dimanche 26 décembre 2021

“Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ?”




1 Samuel 1.20-28 ; Psaume 84 ; 1 Jean 3.1-24 ; Luc 2.40-52

Luc 2, 40-52
‭40 Or, l’enfant croissait et se fortifiait. Il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.‭
41 Les parents de Jésus allaient chaque année à Jérusalem, à la fête de Pâque.
42 Lorsqu’il fut âgé de douze ans, ils y montèrent, selon la coutume de la fête.
43 Puis, quand les jours furent écoulés, et qu’ils s’en retournèrent, l’enfant Jésus resta à Jérusalem. Son père et sa mère ne s’en aperçurent pas.
44 Croyant qu’il était avec leurs compagnons de voyage, ils firent une journée de chemin, et le cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances.
45 Mais, ne l’ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher.
46 Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant.
47 Tous ceux qui l’entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses.
48 Quand ses parents le virent, ils furent saisis d’étonnement, et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse.
49 Il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? 50 ‭Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.‭
51 ‭Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait toutes ces choses dans son cœur.‭
52 ‭Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.

*

Bach a composé une cantate remarquable sur cet épisode de l'Évangile de Luc, intitulée “Mon très cher Jésus est perdu” — "Mein liebster Jesus ist verloren" (cantate dont nous trouverons le texte plus bas) —, mettant l'accent sur la perte de leur enfant et le retour à la vie et à la joie des parents de Jésus, et de nous avec eux.

« Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? » Le mot que l’on a ici au v. 48 dans la bouche de Marie : “Mon enfant” est le même que celui de la traduction grecque de Bible, lorsque Abraham, après qu’il lui eût été dit : « Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l'élèveras en élévation sur celle des montagnes que je t’indiquerai » — Abraham demande à Isaac (Gn 22, 7) : « Qu'y a-t-il, mon enfant ? » [le même mot grec est teknon.] De même, le mot “enfant” [païs] est donné en diminutif [païdion en Luc 2, 41, païdarion en Genèse 22, 5], genre “le jeune enfant”, quand pourtant, concernant la Genèse, la tradition juive dit qu’Isaac avait alors la trentaine…

En Genèse 22, la plupart de nos traductions lisent « offrir en sacrifice », en « holaucauste », les mots qui sont littéralement « élever en élévation » (seul Chouraqui traduit : « monte-le en montée »). Manifestement l'interprétation de nos traductions (sauf Chouraqui) est aussi celle d’Abraham, et pourrait-on dire, aussi celle d'Isaac discutant avec son père. Interprétation possible sachant que les sacrifices humains existaient alors. Mais, si l’on tient compte du double sens des mots, on décèle que le texte a une portée pédagogique : partir de ce qu’Abraham perçoit de Dieu pour le conduire à un autre visage, celui du Seigneur de l’Alliance, qui refuse les sacrifices humains ! Et à partir du v. 11, où Dieu arrête la main d’Abraham, c’est un autre nom de Dieu que le nom commun, c’est le Nom imprononçable du Dieu de l’Alliance qui est utilisé, le Nom du Dieu qui refuse que l’on tue en son nom.

Élevé en élévation, Isaac trouve son avenir, et Abraham retrouve un Isaac qui ne dépend plus de lui. En ce sens, il l’a vraiment sacrifié, remis à Dieu pour qu’il devienne lui-même devant Dieu. Il retrouve un Isaac vrai, transfiguré.

C’est ce que nous devons tous faire, au fond, avec celles et ceux, à commencer par nos enfants, que nous voudrions réduire à l’image que nous nous en faisons. Les élever, les élever devant Dieu pour les reconnaître comme ils sont devant lui.

Le mont de Moriyya où la Bible situe cette scène est identifié dans le judaïsme au mont du temple, à Jérusalem.

*

Revenant de ce mont du temple de Jérusalem, les parents de Jésus découvrent qu’il n’est pas là ! Il sont montés à Jérusalem pour célébrer la Pâque, mémoire de la sortie de l’esclavage et de l’agneau immolé, sacrifice par lequel était signifié le salut du peuple « perdu » au pays de l’esclavage. Et de même, pour ses parents, Jésus est « perdu » (« verloren » selon le mot allemand de la Cantate de Bach) ! Jusqu’à ce moment, ils ont pu se dire qu’il était quelque part avec ses amis, dormant sous telle ou telle tente. Rien que de très normal. Puis ils découvrent qu’il n’est pas là du tout ! Pour que toutefois le lecteur ne se trompe pas sur ce qui se passe, Luc précisera que Jésus « était soumis » à ses parents (Luc 2, 51), le tout en fidélité à l'enseignement de la Torah, fidélité dont il est question dans tout ce chapitre 2, de la présentation au temple jusqu’à cet épisode, qui correspond à ce que dans la tradition biblique, dès les temps les plus anciens, les enfants au tournant par lequel ils deviennent jeunes adultes, sont déclarés responsables devant Dieu — responsables de ce qu’ils ont entendu jusqu’alors. Responsables, c’est-à-dire en capacité de répondre ; de répondre à, de répondre de ; — et de répondre de la parole reçue.

