dimanche 29 mai 2022

Afin que le monde croie...




Actes 7, 55-60 ; Psaume 97 ; Apoc 22, 12-20 ; Jean 17, 20-26

Jean 17, 20-26
20 "Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi :
21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un,
23 moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde.
25 Père juste, tandis que le monde ne t’a pas connu, je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux."

*

… Ainsi le Christ a prié non seulement pour les Apôtres mais aussi pour celles et ceux qui croiront par leur parole — c’est-à-dire nous ! « Qu’ils soient un comme nous sommes un » !

C'est la seule prière de Jésus qui soit en quelque sorte publique dans les évangiles. Les autres fois, il se retire, au point que les disciples ne savent pas comment il prie, et le lui demandent : apprends-nous comment prier, où Jésus donne le Notre Père. Où l'on découvre que les prières de Jésus, qui est très réservé sur les prières publiques (« toi, entre dans ta chambre et ferme la porte » — dans la chambre intérieure de ton être, pour celles et ceux qui n’ont pas une chambre à soi) —… les prières de Jésus sont les Psaumes, prières liturgiques d'Israël, que résume le Notre Père.

La prière que nous venons de lire, Jean 17, ne fait pas exception, en cela qu'il ne s'agit pas d'une prière intime, mais d'un moment liturgique : prière de consécration des disciples.

Cela dit, vu le contenu de cette prière, une question peut se poser — on la pose parfois : Jésus n’a-t-il donc pas été exaucé ?

On est dans ce texte peu avant le départ du Christ. Un départ déjà vécu dans sa mort, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait-il. Si le Christ ressuscité (quand « vous me verrez à nouveau », avait-il dit aux disciples) est lui-même corporellement présent en tout lieu, comme le Père est présent partout, il est aussi désormais, comme l’est aussi le Père, caché à nos yeux, comme absent — nous ne le voyons plus. Nul n’a jamais vu Dieu.

Disciples d’un Christ qui ne se voit plus, témoins par lui d’un Dieu que nul ne voit, comment le dire, comment le faire percevoir ? Jésus vient de le dire : « que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé ». Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Seule façon donnée de faire percevoir le Dieu que nul n’a jamais vu et le Christ qui l’a manifesté, mais à présent absent lui aussi de notre vue.

… Mais voilà, il semble en être de même de l’unité qui se fonde dans l’unité du Père et du Fils… Nul n’a jamais vu cette unité, semble-t-il. Et pourtant : c’est « afin que le monde croie » ! Que l’unité se voie !… Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres », paroles données alors précisément que le Christ est enlevé des yeux du monde par la Croix.

Il nous est enlevé, donc déjà par sa mort sur la Croix, lui dont le Nom qu’il nous fait connaître est au-dessus de tout Nom. Il se retire, dans le Nom qu’il a fait ainsi connaître tout à nouveau comme le Nom caché. Il se retire… Non pas pour nous abandonner à notre détresse, à nos vies morcelées, à nos divisions, mais pour officier dans le Temple céleste — ainsi que nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) relisant l'Exode (25, 40) — ; un office unifiant le monde, octroyé dès la fondation du monde — « tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » — et nous en lui : c’est le cœur de notre unité. « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi ».

Or à travers cette prière de Jésus dite au jour de sa crucifixion, c’est à une dépossession semblable à la sienne que nous sommes appelés. C’est là où il est, c’est là sa gloire, la croix.

*

Jésus retiré dans la gloire — « maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui » — la gloire de la croix qui se profile, Jésus prie : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » (Jean 17, 24). Or cela est aussi déjà donné : « moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. » Sa prière est bien exaucée.

Là est l’unité déjà donnée : « près de toi dans ta bouche et dans ton cœur » — dans la plus radicale humilité, au cœur de notre faiblesse assumée à la croix comme élévation à la gloire ; le reste, « qu’ils parviennent à l’unité parfaite », est le chemin de notre « pas encore » vers le « déjà donné ». Ce qui est déjà donné dans l'unité du Père et du Fils peut prendre forme dans notre pas encore.

Le « déjà » n’est pas fictif : déjà justes en Christ, encore pécheurs en nous-mêmes — c’était déjà le cas dans l’Église primitive ! — ; déjà un en lui, par l’Esprit saint, dans l’unité du Père et du Fils, pas encore quant à la visibilité ; le monde qui nous est confié est encore divisé par d’immense abîmes, d’immenses injustices. Notre unité est toutefois réelle au cœur de notre diversité. Sa mesure, en vue de sa visibilité pour que le monde croie, est celle de notre foi, de notre confiance en celui qui nous l’a déjà donnée pour la déployer jusqu’à son accomplissement.


RP, Poitiers 29/05/22
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jeudi 26 mai 2022

"Est-ce en ce temps que tu rétabliras le Royaume ?"




Actes 1.1-11 ; Psaume 47 ; Hébreux 9.24-28 & 10.19-23 ; Luc 24.46-53

Actes 1, 3-7
3 Après qu’il eut souffert, [Jésus] apparut vivant [à ses disciples], et leur en donna plusieurs preuves, se montrant à eux pendant quarante jours, et parlant des choses qui concernent le royaume de Dieu.
4 Comme il se trouvait avec eux, il leur recommanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'attendre ce que le Père avait promis, ce que je vous ai annoncé, leur dit-il ;
5 car Jean a baptisé d'eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint Esprit.
6 Alors les apôtres réunis lui demandèrent : Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d'Israël ?
7 Il leur répondit : Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité.

