dimanche 28 mars 2021

Un royaume à l’envers




Ésaïe 50.4-7 ; Psaume 22 ; Philippiens 2.6-11 ; Marc 11.1-10

Zacharie 9, 9
Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici, ton roi vient à toi ; Il est juste et victorieux, Il est humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse.
Zacharie 4, 6
Ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon Esprit, dit le SEIGNEUR de l’univers.

*

Au jour où Jésus entre à Jérusalem, la ville est occupée par les armées romaines — qui finiront par la détruire. Jésus en a pleuré, nous dit l'Évangile de Luc (ch. 19, v. 41). Mais il annonce aussi que la victoire viendra quand même, de façon surprenante, mystérieuse, une victoire totale, jusque sur la mort, le dernier ennemi (1 Corinthiens 15, 26)… Une victoire pour un royaume à l’envers.

Déjà le prophète Zacharie parlait de la victoire inespérée du Seigneur sur la puissance des armées ennemies, et jusque sur le pouvoir de la mort, « ni par la puissance ni par la force, mais par mon Esprit, par mon Souffle, dit le Seigneur » (Zach 4, 6) — tandis que, toujours selon le prophète Zacharie, le Messie annoncé comme le futur roi David, le porteur de cette délivrance étonnante, arrive sur un ânon, un petit âne (Zach 9, 9).

Au jour des Rameaux, c’est encore cette espérance que porte l'ânon face à l’immense supériorité militaire de Rome ; c’est toujours l’espérance du prophète Zacharie, que veut encore redonner Jésus par le geste de son entrée dans Jérusalem au dos d’un ânon — qui n’est pas un cheval, pas un animal militaire, ni prestigieux, parce que, selon la prophétie de Zacharie : « ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais par mon Esprit, dit le Seigneur ».

*

Alors… — Marc 11, 1-10 — :
1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples
2 et leur dit : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n’a encore monté. Détachez-le et amenez-le.
3 Et si quelqu’un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ?” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” »
4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d’une porte, dans la rue. Ils le détachent.
5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu’avez-vous à détacher cet ânon ? »
6 Eux leur répondirent comme Jésus l’avait dit et on les laissa faire.
7 Ils amènent l’ânon à Jésus ; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s’assit dessus.
8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d’autres des feuillages qu’ils coupaient dans la campagne.
9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! »

*

Venu sur un ânon, Jésus présente un royaume à l’envers, celui d’un roi humble, pacifique, sans armes ni armée, accueilli au nom de Dieu — « Hosanna ! Sauve maintenant ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! » — au nom du Seigneur par lequel, par l’Esprit duquel, tout est toujours possible…

Ce n’est pas par la puissance de la force que l’on obtient la vraie délivrance, « c’est par mon Esprit, mon Souffle, dit le Seigneur. »

Or voilà que le signe de cette délivrance, par la puissance non de la force, mais du doux et léger Souffle de Dieu ; voilà que ce signe qu’est la venue du roi humble sur un ânon, vient d’être donné. Il entre sur un ânon…

*

« Lui qui est de condition divine
n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.
Mais il a de lui-même renoncé à tout ce qu'il avait, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux autres hommes, reconnu comme un simple homme,
il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix. »
(Philippiens 2, 6-8)

*

… Pour un royaume à l’envers. Car dans un royaume à l’endroit, ce n’est pas celui qui se fait serviteur qui règne, c’est au contraire celui qui se fait mousser, qui veut montrer à tout le monde combien il fait tout bien, et qui pour cela n’hésite pas à dénigrer les autres, ce que font ou, pense-t-il, ne font pas les autres… Au lieu d’être de ceux-là, pensons à la formule de l’acteur Robin Williams : « chaque personne que vous rencontrez est dans un combat dont vous ne savez rien. Alors soyez gentils. Toujours. »

Reconnaissons que grand ou petit, jeune ou vieux, nous voulons être le premier, le plus important, ou le plus apprécié ; nous avons à demander pardon de vouloir nous ranger devant les autres, de penser à nos désirs avant ceux des autres, parfois quitte à les dénigrer, les blesser.

