salut est possible. La foi seule. Cette porte qui s'ouvre encore aujourd'hui. Car c'est aujourd'hui le jour du salut…


RP, Poitiers, 21.08.22
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