C’est là ce que le judaïsme ultérieur, et celui d’aujourd’hui, appelle « bar-mitzvah » (ou « bat-mitzvah » pour les filles), ce qui signifie « enfant du commandement ». Dans notre enfance, nos parents sont responsables de notre relation avec Dieu. Puis nous accédons au temps où nous-mêmes devenons seuls responsables devant lui. C’est le passage à l’âge de la majorité religieuse.

Jésus aussi est passé par là. Ce jour-là, il se situe devant la parole de Dieu en présence des docteurs de la Loi étonnés. « Du ciel, il t’a fait entendre sa voix pour faire ton éducation » dit le Deutéronome (ch. 4, v. 36). Jésus dévoile qu’il est au cœur de cette relation intime avec Dieu. Ses parents sont montés à Jérusalem pour la Pâque. Tout le début de l’Évangile de Luc les montre observant la Torah : circoncision, présentation, pèlerinage de la Pâque, tournant de la responsabilité religieuse de leur fils aujourd’hui. Scènes ordinaires de la vie religieuse. Ici Jésus, atteignant son âge de la responsabilité devant la Loi, va exprimer dans tout son sens ce qu’est devenir adulte devant Dieu, unique devant Dieu, par soi-même et non plus par ses parents.

Cela correspond à sa parole : « il faut que je m’occupe des affaires de mon Père » : une leçon pour ses parents, et aussi pour nous — et comme parents et comme enfants. Dépouillé, « perdu » en regard des siens, pour être unique devant Dieu, Jésus s’occupe des affaires de son Père. Et c’est ce que Dieu nous demande aussi. Tous devons devenir adultes par rapport à ceux que nous recevons comme modèles. Ainsi dans sa Cantate écrite sur ce texte, Bach, dans la tradition luthérienne de sa piété, ouvre sur notre rapport intime avec le texte.

Il s’agit pour nous de vivre dans la lumière, la lumière de la parole de Dieu que l’on a appris à écouter… Comme Jésus. Et pour nous autres, par lui. Jean 8, 12 : « Jésus leur parla de nouveau et dit : Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »

Comme Jésus et, pour nous, par lui. Puisque, comme l’annonçait Jean 1, (v. 9 & 12-13), il est « la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. […] À tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. »

C’est ce qui est être éduqué, « conduit hors de » — hors de la captivité, rappelle la Pâque — ; et aussi hors de l’enfance, et de l’enfance spirituelle, pour être devant Dieu, comme Isaac après l’épisode du mont Moriyya. Et en parallèle, pour tous, comme parents, il s’agit de laisser être eux-mêmes, face au commandement qu’ils ont appris à connaître, ceux que nous tendons à maintenir dans notre dépendance, prolongeant leur enfance ; cela vaut concernant tout ce qui peut devenir une chaîne.

Ici, s’opère comme une nouvelle étape avec celles et ceux avec qui nous sommes liés, nos proches, nos parents — et aussi nos maîtres, et tout ce qu’on peut imaginer — ; s’opère comme une séparation, qui vaut jusqu’à nos biens et nos propres vies. C’est qu’il n’est de vie à l’image du Christ, de vie en vérité, que sous le regard de Dieu. Et cela suppose, tôt ou tard, l’abandon de tout autre regard dont notre vie serait censée dépendre, pas seulement le regard des parents, mais ce que peut conférer un statut social, ou une position dans la société ou dans l’Église. Il s’agit désormais de vivre devant Dieu par la foi seule.

C’est de cela que Jésus montre l’exemple dans ce texte qui nous le présente au Temple à douze ans. Il vit dans sa chair cet exemple-là, et dévoile par la même occasion qui il est : le Fils de Dieu. Il est par nature ce que nous sommes toutes et tous appelés à devenir par adoption.

Ici les trois jours de sa disparition revêtent un second sens, annonçant sa résurrection : « proclamé Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts », selon les mots de Paul.

Comme Jésus nous en donne l’exemple, devenir enfant de Dieu, c’est-à-dire adulte en Christ, requiert la fin, la mort de toute dépendance, y compris du regard d’autrui, dans la famille et hors de la famille, hors de l’Église et dans l’Église. C’est le départ de la libération par l’Évangile.

