dimanche 31 mai 2020

Pentecôte




Cultes au temple suspendus jusqu'à décision du conseil presbytéral suite au décret des pouvoirs publics (du 22 mai 2020) ré-autorisant la célébration des cultes

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culte du Weekend de Pentecôte
, préparé par les monitrices

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Liturgie et prédication en PDF ici

Lecture de l’Évangile et prédication (PDF ici) en audio ici :


Psaume 104 ; Actes 2, 1-11 ; 1 Corinthiens 12, 3b-7 & 12-13 ; Jean 20, 19-23

Actes 2, 1-8
1 Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.
2 Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis.
3 Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer.
5 Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.
6 Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.
7 Étonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ?

Jean 20, 19-23
19 Le soir de ce même jour [dimanche de Pâques] qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l’Esprit Saint ;
23 ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."

*

Notre texte nous ramène au soir du dimanche de Pâques, cinquante jour avant la fête de Shavouoth, Pentecôte. Les disciples sont enfermés : « Par crainte des chefs judéens, les portes de la maison où ils se trouvaient étaient verrouillées ». Puis ils vont passer de la crainte (des Judéens, de leurs chefs, de la part de ces Galiléens : pas des juifs ! — qu’ils sont eux-mêmes !) à la libération : « Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous." »

C’est suite à cela qu’ils vont passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire : à l'envoi, comme envol : « Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie." » — Recevez l’Esprit Saint : et déliez ceux qui sont liés — cf. Mt 16, 19. Jésus souffla sur eux comme pour un envol. Souffle de l’Esprit…

« La paix soit avec vous » — avec cette parole, le texte donne le comment du don de cette paix : par l’Esprit saint. Esprit remis à Jésus. Cet Esprit qui vient du Père, le Père l’envoie par Jésus à qui il a été remis. Ici s’ouvre la porte de la liberté à laquelle nous sommes invités à notre tour. Et cette liberté est une question de pardon. Je ne me rallie pas à une certaine traduction qui veut que Jésus dise aux Apôtres : « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » Comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés ! Les Apôtres sont envoyés pour communiquer la libération que Jésus vient de leur octroyer dans le don de l’Esprit saint. La communiquer abondamment. Pas la mégoter.

Il se trouve qu’une tout autre traduction de cette parole est possible : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Ce qui correspond à l’équivalent chez Matthieu, « délier ». Voilà donc qui donne tout autre chose : remettre les péchés et les soumettre. Deux faces de la libération. Remettre les péchés, c’est pardonner, soumettre les péchés, c’est permettre de les dominer.

Être libéré du fruit du péché. Et cela est en rapport étroit avec le pardon. Souvenez-vous de l’épisode de Caïn. Je lis, au livre de la Genèse, ch. 4, v. 6-8 : « Le Seigneur dit à Caïn : "Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le." Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère et le tua. »

Le péché est tapi à ta porte… Mais toi, domine-le. On a entendu la suite, Caïn ne l’a pas dominé. Caïn n’a pas reçu le pardon, la rémission de ses péchés. Il jalousait son frère. Il n’a pas reçu le pardon, l’élargissement de son cœur et la capacité de pardonner. Il n’a pas reçu la capacité de soumettre le péché et son fruit, à savoir ses péchés : le péché l’a vaincu, Caïn ne l’a pas dominé… N’ayant pas reconnu cette part sombre de lui-même.

Et voici le fruit de l’Esprit saint, dans la promesse de Jésus aux Apôtres : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Cela inclut la reconnaissance de la part sombre qui est en nous.

Sans quoi, la puissance du péché, c’est la mort, affirme la Bible. Jésus a vaincu la mort. « Il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. »

Le Ressuscité qui a vaincu la mort a pouvoir sur tout. Il a pouvoir même sur le péché. Il ouvre même comme possible l’impossible commandement donné à Caïn : « domine sur le péché ». Impossible, Caïn n’ayant fait que projeter sur son frère la frustration qui l’habitait.

Face à cela, le don de l'Esprit saint est aussi pénétration de tout ce qui fait notre être, jusqu'en ses zones d'ombre — pénétrant jusqu'aux profondeurs de Dieu, l'Esprit sonde tout en nous en dit Paul (1 Co 2, 10). Une pénétration empreinte de miséricorde — j’allais dire maternelle. N’oublions pas que le mot Esprit en hébreu est un mot féminin, un aspect qui ne peut être ignoré. Mot neutre en grec, mais décliné au masculin, il porte la part féminine de son origine hébraïque. En cette riche complexité, voilà un terme, Esprit, qui dit et promet que sa présence en nous nous révèle entièrement à nous-même et ainsi nous libère.

