Actes 7, 55-60 ; Psaume 97 ; Apoc 22, 12-20 ; Jean 17, 20-26
Jean 17, 20-26
… Ainsi le Christ a prié non seulement pour les Apôtres mais aussi pour celles et ceux qui croiront par leur parole — c’est-à-dire nous ! « Qu’ils soient un comme nous sommes un » !
C'est la seule prière de Jésus qui soit en quelque sorte publique dans les évangiles. Les autres fois, il se retire, au point que les disciples ne savent pas comment il prie, et le lui demandent : apprends-nous comment prier, où Jésus donne le Notre Père. Où l'on découvre que les prières de Jésus, qui est très réservé sur les prières publiques (« toi, entre dans ta chambre et ferme la porte » — dans la chambre intérieure de ton être, pour celles et ceux qui n’ont pas une chambre à soi) —… les prières de Jésus sont les Psaumes, prières liturgiques d'Israël, que résume le Notre Père.
La prière que nous venons de lire, Jean 17, ne fait pas exception, en cela qu'il ne s'agit pas d'une prière intime, mais d'un moment liturgique : prière de consécration des disciples.
Cela dit, vu le contenu de cette prière, une question peut se poser — on la pose parfois : Jésus n’a-t-il donc pas été exaucé ?
On est dans ce texte peu avant le départ du Christ. Un départ déjà vécu dans sa mort, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait-il. Si le Christ ressuscité (quand « vous me verrez à nouveau », avait-il dit aux disciples) est lui-même corporellement présent en tout lieu, comme le Père est présent partout, il est aussi désormais, comme l’est aussi le Père, caché à nos yeux, comme absent — nous ne le voyons plus. Nul n’a jamais vu Dieu.
Disciples d’un Christ qui ne se voit plus, témoins par lui d’un Dieu que nul ne voit, comment le dire, comment le faire percevoir ? Jésus vient de le dire : « que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé ». Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Seule façon donnée de faire percevoir le Dieu que nul n’a jamais vu et le Christ qui l’a manifesté, mais à présent absent lui aussi de notre vue.
… Mais voilà, il semble en être de même de l’unité qui se fonde dans l’unité du Père et du Fils… Nul n’a jamais vu cette unité, semble-t-il. Et pourtant : c’est « afin que le monde croie » ! Que l’unité se voie !… Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres », paroles données alors précisément que le Christ est enlevé des yeux du monde par la Croix.
Il nous est enlevé, donc déjà par sa mort sur la Croix, lui dont le Nom qu’il nous fait connaître est au-dessus de tout Nom. Il se retire, dans le Nom qu’il a fait ainsi connaître tout à nouveau comme le Nom caché. Il se retire… Non pas pour nous abandonner à notre détresse, à nos vies morcelées, à nos divisions, mais pour officier dans le Temple céleste — ainsi que nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) relisant l'Exode (25, 40) — ; un office unifiant le monde, octroyé dès la fondation du monde — « tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » — et nous en lui : c’est le cœur de notre unité. « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi ».
Or à travers cette prière de Jésus dite au jour de sa crucifixion, c’est à une dépossession semblable à la sienne que nous sommes appelés. C’est là où il est, c’est là sa gloire, la croix.
Jésus retiré dans la gloire — « maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui » — la gloire de la croix qui se profile, Jésus prie : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » (Jean 17, 24). Or cela est aussi déjà donné : « moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. » Sa prière est bien exaucée.
Là est l’unité déjà donnée : « près de toi dans ta bouche et dans ton cœur » — dans la plus radicale humilité, au cœur de notre faiblesse assumée à la croix comme élévation à la gloire ; le reste, « qu’ils parviennent à l’unité parfaite », est le chemin de notre « pas encore » vers le « déjà donné ». Ce qui est déjà donné dans l'unité du Père et du Fils peut prendre forme dans notre pas encore.
Le « déjà » n’est pas fictif : déjà justes en Christ, encore pécheurs en nous-mêmes — c’était déjà le cas dans l’Église primitive ! — ; déjà un en lui, par l’Esprit saint, dans l’unité du Père et du Fils, pas encore quant à la visibilité ; le monde qui nous est confié est encore divisé par d’immense abîmes, d’immenses injustices. Notre unité est toutefois réelle au cœur de notre diversité. Sa mesure, en vue de sa visibilité pour que le monde croie, est celle de notre foi, de notre confiance en celui qui nous l’a déjà donnée pour la déployer jusqu’à son accomplissement.