Ce n’est pas l’Esprit de Dieu que cet esprit-là : « par mon Esprit, souffle doux et léger, pas par la puissance, ni par la force », ni en se faisant valoir, croyant et disant faire mieux que les autres, en en disant du mal. Ce n’est pas ainsi qu’on fait venir le royaume à l’envers, royaume éternel. « Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler bienfaiteurs. Qu'il n'en soit pas de même pour vous » (Luc 22, 25-26a). Le royaume du Christ est bien un royaume à l’envers. Un royaume où celles et ceux qui sont déconsidérés, comme le Christ l’a été, vivent devant lui ; contrairement aux royaumes à l’endroit, où règnent ceux qui en imposent.

Au lieu de penser être mieux, faire mieux, les disciples du roi du royaume à l’envers sont comme des ânes, réputés disgracieux, stupides et balourds, réputés ne pas faire les choses comme il faut par ceux qui pensent mieux faire ; mais c’est un âne, un de ceux qui font des âneries, qui a porté ce roi qui a renoncé à tout ce qu'il avait, ce roi qui a renoncé à être le plus fort, lui qui est de condition divine. Il s’est abandonné à l’Esprit de son Père pour instaurer son royaume à l’envers « ni par la puissance ni par la force, mais par l’Esprit du Seigneur ».

Ainsi il peut dire à chacune et chacun de nous : « Si l’un de vous veut être important, qu’il soit votre serviteur. Si l’un de vous veut être le premier, qu’il soit serviteur de tous. En effet, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et offrir sa vie pour prix de nos vies. » (Marc 10, 43-45)

*

« C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé
et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom,
afin qu’au nom de Jésus tous s’agenouillent,
dans les cieux, sur la terre, sous la terre,
et affirment que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père. »
(Philippiens 2, 9-11)

*

C’est cela, le royaume à l’envers, le royaume où règne le plus humble, qui s’est fait serviteur ; c’est le royaume où il accueille toutes celles et ceux qui sont comme des ânes, comme ce petit âne qu’il a choisi pour le porter à Jérusalem et au monde…


RP, Poitiers, Rameaux, 28 mars 2021
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dimanche 21 mars 2021

Comme le grain de blé




Jérémie 31.31-34 ; Psaume 51 ; Hébreux 5.7-9 ; Jean 12.20-33

Jérémie 31, 31-34
31 Des jours viennent – dit le SEIGNEUR – où je conclurai avec la maison d’Israël – et la maison de Juda – une alliance nouvelle.
32 Non comme lorsque que je l’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays de l'esclavage ; alliance qu'ils ont rompue, bien que je sois leur maître – dit le SEIGNEUR.
33 Voici donc l’alliance telle que je la conclurai avec la maison d’Israël après ces jours-là – oracle du SEIGNEUR : je déposerai ma loi au fond d’eux-mêmes, je l'écrirai sur leur cœur ; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.
34 Ils ne s’instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant : « Apprenez à connaître le SEIGNEUR », car ils me connaîtront tous, petits et grands – dit le SEIGNEUR. Je pardonne leur faute ; leur péché, je ne m’en souviens plus.

*

Jérémie — VIe siècle av. J.C. : l’alliance antique a été rompue par le peuple et ses dirigeants ! Mais Dieu s’est engagé : lui demeure fidèle, l’alliance sera donc renouvelée, d’une nouvelle façon (c’est ce sens qu’elle est nouvelle) : inscrite dans les cœurs. Ce qui suppose évidemment pour que cela se concrétise la reconnaissance de l’état de fait pour un retour à Dieu, c’est-à-dire, en termes techniques : repentir, humilité .

Dire cela vaudra à Jérémie beaucoup d’ennemis. Tous ont des problèmes avec l’Alliance, à commencer par le roi, ou les dirigeants, et à continuer par chacun et tout le peuple. Il s’agit de le reconnaître : c’est ce que fait le roi David au Psaume 51 ; et c’est ce que ne font pas ses successeurs au temps de Jérémie ! Et Dieu semble se détourner, comme fatigué…

Ce qui vaut au temps de Jérémie vaut à d’autres époques, et notamment en nos temps actuels, pour nos pays et nos dirigeants. Pour l’Église aussi. Avons-nous comme Église et comme disciples été attentifs à l’Alliance de Dieu, à ce qu’il attend de nous selon les dispositions de son Alliance ? Sinon, et si on reconnaît qu’on n’a pas été fidèles à l’Alliance, Dieu promet : il va la renouveler. Lui va le faire ! Il ne s’agit pas de se vouloir en nouveauté de vie par ses propres désirs et ses propres efforts. Ça, c’est mortifère : « Qui aime sa vie la perd, et qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle » dit Jésus au texte de l'Évangile de ce jour (Jean 12, 25). Comment renouveler la vie de l’Église ? En acceptant de mourir à soi-même, comme avec l’image du grain de blé, que Jésus vient de donner, au verset qui précède. Je lis — Jean 12, 24-26 :

24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance.
25 Qui aime sa vie la perd, et qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.