La liberté étant que nos fautes nous sont pardonnées, l’Esprit saint nous les soumet en nous permettant de connaître ce qui est en nous. Jésus souffla sur eux. Les Apôtres libérés par l’Esprit deviennent, par leur liberté, libérateurs à leur tour. C’est la bonne nouvelle qui nous est à nouveau donnée en ce dimanche de Pentecôte. Jésus souffla sur eux : recevez l’Esprit saint.

Percevons-nous son souffle aujourd’hui ? Dans ce souffle est la paix que donne Jésus : la paix soit avec vous. La paix de se savoir pardonné. Pleinement pardonné : vos péchés vous sont remis, l’Esprit saint vous les soumet. Allez dans cette liberté. Vous n’avez pas même à vous venger pour quelque obscur désir ou jalousie, comme Caïn qui a été par là dominé. Vous n’avez que la liberté de vous savoir pardonnés, de savoir par là octroyer le pardon à votre tour. Le péché vous est soumis par l’Esprit saint.

C’est pourquoi l’Esprit saint prie en nous : Abba, Notre Père, pour l’accomplissement de cette demande : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Non pas que le pardon que nous octroyons soit la condition de notre propre pardon ! Mais la liberté qui est dans le fait d’être pardonnés nous libère du poids d’avoir à ne pas pardonner. Nous voilà donc devant le Christ, en ce dimanche de Pentecôte, le Christ ressuscité présent au milieu de nous, soufflant sur nous l’Esprit : recevez l’Esprit saint.

*

Jésus accomplit alors sa promesse (« il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime »). Il accomplit sa promesse à travers ce geste : il souffle sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu son Père. Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent » qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets.

Comme pour une nouvelle création — Genèse 2, 7 : « Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et l’être humain devint vivant. »

« Tu envoies ton souffle, ils sont créés, et tu renouvelles la surface du sol, » dit le Psaume de ce jour, Ps 104 (v. 30). Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » — c’est-à-dire l’Esprit de vie. Jésus reprend le geste de la Genèse à son compte, mettant en place une nouvelle création : il donne tout à nouveau l’Esprit de Dieu.

De même qu’il a vécu lui-même dans la vérité de l’Esprit qui l’a animé, la nouvelle création, la création menée à son accomplissement comme monde de la résurrection, est animée de la vie de l’Esprit. Cela commence par notre envoi, notre mission — Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » C’est par nous que le projet de la création est appelé à être accompli. Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ».


RP, Pentecôte, 31/05/20





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dimanche 24 mai 2020

"Cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût"




Cultes au temple suspendus jusqu'à décision du conseil presbytéral suite au décret des pouvoirs publics (du 22 mai 2020) ré-autorisant la célébration des cultes

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Actes 1, 12-14 ; Psaume 27 ; 1 Pierre 4, 13-16 ; Jean 17, 1-11

Jean 17, 1-11
1 Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : "Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
2 et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire.
5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 "J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole.
7 Ils savent maintenant que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m’as données. Ils les ont reçues, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés : ils sont à toi,
10 et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et j’ai été glorifié en eux.
11 Désormais je ne suis plus dans le monde ; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous sommes un.

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« Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie » : dans cette glorification du Christ annoncée par l’Évangile de Jean, le départ du Christ qui est sa mort, sa crucifixion, se superpose à son Ascension. Apparaissent deux plans : au premier plan la croix et la mort, à l’arrière plan, comme par transparence, l’Ascension.

Dans l’Ascension comme dans la crucifixion, le Christ est « enlevé » (Actes 1, 2). « Vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba à leurs yeux » (Actes 1, 9) ; « puis vous me verrez encore » : bientôt la venue en gloire.

L'Ascension, comme la mort, est tout d'abord la marque d'une absence — il ne faut pas imaginer cette élévation comme un déplacement physique vers le haut qui conduirait le Christ à une droite de Dieu « géographique » : Dieu est dans un au-delà infini : une élévation comme déplacement physique durerait indéfiniment ! Et d'autre part, Dieu est universellement présent : la droite de Dieu est partout ! Et de plus le Christ ressuscité emplit lui-même corporellement toutes choses. L'Ascension est un départ, déjà signifié par la Croix.

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi à présent, comme le Père, absent, caché.

Cette « absence » a plusieurs sens. Elle est d'abord signe de son règne, de ce que l'on n'a point de mainmise sur lui. Le culte biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, et celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) lisant l'Exode (25, 40). Moïse devait établir le Tabernacle terrestre sur le modèle du Tabernacle céleste qui lui était présenté et dans lequel, selon l'Épître aux Hébreux, officie le Christ. C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort, et, après ce premier retour qu'est sa résurrection, signifié à nouveau dans l'Ascension. Le Christ entre dans son règne et, voilé dans une nuée, se retire dans cette gloire qu'il avait auprès du Père avant que le monde fût (v. 5).

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Mais derrière l'expression de son règne, une autre signification transparaît en ce que nous sommes mystérieusement appelés à suivre le Christ dans le Tabernacle céleste. Nous aussi nous devons croître à son image, et entrer dans l'unité du Père et du Fils (Jean 17, 11).

