dimanche 26 avril 2020

Reconnaître le Ressuscité




Cultes au temple suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics.

Méditations quotidiennes
en semaine, ici :
Voir aussi la vidéo du culte en esperanto 
avec prédication de Philippe Cousson, traduite
en français : en
PDF ici, en audio ici

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Liturgie et prédication en PDF ici

Lecture de l’Évangile et prédication (PDF ici) en audio ici :


Actes 2, 14-33 ; Psaume 16, 21-29 ; 1 Pierre 1, 17-21 ; Luc 24, 13-35

Luc 24, 13-35
13 Et voici que, ce même jour, deux d’entre [les disciples] se rendaient à un village du nom d’Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem.
14 Ils parlaient entre eux de tous ces événements.
15 Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux ;
16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17 Il leur dit : "Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ?" Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre.
18 L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : "Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci !" -
19 "Quoi donc ?" leur dit-il. Ils lui répondirent : "Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple :
20 comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié ;
21 et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés.
22 Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés : s’étant rendues de grand matin au tombeau
23 et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le déclarent vivant.
24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu."
25 Et lui leur dit : "esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes !
26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ?"
27 Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.
28 Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin.
29 Ils le pressèrent en disant : "Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée." Et il entra pour rester avec eux.
30 Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna.
31 Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible.
32 Et ils se dirent l’un à l’autre : "Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ?"
33 A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem ; ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons,
34 qui leur dirent : "C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon."
35 Et eux racontèrent ce qui s'était passé et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.
*

Les disciples d’Emmaüs sont en deuil. Un deuil non-accompagné comme devrait l'être un deuil. Leur maître est mort seul. Seulement deux représentants de l'institution religieuse, selon Jean, Joseph d'Arimathée et Nicodème, entourant la mère du crucifié et deux ou trois amis tout au plus, pour un enterrement rapide. Leur maître est mort, d'une façon qui nous dit aujourd'hui plus que jamais le besoin d'entourer quand même les endeuillés, autant que l'on puisse en ce temps, à l'image de celui qui jusqu’en cela, est notre maître.

D'une fête de joie gâchée de la sorte, la Pâque, les disciples d’Emmaüs repartent abattus. Tellement abattus qu'ils ne se sont dans un premier temps que peu arrêtés à ce qu’ont dit les femmes revenant du tombeau, annonçant le relèvement de Jésus d'entre les morts. Ils ne mentionnent cela, dans leur dialogue avec le Christ qui marche à leur côté et qu’ils ne reconnaissent pas, qu’en termes de « toutefois » (v. 22)…

*

Qu’il est difficile de reconnaître le Ressuscité ! D’autant plus difficile du cœur d'un tel abattement ! Cela en rajoutant au fait qu'il est de tout temps difficile de le rencontrer en vérité, c’est-à-dire ne pas le confondre avec les images que nous nous en faisons, avec les a priori que nous avons sur lui. Tout abattus qu'ils soient, qu’est-ce qui empêche, au fond, les disciples d’Emmaüs de reconnaître le Ressuscité, leur maître, qu’ils ont côtoyé trois jours avant ?

Peut-être le texte nous donne-il lui-même une indication pour que nous comprenions cette difficulté qui est aussi la nôtre : ils ne comprennent pas les Écritures, qu’ils connaissent pourtant, et que l’inconnu avec eux, Jésus, leur explique — dit le texte. Ni l’un, ni l’autre ne le comprend, ni ne reconnaît Jésus… Ni Cléopas, ni… Mais au fait, et l’autre ? Qui est-il ? Mais ma question est-elle la bonne ? Peut-être, mais pas sûr… Et s’il fallait demander : qui est-elle ?… Ainsi posée la question dévoile un a priori tel qu’il ne nous trouble même pas : nous sommes convaincus que le second disciple est un homme, ce que le texte ne dit pas ! Comme les disciples ne reçoivent pas ce que dit l’Écriture que l’inconnu leur explique. Quelque chose leur a échappé, et des Écritures, et de l’inconnu, le Ressuscité !

