Affichage des articles dont le libellé est - Avent. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est - Avent. Afficher tous les articles

dimanche 8 décembre 2024

Recevoir la Parole qui sauve





Ésaïe 7, 10-16
10 Le SEIGNEUR parla encore à Akhaz en ces termes :
11 « Demande un signe pour toi au SEIGNEUR ton Dieu, demande-le au plus profond ou sur les sommets, là-haut. »
12 Akhaz répondit : « Je n'en demanderai pas et je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l'épreuve. »
13 Il dit alors :
Écoutez donc, maison de David !
Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes,
que vous fatiguiez aussi mon Dieu ?
14 Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe :
Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils
et elle lui donnera le nom d'Emmanuel.
15 De crème et de miel il se nourrira,
sachant rejeter le mal et choisir le bien.
16 Avant même que l'enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
elle sera abandonnée, la terre dont tu crains les deux rois.


Matthieu 1, 18-25
18 Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint.
19 Joseph, son mari, qui était juste et qui ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret.
20 Comme il y pensait, l'ange du Seigneur lui apparut en rêve et dit : Joseph, fils de David, n'aie pas peur de prendre chez toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient de l'Esprit saint ;
21 elle mettra au monde un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.
22 Tout cela arriva afin que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l'entremise du prophète :
23 "La vierge sera enceinte ; elle mettra au monde un fils et on l'appellera du nom d'Emmanuel", ce qui se traduit : Dieu avec nous.
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui.
25 Mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût mis au monde un fils, qu'il appela du nom de Jésus.


*

Mais enfin, comment s’appelle-t-il, ce petit : Jésus ou Emmanuel ? À l'époque, on sait que les prénoms ont un sens et on sait lequel : « l’Éternel sauve », pour le nom « Jésus » — et il sauve par sa présence avec nous — « Emmanuel, Dieu avec nous » ; selon la promesse de la bénédiction annoncée par le prophète Ésaïe : le Seigneur est avec nous.

Joseph est un homme juste, nous dit Matthieu, homme de pardon, donc, comme le Joseph de la Genèse pardonnant à ses frères. Cet autre Joseph, celui de Marie, pardonne aussi… à qui ? Non pas à Marie : il croit la vision angélique qui la concerne. Il pardonne… à Dieu lui-même ! En adoptant Jésus.

*

Confirmant l’immensité du pouvoir du pardon. « Le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible — à savoir défaire ce qui a été — et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin. » (Je viens de citer la philosophe Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne.)

Ce que défait le pardon, ce qui a été et où tout semblait avoir pris fin, Ésaïe en parle un peu plus loin juste après l’annonce d’Emmanuel (ch. 7 v. 14). Deux versets après il est question d’une menace, puis au ch. 8 v. 3, d’un autre enfant dont le nom, Maher-Schalal-Chasch-Baz, parle de la prochaine invasion de l'empire assyrien, qui va ravager le pays en 722 av. JC, selon le sens du nom de cet enfant à naître. Une détresse immense se profile. Or comme le dira Jésus quelques siècles après à propos d'une autre catastrophe similaire, la destruction de Jérusalem en l’an 70 : c’est quand la détresse sera la plus terrible, dit-il, qu’il est temps de lever vos têtes (Mt 24, 29-33).

Même message que celui donné dans l’enfant de l’espérance, impossible et pourtant donnée, au livre d’Ésaïe : avant le ch. 8 prévoyant la détresse, le ch. 7, où est annoncé Emmanuel, et après le ch. 8, le ch. 9 annonçant à nouveau : « un enfant nous est né », source d'une espérance contre toute espérance.

« C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles annonçant leur “bonne nouvelle” : “Un enfant nous est né.” » (Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, in L'humaine condition, Quarto p. 259.)

Hannah Arendt se trompe sur l’origine de ce texte. Il ne se trouve pas dans les Évangiles mais dans le livre du prophète Ésaïe (ch. 9, v. 6), un peu après le passage annonçant Emmanuel. Mais le message qu’elle y a lu est le bon. L’enfant comme signe de ce que tout est à nouveau possible, tout comme avec le pardon.

*

Or comme l’indique le nom Jésus signifiant « le Seigneur sauve » ; il est lui-même en sa chair, la Parole qui sauve, pardonne, et promet : Dieu avec nous, Emmanuel.

Eh bien, c’est cela que Joseph adopte en adoptant Jésus. Et c'est cela qu’il s’agit pour nous aussi d’adopter : le salut de Dieu, son projet pour nous, même dérangeant — pour que s’accomplisse, au cœur même de la nuit, la promesse selon laquelle Dieu sera avec nous : Emmanuel, l’enfant de la jeune femme d’Ésaïe que l’Évangile retrouve dans la Vierge Marie.

Pour cela, il nous appartient d’accepter à notre tour ce que Joseph a accepté : accepter que la réalité la plus importante de notre vie ne vienne pas de nous-mêmes (comme Jésus ne vient pas de Joseph), et même nous dérange, comme un enfant qui ne vient pas de nous. Le cadeau de Dieu n’est pas quelque chose que nous devons produire par nous-mêmes, il est à recevoir, à adopter comme Joseph adopte dans la foi l’enfant que porte Marie, comme une chose impossible et pourtant là : une vierge a enfanté. Une réalité nouvelle qui nous surprend et nous dépasse, une réalité vivante que l’on ne peut connaître qu’en acceptant de la recevoir et de l’aimer : « Dieu avec nous ».

Joseph a dû accepter cette naissance. Nous avons du mal à adopter le salut de Dieu. Cela choque notre volonté naturelle, celle d’être, tout seuls, artisans de notre vie. Mais c’est vital. C’est déjà une bonne idée de placer sa foi en quelque chose de plus grand que soi-même. C’est déjà bien, par exemple, d’avoir foi en un idéal.

Mais plus que cela, en choisissant d’adopter cet enfant, Joseph reconnaît à Dieu sa place au-dessus de lui-même. Et il nous indique à l’avance que Jésus vient pour une mission inouïe : c'est lui qui, selon le sens de son nom Jésus, sauvera son peuple de ses fautes.

Joseph, alors, a choisi : placer sa foi en Dieu, et faire passer ses propres aspirations après.

*

C'est ainsi que l’accomplissement de nos vies se fait quand nous sommes habités, transformés par la présence de Dieu. C’est pourquoi Jésus est Emmanuel, il nous sauve, selon son nom « le Seigneur sauve » en étant « Dieu avec nous ».

Celui qui est à l'origine de toutes choses vient dans notre propre histoire, pour faire grandir en nous une réalité nouvelle.

Cette transformation, cette nouvelle dimension de notre vie est au-delà des mots de notre quotidien.

Notre existence est faite pour être renouvelée par la présence permanente de la nouveauté de vie en Dieu, au cœur de nos réalités quotidiennes.

La présence de Dieu dans notre vie ne remplace pas ce que nous sommes, elle l'élève à toute sa dignité. Et ce nous-même qui naît de la sorte est effectivement un être nouveau, mais c’est en même temps ce que nous sommes — pleinement, comme réalité nouvelle fondée en Dieu.


RP, La Rochelle 8.12.24
Format imprimable






dimanche 1 décembre 2024

Temps menaçant




Jérémie 33.14-16 ; Ps 25 ; 1 Thess 3.12-4.2 ; Luc 21.25-36

Jérémie 33, 14-16
14 Des jours viennent – oracle du SEIGNEUR – où j’accomplirai la promesse que j’ai faite à la communauté d’Israël et à la communauté de Juda.
15 En ce temps-là, à ce moment même, je ferai croître pour David un rejeton légitime qui défendra le droit et la justice dans le pays.
16 En ce temps-là, Juda sera sauvée et Jérusalem habitera en sécurité. Voici le nom dont on la nommera : « Le SEIGNEUR, c’est lui notre justice. »

Luc 21, 25-36
25 « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation,
26 tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; car les puissances des cieux seront ébranlées.
27 Alors, ils verront le Fils de l’homme venir entouré d’une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire.
28 « Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche. »
29 Et il leur dit une comparaison : « Voyez le figuier et tous les arbres :
30 dès qu’ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l’été est proche.
31 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche.
32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n’arrive.
33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
34 « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s’alourdissent dans l’ivresse, les beuveries et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste,
35 comme un filet ; car il s’abattra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière.
36 Mais restez éveillés dans une prière de tous les instants pour être jugés dignes d’échapper à tous ces événements à venir et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »


*

Ces paroles de Jésus rapportées par Luc prennent place à la fin de la prophétie qu'il donne à ses disciples suite à leur admiration du Temple de Jérusalem.

Jésus vient d'annoncer une suite d'événements terribles, avec à leur terme la ruine de Jérusalem et la profanation du Temple. On sait qu'il en a été comme Jésus l'annonçait, avec au comble la profanation du Temple, lors de l'attaque de Jérusalem, qui aura lieu en 70. La génération à laquelle il s'adressait n'est point passée qu'elle n'ait vu cela ; une détresse incomparable : Jésus discernait bien la menace — sans que pour autant il n'en connaisse le jour (ou la nuit), ni la saison (Mt 24, 36).

*

Car la prophétie est lecture inspirée du temps et des événements — et par là peut éventuellement être annonce. Mais elle se rapporte à des données. Rappelons quelques unes de ces données : après une brève période d'indépendance sous les Grecs, avec la résistance des Maccabées, le pays est sous domination romaine depuis 63 av. J.C. La Judée a cessé d'être un royaume juif depuis la mort d'Hérode le Grand, en 4 av. J.C. Si son fils Archélaüs hérite la Judée, il n'a pas le titre royal, et lorsque César Auguste le dépose, en 6 ap. J.C., il nomme à sa place un procurateur, un préfet romain. À l'époque où Jésus donne cette prophétie, le procurateur de Judée est le fameux Ponce-Pilate, qui quelques heures plus tard participera au jeu des dirigeants de la région (le grand prêtre, Hérode Antipas, tétrarque de Galilée) refusant à tour de rôle leur responsabilité dans le procès de Jésus.