Alors, un monde nouveau, annonce des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, devient possible, un monde de relations humaines reconnaissant l’autre pour lui-même, fût-il son enfant, son père ou sa mère, être créé selon l’image de Dieu, manifestée en Christ et non selon mon image ! Un prochain qui n’est pas limité à nos schémas, mais d’une valeur infinie. Voilà tout un programme, qui n’est pas facultatif : abandonner autrui, à commencer par ses proches, à Dieu. Et, pour cela, nous y abandonner nous-mêmes, en écho à la Cantate de Bach disant avec le Cantique des Cantiques : c'est la voix de mon bien aimé. Il nous appelle à présent…


RP, Poitiers, 26.12.21
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Bach, Cantate BWV 154 — Mein liebster Jesus ist verloren
1er dimanche après l'Épiphanie — Luc 2, 41-49
Première exécution 9 janvier 1724 | Texte : Martin Jahn (Mvt 3 ) ; Luc 2, 49 (Mvt 5) ;
Christian Keymann (Mvt 8) ; Anonyme (Mvts 1, 2, 4, 6, 7) ; traduction Guy Laffaille :


1. Mein liebster Jesus ist verloren:
O Wort, das mir Verzweiflung bringt,
O Schwert, das durch die Seele dringt,
O Donnerwort in meinen Ohren.

2. Wo treff ich meinen Jesum an,
Wer zeiget mir die Bahn,
Wo meiner Seele brünstiges Verlangen,
Mein Heiland, hingegangen?
Kein Unglück kann mich so empfindlich
rühren,
Als wenn ich Jesum soll verlieren.

3. Jesu, mein Hort und Erretter,
Jesu, meine Zuversicht,
Jesu, starker Schlangentreter,
Jesu, meines Lebens Licht!
Wie verlanget meinem Herzen,
Jesulein, nach dir mit Schmerzen!
Komm, ach komm, ich warte dein,
Komm, o liebstes Jesulein!

4. Jesu, lass dich finden,
Lass doch meine Sünden
Keine dicke Wolken sein,
Wo du dich zum Schrecken
Willst für mich verstecken,
Stelle dich bald wieder ein!

5. Wisset ihr nicht, dass ich sein muss in dem, das meines Vaters ist?

6. Dies ist die Stimme meines Freundes,
Gott Lob und Dank!
Mein Jesu, mein getreuer Hort,
Läßt durch sein Wort
Sich wieder tröstlich hören;
Ich war vor Schmerzen krank,
Der Jammer wollte mir das Mark
In Beinen fast verzehren;
Nun aber wird mein Glaube wieder stark,
Nun bin ich höchst
erfreut;
Denn ich erblicke meiner Seele Wonne,
Den Heiland, meine Sonne,
Der nach betrübter
Trauernacht
Durch seinen Glanz mein Herze fröhlich macht.
Auf, Seele, mache dich bereit!
Du musst zu ihm
In seines Vaters Haus, hin in den
Tempel ziehn;
Da lässt er sich in seinem Wort erblicken,
Da will er dich im Sakrament erquicken;
Doch, willst du würdiglich sein Fleisch und Blut genießen,
So musst du Jesum auch in Buß und Glauben küssen.

7. Wohl mir, Jesus ist gefunden,
Nun bin ich nicht mehr betrübt.
Der, den meine Seele liebt,
Zeigt sich mir
zur frohen Stunden.
Ich will dich, mein Jesu, nun nimmermehr lassen,
Ich will dich im Glauben beständig
umfassen.

8. Meinen Jesum lass ich nicht,
Geh ihm ewig an der Seiten;
Christus lässt mich für und für
Zu den Lebensbächlein leiten.
Selig, wer mit mir so spricht:
Meinen Jesum lass ich nicht.


Mon très cher Jésus est perdu :
Ô parole qui m'apporte le désespoir,
Ô épée qui traverse mon âme,
Ô parole de tonnerre dans mon oreille.

Où vais-je trouver mon Jésus,
Qui me montre le chemin,
Où l'ardent désir de mon âme,
Mon sauveur, est-il allé ?
Aucun malheur ne peut me frapper plus durement,
Que la perte de Jésus.

Jésus, mon trésor et mon rédempteur,
Jésus, ma confiance,
Jésus, puissant écraseur de serpent,
Jésus, lumière de ma vie !
Comme mon cœur se languit,
Petit Jésus, de toi avec chagrin !
Viens, ah viens, je t'attends,
Viens, ô très cher petit Jésus !

Jésus, laisse-moi te trouver,
Ne laisse pas mes péchés
Être de lourds nuages
Où, pour mon horreur,
Tu serais caché de moi.
Apparais encore à moi !

Ne saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ?