Luc 24, 46-53
46 Et il leur dit : Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour,
47 et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
48 Vous êtes témoins de ces choses.
49 Et voici, j’enverrai sur vous ce que mon Père a promis ; mais vous, restez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la puissance d’en haut.
50 Il les conduisit jusque vers Béthanie, et, ayant levé les mains, il les bénit.
51 Pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux, et fut enlevé au ciel.
52 Pour eux, après l’avoir adoré, ils retournèrent à Jérusalem avec une grande joie ;
53 et ils étaient continuellement dans le temple, louant et bénissant Dieu.

*

« Plusieurs verront le Règne de Dieu venir avec puissance, avant même leur mort » avait dit Jésus avant (et à propos de) sa Transfiguration dans ce même Évangile (Luc 9, 27). Et voilà que, plus tard, la venue éternelle du Règne semble toujours à nouveau différée…

Voilà que dans l’Ascension, comme dans la crucifixion, celui en qui vient le Règne de Dieu est « enlevé » (Luc 24, 51 / Actes 1, 2). « Vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16).

« Vous ne me verrez plus » — ce que confirme à nouveau l’Ascension : « une nuée le déroba aux yeux » des disciples (Actes 1, 9). « Puis vous me verrez encore » : écho à la résurrection, où les disciples retrouveraient leur Seigneur ; mais maintenant pour plus tard, à la venue en gloire — dont l’espérance dit que tout en étant « au milieu de vous », « le Royaume de Dieu ne vient pas de façon à frapper les regards » (Luc 17, 20). Et donc encore moins à la force de nos actions, pour ne rien dire de celle de l’épée ! — : aucune légitimité d’un règne d’une religion, ou de l’Église de celui dont le Règne n’est pas de ce temps…

L’Ascension, comme le départ par la mort — du crucifié —, est tout d’abord la marque de son absence : son élévation à la droite de Dieu n’est pas comme un déplacement qui conduirait le Christ à une droite de Dieu « spatiale » ! Dieu est dans un au-delà infini : une élévation comme déplacement d’ici à ailleurs durerait indéfiniment ! Et puis Dieu est universellement présent : la droite de Dieu est partout, comme les cieux des cieux ne peuvent le contenir ! Et le Christ ressuscité emplit lui-même corporellement toutes choses.

L’Ascension est un départ, déjà signifié par la Croix.

Dans le départ du Christ, c’est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi comme le Père, radicalement absent, caché.

Le Christ entre dans le règne de celui que nul n’a jamais vu (Jn 1, 18), et se retire, voilé dans une nuée (cf. l’Exode). Et voilà qu’ici-même, en tous ces signes apparemment négatifs, s’est inscrite cette promesse (Jn 17, 7) : « il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, l’Esprit saint ne viendra pas »

*

Concernant le Christ, ce départ, et cette absence — « vous ne me verrez plus » — fait écho au rituel biblique qui exprime cela — « vous ne me verrez plus » — par le voile du Tabernacle et du Temple, derrière lequel ne vient que le seul grand prêtre, une seule fois l'an.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux relisant l'Exode (25, 40). Temple céleste dans lequel officie le Christ, selon l'Épître. « Car le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, en imitation du véritable, mais il est entré dans le ciel même, afin de comparaître maintenant pour nous devant la face de Dieu » (Hé 9, 24) — face invisible de la croix. C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort — ce qui est signifié dans sa Résurrection et son Ascension : le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée.

Il nous quitte, donc — mais ne nous laisse pas orphelins. L’Esprit saint nous communique son impalpable présence au-delà de l'absence. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus. Nous laissant la place, il nous permet alors de devenir ce pour quoi Dieu nous a créés.

« Pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? » (Ac 1, 11)… Que faire, alors, dans ces temps d'absence ? Devenir ce pour quoi nous sommes faits, en marche vers le Royaume. L’Ascension nous dit que s’ouvre pour nous à présent une nouvelle étape du projet de Dieu… Ouvrant dès à présent sur la vie éternelle : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3).

C’est, concrètement, à une dépossession de ce à quoi nous sommes attachés que nous sommes appelés — dite ici en termes de repentance en vue du pardon, valant jusqu’à toutes les nations (Luc 24, 47). Or cette repentance, comme dépossession, correspond précisément à l'action mystérieuse de Dieu dans la création, jusqu’au jour éternel de la résurrection. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes en Dieu pour la résurrection.

Il y a là une puissante parole d’encouragement pour nous. L’Esprit saint remplit de sa force de vie quiconque, étant dépossédé, jusqu’à être abattu, en appelle à lui en reconnaissance, du cœur de cet abattement, reconnaissance de tout ce que sa présence, de ce que tous ses dons, de ce que tous les jours de joie nous ont octroyé. C’est alors, alors que nous sommes sans force, que tout devient possible. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse », est-il dit à Paul (2 Co 12, 9).

En se retirant, ultime humilité, ultime pudeur à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour que jusqu’au jour où il faut nous retirer à notre tour, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée.