Ce n’est pas une leçon de sciences naturelles sur les grains de blé, que Jésus vient de donner, comme l'Épître de Jacques prévenant : « votre or rouille », ne donne pas une leçon de métallurgie. On sait bien, ou l’on croit savoir, que l’or ne rouille pas ! Belle façon de ne pas entendre ce que dit le texte : ne vous attachez pas à votre or. Comme ici : sachez renoncer à ce que vous croyez savoir de vous.

Car c'est de cette façon que Dieu va tout renouveler, comme le Christ nous a fait entrer dans la vie d’éternité en renonçant à sa vie du temps, demeuré fidèle tandis qu’on ne l’a pas été, ayant préféré s’agiter, et s'agitant encore pour se donner l’illusion de survivre — faire, toujours faire ! — cela tout en continuant par ailleurs à faire ce que les clauses de l'Alliance disent de ne pas faire, se détournant de ses préceptes, et en n’écoutant pas ce que disent les prophètes. Mais Dieu demeure fidèle à l’Alliance que nous avons rompue en ne l’écoutant pas, et il va la renouveler.

Comment ? En l’inscrivant dans les cœurs, pas en nous demandant d’en faire toujours plus au lieu de l’écouter — s’agiter pour être toujours plus sûrs de ne pas l’entendre ! — comme ces enfants qui se dispersent en mille activités que personne ne leur demande, histoire de ne pas faire la seule chose qui leur est demandée ! Ce n’est pas en remplaçant son Esprit par nos propres désirs et nos propres efforts qu’on va redresser ce qui est tordu ! Au contraire ! Jésus vient de le dire, parlant de lui : le moment est venu pour le grain de blé, de donner sa vie. Jean 12, 27-33 :

27 « Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu.
28 Père, glorifie ton nom. » Alors, une voix vint du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » 29 La foule qui se trouvait là et qui avait entendu disait que c’était le tonnerre ; d’autres disaient qu’un ange lui avait parlé.
30 Jésus reprit la parole : « Ce n’est pas pour moi que cette voix a retenti, mais pour vous.
31 C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors.
32 Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
33 En parlant ainsi, il indiquait de quelle mort il devait mourir.

Dans l’Évangile de Jean, la mort de Jésus, mort réelle, douloureuse, sa mort est appelée « glorification », « élévation » : à la croix, c’est Dieu qui l’élève à lui. Ça vaut pour nous aussi, pour la mort à soi-même de chacun de nous, nous que Jésus appelle à venir à sa suite, selon l’image du grain de blé : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.»

Là, et là seulement, est la nouveauté de vie, là est le renouvellement éternel de l’Alliance et de la Vie, là est le principe des enseignements de Dieu, inscrits dans les cœurs, pas dans les vaines agitations qui ont prouvé leur impuissance, et qui ont vu et voient mourir hier comme aujourd’hui, le peuple et l’Église : qui veut à tout prix maintenir par lui-même sa vie, la perd, il ne vit pas ! Mais qui cesse de s’y attacher (littéralement : la déteste) en ce monde (et elle n’y est pas toujours drôle !) la gardera pour la vie éternelle — par la seule confiance en la promesse de Dieu : « leur faute je ne m’en souviens plus, j’inscris mon Alliance dans leur cœur. »

Car Dieu a promis : vous avez rompu mon Alliance, mais moi je reste fidèle. Et je vais la renouveler en l’inscrivant dans vos cœurs. C’est un véritable appel à la confiance à travers le renoncement à soi-même qui nous est lancé par les paroles du prophète Jérémie et par Jésus.