Comme il nous échappe que le texte de Luc ne dit pas que le second disciple n’est pas forcément un homme ! Mieux, à bien y regarder, il suggère, en ne nommant pas le second disciple, que c’est n’est pas le cas ! Voilà comment nous imposons au texte quelque chose qu’il ne dit pas, et qui nous empêche peut-être de voir de qui il s’agit ! L’autre disciple, pas nommé, pourrait avoir tout lieu d’être tout simplement Mme Cléopas, qui invite Jésus à sa table… Un couple de disciples. Étrange ? On n’y avait pas pensé ? Et pourtant, M. et Mme invitant Jésus chez eux… Quoi de bizarre ? Mais on n’y a pas pensé…

Eh bien c’est un phénomène de ce genre, compréhension a priori, qui empêche les deux disciples de reconnaître Jésus ! Ils savent à quoi on doit s’attendre : à rien, concernant celui qui vient de mourir ! Il est mort ! Du coup, ils ne le voient pas, ils ne le reconnaissent pas…

Et nous ? Comment imaginons-nous Jésus ? Rien qu’au plan physique. En général de la façon qu’a induite en nous toute une tradition iconographique… Pour un occidental de nos jours, disons assez grand, teint clair, cheveux châtains, yeux clairs. Cela pour rester au plan physique et seulement pour illustrer la difficulté des disciples. Éventuellement son physique était tout autre. Les juifs de l’époque biblique sont si divers : Esaü roux, la femme de Moïse, une Éthiopienne, noire, comme celle du Cantique des Cantiques, etc. Au temps de Jésus, cette diversité existe.

La vraie difficulté n’est pas de l’ordre de l’apparence physique pour les disciples d'Emmaüs qui ont côtoyé Jésus : ils connaissaient son physique. Mais lorsque, ressuscité, il leur apparaît… ils ne le reconnaissent pas ! Le problème, qui vaut pour nous aussi bien que pour les deux disciples d’Emmaüs, est lié à l'abîme qui sépare le temps de l'éternité et qui rend le Ressuscité inaccessible à l'imagination des disciples comme à la nôtre.

Là, c’est le contact de l'éternité qui est incompréhensible, c’est ce contact qui nous trouble dans tout ce qui rompt l'ordre habituel des choses, et cela au plus haut point dans la résurrection — mais aussi, et ce n’est pas sans rapport, dans l’intimité avec Dieu qui nous conduit à changer nos regards sur autrui. Troublant contact avec la vérité de Dieu. Troublante résurrection. Trop troublante.

Le choc de l’éternité a des conséquences bouleversantes. Des conséquences jusque sur notre quotidien et nos relations avec autrui… Et cela nous le pressentons. Et nous en avons peur ! Mais voilà que l'éternité nous envahit, déferle dans notre temps, depuis un dimanche de Pâques, dont on choisit aisément de ne pas en voir les conséquences.

Aussi, le Ressuscité viendrait-il lui-même à nos côtés nous dévoiler son visage dans les Écritures, notre certitude confortable que tout est bien à sa place — l'éternité d'un côté, notre quotidien moyen de l'autre, — hurlerait dans son pesant silence à nos cœurs se consumant, qu'il s'agit surtout de ne pas voir.

Or ce qui éclate dans tout son sens par la résurrection du Christ, c’est que tout est grâce, que la Création elle-même est une anomalie, un miracle de gratuité ; là, irrémédiablement, se bouleverse notre quotidien, nos normes, notre raisonnable protection de nous-mêmes, nos façons d'avoir toujours tout à acheter, à prouver, à mériter, à dissimuler.

La terreur d'avoir à reconnaître le Ressuscité rejoint finalement notre terreur de la grâce. La grâce est, dans sa gratuité, don d'intimité, et d'intimité avec Dieu, nécessairement terrorisante, mais ce faisant, elle est par là-même libération.