Non pas ce que nous projetons de nous-mêmes, non pas ce que nous croyons être en nous situant dans le regard des autres ou en croyant aux étiquettes que l’on nous colle, ou que nous nous collons nous-mêmes, mais ce que nous sommes vraiment, devant Dieu et qui paraît pleinement au jour de la résurrection.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous concevons de nous-mêmes.

Le Christ lui-même s'est retiré, entrant dans son règne pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu entrant dans son repos pour laisser le monde être. C'est ainsi que se complète notre création à l'image de Dieu, que se constitue notre être de résurrection. Et pour le temps en ce monde qui nous est imparti, demeure sa promesse : « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12, 9).


RP, Poitiers, Ascension, 26.05.22
Liturgie :: :: Prédication


dimanche 22 mai 2022

“Que votre cœur ne se trouble pas”




Actes 15. 1-29 ; Psaume 67 ; Apocalypse 21. 10-23 ; Jean 14. 23-29

Jean 14, 23-29
23 Jésus lui répondit [à l’apôtre Jude] : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure.
24 Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ; or, cette parole que vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé.
25 Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous ;
26 le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit.
27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.
28 Vous l’avez entendu, je vous ai dit : “Je m’en vais et je viens à vous.” Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, car le Père est plus grand que moi.
29 Je vous ai parlé dès maintenant, avant l’événement, afin que, lorsqu’il arrivera, vous croyiez. »

*

Ce temps-ci, et la mort sur laquelle il débouche, relèvent du passé, dans le propos de Jésus. Il se situe et nous situe déjà dans le monde à venir, dans le temps à venir, un temps alors tout proche pour lui et ses disciples. Quand je ne serai plus là, plus avec vous physiquement, je serai toujours vivant, pleinement vivant, et par l'Esprit, avec vous.

Le verset 25 dit cela en ces termes : « Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous », alors que Jésus n’est pas encore parti. C’est ce qu’indique aussi le v. 28, que toutes les traductions rendent par « si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez ». Inconvénient de cette traduction de ce verset 28 — bien difficile à traduire — : elle semble connoter un aspect négatif, comme si Jésus sous-entendait : « si vous êtes triste, c'est que vous ne m'aimez pas, ou pas suffisamment ». Il n’y a pas ce sous-entendu dans le propos de Jésus.

« Si vous m'aimiez » nous place dans la situation où Jésus est déjà dans la perspective de son départ — « je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous » : « si vous m'aimiez pendant que j'étais avec vous en ce temps-ci, alors, je vous le dis, à présent que je ne serai plus, que je ne suis déjà plus dans ce temps, vous avez dans ce temps, déjà passé, tout pour vous réjouir : le Père, auquel je vais, est plus grand que moi, plus grand que moi dans ce temps : ma présence auprès de vous est dès à présent, puisque je vais au Père, plus intense que jamais, et ça, c'est un sujet de joie, au cœur même de votre tristesse de me voir partir, départ qui appartient déjà au passé. »

« L'amour que vous avez pour moi va déjà porter son fruit. Ce fruit est celui de votre foi, don de l'Esprit » : « Je vous ai parlé dès maintenant, avant l’événement, afin que, lorsqu’il arrivera, vous croyiez ».

Là se dévoile le début de notre texte : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. » Il s'agit d'un rapport à la parole de Jésus, parole du Père (v. 24), d'une relation à cette parole telle qu'elle correspond à la présence de Jésus et du Père au cœur de la vie de qui la garde parce qu'il l'aime, la chérit, chérit celui qui la porte (cf. Exode 25, 8). C'est déjà la présence de l'Esprit saint par lequel cette parole vit en qui la reçoit, devient parole vivante qui produit son fruit d'amour.

Avez-vous noté que chez Jean le double commandement du Deutéronome et du Lévitique n'est jamais cité ? — « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme, de toute ton intelligence, de tous tes moyens », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il est cité chez Matthieu, Marc, Luc, mais pas chez Jean.

À la place, on a chez Jean « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » et « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ». Cela revient sans doute à une citation du double commandement — mais pas littérale, et de ce fait présenté sous un autre angle, d'une façon précisée, un peu comme quand Jésus commente la Loi, chez Matthieu, en termes de « moi je vous dis. » Il ne contredit jamais la Loi, mais en offre un vécu personnel, une lecture intimement personnelle : non pas dans le « on », mais dans le « je », « moi je ».

Eh bien ici, chez Jean, il en est de même pour Jésus, et pas simplement pour Jésus seul, mais pour les disciples, par le don de l'Esprit saint, du Paraclet, du Consolateur qui vient combler le vide de sa mort à l'avantage de ses disciples : « déjà dans le passé de mon départ », « réjouissez-vous de ce que je vais au Père ».

Il s'agit, par l’Esprit, d'une relation toujours nouvelle à la parole du Père qui est celle de Jésus, c'est-à-dire donnée comme vécue : je vous ai donné un exemple vient-il de dire après avoir lavé les pieds de ses disciples. Ici nous comprenons que ce n'est pas d'une imitation comme celle d'une recette qu'il s'agit, mais au contraire d'un exemple de ce que le vécu de la loi, du double commandement qui en est le cœur, doit être toujours nouveau, toujours chargé d'imagination et de surprise, rien de l'ordre de la routine.

