dimanche 29 janvier 2023

Les Béatitudes. Dans la reconnaissance du don de Dieu




Matthieu 5, 1-12
1 À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Et, prenant la parole, il les enseignait :
3 « Heureux les pauvres de cœur car le Royaume des cieux est à eux.
4 Heureux les doux car ils auront la terre en partage.
5 Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés.
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice car ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux car il leur sera fait miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu.
9 Heureux ceux qui font œuvre de paix car ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice car le Royaume des cieux est à eux.
11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
 »

*

Les Béatitudes introduisent dans l’Évangile de Matthieu le Sermon sur Montagne (ch. 5-7), où Jésus nous livre sa lecture de la Bible, désignée sous l'expression la Loi et les Prophètes, nous rappelant : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour observer pleinement » (Mt 5, 17) — cette Loi qui se résume au commandement d'amour pour Dieu (Dt 6, 4-5) qui se traduit comme amour du prochain (Lv 19-18 / 1 Jn 4, 20).

La Loi se trouve ainsi au cœur du Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile, comme bonne nouvelle de la libération, se trouve aussi dans la Bible hébraïque. Sous un certain angle l’Évangile est la Loi elle-même, loi de liberté et de grâce. Jésus annonce le Règne de Dieu, ou « des cieux » — selon le respect de la Torah qui enseigne de ne pas prononcer le Nom en vain.

Des Béatitudes à l'appel à bâtir sur le roc de l'enseignement reçu des Écritures, dont « pas un trait de lettre ne passera » (Mt 5, 18), Jésus nous conduit au cœur du message de libération et de grâce qui retentit comme parole d’Éternité que le temps ne saurait éroder : « le ciel et la terre passeront, la Parole de Dieu subsiste au-delà du temps » (cf. Mt 24, 35 ; És 40, 8).

« Heureux », le mot des Béatitudes reprend le premier mot des Psaumes (premier livre de la troisième partie de la Bible après la Loi et les Prophètes), Psaumes dans le judaïsme comme la relecture priante de la Torah et dont le Notre Père, que l'on trouve au cœur du Sermon sur la montagne, est un résumé, — le premier mot des Psaumes, au Psaume 1, « heureux », parle du bonheur de vivre de la Loi, la Torah :
1 Heureux
[…]
2 qui se plaît à la loi du Seigneur
et la médite jour et nuit !
3 Il est comme un arbre planté près des ruisseaux :
il donne du fruit en sa saison
et son feuillage ne se flétrit pas ;
il réussit tout ce qu’il fait.

Il s'agit bien là d'observance de la Loi, précisément dans sa racine intérieure, quand plus rien de ce qu'elle promet ne se voit. Alors, le bonheur — selon ce sens du mot béatitude — est comme l’ouverture cachée derrière nos échecs et nos défaites ; en écho à la parole du prophète Zacharie (ch. 4, v. 6) : « ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon esprit, dit l’Éternel ». La puissance et la force échouent toujours à faire advenir le Règne de Dieu comme règne du bonheur : il ne vient pas par la puissance des pouvoirs et des conquêtes, dont l'échec ne se compense pas non plus par la force désespérée (qui glisse à la terreur !). Cela est au cœur des Béatitudes. « Heureux ceux qui font œuvre de paix car ils seront appelés fils de Dieu. » — « Heureux les doux car ils auront la terre en partage. » Le bonheur comme face cachée de nos impasses lorsqu’elles sont reconnues. Cela à l’encontre de l'apparence… qui fascine. 

Alors, selon les quelques versets qui suivent les Béatitudes, nous pouvons devenir sel de la terre, qui lui donne du goût et la préserve de se corrompre ; et lumière du monde, qui rayonne depuis l'être intérieur de qui y scelle l'enseignement de la Parole de vie.

Nous voilà, en d’autres termes, appelés à la douceur, non à la contrainte ("heureux les doux car ils auront la terre en partage") ; et appelés à la profondeur intérieure, non à la superficialité. Refuser les copies superficielles de la vie, qui voudraient que le bonheur ne soit nulle part ailleurs que dans ce qui impressionne, la force comme l’aisance matérielle avec son rassasiement, les réjouissances (mais "heureux ceux qui pleurent"), la considération que nous porte autrui (mais "heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte"). Jésus enseigne que le bonheur est à peu près le contraire. Tout ce qui impressionne n'est que clinquant et qui s'y fie rate le bonheur. Ce n’est pas qu'il faille souhaiter la pauvreté, la faim, le deuil, et d'être rejeté et haï !… Mais c’est pourtant pas loin de là que demeure, de façon cachée, la source du bonheur (v. 11-12)…

Où la richesse devient masque de malheur ("Heureux ceux qui ont un esprit de pauvreté"), où les fêtes dans les jours sombres sont une façon d’engloutir dans le bruit le manque et la soif de vérité. Où elles deviennent comme des cris étouffés de détresse secrète, cris de la faim de lumière, de présence, de justice ("heureux ceux qui ont faim et soif de la justice"). Où elles ne sont plus que signes éclatants de solitude, comme des masques carnavalesques de larmes près de jaillir… Et le désir d'être bien vu une lâcheté paralysant au fond des cœurs les paroles et les gestes de vérité, cette envie qui tenaille d'être enfin vrais ! Face à cela est cet étrange bonheur que proclame Jésus ! Un bonheur au-delà des apparences qui est de vivre dans l'intériorité l’enseignement biblique — au mépris de la violence, qui relève aussi de la vanité.