C'est la voix de mon ami,
Louanges et merci à Dieu !
Mon Jésus, mon très cher trésor,
Permet, par sa parole,
Lui-même d'être entendu avec réconfort ;
J'avais des nausées de douleurs,
Mon chagrin aurait presque détruit
La moëlle dans mes os ;
Maintenant, pourtant, ma foi redevient forte,
Maintenant je suis dans le plus grand des bonheurs
Car je ressens la joie de mon âme,
Mon sauveur, mon soleil,
Qui après la nuit troublée par la
tristesse
Par son éclat fait mon cœur
se réjouir.
Debout, mon esprit, sois prêt !
Tu dois aller à lui,
Dans la maison de son Père, dans son
temple ;
Là il est visible dans sa parole,
Là il te rafraîchira dans le sacrement ;
Mais si tu veux profiter dignement sa chair et son sang,
Alors tu dois embrasser Jésus dans le repentir
et la foi

Quel bonheur, Jésus est retrouvé,
Maintenant je ne suis plus troublé.
Lui que mon âme aime
Se montre lui-même à moi à ce moment heureux.
Ô mon Jésus, je ne te quitterai
plus jamais,
Maintenant je t'embrasse dans la foi durablement.

Je ne laisserai pas Jésus aller,
Je marcherai à côté de lui pour toujours ;
Christ, pour toujours,
Me guidera aux sources de la vie.
Béni soit celui qui dit avec moi :
Je ne laisserai pas aller Jésus.


vendredi 24 décembre 2021

Parole de lumière devenue chair





Ésaïe 9, 1
Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière ;
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort
Une lumière resplendit.
Jean 1, 1-6, 9-10, 12-14
1 ‭Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.‭
2 ‭Elle était au commencement avec Dieu.‭
3 ‭Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.‭
‭4 En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.‭
5 ‭La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue.‭

‭9 Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout humain.‭
‭10 Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue.‭

12 ‭Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu,‭
13 lesquels sont nés, ‭non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.‭
14a ‭Et la parole est devenue chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité.

*

Lorsque, avant sa venue à l’être, Dieu envoie une âme dans le monde, celle-ci rechigne, supplie, fait tout pour éviter de venir au monde, selon un enseignement du judaïsme. Puis elle finit par céder – on peut penser : mi par lassitude, mi par inconscience, à défaut d’avoir pu mesurer les conséquences d’une telle acceptation. « Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire », écrira Jérémie (ch. 20, v 7) avant de maudire sa propre naissance (v. 14), à l’instar de Job (ch. 3). Si l’on en croit cet enseignement sur la réticence de l’âme à venir en ce monde, nous avons tous dit « non ».

Tous ? Un, toutefois, selon l'Évangile de Noël, a dit « oui » en connaissance de cause : celui qui, nous rejoignant dans notre humanité, est devenu chair (Jean 1, 14). Celui qui est la Parole de lumière, qui est le « oui » en qui tout a été fait, est « venu chez les siens » (Jn 1, 11a).

« ‭‭Toutes choses ont été faites par la Parole divine, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.‭ En elle était la vie, et la vie était la lumière des humains (Jean 1, 3-4).‭ Elle était la véritable lumière, qui éclaire tout humain venant dans le monde.‭ ‭Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue » (Jn 1, 9-10).

Nous voici donc toutes et tous avec notre « non » appelés à suivre par un acte de confiance celui qui a dit « oui » pour nous en toute connaissance de cause. Pour nous aussi, quoi qu'il en ressorte, il est alors temps, au-delà de nos refus de cette Parole – car nous ne l’avons d’abord pas reçue (comme le rappelle Jn 1, 11b) –, il est temps, par-delà nos refus, de recevoir le don qui nous est fait : à quiconque a reçu la Parole de lumière, « elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12).

C’est ce que nous rappelle Noël. Ici tout est renversé, tout devient possible.

*

« En cette Parole est la lumière du monde », avant même la lumière visible. Dans la Parole divine, la lumière apparaît : que Dieu dise — « que la lumière soit », et la lumière est (Genèse 1, 3). Cette véritable lumière est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme. C’est la lumière des origines, la lumière de la vie, sourcée dans la Parole qui fonde le monde… et le monde ne l’a pas connue, de même que « nul n’a jamais vu Dieu » (Jn 1, 18). Nous voilà, « les siens qui ne l’ont point reçue » (Jn 1, 11), comme un « peuple marchant dans les ténèbres ».