C'est sur cette terre juive en peau de chagrin que Jésus prophétise. Il invite à la lucidité et à la vigilance sur la continuation probable de l'évolution de la situation, jusqu'à la ruine de Jérusalem. En prophète, inspiré, il lit le sens de ce qui advient inévitablement, de ce qui advient en fonction de ce sens même : Dieu est las de notre état. L'épée de Damoclès ne tardera plus à tomber comme l'évolution de la situation n'en laisse que peu de doutes.

Et voilà que les responsables de la nation — Jésus en pleure — restent sourds, sûrs de leur bonne relation avec Dieu ! On peut déjà percevoir, pour un temps comme le nôtre, l'actualité de la surdité…

*

Les disciples, eux, ne peuvent pas ne pas savoir que la détresse qui menace va les affecter aussi — peut-être personnellement — et de toute façon au plus profond de leur amour pour ceux de leurs proches et amis qui préfèrent nourrir leur optimisme de fêtes plutôt que de fuir vers les montagnes qui entourent Jérusalem, comme y invite Jésus. Car c'est concrètement de cette façon qu'ils pourront éventuellement éviter le massacre dont Jésus les avertit qu'il sera bientôt perpétré par les Romains. C'est là précisément que doit prendre place la vigilance à laquelle Jésus appelle. Veillez (v. 36) !

*

On le voit donc : avertissement très concret face à une menace très concrète. Avec un encouragement vigoureux à tenir ferme, fondés en l'inespéré. Mais ces menaces concrètes, historiquement situées, ont une portée beaucoup plus large — étendue même aux nations (v. 25), et au reste du temps et de l'histoire, jusqu'aux “puissances des cieux” (v. 26). La détresse et la douleur concernent tout un chacun, de façon plus ou moins atroce, en cette vie de pèlerins. Ses effets sont d'autant moins destructeurs qu'on a vécu dans la conscience de notre exil. Quel n'est pas le choc de qui ignore avec superbe le malheur qui ne cesse de l'entourer, au jour où il frappe ! C'est chacun donc, que Jésus invite à ouvrir les yeux sur le fait incontournable de sa non-éternité. Non pas pour le plaisir de jouer les rabats-joie, mais pour nous éviter de trop douloureuses désillusions et nous inviter à bâtir une espérance contre toutes les espérances.

Alors seulement s'ouvre une possibilité de vivre, dans la conscience de leur vanité — et dans la reconnaissance —, les joies d'un quotidien fragile et en passe de se faner.

Dans un temps de détresse, recevoir les délicates fleurs du quotidien et des fêtes du temps, comme autant de signes du jour éternel de la Présence du Christ — dans la certitude que le Temple éternel prend place au milieu des humains dans la Jérusalem qui vient.

*

Car c'est dans le cadre d’une menace concrète que Jésus enseigne ses disciples à percevoir, du cœur de la douleur, le signe de l'inespéré, le signe de sa venue en gloire ; et enseigne parallèlement aux optimistes, aux adeptes du « tout va bien » — du moins à ceux qui voudraient bien entendre sa voix à travers les musiques de leurs fêtes, — que les temps ne sont pas précisément à la fête. Mais, à nouveau, n'allons pas penser, puisque les événements, sur le plan historique, touchent l'Israël du premier siècle, que les avertissements de Jésus ne nous concernent pas, et que c'est dorénavant que « tout va bien ». Ne nous y trompons pas : la fête n'est point du temps, où la détresse s'accentue sous les yeux qui savent voir. (Fanatiques dont les projets sont d’emprisonner les femmes et d'égorger leurs semblables, psychopathes dotés d'armes atomiques, etc.)

Au cœur de cette détresse, la consolation, donnée dès aujourd'hui, est de l'éternité. « Malheur à vous qui riez, car vous serez dans le deuil et les larmes » (Luc 6, 25). Mais « heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » (Mt 5, 4). Cette consolation est, dans la perception aujourd'hui même, de l'inespéré, au point que la détresse elle-même en devient signe de délivrance, comme les pousses du figuier sont le signe de l'été qui vient (selon cette autre image que donne Jésus dans cette même prophétie).

La menace qu’annonce Jésus sur ceux qui rient n'est pas pour autant un encouragement au ressentiment de ceux qui, pleurant, croiraient devoir espérer une contrepartie céleste de ce qui ne serait que leurs frustrations. Il s’agit, à l’inverse, de reconnaissance. Jésus invite ses disciples, au contraire du ressentiment, à se placer dans la joie de l'inespéré au cœur de la détresse qui menace. Face à une menace concrète, il s’agit concrètement de vivre dans la reconnaissance !

*

Reconnaissance ?! Étrange ? Reconnaissance de quoi, et pour quoi ? Reconnaissance pour ce qui se cache là : « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur ». Reconnaissance pour le trésor qui nous est octroyé déjà dans le temps, caché au cœur du temps… Le Royaume et les critères de ce monde — fragile, menacé, lourd de détresse et de menace — sont incompatibles. Or c’est là une parole de consolation considérable : le surgissement imminent de l’inespéré : « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur ». C’est la clef de la vigilance, cette sagesse qui seule rend disponible au Christ, qui vient au jour de l’inespéré.

Reconnaissance pour le trésor caché par lequel tout nous est donné. La question, aujourd'hui encore, est donc celle de savoir où est notre trésor, et l'ayant trouvé, comme l'homme de la parabole ayant trouvé un trésor dans un champ, si nous le jugeons suffisamment précieux pour tout lui abandonner. Plus précieux que nos biens passagers… qui nous sont donnés en plus — simplement en plus, et en signe du trésor éternel qui seul ne passe pas, que ni les armées romaines ni quelque autre menace ne peuvent atteindre.

Le Règne de Dieu et sa justice, tel est le vrai trésor, avec quoi tout est donné en plus : le Règne de Dieu qui ne va pas sans sa justice. Les biens de ce monde viennent en plus : voilà une connaissance qui ouvre à la possibilité de la reconnaissance. Savoir que rien n’est dû, que tout est en plus, et passager ; puisque tout est passager, et comme tel, sujet de reconnaissance.

Or, c’est là que s’accomplit le premier commandement. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton souffle, de toute ton intelligence, de tous tes moyens. » Comment ? Par la reconnaissance… L’accueil reconnaissant du simple fait d’avoir connu la sensation d’un rayon de soleil ou du souffle du vent. Autant de signes du don de Dieu qui perce au-delà de la détresse du temps et de sa déperdition — dont Jésus annonce l’effet redoutable dans la présence romaine au cœur de Jérusalem.

La vigilance à laquelle nous sommes appelés dans la détresse des temps est là. Elle concerne la justice du Royaume que Jésus nous invite à rechercher. Une justice qui consiste en un autre vécu de nos jours, selon d'autres règles, celles d’une vigilance ancrée dans la reconnaissance. Il nous est donné beaucoup, autant de signes, mais signes seulement, du trésor éternel.


RP, Châtellerault, 1er dimanche de l’avent, 1.12.24
Culte en entier :: :: Prédication (format imprimable)


dimanche 18 décembre 2022

L’Avent, les Mages et le Père Noël




Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des Mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent : « Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. »
3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 « À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple. »
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les Mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage. »
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.
10 À la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

*

(Lectures du 11.12 : Ésaïe 35, 1-6 & 10 ; Psaume 146 ; Jacques 5, 7-10 ; Matthieu 11, 2-11
Lectures du 18.12 : Ésaïe 7, 10-16 ; Psaume 24 ; Romains 1, 1-7 ; Matthieu 1, 18-25)


L’Avent, c'est-à-dire « la venue », « l'arrivée », est cette période où l'on se souvient que l’on attend la venue de Jésus. On attend sa venue pour établir le Règne de paix promis par Dieu ; et on se souvient de la première attente de sa venue à Noël. On attendait Noël, le cadeau de Dieu à Noël. C'est ici que, plus tard, intervient le Père Noël — sans oublier, avant lui, les Mages. Jusqu'à aujourd'hui, en Espagne, ce sont eux qui apportent les cadeaux de Noël aux enfants. Comme, selon Matthieu, ils ont apporté des cadeaux à Jésus. Avant cela, ils ont été les hommes de l'attente, l'attente de la venue du Messie d'Israël. Ils sont témoins d'une longue attente.

Ces fameux Mages, prêtres lointains, venus d’Orient, le pays d’où se lève le soleil, amènent des cadeaux aux pieds du Messie biblique de Matthieu, aux pieds d'un enfant, cadeau lui-même, cadeau de Dieu (auquel répondent les cadeaux des Mages, disant sa royauté, sa prêtrise, sa mort : l’or, l'encens, la myrrhe) ; cadeau de Dieu né dans les ténèbres de l'humilité — la nuit, donc, dans le temps angélique —, les voilà bientôt sacrés rois, accomplissant les prophéties annonçant les rois de toutes les nations venant à Jérusalem, devenus ensuite trois Rois-Mages représentant les rois des trois continents d'alors, rois rayonnants de lumière, là où Matthieu les présentait comme des prêtres arrivant peut-être quelques deux ans après l’événement (ce pourquoi Hérode voulait voir disparaître les enfants de Bethléem jusqu'à deux ans) — ces prêtres, des savants dira-t-on bientôt, miraculeusement présents, grâce à leur science des étoiles, la nuit du 25 décembre -0001. Car on s’est mis à enseigner aussi que Jésus est né un 25 décembre. Mais, nous disent les savants, les successeurs des Mages en quelque sorte, le 25 décembre c'est impossible ! C'est juste une fête du Soleil, célébrant au solstice d'hiver le temps où les jours recommencent à grandir !