RP, Poitiers, AG, 21/03/21
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dimanche 14 mars 2021

Dieu est amour




2 Chroniques 36, 14-23 ; Psaume 137 ; Éphésiens 2, 4-10 ; Jean 3, 14-21

Jean 3, 14-21
14 Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé 15 afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle.
16 Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
20 En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées.
21 Qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu."
*

Un monde dans la nuit. Souvenons-nous que ce passage s’inscrit dans le dialogue nocturne de Nicodème avec Jésus — et Nicodème pouvait-il venir autrement que de nuit ?… puisqu’en un monde ténébreux, qui a perdu la mémoire de la lumière originelle, il n’y a plus que nuit.

Puis vient la manifestation de la lumière dans le Christ élevé comme le serpent. Dévoilé dans son élévation dans la lumière comme le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, descendu du ciel où nul n’est monté, sinon celui qui en est descendu pour apporter la lumière, lui. Élévation, la croix est sortie des ténèbres.

Le don de Dieu est la plongée de son Fils dans les ténèbres, où, par amour pour ce monde enténébré, il prend la sombre figure du serpent ; ténèbres d’où il sortira par son élévation, la croix. Pour en faire sortir le monde avec lui ; ce monde qui ne peut pas en sortir par lui-même.

Le salut du monde est alors la sortie des ténèbres par la grâce, dans la confiance, la foi, en ce qu’est le Fils : celui qui vient d’en Haut. Une naissance d’en haut.

Il n’est pas besoin d’autre jugement que celui qui a déjà eu lieu : être dans les ténèbres, puis y rester pour n’être né qu’une fois, n’être né qu’à ces ténèbres. Mais dans le Christ élevé de la terre, le jugement, en quelque sorte, s’inverse, devient délivrance par la venue à la lumière, la naissance à la lumière, à laquelle on ne peut rien. Jésus vient de dire (v. 8) : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » La naissance d’en Haut, c’est comme la naissance tout court : on n’y peut rien. Le souffle de Dieu, dont on ne connaît pas les voies, en est la source.

On en est réduit à la foi. Jésus illustre cela par l’évocation de l’épisode du serpent d’airain, ce serpent que Moïse avait fait forger pour que quiconque le regarde après avoir été mordu par les serpents, fût guéri.

Il en est de même de la crucifixion du Christ : une élévation sur une perche similaire à l’élévation sur une perche du serpent d’airain de Moïse de sorte que quiconque lève son regard vers lui, croit en lui, ait la vie éternelle, soit sauvé d’une mort aussi certaine que celle qui suit la morsure d’un serpent venimeux.

Mais quiconque tourne vers lui son regard, croit en lui — pendu par nos œuvres tuant le juste de cette façon, mais élevé par Dieu à la lumière —, a la vie éternelle ; de la même façon que quiconque regardait le serpent de Moïse était guéri des morsures des serpents venimeux. De l'image du serpent, qui rampe sur la terre, animal sombre, élevé vers la lumière, il n’y a pas à comprendre un mécanisme quelconque (« comment ça se fait ? »), mais à croire seulement — croire que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ».

Tout est dit dans ces quelques mots — mais qu’est-ce qui est dit, en l’occurrence ? Les quelques versets qui suivent nous éclairent quelque peu, si c’est possible. Il est bien question d’extraction des ténèbres vers la lumière. Et c’est certainement là l’image — j’allais dire la plus lumineuse, qui nous soit proposée du salut dont il est question.

Car le verset 16 pourrait aussi nous plonger dans la perplexité. Les prédicateurs qui se sont penchés sur ce texte depuis des siècles ont remarqué la difficulté suivante : « Dieu a aimé le monde ». Selon l’usage que fait l’Évangile de Jean du mot « monde » il pourrait y avoir là quelque chose de contradictoire.

Voilà qui peut nous mettre la puce à l’oreille : contradictoire : si c’était donc la clef ? Dans l’Évangile de Jean, « le monde » — cosmos — est une notion le plus souvent négative. C’est ce qui est illusoire, vain, superficiel. Un faux arrangement, cosmétique, pour lequel Jésus ne prie pas lorsqu’il remet les siens à Dieu dans son discours d’adieu (Jn 17, 9). De même, la 1ère épître de Jean (1 Jn 2, 15) commande de ne pas aimer le monde ni les choses du monde ! Car rien ne dit a priori que le monde est bon ! Ce n’est pas ainsi qu’on le perçoit. Il nous en vient du bien, certes, mais aussi du mal, de la souffrance. Et donc rien ne permet a priori de dire que celui dont il dépend infiniment, Dieu, soit bon, soit amour !