Mais voilà aussi que « le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière » (Ésaïe 9, 1). Ce texte d’Ésaïe lu à Noël nous rappelle que cette même Parole qui aux origines fait sortir la vie des ténèbres est à nouveau au recommencement de toute chose, il y a maintenant 2021 ans. Car cette lumière est venue jusqu’à nous, nous rejoignant au cœur « des ténèbres qui couvrent la terre, du brouillard qui couvre les cités » (És 60, 2). Quand les ténèbres et le brouillard de nos douleurs — deuils et maladies dans nos vies personnelles et familiales ; menace climatique, menace pandémique ; scandale des abîmes des inégalités sociales et des mépris, ébranlent notre vie commune, quand nous n'avons pas su recevoir l'enfant migrant de Bethléem, — tandis que les ténèbres couvrent la terre, tandis que le brouillard de nos douleurs nous empêche encore de voir clairement ce mystère, résonne déjà la promesse de la lumière de Dieu : « Lève-toi et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière : la gloire du Seigneur sur toi s'est levée. Voici qu'en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le Seigneur va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue. Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever » (Ésaïe 60, 1-3).

*

Tournée vers Dieu (Jn 1, 1), en vis-à-vis de Dieu comme l'image est en vis-à-vis dans le miroir qui la réfléchit, la Parole du commencement s’est approchée. Dans le vis-à-vis de sa Parole, devenue chair à Noël, est la pensée de Dieu même — « la Parole était Dieu ». C'est à cette Parole des origines, créatrice, que renvoie ce commencement de l’Évangile de Jean, et à la lumière qui en est le premier effet. Une lumière qui précède toute lumière, vraie lumière, qui éclaire tout humain venant dans le monde. ‭« ‭Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a fait connaître » (Jn 1, 18).

En cette lumière, donnée à Noël, et que toutes les lumières naturelles ou artificielles qui illuminent nos rues et nos maisons ne font que symboliser, en la lumière spirituelle des origines, vraie lumière de Noël, le monde nouveau de la résurrection est désormais répandu comme une graine de lumière : venue à nous à Noël, cette même Parole de lumière qui nous a fait venir à l'être peut aussi nous faire venir dès ce temps à la vie de Dieu, pourvu que nous l'accueillions : « ‭à toutes celles et ceux l’ont reçue, qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, nés, ‭non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu »‭ (Jn 1, 12-13). Aujourd'hui à nouveau, Dieu nous accueille par pure grâce, par don, vrai cadeau de Noël pour nous porter à travers les jours qui s’ouvrent, et que nos lendemains soient lumière.


RP, Veillée de Noël, Poitiers 24.12.2021
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dimanche 19 décembre 2021

Secret du don de Dieu




Michée 5, 1-5 ; Psaume 80 ; Hébreux 10, 5-10 ; Luc 1, 39-45

Luc 1, 39-45
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
41 Or, lorsque Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein !
43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.
45 Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira ! »

*

Qu'a dit celui qui a répandu comme une onction son ombre (Luc 1, 35) et son Nom sur le « oui » de la jeune fille (cf. Cantique des Cantiques 1, 3) qui visite ce jour le foyer sacerdotal de sa parente Élisabeth, dans les montagnes de Judée ? « Je t'aime comme l'on aime certaines choses obscures, de façon secrète, entre l'ombre et l'âme ». J'emprunte ces mots au poète Pablo Neruda, donnant comme un écho à la Parole adressée aujourd'hui dans le secret à la jeune femme, bénie entre toutes les femmes, selon l'Évangile, bénie d'un secret (« le Saint Esprit de couvrira de son ombre » — a dit l’ange, Luc 1, 35), un secret appelé à résonner intimement au cœur de nos âmes, au cœur de nos vies à chacune et chacun.

Y a-t-il au fond, déclaration ou don d'amour dont la vérité profonde ne soit pas secrète, au-delà de ce que les mots peuvent dire, sauf à s'en tenir à la surface, sauf à attendre de recevoir en retour ?

Nous sommes bien, avec l'Évangile de ce jour, au jour d'un secret, un secret qui s'est tramé dans le sein d'une jeune fille, entre Dieu et elle, puis partagé ici entre deux femmes, secret qui caractérise le don de Dieu. Un don de Dieu est de l'ordre du secret ! Mais qui sait le percevoir ? L'enfant d’Élisabeth enceinte, qui tressaille dans le sein de sa mère.

Le don de Dieu, appelé à germer dans nos vies est donc d'abord un secret.

Jean, dans le sein de sa mère, tressaille en la présence de ce secret du don de Dieu : caché dans la vie de la mère enceinte du Messie. Et la mère de Jean traduit, selon l'Esprit saint précise le texte, le sens de ce tressaillement : « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni. Cela m'est un privilège que tu me visites ! » — « Bienheureuse celle qui a cru. »

« Bienheureuse parce que tel est le fruit de ton sein. » On retrouve plus tard, en Luc 11 (v. 27-28), une bénédiction semblable prononcée par une autre une femme, anonyme, celle-là : « Une femme, élevant la voix du milieu de la foule, dit à Jésus : Heureux le sein qui t’a porté ! Heureux les seins qui t’ont allaité ! Et il répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »

Bénédiction similaire à celle d'Élisabeth, prononcée d'abord par Élisabeth dans l'intimité des commencements.