Dans l'Histoire, Jésus n'est peut-être pas né un 25 décembre. Mais si l'on est attentif, on peut percevoir qu'il est aussi une autre dimension. Les anges ont rempli les cieux de leur louange au jour de la naissance de Jésus. Et le temps des anges n'est pas le nôtre, il est entre le nôtre et celui de Dieu, où « mille ans sont comme un jour ». Si, en toute rigueur historienne, Jésus n'est sans doute pas né un 25 décembre, ne sont-ils pas éclairés de ce qu'il est des réalités au-delà des nôtres, ceux qui ont soupçonné les vérités de ce temps des anges, un temps dont le vrai signe dans notre temps est effectivement le 25 décembre. Ici le jour nouveau se lève, brillant d'une lumière dont on ne soupçonnait pas même l'existence, on passe des temps nocturnes de nos âmes aux temps solaires, au temps du soleil de justice, qui concerne tous les peuples, à commencer par celui des Mages, la Perse au départ, avant qu'il soit question de tous les continents.

Et voilà que l’on date à présent nos siècles à partir de sa naissance : le Messie de la Bible concerne bien aussi les nations lointaines. C'est vers lui, vers sa lumière, que sont venus les Mages, des nations d'Orient. C'est vers lui que se dresse l'arbre de Jessé, père de David roi d'Israël, comme l'arbre de toute la Création qui se dresse vers sa lumière qu'annonce l'étoile des Mages.

C'est là le sens de l'arbre de Noël. Un arbre qui se dresse vers la lumière annoncée par l'étoile, comme celui de la famille de Jessé, père de David et celui de toute la Création vers son salut.

Et le Père Noël, avec ses allures de gros lutin ? On a parlé de l’histoire des Mages, ces prêtres persans qui menaient des cadeaux aux pieds d'un enfant né dans les ténèbres de l'humilité — la nuit, donc, dans le temps angélique — pour couvrir de lumière jusqu'à sa Galilée dans la nuit.

Plus tard, l'enfant enseignera que les plus petits que nous croisons sont lui-même venu dans le secret. C'est de là, sans doute, que vient l’histoire selon laquelle un pasteur de l'Antiquité, Nicolas de Myre, comme disciple d'un enfant pauvre, aurait voulu soulager les enfants pauvres en leur faisant, en secret, des cadeaux qui allégeaient leur peine, comme les Mages offrant leurs dons à Jésus.

Plus tard encore, apparaîtra que dans cette histoire, Nicolas, devenu saint Nicolas, dévoilait sans le savoir des actions angéliques. Derrière saint Nicolas, un simple homme, s'ouvre le monde angélique, dévoilant lui-même la réalité de Dieu. Un ange est derrière saint Nicolas, comme derrière les Mages, étrangers en visite. Cet ange derrière saint Nicolas sera plus tard figuré sous les traits des anges nordiques, elfes et lutins. Après les Mages et saint Nicolas, c'est la figure du Père Noël, une figure angélique, l'ange du don gratuit.

Alors contrairement à ce que s'imaginent ceux qui sont lents à comprendre, ce que nous disent les Mages et leurs cadeaux, c'est que le Père Noël existe, manifestation angélique de l'art de donner dans le secret, de l'art de donner de la joie à ceux qui ressemblent au nouveau-né de Bethléem.

Et derrière cette figure angélique, il y a, comme les anges présents à Noël le proclament au plus haut des cieux, la présence du don suprême, le grand cadeau de Dieu par lequel la paix vient sur la terre aux humains au bénéfice de sa bienveillance, — don de Dieu réconciliant le monde de la Bible et celui des nations, le cadeau par lequel il prouve définitivement son amour envers nous.


RP, 3e et 4e dimanches de l'Avent
Poitiers 11/12/22 — Liturgie
Châtellerault 18/12/22 — Culte en entier
Prédication (format imprimable)




dimanche 4 décembre 2022

‭"Je répandrai sur vous une eau pure" (Ez 36, 25)




Ésaïe 11, 1-10 ; Psaume 72 ; Romains 15, 4-9 ; Matthieu 3, 1-12

Matthieu 3, 1-12
1  En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée :
2  "Repentez-vous : le Règne des cieux s’est approché !"
3  C’est lui dont avait parlé le prophète Ésaïe quand il disait : "Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
4  Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
5  Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui ;
6  ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
7  Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit : "Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ?
8  Produisez donc du fruit qui témoigne de votre repentance ;
9  et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10  Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.
11  "Moi, je vous baptise dans l’eau en vue de la repentance ; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi : je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales ; lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
12  Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier ; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas."

*

Mais pourquoi donc Jean le Baptiste traite-t-il d’ « engeance de vipères » des gens qui ont l’humilité de venir se faire baptiser par lui ? Ne semble-t-il pas leur reprocher cette démarche visant à faire éviter à ceux qui s’y plient ce qu’il appelle « la colère à venir » ? — « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui » Et cela pour se faire traiter d' « engeance de vipères » ! Les prédicateurs sauraient donc désormais donc ce qu'il leur reste à faire pour remplir les temples ?… Car les foules accourent auprès de Jean…

Matthieu a pris soin, Marc aussi, de donner ce détail : Jean était « vêtu de poils de chameau et avait une ceinture de cuir autour des reins ; et se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage » !… Est-ce en rapport avec ce que les foules accourent ?…

Allons un peu plus avant — Malachie 4, 5 (3, 23) : « Voici : moi-même je vous enverrai le prophète Élie avant la venue du jour du SEIGNEUR, Jour grand et redoutable. »

Au temps du Baptiste, on attend le jour du Seigneur, veille et inauguration d'une ère où l'enfant jouera avec la vipère et le loup avec l’agneau (És 11), mais — « avant la venue de ce jour du SEIGNEUR, grand et redoutable je vous enverrai le prophète Élie »

« Jean était vêtu de poils de chameau et portait une ceinture de cuir autour des reins ». Pour les connaisseurs de la Bible de l’époque, un tel détail n’est pas sans écho. C’est à cela précisément que se reconnaît le prophète Élie dans le 2ème Livre des Rois : 2 R 1, 2-8 :
2 [Le Roi] Akhazias tomba du balcon de sa chambre haute à Samarie et se blessa grièvement. Il envoya des messagers en leur disant : "Allez consulter Baal-Zeboub, le dieu d’Eqrôn, pour savoir si je me remettrai de mes blessures !"
3 Alors l’ange du SEIGNEUR parla à Élie le Tishbite : "Lève-toi! Monte à la rencontre des messagers du roi de Samarie et dis-leur : N’y a-t-il pas de Dieu en Israël, que vous alliez consulter Baal-Zeboub, le dieu d’Eqrôn ?
4 C’est pourquoi, ainsi parle le SEIGNEUR : Le lit sur lequel tu es monté, tu n’en descendras pas, car tu mourras certainement. Et Élie s’en alla.
5 Les messagers revinrent auprès du roi, qui leur dit : "Pourquoi êtes-vous revenus ?"
6 Ils lui répondirent : "Un homme est monté à notre rencontre et nous a dit : Allez, retournez auprès du roi qui vous a envoyés et dites-lui : Ainsi parle le SEIGNEUR : N’y a-t-il pas de Dieu en Israël que tu envoies consulter Baal-Zeboub, le dieu d’Eqrôn ? C’est pourquoi, le lit sur lequel tu es monté, tu n’en descendras pas, car tu mourras certainement.
7 Le roi leur dit : "Comment était cet homme qui est monté à votre rencontre et qui vous a dit ces paroles ?"
8 Ils lui répondirent : "C’était un homme qui portait un vêtement de poils et un pagne de peau autour des reins." Alors il dit : "C’est Élie le Tishbite !"

Élie. C’est bien Élie que représente dans le Nouveau Testament Jean le Baptiste et son message. Jésus le dira explicitement un peu plus loin (cf. Matthieu 17, 10-13). Voilà pourquoi les foules accourent ! Ici s’annonce le Royaume, en des termes souvent… tonnants comme chez tous les prophètes ; et pour un avènement toujours surprenant. Et des termes qui, quoique surprenants, souvent menaçants, valent pourtant, au fond, consolation. Les évangiles ne présentent-ils pas ce Jean impétueux comme la voix de la consolation annoncée par le livre du prophète Ésaïe ? — ch. 40 :
1 Consolez, consolez mon peuple, Dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui Que son combat est terminé, Qu’elle est graciée de sa faute, Qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR Au double de tous ses péchés.
3 Une voix crie dans le désert : Ouvrez le chemin du SEIGNEUR, Nivelez dans la steppe Une route pour notre Dieu.
4 Que toute vallée soit élevée, Que toute montagne et toute colline soient abaissées ! Que les reliefs se changent en terrain plat Et les escarpements en vallon !

C'est bien ce que prêche Jean en guise de consolation : un appel au repentir ; cela non sans avoir traité au passage ceux qui viennent à lui d' « engeance de vipères » !

Voilà un prophète qui a bien mauvais caractère, peut-on penser ! Après tout c’est bien lui qui prêche ce repentir. C’est lui qui invite les foules à venir confesser leurs péchés en se faisant baptiser, laver, d’urgence, avant le jugement ! C’est lui qui souligne qu’il n’y a pas d’alternative : sans retour sur soi pour un retour vers Dieu, bref sans repentance, il n’est d’avenir que mortifère, que repli individuel, collectif ou communautaire sur un passé dont on ne fait que regretter qu’il soit passé : « nous avons Abraham pour père »… Un passé glorieux ! « Engeance de vipères » réplique Jean.