C'est en ce sens que le départ de Jésus est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus avant sa crucifixion, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.

Jésus présent, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme. Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! Dès qu’il échappe aux hommes, ils lui en veulent. C’est là l’Esprit du monde.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence de l'Absent, nous place dans l'intimité de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus… qui fait écho au retrait de Dieu dans son repos à la fin du récit de la création : Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir. Et on lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu. Avec un risque terrible : Dieu retiré du monde y laisse de la place aussi au risque du mal.

Le mal dont Jésus subira les assauts : le départ du Christ, avant l'Ascension, est d'abord sa crucifixion. Parti, mais dès lors, nous laissant la place, il nous permet de devenir par l'Esprit saint ce à quoi Dieu nous appelle, ce pourquoi il nous a créés.

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Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire en ces temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes appelés, en marche vers le Royaume. C'est en quelque sorte l'étape ultime de la création qui se met en place. Le jour s'approche de son entrée dans le repos de Dieu. En se retirant, ultime humilité à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu'en nous retirant à notre tour de nous-mêmes, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous avons pris l'habitude de croire de nous-mêmes, suppose que nous nous retirions de l'image qu'a forgée de nous notre histoire, à travers nos parents, nos maîtres, nos amis ou ennemis ; que nous nous retirions de la volonté de leur plaire, de les séduire ; que nous nous retirions aussi de notre volonté de nous différencier d'eux. L’Esprit de Dieu est celui qui insuffle en nous la liberté qui rend possible de ne plus rechercher ce que nos habitudes nous ont rendu désirable, de ne plus aimer ni haïr en réaction.

Le Christ lui-même s'est retiré pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu se retirant dans son repos pour laisser le monde être. À combien plus forte raison, devons-nous voir se retirer tous nos modèles et nos anti-modèles, tous nos désirs de plaire, ou nos volontés de nous démarquer.

C'est là seulement que se complète notre création à l'image de Dieu. C'est là seulement qu'est notre entrée avec le Christ dans le Tabernacle éternel où nous sommes consacrés à officier dans le repos de Dieu. Hors cela il n'est que stérile agitation et poursuite de la vanité.

Que ce jour soit pour nous vraie occasion d'une prière de retrait en Dieu — de sorte que l'Esprit de Dieu lui-même soit le souffle qui nous fasse accéder à la liberté de devenir enfants de Dieu.


RP, 24.05.2020

À suivre ici :

Méditations quotidiennes



dimanche 17 mai 2020

"Il demeure auprès de vous et il est en vous"




Cultes au temple suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics.

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Actes 8, 5-17 ; Psaume 66 ; 1 Pierre 3, 15-18 ; Jean 14, 15-21

Jean 14, 15-21
15 « Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ;
16 moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours.
17 C’est lui l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d’accueillir parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous.
18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous.
19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus ; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi.
20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous.
21 Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m’aime : or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui. »

*

Relation étrange que celle de l'Esprit et des disciples. Jésus le leur annonce : vous connaîtrez l'Esprit… parce que vous le connaissez déjà. Vous vivrez de l'Esprit parce que vous en vivez déjà ! C'est là rien d'autre que ce que ce que disent les v. 16-17 : « le Père vous donnera… l'Esprit de vérité… [cela parce que contrairement au monde,]… vous le connaissez, parce qu'il demeure près de vous et qu'il sera [ou : parce qu'il est] en vous »

L'Esprit vous est donné, à vous en qui il demeure. Étrange ? Donné à ceux avec qui il demeure déjà, contrairement au « monde », c’est à dire à « l’apparence » — que connote le mot employé, « cosmos », qui a donné « cosmétique » —, le monde apparent donc, qui lui ne peut pas le recevoir, parce qu'il ne le connaît pas.

Est au bénéfice de l'Esprit — celui, celle, qui garde la parole de Jésus et qui, donc, est aimé du Père. Le Père et le Fils habitent en lui, elle — c'est cela le don de l'Esprit. Qui ne l’aime pas, c'est là ce qu'il appelle « le monde », ne garde pas ses paroles, étranger donc à l'Esprit. Le rapport donc est étroit entre l'Esprit de Jésus, qui est le lien au Père et au Fils, — et concrètement l'obéissance à sa parole, à ses commandements (v. 21).

*

Mais en deçà de ce qu'il en est de sa présence, de son œuvre de communion avec le Père et le Fils, de son fruit d'amour par l'observance des commandements de Jésus — qu'en est-il du don de l'Esprit ?

On entre là dans la question de l'Alliance entre Dieu et son peuple. L’Alliance traitée entre Dieu et les pères, concernant aussi les enfants. La promesse, dit la Bible, le Traité de l'Alliance, est pour vous et pour vos enfants. Dieu est fidèle à cause de la promesse faite aux pères, déjà Abraham, Isaac, et Jacob, promesse renouvelée, et scellée, en Jésus-Christ ; et élargie par lui à toutes les nations.