Ce faisant, si on est très proche des Psaumes, comme le Psaume 1, on l'a vu, on est très proche aussi de l'Ecclésiaste, qui conclut son discours par « crains Dieu et observe ses commandements, c'est là tout l'homme » (Ecc 12, 13), le cœur des commandements consistant à aimer autrui, en se mettant à sa place. Quant à l'Ecclésiaste, dont on retrouve bien des accents dans le Sermon sur la montagne, il nous permet de ne pas recevoir le bonheur des Béatitudes comme un bonheur d'arrière-monde qui serait le lot futur de ceux qui décideraient de ne pas vivre dans le temps ! Au contraire, "heureux les cœurs purs car ils verront Dieu" — dans le miroir même de la vie, la récompense donnée étant de vivre dans la présence de Dieu. Aujourd'hui, dit le Deutéronome, choisis la vie !

Ainsi, Ecclésiaste 5, 18-20 :
18 Voici ce que j’ai vu : c’est une chose bonne et belle de manger et de boire, et de jouir du bien-être au milieu de tout le travail qu’on fait sous le soleil, pendant le nombre des jours de vie que Dieu a donnés ; c’est là ta part.
19 Mais, si Dieu a donné à quelqu’un des richesses et des biens, s’il l’a rendu maître d’en manger, d’en prendre sa part, et de se réjouir au milieu de son travail, c’est là un don de Dieu.
20 […] parce que Dieu répand la joie dans son cœur.

Chez l'Ecclésiaste, ce qui permet en tout temps la perception de ce bonheur est la conscience du don de Dieu.

Ecclésiaste 6, 2 : « Il y a tel à qui Dieu a donné des richesses, des biens, et de la gloire, et qui ne manque pour son âme de rien de ce qu’il désire, mais que Dieu ne laisse pas maître d’en jouir, car c’est un autre qui en jouira. C’est là une vanité et un mal grave. »

Face à cette vanité, qui reste vanité quoiqu'il en soit, s'offre la conscience reconnaissante du don de Dieu. Là est la racine du bonheur, bref, les Béatitudes…

*

« Crains Dieu et observe ses commandements, c'est là tout l'homme ».

Cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — aussi bien que comme règle morale.

L’aspect cérémoniel parle du sens du culte : dessiner la dimension verticale de nos vies, la dimension de la relation avec Dieu, qui occupe fortement les quatre premières paroles du Décalogue. Car la dimension verticale de nos vies se dessine pour nous via des rites et des cérémonies, que ces rites soient chrétiens, juifs, ou autres : musulmans, hindous, etc. Il se trouve que pour Jésus, ce sont des rites juifs, ceux de la Torah. C’est aussi le cas dans le Nouveau Testament pour le rituel chrétien qui en est issu. Notre culte s’ancre sur celui d’Israël que pratiquait Jésus. Sous cet angle, l’observance de la Loi de Moïse pour les chrétiens est le fait d’Israël : l’observance juive vivante. Le christianisme des nations sans ce vis-à-vis serait tout simplement bancal. Cela nous conduit à réaliser la nature relationnelle du christianisme.

Quant à l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection — au-delà du Décalogue, il se résume à la deuxième partie du « double commandement » d’aimer le Seigneur et son prochain ; i.e. « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse (Hillel) / fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse (Jésus) » — ("Heureux les miséricordieux") ; cet aspect de la Loi n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances. Il concerne donc toutes et tous, au-delà du temps de l'Israël biblique.

En son cœur, contre l'ambiance de mort qui empuantit notre actualité, on retrouve le « tu choisiras la vie » du Deutéronome, se déployant en injonctions comme « lève-toi et marche », commandement adressé par Pierre au paralytique dans les Actes des Apôtres ; ou, en Jean 11 : « sors de ta tombe », commandement adressé par Jésus à Lazare, autant d’applications du fameux « va pour toi » (lekh lekha) commandement adressé dans la Genèse à Abraham — et donc « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que donne le Deutéronome. Heureux celui, celle, qui entre ainsi dans la vie du Royaume des cieux, ancré au plus intime de l'être intérieur.


RP, Poitiers, 29/01/23
Diaporama :: :: Prédication (format imprimable)


(Textes du jour : Sophonie 2.3 & 3.11-13 ; Psaume 125 ; 1 Corinthiens 1.26-31 ; Matthieu 5.1-12) <br /><br /><br>

dimanche 22 janvier 2023

Pêcheurs d'hommes




Matthieu 4, 12-23
12 Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée.
13 Puis, abandonnant Nazara, il vint habiter à Capharnaüm, au bord de la mer, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali,
14 pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le prophète Ésaïe :
15 Terre de Zabulon, terre de Nephtali,
route de la mer,
pays au-delà du Jourdain,
Galilée des Nations !
16 Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres
a vu une grande lumière ;
pour ceux qui se trouvaient dans le sombre pays de la mort,
une lumière s’est levée.
17 À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché. »
18 Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon appelé Pierre et André, son frère, en train de jeter le filet dans la mer : c’étaient des pêcheurs.
19 Il leur dit : « Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »
20 Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent.
21 Avançant encore, il vit deux autres frères : Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d’arranger leurs filets. Il les appela.
22 Laissant aussitôt leur barque et leur père, ils le suivirent.
23 Puis, parcourant toute la Galilée, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Règne et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple.