Chose toujours surprenante ; qui ouvre sur ce qu’on ne soupçonnait pas. Lorsqu’on rencontre vraiment autrui, gratuitement, on est contraint de réviser ses propres jugements. Ainsi du Christ pour les disciples d’Emmaüs. On avait un point de vue sur lui. Limitatif. À la mesure de notre imagination, de ce que l’on considérait comme devant être un Messie. Lorsqu’il apparaît tel qu’il est, on ne le reconnaît donc pas : ah, s’il pouvait se montrer d'une façon qui ne nous surprenne pas ! Sous une forme connue, repérable, habituelle ! Mais apparemment ce n'est pas ce qu'il fait. Et lorsqu'il nous explique les Écritures sans avoir au préalable conforté nos repères, on ne l'écoute pas, on ne l'entend pas. Ce faisant, notre cœur ne brûle-t-il pas au dedans de nous ?

*

Et ce qui est vrai du Christ à une échelle insoupçonnée, devient, en lui, vrai aussi de chacun de ceux qu’il nous donne de côtoyer et que l’on a pris l’habitude de regarder toujours comme d’habitude. Ces frères et sœurs du Ressuscité, frères et sœurs dans l’espérance de leur résurrection, résurrection que nous affirmons, mais d’une façon qui risque toujours de ne rester qu’un simple mot. C'est aussi ce que dit le baptême : la vérité d'un être est unique et n'est pas en notre possession, en ce que nous croyons en savoir. Et c'est ce que rappellent les tournants de nos vies, et des vies de nos proches, adolescence, plus tard midi de la vie…

Les disciples d’Emmaüs regardaient l’inconnu comme on regarde habituellement ceux que nous côtoyons, à commencer par nos proches, a fortiori pour ceux que nous considérons comme étrangers. Le Christ s'est montré en étranger à Emmaüs ; puisque les disciples avaient pris l’habitude de regarder le Christ comme d’habitude, lorsqu’il se montre tel qu’il est au-delà de leurs regards appesantis par le sommeil de l’habitude, ils ne le reconnaissent pas.

“Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous ?” — ou alors : “n’était-il pas engourdi” ? Mais n’est-ce pas là déjà notre expérience à chacun au quotidien ? Notre cœur ne brûle-t-il pas au-dedans de nous quand nous côtoyons jour après jours des frères et sœurs du ressuscité, quand nous mangeons avec eux — partageant le pain —, quand ils nous parlent, et que nous n’entendons que ce que nous avons pris l’habitude de filtrer, que nous n’en voyons qu’un quotidien toujours le même, alors que nous avons devant nous, à côté de nous, un frère, une sœur du Ressuscité, promis à la même gloire, déjà présente, de façon cachée, en lui, en elle ?

Notre cœur ne brûle-t-il pas au-dedans de nous quand nous ne reconnaissons pas l’image de Dieu dans celui ou celle, à côté de nous, que nous cantonnons dans les vieux jugements définitifs que nous avons pris l’habitude de porter sur lui, sur elle ? Au point que lorsque nous ne reconnaissons pas un prochain qui n’est encore que dans l’espérance de la résurrection que la parole de Dieu est en passe de faire germer en lui, nous le cantonnons dans ce chemin de dégradation et dans cette mort que Jésus a vaincues.

Mais Jésus, lui, est le ressuscité, il est la résurrection. Il a la puissance de transformer nos regards comme ceux des disciples d’Emmaüs. C'est au moment de la fraction du pain, moment de partage, d'intimité, que les disciples reconnaissent Jésus. Mais là la grâce est précédence silencieuse qui brise les terreurs, les craintes, les habitudes. L'établissement de cette intimité, terrorisante pour qui l'anticipe avant de la connaître, ou pour qui regarderait après coup la rupture qu'elle a provoquée, contemplation inévitablement vertigineuse face à un tel abîme ; — l'établissement de l'intimité se fait, contre toute attente, en douceur, contre toute attente et à la surprise du regard rétrospectif.

C'est là l'étonnement de la grâce, qui brise, dans l'intimité qu’elle établit, toutes nos fausses certitudes. Pour les disciples d'Emmaüs, ils ont basculé, au cœur de leur temps envahi par le Ressuscité, dans l'éternité qui advient en lui. Pour nous aussi la présence du Ressuscité peut tout changer, change tout, dès aujourd'hui !


RP, 26.04.20

À suivre ici :

Méditations quotidiennes en semaine



dimanche 19 avril 2020

"Pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom"




Cultes au temple suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics.