*

Le judaïsme connaît déjà, avant Jean, une pratique du baptême, et cela jusqu’à aujourd’hui. Il s'agit d'un lavement rituel, symbole de purification. On va pour cela au miqvé (ce que les évangiles appellent des piscines, comme par ex. celle de Siloé). On y va, entre autres, lorsqu’une famille non-juive vient au judaïsme : outre la circoncision des mâles, tous : hommes, femmes et enfants, passent par ce rite qui signifie que leur passage à la religion d’Abraham et de Moïse porte la purification de cette famille, par son exode, comme celui d’Abraham — de la Chaldée, terre de Babylone, vers la promesse — ; ou celui de Moïse et de son peuple — de l'esclavage à la liberté, — exode qui se terminait chaque fois par la traversée du Jourdain — où Jean baptise. Le baptême, le lavement familial, est alors le rappel de cette traversée du Jourdain.

Car le repentir est dans la Bible le mouvement par lequel Dieu fait revenir le peuple. Pour « repentir », ou « repentance », on pourrait aussi dire « retour ». Et historiquement, il s'agit d’abord du retour d'exil. Parmi les textes sur lesquels Jean a pu fonder son baptême, on trouve par exemple Ézéchiel ch. 36, 24-27, annonçant le retour du peuple exilé à Babylone. On y lit que c’est Dieu qui prend l’initiative de faire revenir son peuple d’exil en le sanctifiant par une « aspersion d’eau pure » et une effusion de son Esprit. Il est important de remarquer que la grâce de Dieu précède le retour du peuple. Alors le retour a vraiment lieu.

Le baptême qui accompagne la prédication de Jean le Baptiste relève bien du rite du miqvé, et pour tous. Jean, selon le Nouveau Testament, proclame l’urgence et la nécessité de la repentance, de faire retour — techouva en hébreu —, « changer d’intelligence » selon le terme grec du Nouveau Testament (metanoïa). En français : le repentir, ou la conversion.

En son cœur le baptême de Jean rappelle alors que tous, quelles que soient nos origines ou notre passé, y compris religieux, fût-il authentiquement de l’ascendance d’Abraham, « le père de l’Alliance » — ou de quelque autre grand ancêtre ou peuple au passé glorieux, fût-ce de galériens pour la foi, tous avons besoin de faire retour à Dieu.

Nous avons tous quelque participation à la tortuosité commune — « engeance de vipères » dit Jean. Où il faut remarquer l’humilité des pharisiens qui viennent à Jean. Car il reste quand même de leur geste, se faire laver, que leur baptême marque une véritable humilité, dans la confession de son indignité. Et quand on se confesse indigne, on ne se sent pas si fier que l’on ose poser des exigences. On demande si des fois il serait possible…

Et là Jean prononce la parole de la grâce et de la consolation, et la promesse de l’Esprit qui est octroyé de façon invisible et préalablement même, par celui qui en est porteur, le Messie, Jésus. Cela, donc, non sans avoir au préalable traité d’abord le candidat, pour qu’il ne s’imagine pas être exempt d’une réelle repentance, d’ « engeance de vipères ».

*

Il est toujours temps de produire du fruit de repentance, tout de suite. Pour cela, il faut recourir à la grâce, au don gratuit de Dieu, par la foi, en fonction d'une désespérance de soi-même dans l'exil loin de Dieu. Tout cela est désespérant ? Il n’y a un recours : demander grâce. C’est la demande du baptême. Cela se fonde sur la prise au sérieux de la Loi de Dieu, qui révèle la culpabilité ; et met le doigt ce qu'est cet exil dont Dieu promet la fin dans le Messie.

C'est là la fonction du précurseur Jean le Baptiste sur lequel ce temps de l'Avent nous invite à méditer : la justice sera établie, « les collines abaissées et les vallées comblées » ; c’est-à-dire : les fiers seront humiliés et les humbles seront relevés. La Loi est l'instrument de cette justice : qui la transgresse connaît le jugement dont l'exil est déjà l'expression. Or, tous la transgressent : « engeance de vipères » dit Jean le Baptiste à ces enfants d'Abraham. Dans sa vigueur, ces paroles indélicates soulignent qu'il n'y a ni excuse, ni exception face à cette exigence de prise au sérieux de la Loi, c’est-à-dire de repentir.

On retrouve bien là l’œuvre de Jean relative au repentir et au baptême, ainsi que l'annonce que le prophète fait de l’œuvre du Messie qui « baptisera d'Esprit ». Dieu y précède tout mouvement. Le temps définitif de ce retour d'exil, de cet exode hors du péché est le temps du Messie, le temps du Royaume. C'est ce temps que prépare Jean, et qu'annonce Jésus… temps de paix de réconciliation — « Je vous enverrai Élie, le prophète — annonçait Malachie (4, 5-6) —, avant que le jour du Seigneur arrive, Ce jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères ». Temps où s'ouvre tout grand la promesse du jour où la vipère joue avec le nourrisson (Ésaïe 11, 1-10).


RP, 2e dimanche de l'Avent, Poitiers 4/12/22
Prédication (format imprimable)


dimanche 27 novembre 2022

Temps menaçant




Ésaïe, 1-5 ; Psaume 122 ; Romains 13, 11-14 ; Matthieu 24, 37-44

Matthieu 24, 37-44
37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme ;
38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,
39 et on ne se doutait de rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.
40 Alors deux hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre laissé ;
41 deux femmes en train de moudre à la meule : l'une est prise, l'autre laissée.
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.
43 Vous le savez : si le maître de maison connaissait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.
44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.

*

Chaque fois que des lendemains sombres s’annoncent sur le monde, non seulement on ne sait pas le reconnaître, mais on a même tendance à en rajouter dans le déni — dans l'agitation, la distraction et les fêtes, la consommation, etc.

« Comme aux jours de Noé ». La seconde épître de Pierre rappelle que comme un ancien monde a été détruit par l’eau, ce monde-ci est gardé en réserve pour le jugement par le feu. Et « comme aux jours de Noé », on est tenté en tout temps de balayer les signes sombres à l’horizon d’un revers de main.

Je cite la seconde épître de Pierre (ch. 3, v. 3-10) :
3  […] Dans les derniers jours viendront des sceptiques moqueurs marchant au gré de leurs propres désirs
4  qui diront : "Où en est la promesse de son avènement ? Car depuis que les pères sont morts, tout demeure dans le même état qu’au début de la création."
5  En prétendant cela, ils oublient qu’il existait, il y a très longtemps, des cieux et une terre tirant origine de l’eau et gardant cohésion par l’eau, grâce à la Parole de Dieu.
6  Par les mêmes causes, le monde d’alors périt submergé par l’eau.
7  Quant aux cieux et à la terre actuels, la même Parole les tient en réserve pour le feu, les garde pour le jour du jugement
/ i.e. de la crise / et de la perdition des impies.
8  Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour.
9  Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la repentance.
10  Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, jour où les cieux disparaîtront à grand fracas, où les éléments embrasés se dissoudront et où la terre et ses œuvres seront mises à découvert.

Mais, comme en tous temps, et comme en l'an 70 pour le monde auquel s’adresse d’abord Jésus — qui avertissait : la catastrophe adviendra dans « cette génération » (v. 34) —, quand la menace est prégnante, on préfère ignorer, voire faire taire les prophètes de malheur ; et on continue à se confondre en festivités, sans manquer d'y dire — sans avoir l'air d'y toucher — du mal des absents (Christian Bobin : « Nous nous faisons beaucoup de tort les uns les autres, et puis un jour nous mourons »), et à vaquer à ses affaires, ses petites vengeances, sa consommation et sa surconsommation. « Comme aux jours de Noé ».

Et le déluge les emporte tous (v. 39)…

Tous, ou plus précisément, dans l’avertissement de Jésus quant à la menace imminente, il emporte un monde qui se comporte comme si tout ici-bas était éternel, mais « laisse » (v. 40-41) une issue, portée par celles et ceux qui, conscients que tout cela est provisoire, s’ancrent dans la vigilance, en vue de ce qui seul ne passe pas et qui s’apprête à se manifester dans la présence du Fils de l’Homme. Qu'est-ce que cela veut dire ? On va essayer de le voir.

« Dans ce vide (qui est en même temps le vide de l’actuel relativisme des valeurs) […] qu'est-ce qui peut servir de boussole ? L'anticipation de la menace elle-même ! C'est seulement dans les premières lueurs de son orage qui nous vient du futur, dans l'aurore de son ampleur planétaire et dans la profondeur de ses enjeux humains, que peuvent être découverts les principes éthiques, desquels peuvent se laisser déduire les nouvelles obligations correspondant au pouvoir nouveau. Cela, je l'appelle “heuristique de la peur”. » (Hans Jonas, Le principe responsabilité, 1979, trad. fr. 1990, 1995, Préface [7-9], Champs/Essais, p. 16)

« Notre anxiété fait écho à celle du Voyant [de l'Apocalypse] dont nous sommes plus près que ne le furent nos devanciers, y compris ceux qui écrivirent sur lui, singulièrement l'auteur des Origines du christianisme [Renan], lequel eut l'imprudence d'affirmer : "Nous savons que la fin du monde n'est pas aussi proche que le croyaient les illuminés du premier siècle, et que cette fin ne sera pas une catastrophe subite. Elle aura lieu par le froid dans des milliers de siècles…" L'Évangéliste demi-lettré a vu plus loin que son savant commen­tateur, inféodé aux superstitions modernes. Point faut s'en étonner : à mesure que nous remontons vers la haute antiquité, nous rencontrons des inquiétudes semblables aux nôtres. La philosophie, à ses débuts, eut, mieux que le pressentiment, l'intuition exacte de l'achèvement, de l'expiration du devenir. » (Emil Cioran, Écartèlement, Gallimard, 1979, p. 60-61)

*

La venue du Seigneur est présentée dans le texte d’aujourd’hui comme la surprise de l’incursion d’un voleur dans la nuit. Ou plus loin comme l’attente de l’époux par des jeunes filles d'honneur munies de lampes à huile. Il vient de toute façon au milieu de la nuit de ce monde, de façon surprenante, et il s’agit de rester vigilant, de veiller. « Tenez-vous prêts. »

Quand l’horizon s’assombrit, quand les catastrophes s’annoncent, quand la crise est là, alors risque de s’accentuer une tendance à la fuite en avant, entre distractions et agitation des affaires — la tentation de s’assoupir au lieu de veiller, c’est-à-dire le repli sur soi, qui est l’inverse de la vocation humaine. Cela précisément au moment où il faudrait au contraire lever la tête. Or, puisque les temps sont durs… voilà que s’accentue la tendance à se replier sur soi, et à vouloir vivre encore comme au temps où tout semblait rose. Comme aux jours de Noé… Vaquant aux habitudes dont on voudrait qu’elles perdurent, faisant la noce, des affaires et des fêtes. Et pourtant les jours sont sombres. Jésus vient de parler des signes qui annoncent les temps et les saisons, les lendemains de chaleur, de pluie ou de tempête.