On peut le dire ainsi : l’Esprit, ou la Torah telle qu’elle s'inscrit dans le cœur des croyants par le don de l'Esprit. C’est un des aspects connus des Prophètes et qui est signifié à nouveau dans le dévoilement la Parole de Dieu en Jésus Christ ; la Torah s'inscrit dans le cœur des croyants par le don de l'Esprit — que Jésus aujourd’hui promet de la part du Père.

En tout cela l'Esprit de la promesse nous précède. Le don de l'Esprit précède même notre naissance, et de plusieurs générations ; déjà au temps des pères, Abraham, Isaac et Jacob, et cela quelle que soit l'infidélité des enfants. Dieu est fidèle à Israël à cause de sa promesse faite aux pères, dit Paul (Romains 11, 28-29). Et : « Si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle car il ne peut se renier lui-même » (2 Timothée 2, 13).

Mais cela va plus loin encore. En Jésus Christ ressuscité, inaugurant le Royaume promis, le Royaume qui commence par la Résurrection, Dieu nous dévoile l'universalité de cette précédence de l'amour de Dieu. Elle ne concerne pas que les seuls descendants d'Abraham. La promesse s'étend à tous ceux et celles qui ont la foi d'Abraham, universellement proclamée par les témoins du Christ. Jésus prie pour tous ceux et celles qui croiront par la Parole des Apôtres, juifs comme Grecs, et autres nations jusqu'aux extrémités de la Terre.

Ce n'est pas à dire que les Pères d'avant la venue de Jésus ignoraient la communion de Dieu qui est dans l'Esprit saint. Le contraire est même certain. Comment en effet auraient-ils pu vivre de la foi qui était la leur, leur faisant préférer, selon l'Épître aux Hébreux, l'exil et la pérégrination à des gratifications immédiates ? Et ne pensons pas qu'il ne s'agisse là que de simples relectures de la Torah, chargées de présupposés chrétiens. Il est bien question de participation à l'Esprit dans la Torah (Nombres 11, 24-30), dans les Prophètes (Ézéchiel 37, 1), dans les Psaumes (Ps 51, 13)...

Désormais, selon la promesse, l'Alliance s'est élargie à tous les peuples. Ce qui renvoie à l’enseignement biblique selon lequel, par delà même l'Alliance traitée avec son peuple, l'Esprit de Dieu est présent à la Création du monde — « il planait à la face des eaux » dit la Genèse — porteur de la Parole par laquelle tout a été fait — porteur de la lumière qui éclaire tout être humain venant dans le monde (Jean 1). L’Esprit ainsi précède non seulement les descendants historiques d'Abraham, mais tout être humain.

Et en Jésus Christ, l'Alliance est ouverte à toutes les nations. Voilà pourquoi l'Apôtre Paul a tant insisté pour que l'Évangile soit annoncé à tous les peuples.

Voila pourquoi l'Esprit lui-même signifiait à l'Apôtre Pierre (en Actes 11) que la famille romaine de Corneille, non circoncis, devait aussi être baptisée. L'Esprit de Dieu l'y avait précédé. Le signe de l'Alliance est alors donné par le seul baptême. Il n'est que le signe que donne l'Église, le signe de ce que Dieu lui-même donne au-delà et en deçà de nos signes.

L'Esprit, qui précède nos signes de toute son éternité, est libre par rapport à nos signes, aux signes-même qui sont don de Dieu, comme le baptême. Les gestes, rendant les paroles concrètes nous dévoilent notre humble participation à la vie de Esprit, participation aux « prémisses de l'Esprit », ou comme « ensemencement », selon ces expressions fréquentes dans le Nouveau Testament, faisant que les disciples connaissent déjà l'Esprit qu'ils recevront. Prémisses de l'Esprit, promesse de l'Esprit.

Il s’agit de renouvellement intérieur pour un vécu de l'Alliance dans la liberté. Le don de l'Esprit n'est point la rupture de l’Alliance d’Abraham et de Moïse, mais bien son renouvellement.
Le vis-à-vis de la Torah, charte de l'Alliance dont le cœur de la promesse se dévoile pour les disciples en Christ ressuscité, ne cesse point d'être d'actualité. C'est par le Christ ressuscité, Parole de Dieu, Esprit vivifiant, ouvrant la promesse de l'Alliance, et pour témoigner de lui, que l'Esprit du Père est répandu sur les disciples.

*

C'est là la racine, en quelque sorte, de la vie de l'Esprit, un souffle humble et discret. Ce souffle de l'Esprit est répandu abondamment, comme la semence de la parabole du semeur, image de l'effusion de la Parole et de l'Esprit. Et comme le large ensemencement du semeur ne préjuge en rien de la récolte, la semence de la Parole et de l'Esprit ne préjuge pas de la germination et de l'éclosion de son fruit.