Ce n'est ni un autre commandement, ni une application de l'ordre de la répétition, de l’imitation, ou de la recette, mais, selon de don de l’Esprit un renouvellement toujours créateur, fruit de la parole créatrice. Qui m'aime garde ma parole — cette parole qui est à l'origine de toute chose —, cette parole créatrice qui devient créatrice en qui la garde, et en qui de ce fait demeure Jésus qui la donne comme parole unique, et le Père dont c'est la Parole.

Voilà donc la lecture intime qui est faite de la parole du Deutéronome — « tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». Cet amour de Dieu qu'on ne voit pas consiste à garder sa parole en aimant le prochain que l’on voit. Quelque chose de très classique au fond, et de toujours radicalement nouveau. Et qui est la présence aimante de Dieu en nous. « Mon Père aimera celui, celle, qui garde ma parole. Et par cette parole gardée le Père et moi demeurerons en lui, en elle ».

Et cela, c'est le don de l'Esprit saint qui « vous enseignera toutes choses par le rappel, la concrétisation en vous, de tout ce que je vous ai enseigné ». D’une façon toujours nouvelle : garder les commandements, les observer à son humble mesure et contribuer ainsi à la réparation du monde, de ce monde blessé.

Et il n'y a rien d'angoissant à ce que nous ne sommes pas à la mesure de la hauteur des paroles et des actes de Jésus. Chacun sa mesure, précisément. C'est pourquoi, « que votre cœur cesse de se troubler et de craindre » — « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Ma parole portera son fruit, par mon Esprit, l'Esprit du Père, qui est l'amour qu'il vous porte par sa parole, ma parole qui habite en vous — et porte son fruit en amour du prochain.

*

« Qui m'aime garde ma parole ». Cet amour dont Jésus nous a donné l'exemple est trop pour que nous le pratiquions comme lui ? Certes.

La parole qu'il nous faut garder est à vivre par chacun comme il est, chacun à sa mesure, par le don de l'Esprit consolateur — déjà un peu, à la mesure de l'humilité de chacun —, « aimez-vous comme je vous ai aimés », chacune et chacun comme il est, à la mesure de l'humble possibilité d'empathie de chacune et chacun. Se mettre à la place d'autrui dans une humble mesure, ne pas en vouloir à celle, celui, que Jésus a aimé.

Alors la parole gardée commence à porter son fruit, « comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». Ce n'est pas un fardeau accablant que garder sa parole — « je vous donne ma paix », pas à la manière du monde. C'est juste commencer à apprendre que dans la brièveté de la vie, faite de tant de misères, il est plus que temps de s'ouvrir à la bonté, de s’autoriser à aimer.


RP, Poitiers 22/05/22
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dimanche 15 mai 2022

À l’amour que vous aurez les uns pour les autres…




Actes 14. 21-27 ; Psaume 145 ; Apocalypse 21. 1-5 ; Jean 13. 31-35

Jean 13, 31-35
31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ;
32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c’est bientôt qu’il le glorifiera.
33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j’ai dit aux autorités judéennes : “Là où je vais, vous ne pouvez venir”, à vous aussi maintenant je le dis.
34 « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.
35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

*

« Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : “Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui” ». Glorifié ! C'est le mot employé pour parler de la croix ! On approche du moment de la gloire que Jésus reçoit du Père, qui n'est autre que son élévation à la croix, « là où […] vous ne pouvez venir ». Cette crucifixion qui semble n'être que le lieu de l'ignominie et qui est en fait le lieu de sa glorification — même racine en grec, sembler et être glorifié ! Pour les hommes, il semble vaincu — en fait Dieu glorifie celui qui nous a aimés jusqu’à la mort.

Et c’est alors que Jésus dit à ses disciples : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Il n'y a pas d'autre gloire que la sienne, élevé à la croix, et qui nous dit encore : « comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ».

Voilà un commandement nouveau, et plus ancien que la création du monde — car le commandement nouveau est plus ancien que la fondation du monde.

Je lis, dans la seconde épître de Jean, parole donnée à l’Église : « ce que je te demande, (ma) Dame, — non comme te prescrivant un commandement nouveau, mais celui que nous avons eu dès le commencement, — c'est que nous nous aimions les uns les autres » (2 Jean 1, 5).

Et dans la première épître de Jean, celle qui nous apprend (1 Jn 4, 8 et 16) que Dieu, en soi, donc éternellement, est amour (1 Jean 2, 7-8) : « Bien-aimés, ce n'est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien que vous avez eu dès le commencement ; ce commandement ancien, c'est la parole que vous avez entendue. Toutefois, c'est un commandement nouveau que je vous écris […]. »

Et au premier verset de cette épître (1 Jean 1, 1-3) : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie, — car la vie a été manifestée, et nous l’avons vue et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, — ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi […]. »

Écho au Prologue de l’Évangile de Jean (1, 1-3) — le même mot pour « commencement », qui est celui qui traduit en grec le commencement de la Genèse : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. »

Un commencement qui renvoie donc à l'éternité et qui advient, toujours nouveau, dans le temps — en son cœur avec cet autre commencement qu'est l'Incarnation de la Parole devenue chair.