*

Ne savez-vous pas reconnaître les signes des temps, vous qui savez reconnaître les signes de la venue des saisons ? nous demande Jésus, le moment où il faut redoubler d’attention.

Un signe du même ordre est souligné plus loin : l’huile des filles étourdies d'une nuit de noces, qui s'endorment en attendant l'époux. Une huile qui brûle pour entretenir une flamme. Une huile que l’on ne peut garder à la place d’autrui, et dont il n’est plus temps d’en acheter. Image donnée par Jésus appelant à la vigilance dans le désir de vérité, toujours susceptible d’être vacillant, cette vigilance toujours de mise, qui ne peut être que fruit de l’Esprit dont l’huile est le symbole, et qui sourd au cœur de nos êtres…

Veiller — car c'est quand tout est apparemment bouché que l'Esprit ouvre de toutes nouvelles possibilités. Mais pour les voir, il s'agit de rester ouvert et attentif : c'est là savoir veiller pour saisir le renouveau qui s'annonce quand tout semble irrémédiable. Ainsi que « le Fils de l'Homme viendra à l'heure que vous ignorez ».

Et de quelle façon doit-on exercer notre vigilance ? Si on lit la suite du passage, on peut voir que c’est déjà en étant attentifs à ceux que Dieu place sur notre chemin — une ouverture solidaire donc (v, 45-46) : « Quel est donc le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ? Heureux ce serviteur, que son maître, à son arrivée, trouvera faisant ainsi ! » dit Jésus — c'est juste après son avertissement sur les jours de Noé. Redoubler d’attention : être attentif, et attentionné. « Suis-je le gardien de mon frère ? » avait demandé Caïn, meurtrier d’Abel. La réponse est donnée par Jésus : la vigilance ici est précisément être attentif à son frère, l’inverse du repli sur soi favorisé par les temps sombres — et qui semble caractériser les jours actuels, au prétexte juste et raisonnable que « c'est la crise ». Mais précisément, dit Jésus, c'est là au contraire qu'il s'agit de veiller — pour voir s'ouvrir de tout nouveaux possibles !

Heureux celui ou celle qui s’attache à ce service fidèle — et avisé… — v. 46 : « Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera faisant ainsi ! ».

Il ne s’agit donc pas, parlant de vigilance, de rester les yeux levés vers le ciel et replié quand même sur soi, mais ancrés en Jésus, de se tourner vers le monde pour l’enrichir des talents (toujours un des passages qui suit notre texte : la parabole des talents) que nous a confiés le Seigneur qui s’est absenté et dont on attend la venue…

Voilà ce à quoi nous sommes appelés : veiller — rester ouverts à de nouveaux possibles et attentifs aux plus petits — et poser ainsi les pierres du Royaume. Tenez-vous prêts, et concrètement plutôt que de continuer à faire courir le monde à sa perte, poser déjà des actes selon la loi du Royaume : se mettre à l'écoute de la parole de Jésus « ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la repentance » (2 Pierre 3, 9) : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 13, 34) — seule arme pour que l’humanité puisse traverser le déluge qui menace sans s’entre-déchirer.


RP, 1er dimanche de l'Avent, Poitiers 27/11/22
Avec l'aumônerie de prison
Liturgie :: :: Prédication (version imprimable)


dimanche 19 décembre 2021

Secret du don de Dieu




Michée 5, 1-5 ; Psaume 80 ; Hébreux 10, 5-10 ; Luc 1, 39-45

Luc 1, 39-45
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
41 Or, lorsque Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein !
43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.
45 Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira ! »

*

Qu'a dit celui qui a répandu comme une onction son ombre (Luc 1, 35) et son Nom sur le « oui » de la jeune fille (cf. Cantique des Cantiques 1, 3) qui visite ce jour le foyer sacerdotal de sa parente Élisabeth, dans les montagnes de Judée ? « Je t'aime comme l'on aime certaines choses obscures, de façon secrète, entre l'ombre et l'âme ». J'emprunte ces mots au poète Pablo Neruda, donnant comme un écho à la Parole adressée aujourd'hui dans le secret à la jeune femme, bénie entre toutes les femmes, selon l'Évangile, bénie d'un secret (« le Saint Esprit de couvrira de son ombre » — a dit l’ange, Luc 1, 35), un secret appelé à résonner intimement au cœur de nos âmes, au cœur de nos vies à chacune et chacun.

Y a-t-il au fond, déclaration ou don d'amour dont la vérité profonde ne soit pas secrète, au-delà de ce que les mots peuvent dire, sauf à s'en tenir à la surface, sauf à attendre de recevoir en retour ?

Nous sommes bien, avec l'Évangile de ce jour, au jour d'un secret, un secret qui s'est tramé dans le sein d'une jeune fille, entre Dieu et elle, puis partagé ici entre deux femmes, secret qui caractérise le don de Dieu. Un don de Dieu est de l'ordre du secret ! Mais qui sait le percevoir ? L'enfant d’Élisabeth enceinte, qui tressaille dans le sein de sa mère.

Le don de Dieu, appelé à germer dans nos vies est donc d'abord un secret.

Jean, dans le sein de sa mère, tressaille en la présence de ce secret du don de Dieu : caché dans la vie de la mère enceinte du Messie. Et la mère de Jean traduit, selon l'Esprit saint précise le texte, le sens de ce tressaillement : « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni. Cela m'est un privilège que tu me visites ! » — « Bienheureuse celle qui a cru. »

« Bienheureuse parce que tel est le fruit de ton sein. » On retrouve plus tard, en Luc 11 (v. 27-28), une bénédiction semblable prononcée par une autre une femme, anonyme, celle-là : « Une femme, élevant la voix du milieu de la foule, dit à Jésus : Heureux le sein qui t’a porté ! Heureux les seins qui t’ont allaité ! Et il répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »

Bénédiction similaire à celle d'Élisabeth, prononcée d'abord par Élisabeth dans l'intimité des commencements.

*

L'épisode du ch. 11 renvoie donc à ce ch. 1, à notre passage, et au v. 48, où Marie y fait elle-même écho : « toutes les générations me diront bienheureuse », disait Marie. Makaria, le même mot : la femme du ch. 11 entame l'accomplissement de la parole l’Élisabeth, et la parole de Marie sur elle-même : « toutes les générations me diront bienheureuse ».

Et Jésus, lui, la renvoie à cette autre bénédiction que prononçait Élisabeth sur sa mère : en Luc 1, 45, elle prononçait : « heureuse celle qui a cru ». Et voilà qui nous renvoie aussi à toutes les grandes ancêtres, et en premier lieu à Sara, et à la promesse à Abraham. Espérer contre toute espérance, écouter la parole de Dieu et la garder pour la voir germer. « Heureuses, heureux ceux qui écoutent la Parole et la gardent ». Et plus encore, ici : c'est le Fils de Dieu que Marie a porté.

Ici Dieu a renversé tous les impossibles : on croirait savoir que les stériles n'enfantent pas, pas plus que les vierges ; on croirait savoir que les morts ne ressuscitent ni que les prophètes ne marchent sur les eaux ou que les pains se multiplient pour les pauvres !

*

Et voilà que Dieu intervient ! Secrètement. Voilà que s'approche le temps où les souffrances prennent fin. Voilà que l'on découvre dans l'intimité de la rencontre de deux femmes, que Dieu, discrètement, dans le secret, prépare ce grand moment de façon cachée dans le sein d'une femme.

Cela, Jean dans le sein de sa mère et Élisabeth à son tour, le pressentent : le jour de la délivrance approche. Ce jour que nous fêtons à Noël. Et Élisabeth a perçu le comment de l'accueil de cette délivrance : « heureuse celle qui a cru à l'accomplissement de la promesse. » Et elle est bien placée pour savoir, Élisabeth, elle, stérile mais qui a bénéficié pour sa part du miracle de l'enfantement.

Mais le miracle fondamental, c'est bien sûr le mystère de la Parole. Cette Parole non seulement a fait germer le sein d'Élisabeth, et le sein de Marie, — mais c'est cette Parole-même que Marie porte en son sein, c'est le Messie par qui vient la délivrance. Élisabeth l'a compris. Son miracle à elle est là comme signe, comme tout autre miracle, jamais fin en soi.

Marie, elle, porte une tout autre réalité. En elle la Parole devient chair, pour porter toutes nos délivrances. Cette Parole est la Parole qu'il faut écouter et recevoir. Cette même Parole que Marie recevait et qui faisant fructifier son sein vierge, cette Parole est ainsi annoncée comme une semence, qui, contre tous les malheurs, est destinée à germer jusque dans le Royaume.

L'intervention de Dieu n'est pas tant de l'ordre du coup d'éclat que du type de la semence. La semence d'une parole qui, reçue et gardée, produira des fruits inimaginables depuis le cœur de nos malheurs. La semence de la parole de Dieu dans le sein de Marie est celle du corps du Christ ressuscité.

Cette Parole engendre par le Christ des enfants qui ne sont pas nés de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. Au cœur des impossibles, c'est la Parole de Dieu seul qui fait germer son Royaume.