C'est de celui que nous prions, Dieu, que dépend la suite des choses. Que vienne le jour de la promesse de Jésus : « vous recevrez l'Esprit de vérité parce que vous le connaissez, qu'il demeure en vous ». Et voici comment nous savons que nous l'avons connu, que par cet Esprit nous avons connu le Christ : c'est en gardant ses commandements — certes dans l’humilité de notre cheminement. Car dans l'Esprit qui ouvre aux nations l'accès à l'alliance, la Torah demeure le vis-à-vis par lequel la responsabilité qui ressort de notre liberté d'enfants de Dieu s'exerce dans l'humilité.

Le don de l'Esprit n'en est pas moins le scellement de la participation de la vie d'éternité qui est dans la communion du Père et du Fils.

Il est l'Esprit de vérité ; « celui qui dit : je l'ai connu et qui ne garde pas ses commandements est un menteur », dit la 1ère Épître de Jean (1 Jean 2, 4). Et son commandement est en ce cœur de la Loi : que nous nous chérissions les uns les autres, « pas en parole ni avec la langue, mais en action et en vérité », poursuit la même Épître (1 Jean 3, 18). Une parole qui n'est pas accompagnée d'actes est un mensonge. Voilà qui nous contraint tous à l'humilité : qui de nous prétendra le connaître ? Notre connaissance, à la mesure de notre amour, n'est jamais que partielle, embryonnaire. Notre participation à l'Esprit de Dieu, n'est jamais que prémisse, que participation à une promesse.

C'est ainsi que, comme à des enfants, à chacun de nous s'adresse la promesse du Christ : « vous recevrez l'Esprit ». Comme les enfants, nous ne connaissons que partiellement, et c'est, seule, cette connaissance partielle, qui fonde notre espérance d'une plénitude toujours à venir, notre espérance de voir jaillir de nos cœurs les fleuves d'eau vive du Royaume éternel : « qui croit en moi, annonce Jésus, des fleuves d'eau vive jailliront de son sein » (Jean 7, 38). « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive » (Jean 7, 37).


RP, 17.05.2020

À suivre ici :

Méditations quotidiennes



dimanche 10 mai 2020

"Je suis le chemin, la vérité et la vie"




Cultes au temple suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics.

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Actes 6, 1-7 ; Psaume 103 ; 1 Pierre 2, 4-10 ; Jean 14, 1-12

Jean 14, 1-12
1  "Que votre cœur ne se trouble pas : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
2  Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ?
3  Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.
4  Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin."
5  Thomas lui dit : "Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ?"
6  Jésus lui dit : "Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi.
7  Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu."
8  Philippe lui dit : "Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit."
9  Jésus lui dit : "Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : Montre-nous le Père ?
10  Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ! Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres.
11  Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi ; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.
12  En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père.

*

Rappelons-nous tout d’abord les circonstances : Jésus va partir. Concrètement, il va mourir. On sait de quelle façon. Alors il donne comme un testament à ses disciples. Une promesse de consolation pour les temps difficiles qu’ils auront à traverser jusqu’à la venue du Règne de Dieu.

C'est en regard de ce temps difficile qu'on trouve, comme consolation, ce texte très connu, le verset 6 — « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi ». Il n’est ainsi pas question ici de conversion à une religion, mais d'entrée dans l'intimité du Père — et cela dans le contexte du départ de Jésus : « où je vais, vous en savez le chemin » (v. 4). Voilà qui donne un tour particulier à ce verset. Par là, le disciple est appelé à venir, en Jésus, à une position semblable à celle qui est la sienne vis-à-vis du Père.

« Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi. » Voilà une parole qui ainsi, devient parole de consolation, qui annonce le Consolateur, l’Esprit de vérité, « qui vous conduira dans toute la vérité » — au-delà de tout ce que nous traversons de douleurs et de détresse. Car cela vaut au-delà des temps de persécutions comme celle qu va traverser Jésus et bientôt ses disciples. D’autres épreuves sont en vue. Le disciple du Christ reçoit ainsi la promesse d’un Esprit, l’Esprit de Dieu, qui précède tous les temps et toutes les détresses, et qui ancre le disciple au-delà des faux-semblants dans une vérité indestructible. Voilà une consolation indicible, vrai chemin de Vie — Chemin, Vérité et Vie. « Je suis le chemin et la vérité et la vie », promet Jésus.

*

Rappelons-nous que l'Évangile selon Jean débute par la présentation de la Parole éternelle, venue en Jésus Christ, qui demeure éternellement dans le sein du Père. Demeurer dans le sein du Père. Ce à quoi nous sommes appelés aussi. « Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père » : c’est-à-dire que chaque disciple est appelé à vivre aussi lui-même, comme être unique, cette relation d'intimité avec Dieu qui est la Consolation de Jésus et celle des siens ; et cela dès aujourd’hui.