Jean 17, 20-26
20 "Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi :
21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un,
23 moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde.
25 Père juste, tandis que le monde ne t’a pas connu, je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux."
*
… Ainsi le Christ a prié non seulement pour les Apôtres mais aussi pour celles et ceux qui croiront par leur parole — c’est-à-dire nous ! « Qu’ils soient un comme nous sommes un » !
C'est la seule prière de Jésus qui soit en quelque sorte publique dans les évangiles. Les autres fois, il se retire, au point que les disciples ne savent pas comment il prie, et le lui demandent : apprends-nous comment prier, où Jésus donne le Notre Père. Où l'on découvre que les prières de Jésus, qui est très réservé sur les prières publiques (« toi, entre dans ta chambre et ferme la porte » — dans la chambre intérieure de ton être, pour celles et ceux qui n’ont pas une chambre à soi) —… les prières de Jésus sont les Psaumes, prières liturgiques d'Israël, que résume le Notre Père.
La prière que nous venons de lire, Jean 17, ne fait pas exception, en cela qu'il ne s'agit pas d'une prière intime, mais d'un moment liturgique : prière de consécration des disciples.
Cela dit, vu le contenu de cette prière, une question peut se poser — on la pose parfois : Jésus n’a-t-il donc pas été exaucé ?
On est dans ce texte peu avant le départ du Christ. Un départ déjà vécu dans sa mort, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé », élevé à la Croix, et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », annonçait-il. Si le Christ ressuscité (quand « vous me verrez à nouveau », avait-il dit aux disciples) est lui-même corporellement présent en tout lieu, comme le Père est présent partout, il est aussi désormais, comme l’est aussi le Père, caché à nos yeux, comme absent — nous ne le voyons plus. Nul n’a jamais vu Dieu.
Disciples d’un Christ qui ne se voit plus, témoins par lui d’un Dieu que nul ne voit, comment le dire, comment le faire percevoir ? Jésus vient de le dire : « que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé ». Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Seule façon donnée de faire percevoir le Dieu que nul n’a jamais vu et le Christ qui l’a manifesté, mais à présent absent lui aussi de notre vue.
… Mais voilà, il semble en être de même de l’unité qui se fonde dans l’unité du Père et du Fils… Nul n’a jamais vu cette unité, semble-t-il. Et pourtant : c’est « afin que le monde croie » ! Que l’unité se voie !… Écho à : « À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres », paroles données alors précisément que le Christ est enlevé des yeux du monde par la Croix.
Il nous est enlevé, donc déjà par sa mort sur la Croix, lui dont le Nom qu’il nous fait connaître est au-dessus de tout Nom. Il se retire, dans le Nom qu’il a fait ainsi connaître tout à nouveau comme le Nom caché. Il se retire… Non pas pour nous abandonner à notre détresse, à nos vies morcelées, à nos divisions, mais pour officier dans le Temple céleste — ainsi que nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) relisant l'Exode (25, 40) — ; un office unifiant le monde, octroyé dès la fondation du monde — « tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » — et nous en lui : c’est le cœur de notre unité. « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi ».
Or à travers cette prière de Jésus dite au jour de sa crucifixion, c’est à une dépossession semblable à la sienne que nous sommes appelés. C’est là où il est, c’est là sa gloire, la croix.
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Jésus retiré dans la gloire — « maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui » — la gloire de la croix qui se profile, Jésus prie : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde » (Jean 17, 24). Or cela est aussi déjà donné : « moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un. » Sa prière est bien exaucée.
Là est l’unité déjà donnée : « près de toi dans ta bouche et dans ton cœur » — dans la plus radicale humilité, au cœur de notre faiblesse assumée à la croix comme élévation à la gloire ; le reste, « qu’ils parviennent à l’unité parfaite », est le chemin de notre « pas encore » vers le « déjà donné ». Ce qui est déjà donné dans l'unité du Père et du Fils peut prendre forme dans notre pas encore.
Le « déjà » n’est pas fictif : déjà justes en Christ, encore pécheurs en nous-mêmes — c’était déjà le cas dans l’Église primitive ! — ; déjà un en lui, par l’Esprit saint, dans l’unité du Père et du Fils, pas encore quant à la visibilité ; le monde qui nous est confié est encore divisé par d’immense abîmes, d’immenses injustices. Notre unité est toutefois réelle au cœur de notre diversité. Sa mesure, en vue de sa visibilité pour que le monde croie, est celle de notre foi, de notre confiance en celui qui nous l’a déjà donnée pour la déployer jusqu’à son accomplissement.
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