Liturgie et prédication en PDF ici

Lecture de l’Évangile et prédication (PDF ici) en audio ici :


Actes 2, 42-47 ; Psaume 118, 21-29 ; 1 Pierre 1, 3-9 ; Jean 20, 19-31

Jean 20, 19-31
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l'Esprit Saint ;
23 ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."
24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc : "Nous avons vu le Seigneur !" Mais il leur répondit : "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas !"
26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit : "La paix soit avec vous."
27 Ensuite il dit à Thomas : "Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."
28 Thomas lui répondit : "Mon Seigneur et mon Dieu."
29 Jésus lui dit : "Parce que tu m'as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru."
30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.
31 Ceux-ci l'ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.

*

Nous voilà une semaine après le premier dimanche de Pâques. Une semaine après que Jésus ressuscité ait confié à ses disciples l'immense pouvoir de libérer les hommes et les femmes : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Remettre les péchés et les soumettre. Deux faces de la libération. Remettre les péchés, les pardonner, les soumettre, permettre de les dominer.

Puis voilà Thomas, une semaine après, Thomas qui n'en est pas encore là. « Je suis comme saint Thomas, je crois ce que je vois », dit l'homme de bon sens… « Comme saint Thomas ». À ceci près que Thomas ne croit pas ce qu'il voit, mais parce qu'il voit. La nuance est importante.

Comme Thomas, personnellement, ce que je vois, je ne le crois pas. Inutile, puisque je le vois. Qu'ai-je besoin encore de le croire ?

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Thomas, lui, ne croyait pas ce qu'il voyait, selon notre texte, mais il a cru parce qu'il a vu. Thomas qui n'aura pas besoin de toucher, en fait. La parole de Jésus lui aura suffi.

Thomas, donc, croit : « Mon Seigneur et mon Dieu », confesse-t-il. Le Fils de Dieu, le Ressuscité, est venu à lui. Thomas a donc droit en quelque sorte à faire plus court que ce qu'il faut faire habituellement, que ce qu'il nous faut faire : « heureux ceux qui ont cru sans avoir vu ».

Dieu, je ne l'ai pas vu. Thomas n'a pas vu Dieu non plus, mais il a cru : le Fils unique, le ressuscité, le lui a fait connaître. « Mon Seigneur et mon Dieu ».

Monde nouveau, inaccessible, inconnu, dont est porteur le Christ, venu à notre rencontre, et à même donc, de tout bouleverser. Et ça, on l'a su par les femmes venues au tombeau, c'est effrayant.

Pour Thomas, voilà qui déjà fait basculer sa vie ! Mais quoique cela suppose pour la suite, ce que Thomas pressent — la tradition veut que cela l'ait mené jusqu'en Inde où il aurait fondé l'Église — quoique cela suppose pour la suite, Thomas sait : il y a quelque chose derrière ces plaies. Thomas est désormais porteur de la parole de libération, jusqu'en Inde et au-delà : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Telle est la puissance de libération de la foi.

Thomas n'a pas cru ce qu'il a vu, il a cru parce qu'il a vu, et quoique cela coûte. Avant même d’avoir à toucher : « Mon Seigneur et mon Dieu », a-t-il dit, dans l'adoration. Alors quand l'homme de bon sens me dit : je suis comme saint Thomas, je ne peux m'empêcher de penser : s'il sait ce qu'il dit, quelle foi ! Que la foi de saint Thomas soit la nôtre, celle que Dieu lui-même écrit sur nos cœurs au-delà même des plaies qui marquent encore le monde de la résurrection… plaies signes des souffrances traversées, réelles jusqu’à ce jour…

… Et qui feront dire à Paul (Romains 8) :
« 18 J'estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous.
19 Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu :
20 livrée au pouvoir du néant — non de son propre gré, mais par l'autorité de celui qui l'a livrée —, elle garde l'espérance,
21 car elle aussi sera libérée de l'esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu.
22 Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement.
23 Elle n'est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l'adoption, la délivrance pour notre corps.
24 Car nous avons été sauvés, mais c'est en espérance. […] »
(Romains 8, 18-24)
Car cela vaut pour chacun !

