Matthieu 5, 1-12
Les Béatitudes introduisent dans l’Évangile de Matthieu le Sermon sur Montagne (ch. 5-7), où Jésus nous livre sa lecture de la Bible, désignée sous l'expression la Loi et les Prophètes, nous rappelant : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour observer pleinement » (Mt 5, 17) — cette Loi qui se résume au commandement d'amour pour Dieu (Dt 6, 4-5) qui se traduit comme amour du prochain (Lv 19-18 / 1 Jn 4, 20).
La Loi se trouve ainsi au cœur du Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile, comme bonne nouvelle de la libération, se trouve aussi dans la Bible hébraïque. Sous un certain angle l’Évangile est la Loi elle-même, loi de liberté et de grâce. Jésus annonce le Règne de Dieu, ou « des cieux » — selon le respect de la Torah qui enseigne de ne pas prononcer le Nom en vain.
Des Béatitudes à l'appel à bâtir sur le roc de l'enseignement reçu des Écritures, dont « pas un trait de lettre ne passera » (Mt 5, 18), Jésus nous conduit au cœur du message de libération et de grâce qui retentit comme parole d’Éternité que le temps ne saurait éroder : « le ciel et la terre passeront, la Parole de Dieu subsiste au-delà du temps » (cf. Mt 24, 35 ; És 40, 8).
« Heureux », le mot des Béatitudes reprend le premier mot des Psaumes (premier livre de la troisième partie de la Bible après la Loi et les Prophètes), Psaumes dans le judaïsme comme la relecture priante de la Torah et dont le Notre Père, que l'on trouve au cœur du Sermon sur la montagne, est un résumé, — le premier mot des Psaumes, au Psaume 1, « heureux », parle du bonheur de vivre de la Loi, la Torah :
Il s'agit bien là d'observance de la Loi, précisément dans sa racine intérieure, quand plus rien de ce qu'elle promet ne se voit. Alors, le bonheur — selon ce sens du mot béatitude — est comme l’ouverture cachée derrière nos échecs et nos défaites ; en écho à la parole du prophète Zacharie (ch. 4, v. 6) : « ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon esprit, dit l’Éternel ». La puissance et la force échouent toujours à faire advenir le Règne de Dieu comme règne du bonheur : il ne vient pas par la puissance des pouvoirs et des conquêtes, dont l'échec ne se compense pas non plus par la force désespérée (qui glisse à la terreur !). Cela est au cœur des Béatitudes. « Heureux ceux qui font œuvre de paix car ils seront appelés fils de Dieu. » — « Heureux les doux car ils auront la terre en partage. » Le bonheur comme face cachée de nos impasses lorsqu’elles sont reconnues. Cela à l’encontre de l'apparence… qui fascine.
1 À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Et, prenant la parole, il les enseignait :
3 « Heureux les pauvres de cœur car le Royaume des cieux est à eux.
4 Heureux les doux car ils auront la terre en partage.
5 Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés.
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice car ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux car il leur sera fait miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu.
9 Heureux ceux qui font œuvre de paix car ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice car le Royaume des cieux est à eux.
11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. »
*
Les Béatitudes introduisent dans l’Évangile de Matthieu le Sermon sur Montagne (ch. 5-7), où Jésus nous livre sa lecture de la Bible, désignée sous l'expression la Loi et les Prophètes, nous rappelant : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour observer pleinement » (Mt 5, 17) — cette Loi qui se résume au commandement d'amour pour Dieu (Dt 6, 4-5) qui se traduit comme amour du prochain (Lv 19-18 / 1 Jn 4, 20).
La Loi se trouve ainsi au cœur du Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile, comme bonne nouvelle de la libération, se trouve aussi dans la Bible hébraïque. Sous un certain angle l’Évangile est la Loi elle-même, loi de liberté et de grâce. Jésus annonce le Règne de Dieu, ou « des cieux » — selon le respect de la Torah qui enseigne de ne pas prononcer le Nom en vain.