*

« Pêcheurs d'hommes » — un jeu de mots pour ces pêcheurs de poissons. Un jeu de mot qui dit peut-être beaucoup. Les poissons, on les retire de la mer où ils ne se noient pas ! En repêcher les hommes, si on prend l'image en son sens strict, c'est les sauver de la noyade… Et si c'était bien là la vocation de disciples ?

Voilà des petits artisans de la pêche dont on apprend qu'ils « laissèrent les filets et suivirent Jésus ». Est-ce que la pêche n'est plus ce qu'elle était ? Est-ce que les entreprises des frères Pierre et André et celle des Zébédée & Co battent de l'aile ? — Que voulez-vous, c'est la crise ! De toute façon la pêche est un travail difficile, et qui rapporte peu. Alors après tout pourquoi ne pas tenter autre chose, et en ces temps sombres — et pourquoi pas au service de Jésus ? Après tout, vu les difficultés des temps, on n'a rien à perdre. Là au moins, pas de chômage. Et si on ne gagne peut-être pas des cents et des mille, qu'est-ce qu'on rigole !

C'est sans compter sans la radicalité de la rupture entre leur vie quotidienne et la vocation chrétienne ! Radicalité qui nous concerne aussi et sans laquelle il n'y a pas de vraie relation avec le Christ vivant. Pierre et André, Jacques et Jean, sont en train de pêcher. Ils exercent leur activité habituelle. C'est leur gagne-pain. « Suivez-moi, dit Jésus, et je vous ferai pêcheurs d'hommes ». À travers ce jeu de mot est introduite une rupture après laquelle plus rien ne sera comme avant : aussitôt, laissant filets et barques, « ils le suivirent ».

*

Nous sommes en Galilée, cette Galilée dont le Ressuscité dira à la fin de ce même évangile de Matthieu qu'il y précède les disciples. Si le ministère de Jésus est inauguré de façon officielle en Judée, par son baptême auprès de Jean, le véritable départ a lieu en Galilée. Et Matthieu y insiste de façon suffisante, à l'appui d'Ésaïe, pour que ce ne soit pas indifférent. La Galilée est réputée être une terre à la foi douteuse aux yeux des Judéens, qui ont le Temple, le centre religieux, la bonne doctrine, etc.

En ces temps de prière pour l’unité, il n’est pas dépourvu de sens de considérer cela. Chacun d’entre nous considère volontiers être de la bonne façon de croire et de vivre la foi, réputant volontiers les autres d’être dans une sorte de semi-pénombre spirituelle.

Eh bien, comme Jésus a surpris en recrutant ses disciples dans le camp douteux, celui de la Galilée des païens, plongée dans la nuit, selon Ésaïe, comme les poissons au fond de son lac, lui, Jésus, qui est toujours le même, est toujours en passe de nous surprendre en portant un regard plus favorable qu’on ne le voudrait sur ceux qui nous paraissent à nous un peu douteux, ou héritiers d’un passé douteux. Jésus est devenu l’un d’eux, Galiléen. Dieu est toujours en situation de faire toutes choses nouvelles.

Des textes comme celui d’aujourd’hui, qui insistent tant sur l’importance de la Galilée, terre juive elle aussi, comme la Judée, font qu’il faut voir dans ces tensions au cœur des Évangiles, aussi des tensions régionales, voire quelque peu régionalistes, concernant des revendications de primauté d’un lieu sur l’autre, d’une pratique religieuse sur l’autre, etc. Trois tendances régionales se font concurrence alors, celle de la Judée, celle de la Galilée, celle de la Samarie. La mieux vue, parce que celle de la capitale, avec son Temple superbe, est celle de la Judée, qui a donné son nom finalement à tous les autres, au point qu’à l’étranger, hors d’Israël, on appelle tout le monde des Juifs — nom, au sens strict et originel, des habitants de la Judée — distinguant mal entre les Judéens et les Galiléens, voire autres Samaritains.

Or, comme l’Évangile s’est largement répandu hors des frontières d’Israël, on en est venu à prendre des querelles régionales internes pour une opposition de Jésus contre les juifs en général, même d'hors de la Judée. Et puisque le courant pharisien était si important dans les tendances religieuses juives, on est est venu à confondre le tout : Jésus considéré contre tous ceux-là, les chrétiens feront de même. Ça en serait presque à se demander si Jésus était juif lui-même ! Ce méli-mélo s’estompe si on perçoit bien les tensions régionales internes, non pas entre juifs et chrétiens, qui n’existent pas encore, mais — sans compter les Samaritains — entre Judéens et Galiléens.