Mais voilà que Dieu l’a tellement aimé, le monde, « qu’il a donné son Fils unique » — « pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 16-17). Il l’a donc chéri infiniment, il lui a été infiniment cher, le monde. Et cet amour, ce « chérissement » du monde est pour son extraction vers la lumière.

Où l’on retrouve et la Genèse — « au commencement » — et son… commentaire par le Prologue de ce même Évangile de Jean. Où le monde advient comme création de Dieu reçu par la foi comme favorable ; un monde dans la lumière de Dieu qui le fait sortir du chaos et des ténèbres.

Quel est donc l’acte de foi qui reçoit la grâce de Dieu donnée en plénitude dans le signe du don de son Fils ? C’est tout simplement le regard qui du cœur des ténèbres, du chaos, du péché et de la culpabilité, de la souffrance, bref : de l’exil loin de Dieu — se tourne vers la lumière sans crainte, comme les pères au désert mordus par les serpents se tournaient vers le serpent d’airain dressé dans la lumière. Car, nous dit 1 Jn (4, 10), « voici en quoi consiste l'amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés ; il a envoyé son Fils qui s'est offert en sacrifice pour le pardon de nos péchés. »

Pour nous, tel est l’acte de foi en la lumière. C’est là seulement que nous est révélé que « Dieu est amour. Voici comment Dieu a manifesté son amour pour nous : il a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous ayons la vie par lui » (1 Jn 4, 8-9). Cette parole, Dieu est amour, donnée uniquement ici, dans toute la littérature religieuse, donnée deux fois, en 1 Jn 4, 8 et 16, et nullement ailleurs, est le fruit de la méditation de cela : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique » (Jn 3, 16) — « ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés. » (1 Jn 4, 10), accomplissant en plénitude (rappelez-vous : « je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir pleinement » — Mt 5, 17), accomplissant lui-même le commandement central de Torah : « tu aimeras pour ton prochain ce que aimerais pour toi-même » (Lv 19, 18) ; et l'accomplissant jusqu'au bout : « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie / son âme pour ses amis » (Jn 15, 13).

Ainsi, au-delà de toute crainte qui préférerait rester plongée dans les ténèbres et le chaos, les œuvres mauvaises déjà absorbées par la mort — il nous est donné de nous tourner sans crainte vers celui de qui rayonne la lumière éternelle, par lequel le monde vient à son salut, vers celui qui, pendu au bois, élevé de la terre, le fait resplendir en plénitude, en vie éternelle. La foi seule. La plénitude de la vie y est donnée.

1 Jean 4, 8-16
8 Qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour.
9 Voici comment Dieu a manifesté son amour pour nous : il a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous ayons la vie par lui.
10 Et voici en quoi consiste l'amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés ; il a envoyé son Fils qui s'est offert en sacrifice pour le pardon de nos péchés.
11 Très chers amis, si c'est ainsi que Dieu nous a aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres !
12 Personne n'a jamais vu Dieu. Or, si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour se manifeste parfaitement en nous.
13 Voici comment nous savons que nous demeurons en Dieu et qu'il demeure en nous : il nous a donné son Esprit.
14 Et nous avons vu et nous témoignons que le Père a envoyé son Fils pour être le sauveur du monde.
15 Si une personne reconnaît que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en elle et elle demeure en Dieu.
16 Et nous, nous savons et nous croyons que Dieu nous aime. Dieu est amour ; celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui.

Dieu vous bénit et vous garde dans son amour et dans sa paix.


R.P., Poitiers 14.03.21
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dimanche 7 mars 2021

"Dieu prononça toutes ces paroles"