Impossible ! Mais c'est précisément ça, l’Évangile ! Dieu, dans le secret, fait ce qui est impossible, ce que les sages ne peuvent pas admettre, le don gratuit se fait dans le secret.


R.P., Poitiers, 4er dimanche de l'Avent, 19.12.2021
(Version imprimable)


dimanche 12 décembre 2021

"Que nous faut-il donc faire ?"




Sophonie 3, 14-20 ; Ésaïe 12 ; Philippiens 4, 4-7 ; Luc 3, 10-18

Luc 3, 10-18
10 Les foules demandaient à Jean : « Que nous faut-il donc faire ? »
11 Il leur répondait : « Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même. »
12 Des collecteurs d’impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent : « Maître, que nous faut-il faire ? » 13 Il leur dit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé. »
14 Des soldats lui demandaient : « Et nous, que nous faut-il faire ? » Il leur dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde. »
15 Le peuple était dans l’attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean : ne serait-il pas le Messie ?
16 il leur dit à tous : Moi, je vous baptise d’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu.
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier ; mais la balle, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »
18 Ainsi, avec bien d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

*

« Moi, je vous baptise d’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers. Lui, il vous baptisera d'Esprit saint et de feu. »

Il y a dans le judaïsme du premier siècle un baptême, qui existe toujours : celui qui accompagne la conversion d’une famille au judaïsme. Lorsqu’une famille se convertit, tous ses membres sont baptisés : les hommes sont circoncis, et tous sont baptisés, hommes, femmes, enfants. Ceux qui naissent après cette conversion ne sont plus baptisés : les garçons sont circoncis, et, estime-t-on, tous et toutes ont été baptisés lors du baptême collectif des parents, grands-parents, aïeuls, etc.

On trouve trace de cette pratique dans l’Église primitive, et notamment chez Paul écrivant aux Corinthiens que les enfants nés d’un parent croyant sont « saints ». La même idée, avec les mêmes termes, est derrière. L’appartenance au peuple de l’Alliance confère une participation à la sainteté du Dieu qui s’est allié avec lui. Ce qui est symbolisé, lors de l’entrée de la famille dans le peuple de l'Alliance, par le baptême. « Vos enfants sont saints », dit Paul aux Corinthiens (1 Co 7, 14).

« Vos enfants sont saints ». Une conviction qui est aussi fort proche du risque que souligne Jean le Baptiste prêchant un baptême de conversion au bord du Jourdain. Rappelons-nous qu’il récuse la prétention de ses auditeurs de se prévaloir d’Abraham pour se dire ipso facto purs ou saints (v. 8) : « Produisez donc des fruits dignes de la repentance, et ne vous mettez pas à dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ! Car je vous déclare que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. »

Ayant dit tout cela, on situe mieux ce qu’il en est de ce baptême, dit « de conversion », qui éveille en écho la question : « Que nous faut-il donc faire ? »… Puisque le mot conversion peut se traduire aussi par « repentir », ou, selon ce mot anglais devenu commun en français, « repentance ». Suivant le latin, le Moyen Âge disait « pénitence ». Autant de traductions approximatives de ce qui est littéralement « changement d’intelligence ». Jean prêchait un baptême de « changement d’intelligence », autrement dit « changement de compréhension ».

Le terme grec traduit le mot hébreu « retour » : retour à Dieu, dans le signe du retour de Babylone à Jérusalem, retour qui supposait la traversée du Jourdain — où Jean baptise. Retour donc de notre exil loin de Dieu — à Babylone. Si le retour géographique a déjà eu lieu, lors du retour d’exil, il reste à l’accomplir de façon spirituelle, à accomplir ce qu’il signifie : retour à Dieu.

À ce point, ayant vu la façon dont se comprenait le baptême — purification, par le passage des idoles — de Babylone — à la sainteté du peuple de l’Alliance — à Jérusalem —, on comprend le sens de ce baptême de retour, de retour à Dieu, dans un changement d’intelligence, un changement de compréhension : vous pensez que le baptême est le rite qui vous a purifiés, ou plus précisément, qui a symbolisé votre purification ?

Quel que soit l’âge où le baptême vous a été administré, ce signe de votre venue à cette pureté qui est d’appartenir à la famille d’Abraham (« vous rendez vos prosélytes pires que vous », dira de même Jésus) — et ici cela nous concerne aussi, héritiers d’Abraham par le Christ — ; si vous pensez que le baptême vous a acquis pureté et sainteté… si vous pensez cela, eh bien ! vous vous trompez vous-mêmes, dit Jean. Changez votre compréhension.

On n’est jamais assez bien purifié, même si on est le peuple avec lequel Dieu s’est allié.

Alors Jean va un peu plus loin avec son baptême de retour à Dieu, de conversion, ou repentance, changement d’intelligence en vue du pardon des péchés. Vous qui prétendez être purs, qui l’avez symbolisé lors de votre entrée dans l’Alliance  vous avez bel et bien besoin de confesser, de reconnaître que vous êtes impurs, « engeance de vipères » (v. 7).

C’est le nouveau sens que prend le baptême avec la prédication de Jean. C’est pour cela que Jean sera tellement gêné à l’idée de baptiser Jésus. Et Jésus qui dit : « laisse faire » ! Non pas que Jésus soit pécheur à l’instar des autres ! Mais il se solidarise avec les autres, nous autres.

Mais du coup, aussi, on voit bien le sens du baptême de conversion, de repentance, de changement d’intelligence qui est celui de Jean, et c’est là que cela nous concerne tous. Si on veut comprendre le message de Jean, changer nos intelligences, vivre ce que Jésus y a vécu pour nous, il nous faut savoir que lorsque nous demandons le baptême pour nous ou pour nos enfants, nous sommes avant tout en train de dire que nous sommes des pécheurs, que nous reconnaissons que nous et nos enfants sommes des pécheurs — et donc de nous solidariser avec toutes et tous.

Depuis Jean, nous devons savoir que c’est cela que nous reconnaissons. Demander un baptême pour soi ou pour ses enfants, c’est dire, à moins de devoir encore écouter Jean et changer encore son intelligence —, c’est dire : je suis un pécheur, moi et les miens, comme tout le monde ; ou en d’autres termes, je n’ai rien, moi et les miens, de brillant, dont je puisse me prévaloir devant Dieu, comme tout le monde dont je suis ipso facto solidaire.

Et ce faisant, il ne faut pas se faire d’illusions : la venue du salut de Dieu, « Lui, celui qui vient après moi, vous baptisera du Saint-Esprit et de feu », la venue du salut de Dieu est au prix du repentir qui fait dire aux foules : « que nous faut-il donc faire ? », sans que l'observance des exhortations, pourtant de haut niveau, par lesquelles Jean répond, ne mette quiconque au niveau du don de Dieu. C'est au mieux une façon de reconnaître qu'il y a une distance réelle entre nous et le salut de Dieu. Reconnaître ce que dira Jésus : Dieu ne sauve que des pécheurs. Et ici la tortuosité — rappelons-nous : « rendez droits ses sentiers », disait Jean citant Ésaïe — la tortuosité ne consiste pas à se savoir tordu, mais à se prétendre droit.

Reconnaître être tordu est le premier pas vers la vie vraie, dans l'espérance du don de l'Esprit saint, feu qui purifie, sens intérieur du baptême. Se prétendre droit est le meilleur moyen de ne pas l’être, et de rester tordu. « Rendez droits ses sentiers ». De la façon suivante : toute montagne, ou même colline — ou même taupinière, pourrait-on ajouter —, tout ce qui se prétend au-dessus des autres ; tout cela sera abaissé. Cela veut dire : humilité, tout simplement. Le salut de Dieu, c’est-à-dire la paix, est établi ainsi.

*

On perçoit ainsi comment le salut de Dieu, qui naît avec la paix de Noël, qui naît tout petit avec l’enfant de la crèche — on perçoit comment ce salut qui naît dans l’humilité vient sur la terre.

L’Avent est l’attente du Christ, et l’attente du Christ consiste à aplanir ses sentiers, comme le prêche le Baptiste…

Jean proclame un baptême de changement d’intelligence pour préparer la venue du Seigneur, la venue de celui qui amène le salut de Dieu en venant d'abord tout petit à Noël. C’est ainsi que « tous verront le salut de Dieu » (v. 6), et qu’il faudra donc bien vivre ensemble pour que règne sur la terre la paix de Noël.

Si le souvenir de notre baptême n’est pas aussi le rappel de la nécessité de ce changement d’intelligence, de la question « que nous faut-il donc faire ? », même à petite mesure ; si la parole vigoureuse de Jean ne vient pas changer notre compréhension des choses, alors Noël risque de ne rester pour nous qu’une affaire tristement consumériste, triste comme le jeune homme riche (Luc 18, 22-23).

Mais nous le savons, Noël est aussi autre chose, où la parole de Jean le Baptiste apparaît comme Bonne Nouvelle : « avec bien d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle », nous dit le texte ; alors, par le don de l'Esprit porté par Jésus Christ, Dieu se donne comme notre consolateur pour que nous venions à celui qui vient à nous comme un enfant pour nous donner sa paix, sans rien nous demander ; que, ravins ou montagnes, nous confessions être impuissants devant notre propre tortuosité. Alors le salut de Dieu s’est approché comme Bonne Nouvelle ; la paix de Noël, est là tout proche, offerte pleinement.

Celui qui vient à Noël nous a précédés, si bien que se dévoile un tout autre niveau de cette conversion, de ce retour selon le sens premier. Il se dévoile comme plénitude, dans l'Esprit saint, de retour à Dieu, feu dévorant et purificateur. Il s’agit de se tourner vers cette lumière, de se tourner vers la lumière qui précède tout ce qui n’en est que l’ombre…

Colossiens 1, 13-20 :
13 Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres
et nous a transférés dans le royaume du Fils de son amour;
14 en lui nous sommes délivrés, nos péchés sont pardonnés.
15 Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature,
16 car en lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, […]
18 Il est le commencement, Premier-né d’entre les morts,
afin de tenir en tout, lui, le premier rang.
19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude
20 et de tout réconcilier par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux […].