Et voilà que Jésus offre à ces Galiléens à moitié dans la nuit — à l'appui de la citation que fait Matthieu d'Ésaïe « le peuple qui marche dans les ténèbres » — la primeur de son message : c’est comme si demain, les choses importantes cessaient de se passer à Paris, alors qu’à l’étranger, on a parfois l’habitude de confondre la capitale avec la France en général. Voilà qui aurait un petit parfum de querelles régionalistes. Et pour le dire d’une autre façon, en termes plus religieux, il est opportun de penser à cela en ces temps de prière pour l’unité : Dieu peut toujours nous surprendre en appelant les Galiléens avant nous…

Peuple probablement en outre complexé face à ceux qui sont en vue, peuple de Galilée que Jésus prend en affection, n’ignorant pas que dans les temps de crise, il se retournera éventuellement contre lui — cela à l'appui de complexes d'infériorité, et en mal de soulagement des ressentiments qui en naissent.

Jésus n’en comprend pas moins leurs difficultés, apportant autant que possible ce qu’ainsi ils n’auront pas besoin d’aller chercher ailleurs. « Tu brises aujourd'hui le joug de l'oppression qui pèse sur ton peuple, la barre qui écrase ses épaules, le bâton dont on le frappe » (És 9, 3). Ce faisant Jésus court le risque qui fait que cela se retournera contre lui. Son message n’est pas dans les illusions auxquelles on succombe si facilement. Son message, lumière éblouissante, est chargé d’une croix : la vie qu'offre Jésus n’est pas cette auberge espagnole où chacun amène tous ses désirs et les voit enfin comblés.

*

Les ténèbres de la Galilée d'Ésaïe rappelées lors de la vocation des disciples valent pour quiconque est appelé par Dieu. C'est au cœur de notre Galilée, de nos ténèbres, que Jésus nous précède — aveuglés face à sa lumière éblouissante, aussi. Luther le dit ainsi : « Dieu m’a poussé de l’avant comme une mule à qui l’on aurait bandé les yeux […]. C’est ainsi que j’ai été poussé en dépit de moi au ministère d’enseignement et de prédication ; mais si j’avais su ce que je sais maintenant [l’opposition que cela me vaut], c’est à peine si dix chevaux auraient pu m’y pousser. C’est ainsi que se plaignent aussi Moïse et Jérémie d’avoir été trompés. » (Propos de table, cité par Volz dans son Commentaire, p. 208.)

Luther évoque Jérémie, qui s'épanche devant Dieu en disant : « Tu m'as séduit, Seigneur, Et je me suis laissé séduire ; tu m'as saisi et tu as vaincu. Et je suis chaque jour en dérision, tout le monde se moque de moi. » (Jér 20 v. 7.)

On imagine combien Pierre, André, Jacques, qui aujourd’hui quittent leur barque, tous trois morts martyrs, peuvent faire leurs de telles paroles à la fin de leur vie.

En fait, la paix, la vraie paix qu’amène Jésus est une paix que le monde ne connaît pas, un bien-être qui n’est pas forcément celui de voir tout réussir à tous les plans. Une joie qui est celle de savoir que l’on a répondu à l’appel de la vérité. C’est là le bonheur, le salaire nouveau des disciples qui abandonnent tout pour lui, pas comme on abandonne tout pour un « gourou ». Aucune illusion : demain ne sera pas facile. C'est aussi cela être disciple. Demain, il faudra encore manger à la sueur de son front, mais une route est commencée, qui mène, via la croix, à la vraie vie, au Royaume, qui s’accomplira dans la Résurrection.

Cela via la croix, où, dit le Psaume 69 relu comme annonçant la croix, on est plongé dans des eaux qui « viennent jusqu'à la gorge » (v. 2). Vocation de disciples appelés à être pêcheurs d'hommes, en annonçant celui qui les a rejoints, qui nous a rejoints jusqu'au fond des abîmes où nous aurions été engloutis… Il n'est pas d'émergence dans la lumière de la résurrection, d'émergence à la vie qui ne soit repêchage depuis l'abîme de la croix.

Ce qu’écrira bien plus tard un grand témoin de Jésus du Moyen Âge, Thomas A Kempis, dans son livre L’imitation de Jésus-Christ en ces termes : « Jésus trouve beaucoup de personnes désirant son royaume céleste, mais peu partageant sa croix ; beaucoup souhaitant ses consolations, mais peu aimant ses douleurs. Beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son abstinence. Tous désirent se réjouir avec lui, mais peu veulent souffrir quelque chose pour lui. Beaucoup suivent Jésus jusqu’à la fraction du pain, mais peu jusqu’à boire la coupe de sa passion. Beaucoup admirent ses miracles, mais peu recherchent l’ignominie de sa croix. Beaucoup admirent Jésus tant que l’adversité n’arrive pas…
« Ceux qui aiment Jésus pour lui-même […] le bénissent en toute épreuve et dans l’angoisse du cœur comme dans la plus grande joie. Et ne voulût-il jamais les consoler, ils le loueraient néanmoins toujours et toujours lui rendraient grâces.
« Donne-moi, Seigneur, de savoir ce que je dois savoir, d’aimer ce que je dois aimer, d’estimer ce qui est précieux devant toi et de blâmer ce qui est vil à tes yeux. Ne me laisse pas juger d’après les dehors que l’œil aperçoit, ni prononcer sur le rapport des hommes peu sensés ; mais fais-moi discerner avec justesse les choses sensibles et les choses spirituelles, et chercher surtout et toujours ton bon plaisir »
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(Textes du jour : Ésaïe 8, 23-9, 4 ; Psaume 27 ; 1 Corinthiens 1, 10-17 ; Matthieu 4, 12-23)


dimanche 15 janvier 2023

S'effacer...