Exode 20, 1-17 ; Psaume 19 ; 1 Corinthiens 1, 22-25 ; Jean 2, 13-25

Exode 20, 1-7
1 Et Dieu prononça toutes ces paroles :
2 « C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude :
3 Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi.
4 Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre.
5 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, un Dieu exigeant, poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations – s’ils me haïssent –
6 mais prouvant sa fidélité à des milliers de générations – si elles m’aiment et gardent mes commandements.
7 Tu ne prononceras pas à tort le nom du SEIGNEUR, ton Dieu, car le SEIGNEUR n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort.
8 Que du jour du sabbat on fasse un mémorial en le tenant pour sacré.
9 Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage,
10 mais le septième jour, c’est le sabbat du SEIGNEUR, ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta servante, tes bêtes ou l’émigré que tu as dans tes villes.
11 Car en six jours, le SEIGNEUR a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le SEIGNEUR a béni le jour du sabbat et l’a consacré.
12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le SEIGNEUR, ton Dieu.
13 Tu ne commettras pas de meurtre.
14 Tu ne commettras pas d’adultère.
15 Tu ne commettras pas de rapt.
16 Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain.
17 Tu n’auras pas de visées sur la maison de ton prochain. Tu n’auras de visées ni sur la femme de ton prochain, ni sur son serviteur, sa servante, son bœuf ou son âne, ni sur rien qui appartienne à ton prochain. »
*

Dix paroles pour résumer la Loi de Dieu, qui se résume encore en deux paroles : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Deutéronome 6, 5). « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18), puis en une, aimer le prochain (cf. Galates 5, 14), qui se décline en : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c'est la loi et les prophètes. » (Matthieu 7:12 ; cf. Luc 6, 31) – « Ce que tu ne voudrais pas que l'on te fît, ne l'inflige pas à autrui. C'est là toute la Torah, le reste n'est que commentaire. Maintenant, va et étudie » (Hillel, Talmud de Babylone, traité Shabbat 31a). D'où on peut donc dire, plutôt que le résumé, le coeur, dont les multiples préceptes de la Torah sont des extensions circonstancielles, pour un temps donné : un précepte à deux faces, conjugué dans le temps – déployé en dix paroles.

*

1) Première parole : Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage. C'est Dieu le libérateur, pas un homme, fût-ce Moïse, et c'est Dieu qui est la source de la Loi qui libère, pas un homme qui en serait source et garant, comme Hammourabi en Babylonie ou Pharaon en Égypte. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, est donnée une Loi qui n'a pas d'auteur, et à laquelle par conséquent tout humain, fût-il roi ou empereur, doit se tenir (cf. David, pourtant roi, soumis à la Loi, et qui se repent quand il la transgresse – Ps 51). C'est cela qui se développera dans la suite de l'histoire en Droits de l'Homme où tous sont égaux devant la Loi, même les gouvernants, même les rois.

2) Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ; tu ne te feras pas d’images pour te prosterner devant elles et pour les servir, car je suis le Seigneur ton Dieu. Le Dieu libérateur, que personne n'a vu, est irreprésentable. Il est le seul Dieu et il est au-dessus de tout ce qu'on peut en imaginer, et donc en représenter. Quelque image qu'on en fasse, image visible ou image mentale, en est une représentation fausse – qui est nuisible à ceux qui s'y tiennent, d'autant plus que l'illusion idolâtre se reproduit avec ce qu'elle a de nuisible (sur trois voire quatre générations). Parole qui interroge aux jours du refus de déboulonner les statues de personnages parfois bien douteux ! C'est la reproduction qui est le problème, sachant que Dieu n'impute pas aux enfants les fautes des parents (Ezéchiel 18, 20). Reproduction nuisible, quand à l'inverse la fidélité au refus de l'idolâtrie bénit un peuple indéfiniment (mille générations).

3) Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu. Cf. la prière juive qui est celle de Jésus : « Que ton Nom soit sanctifié », sanctifié c'est-à-dire mis à part, ne pouvant être mêlé à nos affaires. Un nom qu'on ne peut pas s'approprier. Un Nom qui est au-dessus de tout ce qu'on peut prononcer. Le judaïsme s'en tient à dire « mon Seigneur », disant simplement notre relation – il est notre Seigneur – avec celui qui est au-dessus de tout ce qu'on peut en dire.

4) Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier. C'est d'abord un précepte religieux, dont le judaïsme reste jusqu'à aujourd'hui le témoin : un espace mis à part dans le temps pour dire que Dieu est au-delà de l'agitation de nos temps et de nos « faire » dans le temps. Le commandement a aussi une portée sociale et morale (enviée dans l'Antiquité par les peuples qui n’avaient pas ce privilège) : chacun a droit au repos, y compris au repos intérieur, ce qui est en rapport avec la parole d'accueil et de pardon et de grâce : « je t'aime d'un amour éternel et je te garde ma tendresse » – Ésaïe 54, 10.