Voilà une leçon qui rejoint le constat de Thomas : les plaies du Ressuscité. La gloire de la résurrection porte les traces du passage dans le temps, de ce que l’être de résurrection est celui qui a traversé le temps de douleur par lequel a été constitué ce qu’il est dans l’éternité.

Il porte les plaies de sa souffrance. Mais, parole de foi de Paul — de l’ordre de la foi de Thomas, mais pour celui qui n’a pas vu —, « j'estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous ». Estimation de foi. Si Thomas a vu, Paul, non plus que nous (sauf à évoquer le moment éblouissant du chemin de Damas — cf. 1 Co 15, 8), n’en voit rien ; et il « estime ».

En ces jours d’un confinement où la douleur de la création, marquée dans la mort de proches qui devient plus terrible encore que d’ordinaire, en ces jours où un accompagnement réel des endeuillés est devenu impossible, un rassemblement de vingt personnes excluant de fait le cercle réel, plus large, des amis ou, au sens fort du mot, de l’Église pour les croyants, l’Église, ce rassemblement de toutes celles et ceux qui ont reçu en partage la foi en la promesse de la résurrection, réduite en ces jours cruels à un ou deux officiants pour la représenter, pasteur ou célébrant laïc, — en ces jours terribles, nous voilà fondés à comprendre d’autant mieux Thomas, qui n'avait pas vu, ne pouvant dans un premier temps percevoir la consolation inouïe, pourtant donnée là, pleinement, dans la parole de la foi.

Signée au corps du Ressuscité, la souffrance du temps n’est pas niée, mais elle est engloutie dans la gloire proche d’être révélée.

Cela vaut, depuis la révélation des plaies du Ressuscité, pour chacun de nous, et pour toute la création — dont la parole de la foi promet la délivrance par la révélation des enfants de Dieu, à la suite du premier engendré d’entre les morts, le Christ ressuscité !


RP, 19.04.20


dimanche 12 avril 2020

Il n’est pas ici, il est ressuscité




Cultes au temple suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics

Voir ici : le message de Pâques de la pasteure Emmanuelle Seyboldt,
Présidente du Conseil national de l’Eglise protestante unie de France


Et ici : le message de Pâques du pasteur Graeme Wilson,
de notre Église sœur, Bearsden Cross Church


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Liturgie et prédication en PDF ici

Lecture de l’Évangile et prédication audio ici :


Actes 10, 34-43 ; Psaume 118, 1-20 ; Colossiens 3, 1-4 ; Matthieu 28, 1-10

Colossiens 3, 1-4
1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ;
2 fondez vos pensées en haut, non sur la terre.
3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.
4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.
Matthieu 28, 1-10
1 Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre.
2 Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus.
3 Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme neige.
4 Dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts.
5 Mais l’ange prit la parole et dit aux femmes : "Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié.
6 Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit ; venez voir l’endroit où il gisait.
7 Puis, vite, allez dire à ses disciples : Il est ressuscité des morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit."
8 Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : "Je vous salue." Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10 Alors Jésus leur dit : "Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront."

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C'est la première fois depuis deux mille ans que nous célébrons Pâques de cette façon (et depuis trois mille ans pour la fête juive de Pessah), signe fort pour notre foi qu'il est bien au sortir du tombeau un au-delà de promesse qui remet nos enfermements présents à la place qui est la leur : dans un temps déjà surmonté par le Ressuscité !

Au cœur de Pâques, l'affirmation que confesse notre foi pascale : il est descendu au séjour des morts, résonne pour la première foi avec la tonalité particulière que lui donnent nos célébrations confinées. C'est le Ressuscité qui nous rejoint au cœur de nos enfermements, au cœur du séjour de morts comme promesse de vie, cette vie cachée en Lui.

« Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu », écrit l’Apôtre.

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Qu’est-ce qui nous constitue, que sommes-nous en réalité ? En réponse à cette question, nous confondons aisément notre être avec notre enveloppe temporelle — fragile, susceptible d'être atteinte par la maladie, et tant d’autres maux mortels.

Une enveloppe temporelle dont nous nous dépouillons déjà, au jour le jour de son vieillissement ; une enveloppe, qui s’use de toute façon, qui se dégrade de jour en jour ; jusqu’au moment où il faudra la quitter comme un vêtement qui a fait son temps (selon une image de Paul).