Jean 1, 29-34
29 Le lendemain, il voit Jésus qui vient vers lui et il dit : "Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
30 C’est de lui que j’ai dit: Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était.
31 Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c’est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau."
32 Et Jean porta son témoignage en disant : "J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui.
33 Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit : Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint.
34 Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu."

*

(Textes du jour : Ésaïe 49, 3-6 ; Psaume 40 ; 1 Co 1, 1-3 ; Jean 1, 29-34)

*

Du temps de l'Avent au baptême de Jésus, la figure de Jean le Baptiste est dans les Évangiles celle d'un homme qui s'efface, qui se met en retrait devant celui qui l'a précédé, celui qui est plus grand que lui, celui qui donne un autre sens à son baptême…

Voici qu’aujourd'hui il se présente devant Jean. C'est celui dont il affirme : « C’est de lui que j’ai dit : Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. » (v. 30). C'est le rôle de Jean : témoigner d’un plus grand que lui. Un témoin. Comme un témoin planté dans le sable du désert apparaît avant la lumière, avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. Invisible dans les ténèbres. « Il vient après moi, mais il était avant moi », dit Jean de Jésus.

Là est toute la mission et la prédication du prophète : s’abaisser, être simple ombre, pour faire apparaître la lumière. Qui s’abaisse jusqu’à jouer son vrai rôle d’ombre-témoin est signe du Christ ; mais qui s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, brillant, exalte sa piété, son savoir, sa beauté, sa richesse, ses titres — autant de pâles loupiotes en regard de la lumière de celui qui est lumière — qui s'élève cherche donc nécessairement à vivre dans les ténèbres pour mettre en relief cela, qui ne se voit pas dans la lumière : si une faible loupiote doit briller, il lui faut du sombre, il ne faut pas qu’elle soit allumée en plein jour…

Jean a choisi : s’effacer ; plus que briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière.

Si la prédication de Jean et son baptême sont l’ombre de la lumière, à combien plus forte raison nos paroles et nos gestes à nous. C’est le baptême spirituel, administré de façon invisible, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve — et point les bains et autres ablutions que seules peuvent administrer les hommes. Comme le dit Jean de lui-même, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, pas de communiquer l’Esprit. Ainsi, ce ne sont point nos paroles et nos gestes symboliques, aussi pertinents seraient-ils, qui sont vérité — mais c’est la Parole éternelle seule, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver.

C’est ainsi qu’à présent le témoin Jean, le Baptiste, nous présente Jésus comme l’homme de l’humilité, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », réminiscence de l’humilité du serviteur du Livre d’Ésaïe en cette section du Livre d’Ésaïe que nous appelons « Chants du Serviteur ». Un Serviteur que le Baptiste et les témoins du Nouveau Testament reconnaissent en Jésus, désigné à présent comme « l'Agneau de Dieu ».

*

« Agneau de Dieu ». À cette formule, à l’époque, se superposent des correspondances, essentiellement liées à la Pâque. Cette simple formule de Jean, « l'Agneau de Dieu » signifie alors beaucoup de choses. La signification première étant l’agneau de la fête de la Pâque, l'agneau que l’on mange en famille en se souvenant que sa mort a évité au peuple la mort que subissaient les gens de Pharaon.

Jésus à son tour rappellera l’utilisation de cette parole lors de la commémoration de son dernier repas. À l’instar de l’agneau, il fait don de soi, solidaire de tous les autres. C'est en s'identifiant au peuple pécheur, que Jésus apparaît comme « agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » — qui donc délivre de la mort comme lors de l'Exode. Où l’on retrouve le Serviteur du Livre d'Ésaïe.

C'est comme un être faible (És 49, 4) au sein d'un peuple opprimé, affaibli, sans force, que le Serviteur du livre d'Ésaïe reçoit de la faveur de Dieu, qui est sa force (v. 5), l'investiture qui en fait son porte-parole jusqu'aux extrémités de la Terre (És 49, 5-6). Un agneau… C'est ce Serviteur-là dont Ésaïe 42 nous disait qu'il n'élève pas la voix, qu'il ne brise pas le roseau blessé, figure qui annonce le ministère de Jésus. Au-delà d’Ésaïe se dessine donc bien l’Agneau de l’Exode auquel Ésaïe renvoie ; ainsi, par-delà l’Exode, qu’à Isaac, le fils d’Abraham au moment de sa ligature demandant : où est l'agneau ? Autant de figures de faiblesse, d’humilité.

*

… Tout comme l'humilité de Jésus nous rejoint jusqu'à la douleur de sa mort : il nous rejoint jusqu'aux sinuosités de nos égarements, par quoi il nous garantit que rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu (Romains 8, 38-39), pas même nos propres tortuosités. Il « enlève le péché du monde ».

On est bien alors dans une relecture d'Ésaïe 53 : « il enlève le péché du monde ». Ésaïe 53 : un homme est mis en cause, persécuté, exécuté… Quel délit présumé ? Qu’est-ce qui a mené à la situation qui voit le Serviteur du livre d’Ésaïe subir la violence persécutrice ? Ésaïe l’ignore ! Aucun acte d’accusation, pas de procès verbal. La cause, le prétexte de la mise à mort du Serviteur n’ont manifestement pas d’importance ici ! C’est un prétexte, précisément !