Si la parole : « ce que vous avez entendu dès le commencement » renvoie à la nouveauté éternelle de la rencontre du Christ, c'est bien d'éternité qu'il est question, c'est bien éternellement que le commencement est nouveau, comme le commandement du Lévitique auquel il est ici fait écho parle d'éternité — « tu aimeras ton prochain comme toi-même » étant l’expression dans le temps de celle du Deutéronome « tu aimeras le Seigneur ton Dieu », Dieu d'éternité.

*

Il en est comme de l'usage par l’Épître aux Hébreux de la notion de culte nouveau : le terme nouveau concernant alliance et culte renvoie à des textes comme ceux du prophète Jérémie (ch. 33 — cité par l’Épître aux Hébreux) parlant de renouvellement intérieur de la même et unique alliance — éternelle, fondée en éternité. Un renouvellement qui est toujours nouveauté éternelle. Il en est de même pour le commandement nouveau, aussi ancien que le vin nouveau, remontant à l’éternité, de l’Alliance éternellement nouvelle.

De même que le cantique nouveau de l'Apocalypse (14, 3) — qui est le plus ancien des cantiques, annoncé au livre des Psaumes, cantique éternel chanté dans la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel, éternelle donc, par ceux qui portent un nom nouveau qui est leur nom éternel, etc.

« Ce commandement ancien, c'est la parole que vous avez entendue. Toutefois, c'est un commandement nouveau que je vous écris » (1 Jean 2, 7-8), « celui que nous avons eu dès le commencement, — c'est que nous nous aimions les uns les autres » (2 Jean 1, 5).

Un commandement éternellement nouveau, donné dès un commencement éternel qui vient dans le temps en Jésus, en ce nouveau commencement éternel qui est sa résurrection, annoncé dès Noël et qui advient sur la croix où Jésus est élevé à la gloire qui est la sienne avant que le monde soit : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ; Dieu le glorifiera en lui-même, et c’est bientôt qu’il le glorifiera » (Jean 13, 31-32).

*

Ses ennemis, au moment où ils planteront les clous dans ses mains et ses pieds, croiront le ficher définitivement au bois. Ils croient ne commettre qu’une crucifixion de plus. Ils sont en fait devenus les instruments de Dieu qui élève son Fils à la gloire, qui glorifie celui qui porte son Nom : « mon Nom, je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Ses ennemis, eux, ne savent pas ce qu’ils font, comme ils ne savent pas qui il est — et Jésus leur pardonne. Et lorsqu'il est crucifié, lui qui est élevé de la terre sur la croix est ipso facto élevé de la terre dans un autre sens : il est glorifié — dans un vocabulaire qui évoque la transfiguration des autres évangiles, Matthieu, Marc, Luc.

Et bientôt tout le monde va le voir. Sur cette croix, lui, le Juste, le Juste par excellence, est élevé de la terre. Élevé au sens le plus fort du terme, élevé au point que tout homme, jusqu’aux extrémités du monde, va le voir. Élevé, en fait, dans la gloire qui est la sienne auprès de Dieu avant même que le monde soit. Dans la gloire qui est dès le commencement, où se fonde le commandement nouveau — « celui que nous avons eu dès le commencement », nouveau comme l'éternité, toujours nouvelle, bien que plus ancienne que le monde !

*

« Là où je vais, vous ne pouvez venir » — parole qui précède immédiatement le don renouvelé du commandement. Là où Jésus va c'est à la mort comme conséquence d'un amour dont il vient de donner le signe en lavant les pieds de ses disciples.

Et là, vous ne pouvez venir, précise-t-il alors. L'amour dont je vous ai donné le signe et l'exemple est hors de portée. On n'aime pas jusqu'à la mort. À preuve, ce qui est encore loin d'être la mort, on ne donne pas tous ses biens. On ne donne que de son superflu. Par exemple, on ne remédie pas aux écarts de revenus faramineux de notre société et de notre monde. Celui qui a infiniment plus estime l'avoir mérité face à celui qui n'a rien. Faut-il un autre signe de ce qu'on n'aime pas comme Jésus a aimé ? « Là où je vais, vous ne pouvez venir »

Alors Jésus a ouvert une voie pour que nous venions quand même — un peu, à notre mesure —, celle de l'empathie. Se mettre à la place d'autrui dans une humble mesure, ne pas en vouloir à celui, celle, que Jésus a aimé — « pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font » (Luc 23, 34).

Cette façon humble de suivre Jésus de loin, comme ceux des disciples présents à la croix, est la voie de ce qui a été appelé l'Imitatio Dei, l’imitation de Dieu, qui a compassion de toi, qui fait pleuvoir sur tous et briller son soleil sur tous, sans aucun mérite.

Sous ce soleil passager, dans la brièveté de la vie, faite de tant de misères, il n'y a pas de place ni de temps pour ne pas aimer, pour ne pas s'ouvrir à la bonté.


RP, Poitiers, 15/05/22
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dimanche 8 mai 2022

Personne ne pourra les arracher de ma main




Actes 13.14-52 ; Psaume 100 ; Apocalypse 7.9-17 ; Jean 10.27-30

Jean 10, 27-30
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent.
28 Et moi, je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront pas pour l'éternité et personne ne pourra les arracher de ma main.
29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père.
30 Moi et le Père nous sommes un.