Ce qui ne rend pas nos corps temporels insignifiants. Ils sont la manifestation visible de ce que nous sommes de façon cachée, en haut. Et le lieu de la solidarité. Le corps que le Christ s’est vu tisser dans le sein de la Vierge Marie manifeste dans notre temps ce qu’il est définitivement devant Dieu, et qui nous apparaît dans sa résurrection.

Dans des signes de mémoire du Sinaï, faisant trembler la terre, apparu dans l’éclat de l'éclair, que dit l’Ange aux femmes dans la clarté nouvelle du dimanche de Pâques ? « Soyez sans crainte »« Il n’est pas ici ». Et pour qu’on ne s’y trompe pas, le corps, de toute façon, n’est pas là. Ce corps, cette enveloppe, qu’il a dépouillée à la croix. « Recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ », confirmera l’Apôtre.

Il a dépouillé le corps temporel douloureux, et il s’est relevé d’entre les morts. Et pour que cela soit bien clair, le tombeau est vide : l’Ange en roule la pierre pour que nous n’y restions pas. Il vous précède en Galilée. La mission commence où demeurent les vôtres, les êtres humains, elle est où vous serez envoyés bientôt, pas autour d’un tombeau.

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« Il n’est pas ici », a dit l’Ange aux femmes. Allez chez vous, avant d'aller, plus tard, au bout du monde, dans la Cité terrestre, où il vous précède. Parce que ce qui vaut pour lui, et c’est là que son relèvement d’entre les morts est aussi un dévoilement, une révélation ; ce qui vaut pour lui, vaut, en lui, aussi pour nous.

« Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». « Vous êtes ressuscités avec le Christ. » Notre vrai être n’est pas dans nos lambeaux de corps, mais en haut, avec lui, à la droite de Dieu.

Il est un autre niveau de réalité, celui qui apparaît dans la résurrection. Or nous en sommes aussi, à notre tour de façon cachée. C’est cet autre niveau qu’il nous faut rechercher, pour y fonder notre vie et notre comportement dans le provisoire.

« Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire », promet l’Apôtre.

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Dès lors : « recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; fondez vos pensées en haut, non sur la terre. Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. »

Lorsqu’au matin de Pâques, les femmes ont reçu ce signe : le corps n’était pas là ; le signe est accompagné de cette parole, il prend sens de cette parole, comme le pain et le vin prennent sens des paroles qui les accompagnent — il vous précède en Galilée, sur vos routes humaines que vous rejoindrez bientôt.

Alors désormais, « recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; fondez vos pensées en haut ». C’est-à-dire, non pas : vivez en haut, comme dans les nuages de lendemains qui chantent, mais poursuivez votre route terrestre forts de ce que vous pouvez désormais fonder vos pensées en haut, dans la foi à la résurrection de Jésus.

Vous êtes morts avec Jésus et ressuscités avec lui. Ni cadavre au tombeau ni nostalgie dans l’imaginaire d’un passé qui ne reviendra pas.

« Votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. » C’est à ce niveau de réalité-là qu’est notre vrai être. Vivre du mont de la transfiguration, où déjà avant Pâques, s’était manifesté le Christ de la résurrection, pour marcher sur les routes du provisoire.

Que Dieu nous donne aujourd’hui de percevoir la présence du Ressuscité, et d’en concevoir le bonheur qu’ont connu les Apôtres au mont de la transfiguration. Et puisqu’on ne plante pas de tente au mont de la transfiguration, d’aller demain, aux lendemains de nos confinements, vers nos Galilée où nous précède le Ressuscité.


R.P., Pâques, 12.04.2020


dimanche 5 avril 2020

De Souccoth à Rameaux




Cultes au temple suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics.