De même qui est ce Serviteur souffrant ?… Il y a eu de nombreux débats pour savoir de qui il s’agit, sans que l'on parvienne à trancher… Voilà un texte apparemment difficilement compréhensible : sauf à le prendre comme parole — poétique — dévoilant autre chose. Au-delà de l’enracinement historique, que le texte ne donne pas, ce qui est dévoilé là est un phénomène humain, universellement humain…

On connaît la lecture que René Girard a faite du phénomène universel du sacrifice, et la particularité de la reprise de ce phénomène dans la tradition biblique : toute querelle est le dévoilement d’une imitation les uns des autres dans la convoitise de ce qui est jugé désirable : tous désirent la même chose et cela finit invariablement en conflit. Entre temps, l’objet de la querelle initiale a été oublié, tandis que les rivalités se sont propagées. Le conflit s’est généralisé en « guerre de tous contre tous » — « crise mimétique » dit René Girard.

Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, les hommes ont trouvé « l'idée » d'un « bouc émissaire » (le terme réfère à l'animal expulsé au désert chargé symboliquement des péchés du peuple selon Lévitique 16) : au paroxysme de la crise, du conflit de tous contre tous se produit éventuellement un « mécanisme victimaire », mécanisme salvateur : le conflit généralisé se transforme en un tous contre un (ou une minorité), qui n'a d'ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ !

L’élimination de la victime éteint le désir de violence qui pouvait animer chacun juste avant que celle-ci ne meure. Le groupe — « nous » (v. 2-6) — retrouve alors son calme via « le châtiment qui nous donne la paix » (És 53, v. 5). Cela « nous » concerne (le nombre de « nous » dans les versets 2 à 6). La victime apparaît alors comme fondement de la crise et comme auteur de la paix retrouvée — par une sorte de « plus jamais ça ».

La caractéristique de la Bible est de révéler que la victime est innocente, ce qu’ignorent les mythes des autres traditions. On est au cœur d’Ésaïe 53 : le persécuté est innocent (v. 6). On comprend dès lors pourquoi les chrétiens ont vu là la figure du Christ, qui n’a sans doute pas manqué de méditer lui-même la profonde leçon d’Ésaïe 53 : la violence est vaincue quand la victime ne joue pas le jeu. « Agneau de Dieu », qui comme tel, « enlève le péché du monde », en le dévoilant comme péché : accuser et condamner l'innocent !

*

L' « Agneau de Dieu », innocent, nous a rejoints, devant Jean « baptisant en vue de la repentance », jusqu'à nos repentirs et jusqu'à nos prières. Il nous rejoint jusqu'à nos prières avec tout ce qu'elles peuvent avoir de tortueux, mesquin ou commerçant ; ou au mieux ce qu'elles peuvent avoir de marqué par ce que nous sommes. Le Christ n'a-t-il pas fait siens les Psaumes d'hommes chargés de faiblesses, de désirs de vengeance et d'auto-justifications ? Et c'est pour cela que nous louons Dieu avec les Psaumes, ces Psaumes qui nous ressemblent.

Jésus nous rejoint dans les faiblesses qui sont les nôtres, et élève par sa mort, dans les eaux de cet autre baptême, qui « lui viennent jusqu'à la gorge » (Ps 69, 2), ces prières de nos faiblesses jusqu'à la gloire de la filiation éternelle. Il nous rejoint, aux pieds du Baptiste, jusque dans nos repentirs, accomplissant toute justice. Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu, peut dire le Baptiste.

*

Jean, le plus grand des prophètes, en dira Jésus, a su la grandeur du Royaume de Dieu qui se manifeste devant lui en Jésus. La grâce précédant l'univers, devançant les prophètes, qui se présente aujourd'hui, en Jésus Christ — « il était avant moi » —, est plus grande que nos désespoirs. C'est là ce que voient ces premiers disciples que nous présente l'Évangile de Jean : ils voient où Jésus demeure (Jean 1, 39). Dès avant que le monde fût, il demeure dans le sein du Père, d'où il répand la grâce et la vérité.

C’est tout le sens de ce propos étrange : « Un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. Moi-même, je ne le connaissais pas ». Jean s'efface devant un homme qui vient d’auprès de Dieu en qui il demeure dans toute l’éternité, et qui de la gloire éternelle, s'efface en venant nous rejoindre au cœur de nos réalités, même les plus désespérantes.

C'est là l'Agneau de Dieu, le Serviteur humilié, qui ainsi, enlève le péché du monde.


RP, Poitiers, 15/01/23
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dimanche 8 janvier 2023

Lumière du monde





Ésaïe 60, 1-6
1 Lève-toi, brille, car ta lumière paraît,
Et la gloire du Seigneur se lève sur toi.
2 Car voici que les ténèbres couvrent la terre
Et l’obscurité les peuples ;
Mais sur toi le Seigneur se lève,
Sur toi sa gloire apparaît.
3 Des nations marcheront à ta lumière
Et des rois à la clarté de ton aurore.
4 Porte tes yeux alentour et regarde :
Tous ils se rassemblent,
Ils viennent vers toi ;
Tes fils arrivent de loin,
Et tes filles sont portées sur les bras.
5 A cette vue tu seras radieuse,
Ton cœur bondira et se dilatera,
Quand les richesses seront détournées de la mer vers toi,
Quand les ressources des nations viendront vers toi.
6 Tu seras couverte d'une foule de chameaux,
Ainsi que de dromadaires de Madian et d’Épha ;
Ils viendront tous de Saba ;
Ils porteront de l’or et de l’encens
Et annonceront les louanges du Seigneur.