C’est encore l’appel du prophète Ésaïe (60, 1-3) :
1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière :
la gloire du SEIGNEUR sur toi s’est levée.
2 Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités,
mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.
3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever.


R.P., Châtellerault, 3e dimanche de l'Avent, 12.12.21
Culte en entier


dimanche 28 novembre 2021

“Montre-moi, Seigneur, la route qui seule conduit à toi”




Jérémie 33, 14-16 ; Psaume 25 ; 1 Thess 3, 12–4, 2 ; Luc 21, 25-36

Psaume 25
1 De David.
Seigneur, je suis tendu vers toi.
2 Mon Dieu, je compte sur toi ; ne me déçois pas ! Que mes ennemis ne triomphent pas de moi !
3 Aucun de ceux qui t’attendent n’est déçu, mais ils sont déçus, les traîtres avec leurs mains vides.
4 Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur ; enseigne-moi tes routes.
5 Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours.
6 Seigneur, pense à la tendresse et à la fidélité que tu as montrées depuis toujours !
7 Ne te souviens pas des péchés de ma jeunesse ni de mes révoltes ; Souviens-toi de moi selon ta bienveillance, à cause de ta bonté, Seigneur.
8 Le Seigneur est si bon et si droit qu’il montre le chemin aux pécheurs.
9 Il fait cheminer les humbles vers la justice et enseigne aux humbles son chemin.
10 Toutes les routes du Seigneur sont fidélité et vérité, pour ceux qui observent les clauses de son alliance.
11 Pour l’honneur de ton nom, Seigneur, pardonne ma faute qui est si grande !
12 Un homme craint-il le Seigneur ? Celui-ci lui montre quel chemin choisir.
13 Il passe des nuits heureuses, et sa postérité possédera la terre.
14 Le Seigneur se confie à ceux qui le craignent, en leur faisant connaître son alliance.
15 J’ai toujours les yeux sur le Seigneur, car il dégage mes pieds du filet.
16 Tourne-toi vers moi ; aie pitié, car je suis seul et humilié.
17 Mes angoisses m’envahissent ; dégage-moi de mes tourments !
18 Vois ma misère et ma peine, enlève tous mes péchés !
19 Vois mes ennemis si nombreux, leur haine et leur violence.
20 Garde-moi en vie et délivre-moi ! J’ai fait de toi mon refuge, ne me déçois pas !
21 Intégrité et droiture me préservent, car je t’attends.
22 O Dieu, rachète Israël ! Délivre-le de toutes ses angoisses !

*

Avant d'entrer dans la méditation du Ps 25, un extrait de l’Évangile de ce jour, comme fond sonore, basse continue de la prière qu'est le Psaume — prière, selon son étymologie : précaire, et de la part de celui ou celle qui prie, aveu de son impuissance —, tandis que notre temple héberge aujourd'hui une exposition de la Cimade dans cadre de la mémoire des camps de réfugiés, cela aux jours où nombre de nos frères et sœurs en humanité sont déplacés, au prix de leur vie, mourant dans le froid et les flots, écho à cet Évangile du jour de l'entrée dans l'Avent.

Luc 21, 25-26 : "Sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation, tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; car les puissances des cieux seront ébranlées."

“Ce qui m'effraie, écrivait Martin Luther King, ce n'est pas l'oppression des méchants ; c'est l'indifférence des bons.”

*

En son premier sens, dans le contexte proposé aux premiers versets, ce Psaume 25 fait apparaître le roi David aux prises avec des ennemis. Destin normal, au fond, de quiconque est doté ne serait-ce que d'un peu de pouvoir, fût-il seulement symbolique, suscitant la jalousie, même malgré lui. À nouveau Martin Luther King : "Pour se faire des ennemis, inutile de déclarer la guerre, il suffit juste de dire ce que l'on pense".

Face à cela, ce qui peut faire la faiblesse de David attaqué, ce sont ses fautes éventuelles. Que font ses ennemis ? Lui cherchant des poux dans la tête, ils cherchent à le discréditer en appuyant sur ces fautes. Ou à défaut, en en inventant. Quel homme, ou femme en vue ne connaît pas cela ?

Fautes éventuelles… David, on le sait, en a été atteint, hélas ! Le cas le plus connu est l'affaire Bathshéva, où non seulement il a séduit la femme d’un autre, mais pour écarter le mari, un de ses généraux, il l’a exposé sur le champ de bataille de sorte qu’il a été tué. Quant à cet adultère doublé d’un quasi-meurtre, David a eu la chance d’avoir affaire à un prophète discret, le prophète Nathan, qui, par sa discrétion, ne donne pas de grain à moudre aux ennemis de David. Lequel n’en a pas moins été traité très sévèrement par le prophète. Avouant amèrement sa faute devant Dieu, David a dû s’humilier comme il le méritait.

À l'heure où il est de bon ton d’être contre la repentance, il n'est pas inutile de noter que le roi se repentant se prémunit devant Dieu face à ceux qui le trahissent, lui et l'alliance, et l’attaquent, comme dans ce Ps 25 — fût-ce par un tissu de faussetés (le Ps 25 ne parle pas d’une quelconque faute précise). Fausses accusations : c'est la méthode classique des harceleurs. Une des leçons importantes du Psaume est de mettre en lumière ce que fait David face à ses accusateurs : il demande à Dieu de le pardonner ! Non pas pour des fautes qu’il n’a pas commises, et dont on l’accuse pour mieux l’abattre ; mais en solidarité, du fait qu’il est un homme, en proie à la faiblesse : si on l’accuse à tort, il se repent de cette faute commise par d’autres contre lui ! Écho lors de notre dernier synode, prononçant une prière de repentance à l’écoute d’un vœu dénonçant le harcèlement moral, sexuel et raciste dont sont victimes pasteurs et pasteures.

Le Psaume nous enseigne à ne pas présumer de ses forces propres face aux harceleurs. David ne s’appuie pas sur son innocence, pourtant réelle en l’espèce, mais sur la fidélité de Dieu, qui s’est allié avec lui. Ici c'est de l’alliance royale qu’il est question — il y fait allusion — alliance selon laquelle son trône subsistera parce que Dieu en est garant. Mais ça vaut aussi pour l’alliance qui nous concerne toutes et tous, scellée avec Abraham, l’alliance de la foi, de la fidélité de Dieu, qui ne laisse pas tomber quiconque compte sur lui ; et de la confiance qu’on peut lui faire.

*

Voilà qui vaut pour chacune et chacun de nous : je suis d’autant plus faible que je suis loin de Dieu, et que donc, je me crois fort ! Ce qui fait de moi la proie de toutes les attaques. Derrière les ennemis de David, on peut imaginer tout ce qui peut nous séparer de Dieu — autant de figures, comme les ennemis de David, de celui que le Nouveau Testament appelle l’ « ennemi de nos âmes » — délivre-nous du Malin.

Alors la prière, le Psaume, commence par : « à toi mon Dieu, mon cœur monte » (selon la traduction de Clément Marot, que nous chantons jusqu'à aujourd'hui) et se termine par : « délivre-moi, ne me déçois pas », avant la louange finale : Dieu a exaucé cette prière.

Auprès de Dieu est la vie : élever son cœur vers Dieu est recevoir la vie, loin de lui sont tous les dangers. Oui en moi je suis faible, susceptible de pécher, de me laisser abattre par mes ennemis, mon ennemi. Et cela je le reconnais : combien de fois m’est-il arrivé de succomber, et de devenir ainsi la proie de ceux qui veulent me séparer de Dieu, rompre l’alliance.

Alors, pardonne les péchés de ma jeunesse, — c’est-à-dire éventuellement ceux d’hier matin. Et garde-moi de présumer de mes forces, et de croire que je puisse me mettre moi-même à l’abri du péché. Dès aujourd’hui je me place devant toi tel que je suis. Et « montre-moi, Seigneur la route, qui seule conduit à toi. » (trad. Marot)

Nous voilà donc entre l’élévation vers Dieu — et l’éloignement de Dieu, qui conduit au péché, et nous laisse en proie à tous les dangers, et à toutes les attaques injustes de l’ennemi qui veut nous abattre, et qui peut être parfois tout à fait personnalisé. « Ils sont plus nombreux que les cheveux de ma tête, ceux qui me haïssent sans cause » (Psaume 69, 5). Inimitié au fond contre une parole qui dérange, et vaut persécution. Rappelez-vous : « heureux serez-vous lorsqu’on dira de vous toute sorte de mal à cause moi » (Matthieu 5, 11).

Face à cela est en effet la montée de notre cœur vers Dieu, qui est notre seul abri. Et déjà ce seul tournement vers Dieu, cette conversion, est le salut, l’entrée sur le chemin de vérité et de vie, quels que soient les dangers, les risques, les tentations, les persécutions, les menaces, etc.

… Jusque lorsque, Évangile de ce jour —

Luc 21, 25-36
25 « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation,
26 tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; car les puissances des cieux seront ébranlées.
27 Alors, ils verront le Fils de l’homme venir entouré d’une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire.
28 « Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche. »
29 Et il leur dit une comparaison : « Voyez le figuier et tous les arbres :
30 dès qu’ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l’été est proche.
31 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche.
32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n’arrive.
33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
34 « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s’alourdissent dans l’ivresse, les beuveries et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste,
35 comme un filet ; car il s’abattra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière.
36 Mais restez éveillés dans une prière de tous les instants pour être jugés dignes d’échapper à tous ces événements à venir et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »

*

Écho au Psaume que cet appel de Jésus à la vigilance : « Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur ; enseigne-moi tes routes. Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours » (Ps 25, 4-5).