Liturgie et prédication en PDF ici

Lecture de l’Évangile et prédication audio ici :


Ésaïe 50.4-7 ; Psaume 22 ; Philippiens 2.6-11 ; Matthieu 21.1-11

Matthieu 21, 1-11
1 Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent près de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux disciples
2 en leur disant : "Allez au village qui est devant vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et un ânon avec elle ; détachez-la et amenez-les-moi.
3 Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous répondrez : Le Seigneur en a besoin, et il les laissera aller tout de suite."
4 Cela est arrivé pour que s’accomplisse ce qu’a dit le prophète :
5 Dites à la fille de Sion : Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d’une bête de somme.
6 Les disciples s’en allèrent et, comme Jésus le leur avait prescrit,
7 ils amenèrent l’ânesse et l’ânon ; puis ils disposèrent sur eux leurs vêtements, et Jésus s’assit dessus.
8 Le peuple, en foule, étendit ses vêtements sur la route ; certains coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
9 Les foules qui marchaient devant lui et celles qui le suivaient, criaient : "Hosanna au Fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux !"
10 Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : "Qui est-ce ?" disait-on ;
11 et les foules répondaient ; "C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée."


« Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d’une bête de somme », reprise de Zacharie 9, 9 par Matthieu (21, 5). Dans le cadre de l’année liturgique juive, c'est lors de la fête de Souccoth qu'on lit Zacharie (ch. 14, v. 1-21) annonçant le jour où toute l’humanité reconnaît le Dieu vivant, — tandis que, toujours selon Zacharie, le Messie annoncé arrive sur un ânon (ch. 9, v. 9). La lecture de Zacharie 14 annonçant le jour où toute l’humanité reconnaît le Dieu vivant, a lieu le premier jour de la fête de Souccoth, ou des « cabanes » (i.e. « tabernacles »), célébrée au début de l’automne, suite à Roch Hachana, le Nouvel an. Une fête durant laquelle on vit une semaine sous des branchages, des Souccoth, des « cabanes » comme au temps de l’Exode, au temps du désert, qu’elle commémore ; tandis qu’elle annonce face au souvenir de l’Exode, une nouvelle Pâque, une délivrance définitive.

Le dernier jour de la fête, tous les fidèles font cortège autour de la Torah, en chantant « Hoshanna »« Seigneur, sauve maintenant » (Ps 118, 25), rameaux en mains, selon la prescription du livre du Lévitique (ch. 23, v. 40) : « Vous prendrez des branches de palmier, des rameaux de l'arbre touffu et des saules de rivière ; et vous vous réjouirez, en présence du Seigneur votre Dieu, durant sept jours », demeurant dans des cabanes de branchages, sept jours devenus dans les Évangiles figure des sept jours de la semaine sainte.

Car, on le voit bien, notre fête de Rameaux évoque irrésistiblement cette fête juive de Souccoth. Et ce n’est pas par hasard. Souccoth commémorant les lendemains de la première Pâque, a une connotation pascale. S’annonce alors pour le peuple la délivrance qui s’accomplit dans la venue du Règne du Messie que, dans les Évangiles, on reconnaît en Jésus.

Voilà qui met en perspective le rapport de Rameaux et de la Semaine sainte ! Un rapport qui ne serait pas tant de l’ordre de la chronologie que de celui de la permanence de la promesse, qui relie tout le temps liturgique, du Nouvel an à la Pâque et à la Pentecôte (« par mon Esprit », dit le Seigneur — Zacharie 4, 6) : une mise en perspective ouvrant sur l’entrée de ce temps dans l’éternité du Ressuscité… Où s'explique le « télescopage », très perceptible chez Jean, entre Souccoth et l'entrée de Jésus à Jérusalem… Où la croix devient l'axe du temps.

Une mise en perspective qui fait rejaillir tout à nouveau la promesse de la première Pâque : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai libéré de l’esclavage » — quand tu entreras dans la liberté que je te donne, tu sauras enfin accueillir le don que je te fais.

Et voici que « Dieu fixe de nouveau un jour — aujourd’hui — en disant bien longtemps après, par la bouche de David (Ps 95, 7-8) : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs. Il reste donc un repos de sabbat pour le peuple de Dieu. Car celui qui entre dans le repos de Dieu se repose aussi de ses œuvres, comme Dieu se repose des siennes. Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là » (Hébreux 4, 7 & 9-11). Pour cela, Seigneur, « sauve maintenant ! Hoshanna ! »

Le dernier chapitre du livre de Zacharie, le ch. 14, lu lors la fête de Souccoth, le premier jour de la fête, annonce, avant la pacification autour du Dieu vivant, un temps où tous les peuples se réuniront pour lutter contre Jérusalem et s'en empareront.