*

(Textes du jour : Ésaïe 60, 1-6 ; Psaume 72 ; Ep 3, 2-3a & 5-6 ; Matthieu 2, 1-12)

*

Toutes choses ont commencé ainsi : dans une Parole qui fait venir le monde des ténèbres à la lumière — « que la lumière soit, et la lumière fut » ; Parole créatrice qui a fait naître le chaos de 13, 8 milliards d’années pour le jour de la Parole prononcée dans la lumière créatrice ; une Parole qui résonne dans le temps du récit de la Genèse selon la tradition juive il y a 5783 ans.

Et à nouveau, comme reprise, la promesse d’Ésaïe (ch. 9, v. 1) :
Le peuple qui marchait dans les ténèbres
voit une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre,
une lumière resplendit.
Ce texte lu à Noël nous rappelle que cette même Parole qui fait sortir la vie des ténèbres est à nouveau au recommencement de toute chose. Car le monde, qui n’est pas pleinement sorti de la nuit, est appelé à renaître, à accéder à sa plénitude en paraissant en pleine lumière. Alors, « Lève-toi, brille, car ta lumière paraît ».

C’est cette lumière que nous célébrons, qui nous est donnée comme la vraie lumière qui éclaire tout être humain venant dans le monde.

Un monde extrait des ténèbres qui précèdent cette Parole illuminatrice. Ésaïe 9, 1 & 5 :
Le peuple qui marchait dans les ténèbres
voit une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre,
une lumière resplendit.
[…]
Car un enfant nous est né,
un fils nous est donné.

Reprise — Matthieu 2, 1-9
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des Mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent : "Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les Mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant : "Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu'ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.

Voilà donc que se présentent les fameux Mages venus d’Orient (Matthieu 2, 1-12). Les voilà bientôt sacrés rois (en regard d’Ésaïe 60 que nous avons lu, ou du Psaume 72, Psaume de ce jour, etc.), trois rois représentant les trois continents d’alors (Afrique, Asie, Europe), là où Matthieu les présentait comme des sortes de prêtres de la religion mazdéenne d'alors, la religion des Mages. Selon la prophétie d’Ésaïe, le Messie biblique concerne aussi les païens / les nations.

Les nations comme son peuple s’originent en la Parole créatrice qui est « la lumière du monde » (Jean 8, 12), avant la lumière naturelle (Jean 1, 9-10). Lorsqu'elle s'exprime, la lumière apparaît : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut » (Genèse 1, 3). Cette vraie lumière est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme.

Cette lumière nous est donnée comme celle de Noël, ici symbolisée dans un astre se levant à l’Orient. Le déroulement ultérieur de la création est le développement de l’illumination donnée à Noël, illumination du monde pour sa sortie du chaos et des ténèbres. Les choses s’ordonnent en se distinguant, en se séparant : ainsi en premier, dit la Genèse, le jour d’avec la nuit.

C’est cette même Parole qui nous fait venir à l’être qui peut aussi nous faire venir à la vie de Dieu, à la vie éternelle, pourvu que nous l’accueillions. Car le monde, dès lors qu’il ne reçoit pas cette Parole par laquelle il existe, est dans les ténèbres, selon que c’est cette Parole qui sépare la lumière des ténèbres.

Cette Parole de lumière est venue à Noël, comme petit enfant, de sorte que nous puissions l’accueillir le plus simplement… Donnant, à qui l’accueille, le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Autant de porteurs de cette Parole qui fait venir à la vie, lesquels ne sont pas nés de la chair, mais de Dieu. Recevoir la Parole qui fait advenir à la vie dans l’éternité.

Face à cela, les ténèbres naturelles sont le signe qu’il est une seule limite au déploiement de la lumière. Ne pas l’accueillir. Mais que de possibilités s’ouvrent au contraire par cet accueil : le pouvoir de devenir enfants de Dieu, par l’accueil, dans la foi, de cette Parole et de sa lumière. C'est là le vrai cadeau de Noël.

Matthieu 2, 10-11
10 À la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Que cette Parole, dont nous célébrons la naissance en Marie il y a deux mille ans, Parole éternelle qui nous a créés, promise à une souveraineté sans fin, Parole éternelle qui nous illumine — naisse en chacun de nous pour nous rendre féconds en Dieu.

Ésaïe 60, 1-3
1 Lève-toi, brille, car ta lumière paraît, Et la gloire du Seigneur se lève sur toi.
2 Car voici que les ténèbres couvrent la terre Et l'obscurité les peuples ;
Mais sur toi le Seigneur se lève, Sur toi sa gloire apparaît.
3 Des nations marcheront à ta lumière Et des rois à la clarté de ton aurore.