Cf. Jean 14, 4-6 : « "Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin." Thomas lui dit : "Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ?" Jésus lui dit : "Je suis le chemin et la vérité et la vie. Nul ne va au Père si ce n’est par moi." »

Les Psaumes ont été lus dans l’histoire de l’Église comme parlant du Christ pour nous en ce sens que Jésus, Fils de l’Homme qui est dans les cieux, s’est identifié aux pécheurs en devenant chair, comme nous, venant au cœur des détresses du temps annoncées en ce texte de Luc. Le juste, parole éternelle qui ne passe pas, est devenu l’un de nous, un humain mortel. Au point de faire siennes nos prières, nos Psaumes tout humains, au point de faire sienne, sur la croix, avec le Ps 22, notre perte de Dieu — pourquoi m’as-tu abandonné ? —, au point de nous choquer quand on en arrive à des confessions de péché et des demandes de pardon. Mais ce n’est plus le Christ cela, pensons-nous naturellement !

Eh bien en un sens profond, si, c’est lui. Non pas qu’il aurait péché lui-même ! — mais qu’il a fait siennes les conséquences de nos fautes. Et que donc, il confesse notre faute, nos fautes, en solidarité avec nous. Il a fait siennes toutes nos limites, jusqu’à notre mortalité. Lui, la parole éternelle, qui a fondé le monde, connaît tous les méandres de nos vies.

« Montre-moi, Seigneur, la route qui seule conduit à Toi » priait le Psaume de David. Il est entré en nos chemins pour devenir notre chemin, chemin de vérité en qui seul est la vie. Faisant dès lors de la prière du Psaume celle de notre salut. On m’accuse à tort, certes, prie le Psaume ; cela dit, mon salut n’est pas dans ma justice, mais dans la fidélité de Dieu à son alliance. Ma justice n’est rien que petit commencement.

L’ennemi est celui qui voudrait me déstabiliser à cause de cela et me séparer de mon seul soutien, de ma seule assurance : Dieu m’a rejoint dans mon chemin, et m’a ainsi montré le chemin, la vérité et la vie. Alors « à toi mon Dieu mon cœur monte ! »


R.P., Poitiers, 1er dimanche de l'Avent, 28.11.2021
Prédication (verson imprimable)






dimanche 20 décembre 2020

Fruit de la grâce




2 Samuel, 7, 1-16 ; Psaume 89 ; Romains 16, 25-27 ; Luc 1, 26-38

Luc 1, 26-38
26 Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth,
27 à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David ; cette jeune fille s'appelait Marie.
28 L'ange entra auprès d'elle et lui dit : « Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi. »
29 À ces mots, elle fut très troublée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.
30 L'ange lui dit : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
31 Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus.
32 Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;
33 il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n'aura pas de fin. »
34 Marie dit à l'ange : « Comment cela se fera-t-il puisque je n'ai pas de relations conjugales ? »
35 L'ange lui répondit :
« L'Esprit Saint viendra sur toi
et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ;
c'est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu.
36 Et voici qu'Élisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d'un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile,
37 car rien n'est impossible à Dieu. »
38 Marie dit alors : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l'as dit ! » Et l'ange la quitta.

*

« Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu… » Qui est la jeune femme qui reçoit cette parole ? Une inconnue. Elle ne demeure pas dans les palais d’Hérode. Elle ne convoite rien de cet ordre-là ni une future célébrité hypothétique. Et elle restera inconnue pour longtemps.

« Réjouis-toi, toi qui as la faveur de Dieu… » Quelle est cette faveur ? Pas la gloire, mais quelque chose qui a tout pour ne pas réjouir une jeune femme vierge, tout particulièrement en son temps : cette faveur, cette grâce, est celle de devenir fille-mère !

Grâce terrible, dont il lui est demandé sans détour, avant même qu’elle ne sache ce dont il s’agit, de se réjouir ! Quelle amertume ne pourrait-elle pas ressentir à la parole qui suit : « tu sera enceinte », amertume comme celle d’une sombre ironie !

Mais oh surprise, la jeune femme semble à des lustres de l’amertume — qui nous pousse si facilement à récriminer… Un regard sur la jeune femme de Galilée est propre à renverser l’ironie amère qu’elle nous semblerait avoir dû ressentir.

La voix de l’ange qui invite Marie à se réjouir retentit jusqu’aujourd’hui pour chacun de nous, lorsque Dieu nous confie sa faveur, aussi étrange soit-elle ! Quoiqu’il nous confie, il nous l’annonce en ces termes : « Réjouis-toi… », de quelque faveur qu’il te charge. Réjouis-toi : en cela-même le Seigneur est avec toi. Recevoir comme une grâce ce que Dieu nous confie, qui n’a pas toujours à première vue l’allure d’une route de gloire — quand nous sommes portés à récriminer pour peu que cela tarde.

Ce que Dieu nous confie, c’est sa parole, qui seule fait advenir sa promesse. Sois joyeuse : cette parole, on le comprend est adressée aussi à l’Église, et crée l’Eglise, malgré nos impatiences qui risquent de tout froisser. C’est encore ce que nous dit ce qui arrive à cette jeune femme — sa grossesse, a priori un drame à l’époque. Mais là naît l’Église. Mieux, là naît celui pour qui est l’Église, celui en qui naît l’Église.

La jeune femme, elle, qui ne sait pas encore cela, est troublée, nous dit le texte, elle s’interroge sur le sens de cette salutation.

Et l’ange redit : « tu as trouvé grâce auprès de Dieu » puis continue : « Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils ». Fille-mère pour cette fiancée — le texte a mentionné Joseph —, telle est la grâce qu’elle reçoit d’une parole qui engendre ce qu’elle annonce. La parole « crée » la grossesse, la parole de Dieu dite par l’ange est une citation (Genèse 16, 11) : « Voici que tu es enceinte et tu vas enfanter un fils ».

Futur ? Présent ? La parole qui crée est au-delà du temps. « Que la lumière soit, et la lumière fut » / littéralement « et la lumière était » — tu vas être enceinte, tu es enceinte, et tu vas enfanter. La même parole qui est féconde de la lumière qu’elle annonce (et que rappellent nos bougies de l’Avent comme la fête de Hanoukka) — la même parole est féconde de l’enfant qui va en naître. Elle est féconde aussi de l’acquiescement de Marie qui va suivre ce que la parole a créé en elle : « qu’il me soit fait selon ta parole ».

Ce « oui » — « qu’il me soit fait selon ta parole » — est lui-même don de la même parole de Dieu qui fait advenir le Fils éternel de Dieu à son humanité et fruit de l'Esprit saint qui « couvrira » Marie « de son ombre », il n’en est pas la condition. La parole qui crée l’humanité du Christ crée aussi, précède infiniment, le « oui » de Marie.

Un « oui » qui n’en est que plus remarquable. Dans ce oui est déjà l’épée qui lui transpercera l’âme que va bientôt annoncer à Marie le prophète Syméon (Luc 2). Car avant que ne se réalise la promesse que vient de lui faire l’ange — ton fils auquel tu donneras le nom de Jésus « sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n'aura pas de fin » — avant que ne se réalise cette promesse, le jour de la gloire qui consacrera aussi la grandeur de ce que vit Marie — avant cela, c’est d’un chemin de douleur qu’il s’agit d’abord.

Ce « oui » est l’acceptation de la douleur à venir, la douleur des épreuves qui accompagnent tout chemin de vie d’une mère, la douleur, dont elle ne sait pas encore ce qu’elle sera, pour elle terrible — « une épée te transpercera l’âme » —, de voir son fils humilié, calomnié par le monde entier, traité comme criminel, torturé et crucifié pour cela. L’acceptation de cet avenir qu’elle ne connaît pas encore est dans le oui de Marie — « qu’il me soit fait selon ta parole ».

Après viendra la plénitude la joie, la reconnaissance du rôle unique de celle que Calvin nomme à plusieurs reprises « Notre Dame », lui qui, comme Luther, ne remet nullement en cause ni ce qui concerne la virginité de la jeune femme, ni l’immensité de ce qui lui arrive et qui en fait la mère de son Seigneur, la mère de son Dieu ! Grand mystère que Calvin ne conteste nullement tout en préférant que l’on utilise l’expression « mère du Seigneur », comme pour rejoindre l’humilité de celle qui répond par un simple « oui » à ce qui lui arrive de terrible en vérité.

Un « oui », donc, qui exclut par avance toute récrimination, précisément parce qu’il est chargé d’une radicale humilité.

Elle ne prétend à rien. C’est la force de Dieu, selon le nom « Gabriel » donné au messager céleste — car nul ne peut voir Dieu, on n’en perçoit que l’Ange, le messager —, c’est donc la force de Dieu, toute de douceur, qui seule agit ; la force d’une parole énoncée dans l’intimité et non pas devant de vastes auditoires. Fût-elle prononcée devant des foules, elle n’en aurait pas plus de force, celle qui bouleverse l’âme dans l’intimité — « ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12).

La parole qui a bouleversé le monde, qui a fait advenir le Royaume espéré depuis des siècles dans le sein d’une jeune fille, parole indicible, parole silencieuse, est la force de Dieu.

C’est de cette façon que Dieu crée le monde nouveau, par une humble parole prononcée dans la plus intime des intimités, une parole qui loin de toute amertume ou récrimination, fait dire à celle qui l’a reçue « qu’il me soit fait selon ta parole », quoiqu’il advienne. Quant à l’amertume que porte l’étymologie de son nom, Marie, elle en connaîtra la nature profonde, au pied de la Croix, quand sa foi la voit alors déjà changée en douceur infinie, écho de son « oui », « qu’il me soit fait selon ta parole » — qu’il me soit fait selon ce qui est déjà advenu en moi, ce que ta parole a déjà accompli en moi !


RP, Poitiers, 4e dimanche de l'Avent, 20.12.20
Voir ici : Déroulement du culte / chants (PPT)
En PDF : culte en entier :: :: Prédication