Des Béatitudes à l'appel à bâtir sur le roc de l'enseignement reçu des Écritures, dont « pas un trait de lettre ne passera » (Mt 5, 18), Jésus nous conduit au cœur du message de libération et de grâce qui retentit comme parole d’Éternité que le temps ne saurait éroder : « le ciel et la terre passeront, la Parole de Dieu subsiste au-delà du temps » (cf. Mt 24, 35 ; És 40, 8).
« Heureux », le mot des Béatitudes reprend le premier mot des Psaumes (premier livre de la troisième partie de la Bible après la Loi et les Prophètes), Psaumes dans le judaïsme comme la relecture priante de la Torah et dont le Notre Père, que l'on trouve au cœur du Sermon sur la montagne, est un résumé, — le premier mot des Psaumes, au Psaume 1, « heureux », parle du bonheur de vivre de la Loi, la Torah :
1 Heureux
[…]
2 qui se plaît à la loi du Seigneur
et la médite jour et nuit !
3 Il est comme un arbre planté près des ruisseaux :
il donne du fruit en sa saison
et son feuillage ne se flétrit pas ;
il réussit tout ce qu’il fait.
Il s'agit bien là d'observance de la Loi, précisément dans sa racine intérieure, quand plus rien de ce qu'elle promet ne se voit. Alors, le bonheur — selon ce sens du mot béatitude — est comme l’ouverture cachée derrière nos échecs et nos défaites ; en écho à la parole du prophète Zacharie (ch. 4, v. 6) : « ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon esprit, dit l’Éternel ». La puissance et la force échouent toujours à faire advenir le Règne de Dieu comme règne du bonheur : il ne vient pas par la puissance des pouvoirs et des conquêtes, dont l'échec ne se compense pas non plus par la force désespérée (qui glisse à la terreur !). Cela est au cœur des Béatitudes. « Heureux ceux qui font œuvre de paix car ils seront appelés fils de Dieu. » — « Heureux les doux car ils auront la terre en partage. » Le bonheur comme face cachée de nos impasses lorsqu’elles sont reconnues. Cela à l’encontre de l'apparence… qui fascine.
Alors, selon les quelques versets qui suivent les Béatitudes, nous pouvons devenir sel de la terre, qui lui donne du goût et la préserve de se corrompre ; et lumière du monde, qui rayonne depuis l'être intérieur de qui y scelle l'enseignement de la Parole de vie.
Nous voilà, en d’autres termes, appelés à la douceur, non à la contrainte ("heureux les doux car ils auront la terre en partage") ; et appelés à la profondeur intérieure, non à la superficialité. Refuser les copies superficielles de la vie, qui voudraient que le bonheur ne soit nulle part ailleurs que dans ce qui impressionne, la force comme l’aisance matérielle avec son rassasiement, les réjouissances (mais "heureux ceux qui pleurent"), la considération que nous porte autrui (mais "heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte"). Jésus enseigne que le bonheur est à peu près le contraire. Tout ce qui impressionne n'est que clinquant et qui s'y fie rate le bonheur. Ce n’est pas qu'il faille souhaiter la pauvreté, la faim, le deuil, et d'être rejeté et haï !… Mais c’est pourtant pas loin de là que demeure, de façon cachée, la source du bonheur (v. 11-12)…
Où la richesse devient masque de malheur ("Heureux ceux qui ont un esprit de pauvreté"), où les fêtes dans les jours sombres sont une façon d’engloutir dans le bruit le manque et la soif de vérité. Où elles deviennent comme des cris étouffés de détresse secrète, cris de la faim de lumière, de présence, de justice ("heureux ceux qui ont faim et soif de la justice"). Où elles ne sont plus que signes éclatants de solitude, comme des masques carnavalesques de larmes près de jaillir… Et le désir d'être bien vu une lâcheté paralysant au fond des cœurs les paroles et les gestes de vérité, cette envie qui tenaille d'être enfin vrais ! Face à cela est cet étrange bonheur que proclame Jésus ! Un bonheur au-delà des apparences qui est de vivre dans l'intériorité l’enseignement biblique — au mépris de la violence, qui relève aussi de la vanité.