*

L'épisode du ch. 11 renvoie donc à ce ch. 1, à notre passage, et au v. 48, où Marie y fait elle-même écho : « toutes les générations me diront bienheureuse », disait Marie. Makaria, le même mot : la femme du ch. 11 entame l'accomplissement de la parole l’Élisabeth, et la parole de Marie sur elle-même : « toutes les générations me diront bienheureuse ».

Et Jésus, lui, la renvoie à cette autre bénédiction que prononçait Élisabeth sur sa mère : en Luc 1, 45, elle prononçait : « heureuse celle qui a cru ». Et voilà qui nous renvoie aussi à toutes les grandes ancêtres, et en premier lieu à Sara, et à la promesse à Abraham. Espérer contre toute espérance, écouter la parole de Dieu et la garder pour la voir germer. « Heureuses, heureux ceux qui écoutent la Parole et la gardent ». Et plus encore, ici : c'est le Fils de Dieu que Marie a porté.

Ici Dieu a renversé tous les impossibles : on croirait savoir que les stériles n'enfantent pas, pas plus que les vierges ; on croirait savoir que les morts ne ressuscitent ni que les prophètes ne marchent sur les eaux ou que les pains se multiplient pour les pauvres !

*

Et voilà que Dieu intervient ! Secrètement. Voilà que s'approche le temps où les souffrances prennent fin. Voilà que l'on découvre dans l'intimité de la rencontre de deux femmes, que Dieu, discrètement, dans le secret, prépare ce grand moment de façon cachée dans le sein d'une femme.

Cela, Jean dans le sein de sa mère et Élisabeth à son tour, le pressentent : le jour de la délivrance approche. Ce jour que nous fêtons à Noël. Et Élisabeth a perçu le comment de l'accueil de cette délivrance : « heureuse celle qui a cru à l'accomplissement de la promesse. » Et elle est bien placée pour savoir, Élisabeth, elle, stérile mais qui a bénéficié pour sa part du miracle de l'enfantement.

Mais le miracle fondamental, c'est bien sûr le mystère de la Parole. Cette Parole non seulement a fait germer le sein d'Élisabeth, et le sein de Marie, — mais c'est cette Parole-même que Marie porte en son sein, c'est le Messie par qui vient la délivrance. Élisabeth l'a compris. Son miracle à elle est là comme signe, comme tout autre miracle, jamais fin en soi.

Marie, elle, porte une tout autre réalité. En elle la Parole devient chair, pour porter toutes nos délivrances. Cette Parole est la Parole qu'il faut écouter et recevoir. Cette même Parole que Marie recevait et qui faisant fructifier son sein vierge, cette Parole est ainsi annoncée comme une semence, qui, contre tous les malheurs, est destinée à germer jusque dans le Royaume.

L'intervention de Dieu n'est pas tant de l'ordre du coup d'éclat que du type de la semence. La semence d'une parole qui, reçue et gardée, produira des fruits inimaginables depuis le cœur de nos malheurs. La semence de la parole de Dieu dans le sein de Marie est celle du corps du Christ ressuscité.

Cette Parole engendre par le Christ des enfants qui ne sont pas nés de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. Au cœur des impossibles, c'est la Parole de Dieu seul qui fait germer son Royaume.

Impossible ! Mais c'est précisément ça, l’Évangile ! Dieu, dans le secret, fait ce qui est impossible, ce que les sages ne peuvent pas admettre, le don gratuit se fait dans le secret.


R.P., Poitiers, 4er dimanche de l'Avent, 19.12.2021
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dimanche 12 décembre 2021

"Que nous faut-il donc faire ?"




Sophonie 3, 14-20 ; Ésaïe 12 ; Philippiens 4, 4-7 ; Luc 3, 10-18

Luc 3, 10-18
10 Les foules demandaient à Jean : « Que nous faut-il donc faire ? »
11 Il leur répondait : « Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même. »
12 Des collecteurs d’impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent : « Maître, que nous faut-il faire ? » 13 Il leur dit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé. »
14 Des soldats lui demandaient : « Et nous, que nous faut-il faire ? » Il leur dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde. »
15 Le peuple était dans l’attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean : ne serait-il pas le Messie ?
16 il leur dit à tous : Moi, je vous baptise d’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu.
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier ; mais la balle, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »
18 Ainsi, avec bien d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

*

« Moi, je vous baptise d’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers. Lui, il vous baptisera d'Esprit saint et de feu. »

Il y a dans le judaïsme du premier siècle un baptême, qui existe toujours : celui qui accompagne la conversion d’une famille au judaïsme. Lorsqu’une famille se convertit, tous ses membres sont baptisés : les hommes sont circoncis, et tous sont baptisés, hommes, femmes, enfants. Ceux qui naissent après cette conversion ne sont plus baptisés : les garçons sont circoncis, et, estime-t-on, tous et toutes ont été baptisés lors du baptême collectif des parents, grands-parents, aïeuls, etc.