Dans la présence de Dieu, les particularités individuelles de chacun sont appelées à devenir autant de signes du Dieu invisible, à l'image de Jésus. C'est pourquoi (v. 12), celui qui croit en lui fait aussi les œuvres du Christ. Mieux, par l'accès à Dieu dévoilé par Jésus, dévoilé dans sa glorification à la croix par sa résurrection, les œuvres des disciples en sont même plus grandes que celles d'avant de dévoilement en Jésus de ce qui se peut savoir de Dieu.

Cela parce que le dévoilement de Dieu en Jésus, scellé dans son départ, sa crucifixion, est attesté par sa résurrection : ici quand il parle de son retour — « lorsque je serai allé vous préparer une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi » (v.3), — plutôt que de sa Parousie, de sa venue glorieuse, Jésus parle d’abord de sa résurrection. C'est là le retour qui suit son départ par la croix. Ce qui signifie que cette présence de ceux qui croient en la maison du Père ne renvoie pas tant à un après la fin des temps ou à un après la mort, qu'à un dès ici-bas. Ainsi, notre texte est immédiatement suivi par la promesse du don de l'Esprit saint. Car c’est bien ici bas que les disciples marchent dans le chemin de Vérité et de Vie — et c’est cela être disciple.

Ce qui est donné à chacun dans sa résurrection, le fait qu'en Jésus se dévoile l'entrée dans l'intimité du Père est ce qui s'est alors manifesté dans le temps, sous la chair : en Jésus homme, Dieu s'est dit lui-même. Sa Parole est donnée, est devenue chair. Tout ce qui se peut savoir de Dieu est dévoilé à la connaissance des disciples. Il s'agit là d'une connaissance concrète, dans laquelle on entre pour y prendre part. Il n'est pas question que de connaissance en un sens purement théorique (la « vérité » comme discours), mais de l’entrée dans un vécu — la Vie, dans l'intimité du Père, dès ici-bas.

Une telle nouvelle a de quoi étonner, sachant combien nous demeurons, en même temps, loin de nous-mêmes, dispersés. Mais c'est précisément là l'Évangile : il n'est d'entrée dans la vie du Père que par ce dévoilement. Et on sait que ce dévoilement est dans un cheminement qui débouche sur sa croix et par elle, sur la Vie.

C'est en quoi Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie. Cette entrée dans l'intimité du Père qui se donne dans notre temps en Jésus, est le dévoilement du Dieu éternel. Par sa venue en chair, le Père se dévoile dans le Fils. Et l'éternité du Fils déborde infiniment sa stricte présence au temps. Lorsque dans le temps, Jésus parle ou agit, c'est le Père, qui dans l'éternité, est en train d'accomplir ses œuvres. Et en lui, cela vaut pour chacun de nous, cela donne à nos actions une portée éternelle.

« Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père ». Cela signifie qu'entrer par le Christ dans la maison de Dieu veut dire, non pas tomber dans un déficit de vie, mais devenir pleinement soi-même, comme le Christ n'est pas moins homme de par sa communauté de nature avec Dieu, mais est au contraire pleinement homme.

Il y a là pour nous ouverture à une cessation des morcellements de nos vies ; l'intimité du Père et du Fils fonde dans l’Esprit saint la possibilité de rencontres vraies contre des vies désagrégées, atomisées, bardées de murs de désespoir. Vivre dans l'intimité de Dieu : devenir soi-même sous le regard du Père. Chemin de la rencontre du Père, manifestation de la vérité contre les masques, Jésus est aussi, et par là-même, la Vie. C’est la consolation qui nous est donnée par l’Esprit saint.


RP, 10.05.2020

À suivre ici :

Méditations quotidiennes en semaine



dimanche 3 mai 2020

"Je suis la porte des brebis"




Cultes au temple suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics.

Méditations quotidiennes
en semaine, ici :
Liturgie et prédication en PDF ici

Lecture de l’Évangile et prédication (PDF ici) en audio ici :


Actes 2, 14 & 36-41 ; Psaume 23 ; 1 Pierre 2, 20-25 ; Jean 10, 1-10

Jean 10, 1-10
1 « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix ; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors.
4 Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger ; bien plus, elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6 Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas la portée de ce qu’il disait.
7 Jésus reprit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre ; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. »

*

« Jésus leur dit cette parabole mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait », lit-on au verset 6. Si l’on lit attentivement ce que dit Jésus ici, on comprend que ses auditeurs n'aient rien compris ! Il est question pour celui qui nous est présenté comme le berger, d'entrer dans la bergerie, littéralement la cour, la cour où sont les moutons donc, et les appelant par leur nom, de les faire sortir, à l'appui du portier, puis, passant devant elles, de les emmener, au son de la voix !