Mais ils seront finalement vaincus. « Et ceux qui se seront dressés contre Jérusalem y monteront chaque année pour se prosterner devant le Roi Seigneur des Armées, et célébrer la solennité de Souccoth », annonce la prophétie. Dans sa signification profonde, cette fête, symbole de la protection divine, préfigure les jours du Messie où l’humanité entière reconnaîtra le Dieu vivant ; le Messie annoncé par ce même Zacharie arrivant sur un ânon.

Venu sur un ânon, Jésus se présente en triomphateur humble et pacifique, au nom de Dieu — « béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » — Dieu en qui tout est toujours possible. Cette procession royale précède la violence de l’attaque future de Jérusalem, comme la procession royale du livre de Zacharie annonce le salut miraculeux de Jérusalem — salut qui intervient au cœur même de sa détresse.

Quelle est la chronologie des événements selon Zacharie ? Difficile à dire. Deux perspectives se superposent : l’attaque de Jérusalem et sa délivrance miraculeuse liée à la présence du roi humble, venant sur un ânon, au seul nom du Seigneur.

Ce n’est pas par la force que tu obtiens ta délivrance, c’est par mon Esprit, dit le Seigneur (dans la prophétie de Zacharie — 4, 6 : « ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon esprit, dit le Seigneur des armées »).

En d’autres termes la procession de Jésus sur un ânon vient annoncer la délivrance de Jérusalem, qui peut intervenir à tout moment. Le Seigneur intervient au cœur même de la menace, au cœur même de l’encerclement de Jérusalem par tous ses ennemis.

Or voilà que le signe de cette intervention, le roi humble venant sur un ânon, vient d’être donné.

*

Où l’on retrouve le côté superposé qui est celui de l’apparente chronologie Souccoth-Pâques dans les Évangiles. Ce n’est pas un ordre chronologique des événements qui est proposé — mais tout comme dans Zacharie, c’est un croisement menace-délivrance qui se superposent. Avec une question : qu’allons nous choisir, la terreur devant l’ennemi qui menace ? Ou la confiance en ce que la délivrance, qui ne vient pas par la force — l’ennemi est de toute façon trop puissant —, est donnée par l’Esprit du Seigneur, Esprit d’humilité. La menace s’accomplira — quelques décennies après en l’occurrence : l’an 70.

Mais déjà au cœur de la menace, a été donnée la parole de la délivrance : celle du prophète Zacharie : « réfugiez-vous en moi seul, c’est par mon Esprit », dit le Seigneur. Et signe de cela, ton roi vient à toi sur un ânon. À ce moment-là, au jour des Rameaux, dans cette prophétie de Souccoth, tout est donné, tout est en passe d’être accompli !

Car ce qui s’annonce aux Rameaux, c’est l’accomplissement de l’invocation de Souccoth : « Hoshanna », « sauve dès maintenant » ! C’est bien dès maintenant, toujours dès maintenant, que vient le salut. L’intervention du Dieu du salut a lieu dès aujourd’hui, avant même que les puissances ennemies n’aient mis en œuvre leur menace.

Alors se dessine la façon dont la délivrance, qui n’est pas le fait de la force s’opère dès maintenant, la façon dont elle va s’accomplir : non seulement celui qui vient sur un ânon ne va pas déployer on ne sait quels moyens militaires terrestres, ou autres armées célestes, mais il va briser la puissance de l’ennemi, de tout ennemi… en mourant : la croix est en perspective. Il l’emporte alors jusque sur le dernier ennemi, la mort, qui ne peut le retenir, et le voit se relever au dimanche de Pâques.

C’est là ce qu’annonce la fête de Souccoth selon sa relecture dans l’Évangile des Rameaux : l’accomplissement de toutes les délivrances… « ni par la puissance ni par la force, mais par mon Esprit ».


RP, Rameaux, 05.04.2020