*

Les versets qui précèdent l’ont précisé : nous sommes en Judée, en hiver, pour la fête de la Dédicace, Hanoukka, lumières qui pointent depuis l’hiver. Jésus, Galiléen, est monté à Jérusalem pour Hanoukka avec ses disciples. Lisons :
22 On célébrait alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C’était l’hiver.
23 Au temple, Jésus allait et venait sous le portique de Salomon.
24 Les Judéens firent cercle autour de lui et lui dirent : « Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Messie, dis-le-nous ouvertement ! »
25 Jésus leur répondit : « Je vous l’ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage,
26 mais vous ne me croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis.
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent. »

Ceux de Jérusalem, Judéens, autorités en tête, savent la réputation de Jésus. Diverses controverses, souvent autour d’incidents, ont déjà eu lieu.

La question commence à s’imposer : « Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Messie, dis-le-nous ouvertement ! » question concernant — et ceux qui veulent vraiment en savoir plus, et ceux qui trouvent cette réputation messianique inquiétante, sachant sa connotation politique qui pourrait déclencher la suspicion des autorités romaines.

Bref, on veut en avoir le cœur net concernant ces rumeurs, cette réputation qui perce. La question lui étant posée directement, Jésus ne nie pas, mais précise immédiatement, si l’on utilise ce mot, Messie, ce qu’il faut entendre par là le concernant. Il place d’emblée ses interlocuteurs devant Dieu, son Père dit-il, en regard de son observance de ses préceptes : les œuvres que je fais — parallèle avec ses propos dans Matthieu : je suis venu accomplir, observer pleinement, observance réelle qui fonde l’autorité qui émane de lui : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage ». C’est son observance de l'enseignement biblique qui fonde, avec son autorité, son attestation de sa relation avec Dieu : « Moi et le Père nous sommes un ».

Voilà qui a de quoi fonder la foi en lui, en tout cas pour quiconque est attiré par le Père et les préceptes bibliques, celles et ceux qu’il appelle ses brebis que le Père lui a données… Mais, « vous ne me croyez pas » ! provoque-t-il les autres, renvoyant à ses œuvres, à son observance des préceptes divins.

Quiconque perçoit le témoignage du Père en sa faveur, qui est donné dans la vérité de ses propos, vérifiée par ses actes, en a suffisamment pour le suivre comme celui qui conduit au Père. Sachant que c’est le Père qui attire quiconque a soif d’une vie de vérité quant à la pratique de l’enseignement biblique, cette attraction même devient promesse et garantie.

*

« Mes brebis écoutent ma voix et je les connais, […]. Moi, je leur donne la vie éternelle […] et personne ne pourra les arracher de ma main […] et de la main de mon Père » (Jean 10, 27-29). Point, pour elles, de mort pour l'éternité (v. 28)…

Mais qu'est-ce donc, me direz-vous, que ne pas mourir pour l'éternité ? Et qu’est-ce donc à l'inverse que la vie d’éternité ?

Pour la Bible, il y a deux mondes :

— ce monde visible, passager, provisoire, où nos vies se terminent par la mort ; ce monde où l’herbe sèche et où la fleur se fane, comme le dit le prophète Ésaïe (ch. 40, v. 7) : c’est la mort pour ce temps, ce temps si bref de nos vies terrestres.

— Et puis il y a une autre réalité, un autre monde, celui du règne de Dieu, dont la Parole subsiste éternellement (Ésaïe 40, 8), monde que Jésus, qui observe pleinement cette parole, l'enseignement de son Père, l'enseignement biblique, annonce comme son royaume : mon royaume n’est pas de ce monde-ci (Jean 18, 36), ce monde passager, mais du monde éternel. Celui du règne de Dieu dans lequel Jésus est intronisé du fait de son observance de ses préceptes et dont son observance est le signe ; c’est le monde de la résurrection, dans lequel Jésus promet que Dieu fait entrer dès aujourd’hui quiconque croit en lui. Dès aujourd’hui, comme par une première résurrection.

Cette résurrection qui a lieu dès aujourd’hui dans nos vies, première résurrection, nous guérit de ce que l’Évangile appelle la première mort, mort spirituelle, agissant avant même la mort physique qui met terme à nos vies. Cette première mort est une mort spirituelle.

À cette première mort, mort spirituelle qui agit déjà dans les vies, Jésus donne pour remède, dès aujourd’hui, une résurrection spirituelle, la première résurrection — qui a lieu dans nos vies aujourd’hui.

Alors, à nouveau, qu'est-ce donc que cette première mort, la mort spirituelle ? — que Jésus a le pouvoir de vaincre, comme il va en donner le signe au chapitre suivant en ressuscitant Lazare (Jean 11) ?

Cette mort spirituelle, c'est le désespoir, le désespoir profond qui ronge les vies et que pourtant l’on ignore, une vraie mort qui ronge aujourd’hui nos sociétés réputées « apaisées » — « apaisées » jusqu’à hier en tout cas concernant notre pays et notre continent, puisqu’on a connu quelques 77 ans aujourd'hui sans guerres en Europe occidentale. Ce qui n’a pas empêché les ravages de la mort spirituelle, qui se traduit par des litanies de détresse, de remords pour ce qu'on a vécu ou pour ce qu'on n'a pas vécu, de culpabilité ; bref, on connaît les affres infernales.