Ce faisant, si on est très proche des Psaumes, comme le Psaume 1, on l'a vu, on est très proche aussi de l'Ecclésiaste, qui conclut son discours par « crains Dieu et observe ses commandements, c'est là tout l'homme » (Ecc 12, 13), le cœur des commandements consistant à aimer autrui, en se mettant à sa place. Quant à l'Ecclésiaste, dont on retrouve bien des accents dans le Sermon sur la montagne, il nous permet de ne pas recevoir le bonheur des Béatitudes comme un bonheur d'arrière-monde qui serait le lot futur de ceux qui décideraient de ne pas vivre dans le temps ! Au contraire, "heureux les cœurs purs car ils verront Dieu" — dans le miroir même de la vie, la récompense donnée étant de vivre dans la présence de Dieu. Aujourd'hui, dit le Deutéronome, choisis la vie !
Ainsi, Ecclésiaste 5, 18-20 :
18 Voici ce que j’ai vu : c’est une chose bonne et belle de manger et de boire, et de jouir du bien-être au milieu de tout le travail qu’on fait sous le soleil, pendant le nombre des jours de vie que Dieu a donnés ; c’est là ta part.
19 Mais, si Dieu a donné à quelqu’un des richesses et des biens, s’il l’a rendu maître d’en manger, d’en prendre sa part, et de se réjouir au milieu de son travail, c’est là un don de Dieu.
20 […] parce que Dieu répand la joie dans son cœur.
Chez l'Ecclésiaste, ce qui permet en tout temps la perception de ce bonheur est la conscience du don de Dieu.
Ecclésiaste 6, 2 : « Il y a tel à qui Dieu a donné des richesses, des biens, et de la gloire, et qui ne manque pour son âme de rien de ce qu’il désire, mais que Dieu ne laisse pas maître d’en jouir, car c’est un autre qui en jouira. C’est là une vanité et un mal grave. »
Face à cette vanité, qui reste vanité quoiqu'il en soit, s'offre la conscience reconnaissante du don de Dieu. Là est la racine du bonheur, bref, les Béatitudes…
*
« Crains Dieu et observe ses commandements, c'est là tout l'homme ».
Cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — aussi bien que comme règle morale.
L’aspect cérémoniel parle du sens du culte : dessiner la dimension verticale de nos vies, la dimension de la relation avec Dieu, qui occupe fortement les quatre premières paroles du Décalogue. Car la dimension verticale de nos vies se dessine pour nous via des rites et des cérémonies, que ces rites soient chrétiens, juifs, ou autres : musulmans, hindous, etc. Il se trouve que pour Jésus, ce sont des rites juifs, ceux de la Torah. C’est aussi le cas dans le Nouveau Testament pour le rituel chrétien qui en est issu. Notre culte s’ancre sur celui d’Israël que pratiquait Jésus. Sous cet angle, l’observance de la Loi de Moïse pour les chrétiens est le fait d’Israël : l’observance juive vivante. Le christianisme des nations sans ce vis-à-vis serait tout simplement bancal. Cela nous conduit à réaliser la nature relationnelle du christianisme.
Quant à l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection — au-delà du Décalogue, il se résume à la deuxième partie du « double commandement » d’aimer le Seigneur et son prochain ; i.e. « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse (Hillel) / fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse (Jésus) » — ("Heureux les miséricordieux") ; cet aspect de la Loi n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances. Il concerne donc toutes et tous, au-delà du temps de l'Israël biblique.
En son cœur, contre l'ambiance de mort qui empuantit notre actualité, on retrouve le « tu choisiras la vie » du Deutéronome, se déployant en injonctions comme « lève-toi et marche », commandement adressé par Pierre au paralytique dans les Actes des Apôtres ; ou, en Jean 11 : « sors de ta tombe », commandement adressé par Jésus à Lazare, autant d’applications du fameux « va pour toi » (lekh lekha) commandement adressé dans la Genèse à Abraham — et donc « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que donne le Deutéronome. Heureux celui, celle, qui entre ainsi dans la vie du Royaume des cieux, ancré au plus intime de l'être intérieur.
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