5) Honore ton père et ta mère. Il s'agit de donner à celles et ceux à qui l'on est redevable de ce que l'on est tout leur poids et leur dignité, c'est cela « honorer ». À commencer par les parents, mais ça vaut aussi pour tous ceux et celles dont on a reçu, comme les maîtres, intellectuels ou spirituels, etc. Cela suppose aussi reconnaissance, et reconnaissance de la nécessité d'un vécu digne (dans la vieillesse) incluant accompagnement financier (nos caisses de retraite en sont nées) et affectif. Cela ne veut pas dire qu'ils sont parfaits ! Ils peuvent être coupables de fautes – éventuellement graves. Eux aussi sont sujets à la Loi au-dessus de laquelle n'est personne. Eux aussi sont sujets à demander le pardon.

6) Tu ne commettras pas de meurtre. Le commandement semble évident. Mais il ne faut pas négliger sa dimension intérieure, son enracinement et son commencement, que rappelle Jésus : « Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point […]. Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère […] » (Matthieu 5, 21-22). Le commandement se rattache aussi à l'atteinte à la créature faite à l'image de Dieu, l'humain : il est déshonorant pour le Nom de Dieu de porter atteinte à l'humain, qui en porte l'image.

7) Tu ne commettras pas d’adultère. Il est ici question d'atteinte au prochain dont on méprise et trahit les attachements et les sentiments. Il est question aussi de la blessure infligée envers celui ou celle avec qui on s'est engagé, à qui on a donné sa promesse, ne serait-ce qu'en prononçant « je t'aime » : « si le "je t’aime" est toujours, à beaucoup d’égards, l’annonce d’un "je t’aime pour toujours", c’est qu’en effet il fixe le hasard dans le registre de l’éternité. […] Une des rares expériences où, à partir d’un hasard inscrit dans l’instant, vous tentez une proposition d’éternité. "Toujours" est le mot par lequel, en fait, on dit l’éternité. » (Alain Badiou, Éloge de l'amour, p. 53-54). Ici aussi, comme pour le meurtre, l’enracinement est intérieur : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras point d’adultère. Mais moi, je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur » (Matthieu 5, 27-28) – renvoyant chacun à lui-même.

8) Tu ne commettras pas de vol. On peut traduire le mot pour « vol » par « rapt ». Il s'agit d'abord de « vol » de personne. Mais cela peut bien sûr s'entendre de vol de ce à quoi une personne est attachée, jusqu'à des biens. On sait l’impression de viol que ressent une personne qui a été cambriolée. Porter atteinte à autrui, à sa personne, à ses proches, à ses biens, est une façon de porter atteinte à l'intégrité de l'humain fait selon l’image de Dieu.

9) Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. À ne pas traduire trop vite par « tu ne mentiras pas ». Le précepte est plus précis : il vise le mensonge contre son prochain, visant éventuellement à le faire condamner. C'est une atteinte à son honneur, pour laquelle la Torah prévoit de donner à celui qui veut faire condamner son prochain faussement la punition qu'il aurait encouru. Le commandement ne vise pas, par exemple, le mensonge qui serait proféré pour protéger son prochain (par exemple en le cachant en cas de persécution). Le commandement ne vise pas non plus à culpabiliser un enfant qui se cache derrière un mensonge pour se protéger, même si ce travers, commun à tous les âges, demande à n'être pas encouragé et à être pardonné, comme toute expression de notre tortuosité.

10) Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain. Ce commandement (qui a parfois été divisé en deux : ne pas convoiter les personnes et ne pas convoiter les biens, pour faire dix paroles quand la première parole du décalogue – Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage – est reçue comme préambule) ; ce commandement ramène tous les autres à l'intériorité, et souligne la portée pédagogique de la Loi : nous amener à reconnaître que nous en sommes tous transgresseurs : qui n'a pas convoité ? Ici il n'y a pas de sanction légale possible. Mais il y a un appel à chacun à faire retour sur soi, se savoir pécheur pour obtenir de Dieu le pardon, la parole de la grâce : « je t'aime d'un amour éternel et je te garde ma tendresse » (Ésaïe 54, 10), au-delà de ce que tu peux avoir fait ou avoir été tenté de faire. « Qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé a la vie éternelle. Et ne vient pas en jugement, mais est passé de la mort à la vie » (Jean 5, 24).


RP, Châtellerault, AG, 7.03.21
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