Que cette Parole fasse germer en nous la grâce de l’accueillir d’où qu’elle vienne ; de ne pas endurcir notre cœur lorsque nous l’entendons où nous ne l’attendrions pas ; car Dieu a pour habitude de déguiser ses anges, comme il a déguisé Marie et Joseph en étrangers que l’on n’a pas su accueillir. Accueillir la Parole créatrice, illuminatrice, source de la vie nouvelle. Cette Parole nous est donnée comme le Fils unique de Dieu, « Prince de la paix » en qui demeure pour nous le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

Matthieu 2, 12
Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, les Mages se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.


RP, Poitiers, 8/01/2023
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dimanche 1 janvier 2023

Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! Paix sur la terre





Nombres 6, 24-26
Que le Seigneur te bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son visage et t’accorde sa grâce !
Que le Seigneur porte sur toi son regard et te donne la paix !


Luc 2, 13-21
13 Et soudain il se joignit à l’ange [qui vient d'annoncer aux bergers la naissance du Christ] une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :
14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés."
15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche.
17 Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.
18 Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers.
19 Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur.
20 Et les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.
21 Quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception.

*

(Lectures du jour : Nombres 6, 22-27 ; Psaume 67 ; Galates 4, 4-7 ; Luc 2, 16-21)

*

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ont chanté les anges — « multitude de l’armée céleste » (v. 13-14). Il s’est passé là quelque chose d’extraordinaire, qui fait chanter toute la Création visible et invisible.

D’un côté toute la puissance — la Création et ses fondements célestes, les armées célestes ; de l’autre l’humilité de la crèche où naît le souverain de toutes ces armées célestes.

Les armées célestes viennent de se joindre à l’ange annonciateur, bouleversant mystère propre à terroriser les bergers. Un ange, même annonciateur d’une bonne nouvelle, est toujours impressionnant. Alors, quand s’y joint toute la « multitude de l’armée céleste »

Mais voilà donc que la chose essentielle, celle qu’ils chantent là, s’est passée à Bethléem, s’est passée dans l’humilité, et concerne celui qui vaut que toutes les puissances de .la Création y joignent leur louange.

Cela concerne les bergers, et nous concerne avec eux. Cela aussi les anges le clament ! C’est le deuxième aspect de leur chant de louange : « paix sur la terre parmi les hommes au bénéfice de sa bienveillance »(v. 14)

La paix de Dieu, sa bienveillance accordée en plénitude, et signifiée ici dans la banalité que porte l’apparence de l’enfant pour qui s’élève la louange de toute la Création, cette paix se donne à expérimenter dans la bienveillance qui en découle parmi les hommes, puis depuis les hommes qui deviennent par leur bienveillance autant de signes de ce que la bienveillance divine est effectivement octroyée — et qu’elle se répand.

Là est tout le contraste que nous donne ce chant de louange angélique entre la puissance divine dans la Création, la magnificence du Créateur, et son effacement dans l’enfant en lequel il vient à nous.

*

À ce moment le récit entre dans toute son humilité, sa simplicité, ce que nous savons communément nous figurer : « Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche » (v. 16). Mais là est tout le salut ! « Après l’avoir vu, les bergers racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant » (v. 17). Rien de plus à dire !

Qu’à s’étonner, comme l’ont fait les auditeurs des bergers (v. 18), et à méditer, comme la mère de l’enfant : « Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur » (v. 19). Et reprendre nos chemins avec les bergers qui « s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit » (v. 20).

L’enfant, lui aussi, poursuit sa route d’humilité, chemin de tous les humains, chemin de ceux de son peuple. Déjà ses parents le mènent sur ce chemin et le présentent à sa circoncision : « quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception » (v. 21).

Signe extraordinaire à nouveau de ce qu’en lui est le salut des nations, — salut qui selon les promesses des prophètes, découle de Jérusalem (où va se poursuivre le récit), ville, en cet espace romain des nations, du peuple de la circoncision, Cité des origines et demain Cité céleste. Ce signe est en ce que l’Église, qui rassemble les nations autour de cet enfant, datera ses années, non pas du jour de sa naissance, mais du jour de sa circoncision : nous avons fêté sa naissance il y a huit jours. Aujourd’hui, 1er jour de l’année nouvelle, est commémoration de sa circoncision.

Le Créateur tout-puissant célébré par les armées célestes a bien répandu sa bienveillance, depuis le cœur de Jérusalem, envers toutes les nations, pour que comme en cascades cette bienveillance qui jaillit de la crèche de l’enfant jusqu’en sa résurrection, se répande désormais parmi les hommes et les femmes ce monde et par les hommes et les femmes de ce monde.

*

Et cela se donne dans ce simple dévoilement : « Christ, Dieu et homme, ne fait qu’une seule personne. Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ. Aussi, quand nous réfléchissons à Dieu, nous faut-il perdre de vue l’espace et le temps, car Notre-Seigneur Dieu, notre créateur est infiniment plus haut que l’espace, le temps et la création. » J’ai cité Martin Luther (Propos de Table, Aubier 1992, p. 204).

Dans l’espace et le temps, il a donné ce signe de sa présence aux bergers, puis par eux à tous : l’humanité du Christ.

« Les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu » (Luc 2, 20)… Que ce chemin des bergers soit celui qui s’ouvre dès à présent pour chacun de vous et de ceux qui vous sont chers… Ce sont les vœux que je formule pour chacune et chacun de vous pour 2023…


R.P. Châtellerault, 01.01.23
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