Vous connaissez l'histoire du joueur de flûte de Hammeln : la ville de Hammeln est infestée de rats, ombre de la peste. Menace de pandémie ! Impossible de s'en débarrasser. Voilà qui nous dit quelque chose, j’imagine… Le maire de la ville fait appel à un fifre qui a promis de faire sortir les rats de la ville en les enchantant au son de sa flûte, cela contre un salaire correct, mais pas excessif, compte tenu du fléau. Marché conclu, notre fifre s'exécute. Il joue sa mélodie, et voilà les rats qui sortent de leurs caves, de leurs greniers, de leurs égouts, et qui se mettent à suivre le joueur de flûte qui les conduit au fleuve où ils se noient. Mission accomplie, notre fifre retourne voir le maire pour obtenir son salaire. Mais, étant débarrassé des rats, compte tenu de la situation financière difficile de la municipalité, le maire invite le fifre à patienter. Il le paiera… quant il pourra, s'il peut, un jour. Alors, comprenant qu'on veut le rouler, le fifre sent frémir dans ses narines les effluves de la vengeance. Et le voilà qui prend son pipeau, lance en l'air une étrange mélodie, et que les enfants de la ville sortent de leurs classes, de leurs salles de jeu, de leurs crèches, et partent après lui, comme si la flûte parlait d'une voix qu'ils connaissaient. Et le fifre se dirige vers le fleuve…

La fameuse comparaison proposée par Jésus a pu sonner aux oreilles de ses auditeurs comme quelque chose de semblable à notre légende. Une histoire d'hypnotisation des brebis synagogales, ou ecclésiales, hypnotisation qui emporte jusqu'au portier lui-même.

Car, soyons attentifs, il s'agit bien de faire sortir les brebis de la bergerie. Non seulement il y a de quoi faire écarquiller les yeux aux bergers attitrés de la bergerie en question, qui écoutent ce que dit Jésus, mais il y a de quoi leur faire dire « il est fou » (v. 20). Ou sinon, il ne leur reste qu'à ne pas comprendre ce qui leur est dit.

Imaginons qu'au lendemain du confinement se présente un pasteur, un berger, qui se présente comme le berger des brebis, et se propose de faire sortir les brebis de la bergerie dans laquelle elles peuvent enfin rentrer ; tout cela sous prétexte qu'elles connaissent sa voix — c'est-à-dire sans doute à nos yeux, parce qu'elles sont fascinées par ses enchantements de fifre.

Et n’oublions pas que le titre de pasteur désigne dans la Bible beaucoup plus qu’un ecclésiastique : c’est le titre royal par excellence (on a chanté le Ps 23). Ce qui nous permet d’aller un pas plus loin. Le berger de la parabole est le roi, les pasteurs ecclésiastiques en sont les adjoints, des pasteurs de l’attente du jour de l’intronisation du pasteur-Messie, figure de l’Éternel berger du Ps 23, le roi attendu par les contemporains de Jésus.

Jésus, de la sorte, se présente donc selon une perspective royale, et remet directement en cause la façon dont s’est exercée jusqu’alors la tâche royale. Bref, si on le prend pour le fifre de Hammeln, il remet en cause, avec les pasteurs, non seulement le maire, mais jusqu’au chef de l’État. Il y a au moins de quoi ne pas comprendre.

*

Alors Jésus poursuit : c'est par lui qu'il faut passer, il est la porte (v. 7-9). C'est par lui qu'il faut entrer, mais pour sortir. Si on entre pour ne pas sortir, c'est qu'on est mal entré. On a eu affaire aux voleurs. Pas très clair ?…

Remarquez, au v. 10, que le voleur, lui, ne ferait sortir personne ; il se contente de saccager. Le berger des brebis fait sortir les brebis (v. 9) : « si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira et trouvera les pâturages »« Il aura la vie en abondance » (v. 10). Voilà qui pour les auditeurs n'est sans doute guère plus clair. Ou plutôt de plus en plus clair. C'est bien ce qu'on avait voulu ne pas comprendre. En voilà un qui se prétend le maître de nos brebis et qui prétend les faire sortir de l'enclos où l’on s'est donné tant de mal à les faire entrer.

On comprend de mieux en mieux, mettons-nous à leur place, pourquoi les responsables religieux d’alors ont de la peine à comprendre ! Sans doute se frottent-ils les yeux. Mais, quant à nous que comprenons-nous ? La tentation est forte de s'imaginer que Jésus fait sortir les bons parmi les disciples des pharisiens pour constituer une autre bergerie, d'autant plus qu'il a une autre bergerie à aller visiter (v. 16), pour en faire sortir, là aussi, les brebis qui lui appartiennent. Pour schématiser, Jésus viderait les mauvaises Églises pour en constituer une qui serait bonne ; façon de séparation anticipée du bon grain et de l'ivraie — ce qu’il dit lui-même de ne pas faire !