Ce vide désespérant, source d’ennui (« ce monstre délicat qui dans un bâillement avalerait le monde », en dit Baudelaire), et source de fuite en avant, est aussi, peut-être, source de retour à la guerre, qui veut empêcher elle aussi de voir l’abîme du vide. Ce vide, comme un premier séjour des morts, un enfer que l'on tente de noyer dans d’autres enfers, aujourd'hui jusque dans la guerre et les bruits de guerre, où l’on voit surgir une abyssale méchanceté, violences, viols et tortures que l’on aurait crus inimaginables ; visage hideux du vide désespéré que l’on voudrait étouffer de tous temps dans la distraction — fût-ce déjà par le bruit permanent : par exemple, sous forme de musiques de fond, musiques joyeuses diffusées de nos jours dans les centres commerciaux et les lieux publics ; bruits de fond, et autres moyens d'étouffement provisoire d'un enfer qui revient quand on l'attend le moins, et qui n’est rien d’autre qu’une première mort, mort spirituelle, désespoir qui ronge.

C'est face à cette mort spirituelle, porte de désespoir, que Jésus nous donne la promesse d’être en sa main, par la seule confiance en lui, un avec le Père, qui nous connaît chacune et chacun. Il est venu faire connaître le Père, que personne n’a jamais vu (Jean 1, 18).

« Mes brebis écoutent ma voix et je les connais ».

C’est une autre voix que celle du bruit, une voix qui, depuis les paroles et les actes du bon berger, résonne silencieusement au cœur de nos êtres — « ce n'est pas un discours, il n'y a pas de paroles, aucun son ne se fait entendre », en dit le Psaume 19. Et pourtant, Psaume 19 encore : « le jour l'annonce au jour, la nuit l'explique à la nuit. » La voix de la paix la plus profonde contre toute détresse.

C'est la voix du bon berger qui promet à ses brebis la vie d'éternité, qui nous promet la vie d'éternité dans notre aujourd’hui. Je leur donne la vie éternelle, et elles ne mourront pas pour l'éternité. Cette mort, le désespoir qui ronge en tout temps, n'a pas le dernier mot : « personne ne pourra les arracher de ma main. Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père. Moi et le Père nous sommes un. » Source silencieuse d'un immense bonheur, celui d'être connu et aimé comme on est, plus profondément que tout.


RP, Poitiers, 8.05.22
Prédication (format imprimable)


dimanche 1 mai 2022

Trois fois…




Actes 5, 27-41 ; Psaume 30 ; Apocalypse 5, 11-14 ; Jean 21, 1-19

Jean 21, 1-19
1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta.
2 Simon-Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble.
3 Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » Ils lui dirent : « Nous allons avec toi. » Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.
4 C'était déjà le matin ; Jésus se tint là sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.
5 Il leur dit : « Enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson ? » — « Non », lui répondirent-ils.
6 Il leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. » Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.
7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.
8 Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ.
9 Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain.
10 Jésus leur dit : « Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre. »
11 Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante-trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.
12 Jésus leur dit : « Venez déjeuner. » Aucun des disciples n'osait lui poser la question : « Qui es-tu ? » : ils savaient bien que c'était le Seigneur.
13 Alors Jésus vient ; il prend le pain et le leur donne ; il fit de même avec le poisson.
14 Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts.
15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime », et Jésus lui dit alors : « Pais mes agneaux. »
16 Une seconde fois, Jésus lui dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus dit : « Sois le berger de mes brebis. »
17 Une troisième fois, il dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : « M'aimes-tu ? », et il reprit : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime. » Et Jésus lui dit : « Pais mes brebis.
18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas. »
19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu ; et après cette parole, il lui dit : « Suis-moi. »

*

Face au Ressuscité, qui se présente en cette matinée aux disciples pêchant en vain dans le lac, rayonne cette vérité : notre vrai être n’est pas dans la dépouille de nos êtres temporels, et surtout pas dans la vanité de nos égos, mais notre vie est cachée avec le Christ, en Dieu.

Renoncer à nous-mêmes, telle est l'implication, renoncer à nos forces propres — « qui s’attache à sa vie dans ce monde la perdra, mais qui s’en détache la garde pour la vie éternelle » (Jean 12, 25).

Les forces de Pierre avaient défailli trois fois…

À présent, Pierre, face à Jésus ressuscité lui demandant pour la troisième fois s'il l'aime, est attristé. Quelle est cette tristesse ? Puisque la triple question de Jésus révèle en Pierre celle de la vérité de son amour, un amour fondé cette fois sur celui de Jésus… Trois fois.

« ‭Seigneur, lui [avait] dit Pierre [auparavant], pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie pour toi.‭ En vérité, en vérité, je te le dis, le ‭coq‭ ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois », lui avait répondu Jésus (Jean 13, 37-38).