On trouve trace de cette pratique dans l’Église primitive, et notamment chez Paul écrivant aux Corinthiens que les enfants nés d’un parent croyant sont « saints ». La même idée, avec les mêmes termes, est derrière. L’appartenance au peuple de l’Alliance confère une participation à la sainteté du Dieu qui s’est allié avec lui. Ce qui est symbolisé, lors de l’entrée de la famille dans le peuple de l'Alliance, par le baptême. « Vos enfants sont saints », dit Paul aux Corinthiens (1 Co 7, 14).

« Vos enfants sont saints ». Une conviction qui est aussi fort proche du risque que souligne Jean le Baptiste prêchant un baptême de conversion au bord du Jourdain. Rappelons-nous qu’il récuse la prétention de ses auditeurs de se prévaloir d’Abraham pour se dire ipso facto purs ou saints (v. 8) : « Produisez donc des fruits dignes de la repentance, et ne vous mettez pas à dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ! Car je vous déclare que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. »

Ayant dit tout cela, on situe mieux ce qu’il en est de ce baptême, dit « de conversion », qui éveille en écho la question : « Que nous faut-il donc faire ? »… Puisque le mot conversion peut se traduire aussi par « repentir », ou, selon ce mot anglais devenu commun en français, « repentance ». Suivant le latin, le Moyen Âge disait « pénitence ». Autant de traductions approximatives de ce qui est littéralement « changement d’intelligence ». Jean prêchait un baptême de « changement d’intelligence », autrement dit « changement de compréhension ».

Le terme grec traduit le mot hébreu « retour » : retour à Dieu, dans le signe du retour de Babylone à Jérusalem, retour qui supposait la traversée du Jourdain — où Jean baptise. Retour donc de notre exil loin de Dieu — à Babylone. Si le retour géographique a déjà eu lieu, lors du retour d’exil, il reste à l’accomplir de façon spirituelle, à accomplir ce qu’il signifie : retour à Dieu.

À ce point, ayant vu la façon dont se comprenait le baptême — purification, par le passage des idoles — de Babylone — à la sainteté du peuple de l’Alliance — à Jérusalem —, on comprend le sens de ce baptême de retour, de retour à Dieu, dans un changement d’intelligence, un changement de compréhension : vous pensez que le baptême est le rite qui vous a purifiés, ou plus précisément, qui a symbolisé votre purification ?

Quel que soit l’âge où le baptême vous a été administré, ce signe de votre venue à cette pureté qui est d’appartenir à la famille d’Abraham (« vous rendez vos prosélytes pires que vous », dira de même Jésus) — et ici cela nous concerne aussi, héritiers d’Abraham par le Christ — ; si vous pensez que le baptême vous a acquis pureté et sainteté… si vous pensez cela, eh bien ! vous vous trompez vous-mêmes, dit Jean. Changez votre compréhension.

On n’est jamais assez bien purifié, même si on est le peuple avec lequel Dieu s’est allié.

Alors Jean va un peu plus loin avec son baptême de retour à Dieu, de conversion, ou repentance, changement d’intelligence en vue du pardon des péchés. Vous qui prétendez être purs, qui l’avez symbolisé lors de votre entrée dans l’Alliance  vous avez bel et bien besoin de confesser, de reconnaître que vous êtes impurs, « engeance de vipères » (v. 7).

C’est le nouveau sens que prend le baptême avec la prédication de Jean. C’est pour cela que Jean sera tellement gêné à l’idée de baptiser Jésus. Et Jésus qui dit : « laisse faire » ! Non pas que Jésus soit pécheur à l’instar des autres ! Mais il se solidarise avec les autres, nous autres.

Mais du coup, aussi, on voit bien le sens du baptême de conversion, de repentance, de changement d’intelligence qui est celui de Jean, et c’est là que cela nous concerne tous. Si on veut comprendre le message de Jean, changer nos intelligences, vivre ce que Jésus y a vécu pour nous, il nous faut savoir que lorsque nous demandons le baptême pour nous ou pour nos enfants, nous sommes avant tout en train de dire que nous sommes des pécheurs, que nous reconnaissons que nous et nos enfants sommes des pécheurs — et donc de nous solidariser avec toutes et tous.