Mais voilà que ce n'est pas du tout ce que dit le texte. Ce n'est pas une opération de transvasement d'une cour dans une autre que Jésus se propose, ce n'est pas un vol ou un brigandage. C'est tout autre chose. Il ne fait pas sortir d'une cour pour aller dans une autre. Il fait sortir tout court, pour aller vers le grand air, les pâturages, la vie en abondance. On n'entre que pour sortir.

Ce qui rappelle par exemple Abraham dans la terre de ses pères, ou Lazare dans son tombeau. Ils n'entrent que pour sortir. On n'entre avec le Christ, dans le sein d'Abraham, on n’entre dans son tombeau que pour sortir, relevé d’entre les morts, vers la vie. Jésus ne fait pas entrer les brebis, il les fait sortir, cela parce qu'il offre sa vie. Entrer dans sa mort pour sortir dans la vie. Sortir de notre provisoire pour entrer dans le Royaume qui dure toujours.

*

Il est aussi question dans la parabole, d'étrangers que les brebis ne connaissent pas. Voilà un autre parallèle avec Abraham qui va nous conduire au cœur de la situation des brebis face au berger. Si les brebis qui entendent la voix du Christ fuient la voix des étrangers, qui ne veulent pas les faire sortir, c'est qu'elles savent n'être pas de ce monde.

Car l'allusion ne fait plus de doute. Les voleurs en question, les étrangers, sont précisément ceux qui se croient de ce monde. Il s'agit des mauvais pasteurs qui veulent maintenir les brebis captives dans la bergerie, qui en d'autres termes veulent voler et détruire. Et ici, la bergerie prend figure de Babylone. Israël est en exil à Babylone. L'étranger est le lieu où l’on croit qu'on est de ce monde.

Mais lorsque Abraham a reçu l'appel à en sortir, la terre de ses pères est devenue étrangère pour lui, et il ne reconnaîtra plus la voix des Chaldéens, d'Ur et de Babylone.

Or ne l'oublions pas, l’Église est une institution qui concerne ce temps de l'exil. Est-ce à dire qu'il faille déserter les Églises ? Si l'on répond oui à cette question, une autre se pose immédiatement : pour aller où ? À Babylone de bon cœur, chanter gaiement au bord de ses fleuves amers ? Ou dans une autre bergerie ? Dans les deux cas, ce serait exactement faire ce que Jésus appelle « suivre les voleurs et les brigands ».

En fait lorsque le peuple est en exil à Babylone, sur la terre étrangère — il y est pour de bon. La création d'une Synagogue, ou d'une Église, en est le signe même. Jérémie invite même à s'installer à Babylone, à s'y marier et à faire fructifier la ville. Nous sommes en ce monde. Mais qui entend la voix du berger, écho de sa patrie ultime, sait qu'il est à l'étranger. En ce monde, mais pas de ce monde.

C'est pourquoi, si on limite l'Église à un statut de bergerie définitive, sa fonction est faussée : le Christ n'est pas de ce monde. C'est pourtant là, par l’Église que retentit la voix du berger des brebis — c'est la fonction essentielle de l'Église : faire retentir la Parole de Dieu — ; et c'est pourquoi le Christ est la porte par laquelle entrent ses brebis.

Mais sitôt dedans, ses brebis découvrent — à cause même de cette Parole qui y retentit — que ce qui leur est proposé est provisoire, on est encore, même dans l’Église, à Babylone… ce qui n'est pas une raison d'anticiper le jour de l'Exode.

*

Voilà un berger qui a de quoi faire éclater toutes les Babylone de tous nos exils, par l'écho de sa voix qui crée la nostalgie de Jérusalem. En attendant il faut bien pleurer au bord des fleuves de Babylone. Pleurer mais aussi y vivre. C'est Dieu qui nous y a placés, qui y a fixé nos limites. Nous sommes dans la chair pour vivre un Exode en forme de traversée du désert, guidés par le Christ, le berger qui nous précède, pour que nous vivions à son exemple le temps de nos exils à Babylone.

C'est lui qui nous protège, qui donne sa vie pour nous. Ce n'est pas un mercenaire qui veille sur nous, mais un berger venu de la patrie où l'on n'est jamais étranger —, mieux, le Prince même de la Nouvelle Jérusalem. Point de crainte à avoir.

C'est alors que l'Église trouve cette autre fonction, qui n'est point celle de bergerie avec clôture, mais de chemin d'Exode, vers Dieu et avec les autres.

Tournez-vous vers Dieu (Ac 2, 36-38), nous dit le berger des brebis, entendez ma voix. C’est déjà l’Exode promis, l’Exode vers le Royaume dont le Christ est le berger, pour la vie abondante, dès à présent.


RP, 3.05.2020



Bach - BWV 244 - Choral: O Haupt Voll Blut Und Wunden


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