Puis, plus tard (Jean 18, 15-27) : « ‭Simon Pierre, avec un autre disciple, suivait Jésus. […] L’autre disciple, qui était connu du Grand Desservant, sortit, parla à la femme qui gardait la porte et fit entrer Pierre. La servante qui gardait la porte lui dit : Toi aussi, n’es-tu pas des disciples de cet homme ? Il dit : Je n’en suis point.‭ ‭Les serviteurs et les huissiers, qui étaient là, avaient allumé un brasier, car il faisait froid, et ils se chauffaient. Pierre se tenait avec eux, et se chauffait.‭ […] ‭Simon Pierre était là, et se chauffait. On lui dit : Toi aussi, n’es-tu pas de ses disciples ? Il le nia, et dit : Je n’en suis point.‭ ‭Un des serviteurs du Grand Desservant, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, dit : Ne t’ai-je pas vu avec lui dans le jardin ?‭ ‭Pierre le nia de nouveau. Et aussitôt le coq chanta.‭ »

Écho à cela, trois fois, le Ressuscité demande à Pierre s’il l’aime. On sait qu'en grec dans notre texte, il y a deux mots différents pour dire aimer. Deux fois Jésus emploie le mot agapè, qui signifie chérir. Et Pierre ne répond jamais avec ce mot-là. Il en emploie un autre, phileo qui n'est pas moins fort, mais qui est de l'ordre de la relation, très forte en l'occurrence. Oui, tu sais que l'amour nous lie — telle est la réponse de Pierre, la bonne réponse, qui marque le lien par lequel Pierre s’appuie sur Jésus, sur l'amour de Jésus. C’est ce que Jésus ressuscité veut lui faire dire pour le relever — trois fois : lui posant une troisième fois la question, Jésus emploie cette fois le mot de Pierre, phileo. Sommes-nous en relation d'amitié, d'amour réciproque ? Et Pierre acquiesce une troisième fois.

Et Pierre est triste : il n'avait pas eu la force de le suivre à la croix, il ne pourra plus compter sur lui-même, mais sur un autre, qui le mènera où il n’aurait pas voulu aller, qui le ceindra tandis qu’il étendra les bras…

Mais Jésus a rejoint Pierre en le rejoignant dans ses mots, il a rejoint la crainte et la tristesse de Pierre, en lui disant qu’en effet, il ne pourra que compter sur un autre, lui, Jésus, pour accomplir ce qu’il lui demande : suis-moi, et pais mes brebis. Alors Pierre est prêt.

*

La tristesse de Pierre porte une connotation très forte : il sait que c'est le don de la vie de son maître, offert à la mort pour l'entrée dans la vie de résurrection qui crée en lui ce que Jésus lui demande : pais mes brebis.

Pierre entrevoit alors sans doute tout le sens de cette tâche de berger en se souvenant de ce que Jésus disait de lui-même, bon berger qui donne sa vie pour se brebis, dont la tâche, qu'il confie à présent à ses disciples, est finalement de conduire les brebis dès à présent dans les pâturages auxquels on accède en passant de la mort à la vie.

Jésus y a accédé alors que Pierre ne pouvait pas le suivre — et il le disait par trois fois, par trois reniements, tel est l'écho qui est dans sa tristesse —, et où il le suivra bientôt, et dès à présent, alors qu' « un autre le ceindra », Jésus lui-même, qui l'appelle à nouveau par trois fois. « Prends soin de mes brebis » insistait le Seigneur.

*

Un autre te mènera désormais où tu n’aurais pas voulu aller. Pierre jeune fait ce qu'il veut, va où il veut. Ce matin-là encore il se ceint lui-même, pour aller à la rencontre de Jésus (v. 7). Pour Pierre d’abord c'est source de tristesse : renoncer. Mais le Père l'a accueilli, et lui apprendra, au prix de sa tristesse, la joie de la confiance, à être ceint par un autre.

Un jour, et c'est déjà ce jour, il ne fera plus ce qu'il voudra, il n'ira plus où il voudra. Un jour, et c'est dès à présent, il obéira au-delà de toute crainte.

Un autre le ceindra, et le conduira finalement à la suite de son maître, fût-ce à la croix où il n'avait pas pu suivre son maître. Bien plus douloureux que l'engagement et le service que Jésus lui demande aujourd'hui, et qui le conduira peut-être là. Mais ce jour-là, Pierre aura appris cette confiance / obéissance qui vaut mieux que le mot d'agapè qu'il n'a pas eu l’inconscience de prononcer.

Alors, le sens de ce qui vient de se passer lors de la pêche miraculeuse se dévoile : celui que les disciples n'avaient pas encore reconnu comme le Seigneur, un inconnu pour eux, leur a demandé du poisson (v. 5).

Et ils n'ont alors rien, ils n'ont pris aucun poisson.

Mais lui leur a lui-même préparé à manger ! « Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain. » Ils n’ont pas encore ramené leur pêche à terre lorsque « Jésus leur dit : “Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre” » (v. 9-10).

Lorsque ce même inconnu pour eux (ils ne l’ont pas encore reconnu) leur a dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez » — du côté de la lumière, du soleil à son zénith quand au devant est l'Est de ce petit matin —, ils l’ont fait : « ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener », dit le texte, donnant ensuite un nombre de poissons, 153, où depuis les pères de l'Église, on voit un symbole de la plénitude des peuples.

C’est alors que leur filet s'est rempli à sa parole qu’ils le reconnaissent (v. 7) : le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Pierre est appelé à reconnaître le Seigneur ressuscité, et nous le sommes avec lui, le reconnaître en celles et ceux vers qui il est envoyé ; le Seigneur dont les apparitions cesseront : va, donc, et pais mes brebis. À nouveau les disciples sont prêts à sortir et à monter dans la barque de celui qui les mènera aux extrémités de la Terre.


R.P. Châtellerault, 1er mai 2022
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