Depuis Jean, nous devons savoir que c’est cela que nous reconnaissons. Demander un baptême pour soi ou pour ses enfants, c’est dire, à moins de devoir encore écouter Jean et changer encore son intelligence —, c’est dire : je suis un pécheur, moi et les miens, comme tout le monde ; ou en d’autres termes, je n’ai rien, moi et les miens, de brillant, dont je puisse me prévaloir devant Dieu, comme tout le monde dont je suis ipso facto solidaire.

Et ce faisant, il ne faut pas se faire d’illusions : la venue du salut de Dieu, « Lui, celui qui vient après moi, vous baptisera du Saint-Esprit et de feu », la venue du salut de Dieu est au prix du repentir qui fait dire aux foules : « que nous faut-il donc faire ? », sans que l'observance des exhortations, pourtant de haut niveau, par lesquelles Jean répond, ne mette quiconque au niveau du don de Dieu. C'est au mieux une façon de reconnaître qu'il y a une distance réelle entre nous et le salut de Dieu. Reconnaître ce que dira Jésus : Dieu ne sauve que des pécheurs. Et ici la tortuosité — rappelons-nous : « rendez droits ses sentiers », disait Jean citant Ésaïe — la tortuosité ne consiste pas à se savoir tordu, mais à se prétendre droit.

Reconnaître être tordu est le premier pas vers la vie vraie, dans l'espérance du don de l'Esprit saint, feu qui purifie, sens intérieur du baptême. Se prétendre droit est le meilleur moyen de ne pas l’être, et de rester tordu. « Rendez droits ses sentiers ». De la façon suivante : toute montagne, ou même colline — ou même taupinière, pourrait-on ajouter —, tout ce qui se prétend au-dessus des autres ; tout cela sera abaissé. Cela veut dire : humilité, tout simplement. Le salut de Dieu, c’est-à-dire la paix, est établi ainsi.

*

On perçoit ainsi comment le salut de Dieu, qui naît avec la paix de Noël, qui naît tout petit avec l’enfant de la crèche — on perçoit comment ce salut qui naît dans l’humilité vient sur la terre.

L’Avent est l’attente du Christ, et l’attente du Christ consiste à aplanir ses sentiers, comme le prêche le Baptiste…

Jean proclame un baptême de changement d’intelligence pour préparer la venue du Seigneur, la venue de celui qui amène le salut de Dieu en venant d'abord tout petit à Noël. C’est ainsi que « tous verront le salut de Dieu » (v. 6), et qu’il faudra donc bien vivre ensemble pour que règne sur la terre la paix de Noël.

Si le souvenir de notre baptême n’est pas aussi le rappel de la nécessité de ce changement d’intelligence, de la question « que nous faut-il donc faire ? », même à petite mesure ; si la parole vigoureuse de Jean ne vient pas changer notre compréhension des choses, alors Noël risque de ne rester pour nous qu’une affaire tristement consumériste, triste comme le jeune homme riche (Luc 18, 22-23).

Mais nous le savons, Noël est aussi autre chose, où la parole de Jean le Baptiste apparaît comme Bonne Nouvelle : « avec bien d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle », nous dit le texte ; alors, par le don de l'Esprit porté par Jésus Christ, Dieu se donne comme notre consolateur pour que nous venions à celui qui vient à nous comme un enfant pour nous donner sa paix, sans rien nous demander ; que, ravins ou montagnes, nous confessions être impuissants devant notre propre tortuosité. Alors le salut de Dieu s’est approché comme Bonne Nouvelle ; la paix de Noël, est là tout proche, offerte pleinement.

Celui qui vient à Noël nous a précédés, si bien que se dévoile un tout autre niveau de cette conversion, de ce retour selon le sens premier. Il se dévoile comme plénitude, dans l'Esprit saint, de retour à Dieu, feu dévorant et purificateur. Il s’agit de se tourner vers cette lumière, de se tourner vers la lumière qui précède tout ce qui n’en est que l’ombre…

Colossiens 1, 13-20 :
13 Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres
et nous a transférés dans le royaume du Fils de son amour;
14 en lui nous sommes délivrés, nos péchés sont pardonnés.
15 Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature,
16 car en lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, […]
18 Il est le commencement, Premier-né d’entre les morts,
afin de tenir en tout, lui, le premier rang.
19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude
20 et de tout réconcilier par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux […].

C’est encore l’appel du prophète Ésaïe (60, 1-3) :
1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière :
la gloire du SEIGNEUR sur toi s’est levée.
2 Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités,
mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.
3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever.


R.P., Châtellerault, 3e dimanche de l'Avent, 12.12.21
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