dimanche 22 mai 2022

“Que votre cœur ne se trouble pas”




Actes 15. 1-29 ; Psaume 67 ; Apocalypse 21. 10-23 ; Jean 14. 23-29

Jean 14, 23-29
23 Jésus lui répondit [à l’apôtre Jude] : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure.
24 Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ; or, cette parole que vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé.
25 Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous ;
26 le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit.
27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.
28 Vous l’avez entendu, je vous ai dit : “Je m’en vais et je viens à vous.” Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, car le Père est plus grand que moi.
29 Je vous ai parlé dès maintenant, avant l’événement, afin que, lorsqu’il arrivera, vous croyiez. »

*

Ce temps-ci, et la mort sur laquelle il débouche, relèvent du passé, dans le propos de Jésus. Il se situe et nous situe déjà dans le monde à venir, dans le temps à venir, un temps alors tout proche pour lui et ses disciples. Quand je ne serai plus là, plus avec vous physiquement, je serai toujours vivant, pleinement vivant, et par l'Esprit, avec vous.

Le verset 25 dit cela en ces termes : « Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous », alors que Jésus n’est pas encore parti. C’est ce qu’indique aussi le v. 28, que toutes les traductions rendent par « si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez ». Inconvénient de cette traduction de ce verset 28 — bien difficile à traduire — : elle semble connoter un aspect négatif, comme si Jésus sous-entendait : « si vous êtes triste, c'est que vous ne m'aimez pas, ou pas suffisamment ». Il n’y a pas ce sous-entendu dans le propos de Jésus.

« Si vous m'aimiez » nous place dans la situation où Jésus est déjà dans la perspective de son départ — « je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous » : « si vous m'aimiez pendant que j'étais avec vous en ce temps-ci, alors, je vous le dis, à présent que je ne serai plus, que je ne suis déjà plus dans ce temps, vous avez dans ce temps, déjà passé, tout pour vous réjouir : le Père, auquel je vais, est plus grand que moi, plus grand que moi dans ce temps : ma présence auprès de vous est dès à présent, puisque je vais au Père, plus intense que jamais, et ça, c'est un sujet de joie, au cœur même de votre tristesse de me voir partir, départ qui appartient déjà au passé. »

« L'amour que vous avez pour moi va déjà porter son fruit. Ce fruit est celui de votre foi, don de l'Esprit » : « Je vous ai parlé dès maintenant, avant l’événement, afin que, lorsqu’il arrivera, vous croyiez ».

Là se dévoile le début de notre texte : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. » Il s'agit d'un rapport à la parole de Jésus, parole du Père (v. 24), d'une relation à cette parole telle qu'elle correspond à la présence de Jésus et du Père au cœur de la vie de qui la garde parce qu'il l'aime, la chérit, chérit celui qui la porte (cf. Exode 25, 8). C'est déjà la présence de l'Esprit saint par lequel cette parole vit en qui la reçoit, devient parole vivante qui produit son fruit d'amour.

Avez-vous noté que chez Jean le double commandement du Deutéronome et du Lévitique n'est jamais cité ? — « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme, de toute ton intelligence, de tous tes moyens », et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il est cité chez Matthieu, Marc, Luc, mais pas chez Jean.

À la place, on a chez Jean « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » et « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ». Cela revient sans doute à une citation du double commandement — mais pas littérale, et de ce fait présenté sous un autre angle, d'une façon précisée, un peu comme quand Jésus commente la Loi, chez Matthieu, en termes de « moi je vous dis. » Il ne contredit jamais la Loi, mais en offre un vécu personnel, une lecture intimement personnelle : non pas dans le « on », mais dans le « je », « moi je ».

Eh bien ici, chez Jean, il en est de même pour Jésus, et pas simplement pour Jésus seul, mais pour les disciples, par le don de l'Esprit saint, du Paraclet, du Consolateur qui vient combler le vide de sa mort à l'avantage de ses disciples : « déjà dans le passé de mon départ », « réjouissez-vous de ce que je vais au Père ».

Il s'agit, par l’Esprit, d'une relation toujours nouvelle à la parole du Père qui est celle de Jésus, c'est-à-dire donnée comme vécue : je vous ai donné un exemple vient-il de dire après avoir lavé les pieds de ses disciples. Ici nous comprenons que ce n'est pas d'une imitation comme celle d'une recette qu'il s'agit, mais au contraire d'un exemple de ce que le vécu de la loi, du double commandement qui en est le cœur, doit être toujours nouveau, toujours chargé d'imagination et de surprise, rien de l'ordre de la routine.

Ce n'est ni un autre commandement, ni une application de l'ordre de la répétition, de l’imitation, ou de la recette, mais, selon de don de l’Esprit un renouvellement toujours créateur, fruit de la parole créatrice. Qui m'aime garde ma parole — cette parole qui est à l'origine de toute chose —, cette parole créatrice qui devient créatrice en qui la garde, et en qui de ce fait demeure Jésus qui la donne comme parole unique, et le Père dont c'est la Parole.

Voilà donc la lecture intime qui est faite de la parole du Deutéronome — « tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». Cet amour de Dieu qu'on ne voit pas consiste à garder sa parole en aimant le prochain que l’on voit. Quelque chose de très classique au fond, et de toujours radicalement nouveau. Et qui est la présence aimante de Dieu en nous. « Mon Père aimera celui, celle, qui garde ma parole. Et par cette parole gardée le Père et moi demeurerons en lui, en elle ».

Et cela, c'est le don de l'Esprit saint qui « vous enseignera toutes choses par le rappel, la concrétisation en vous, de tout ce que je vous ai enseigné ». D’une façon toujours nouvelle : garder les commandements, les observer à son humble mesure et contribuer ainsi à la réparation du monde, de ce monde blessé.

Et il n'y a rien d'angoissant à ce que nous ne sommes pas à la mesure de la hauteur des paroles et des actes de Jésus. Chacun sa mesure, précisément. C'est pourquoi, « que votre cœur cesse de se troubler et de craindre » — « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Ma parole portera son fruit, par mon Esprit, l'Esprit du Père, qui est l'amour qu'il vous porte par sa parole, ma parole qui habite en vous — et porte son fruit en amour du prochain.

*

« Qui m'aime garde ma parole ». Cet amour dont Jésus nous a donné l'exemple est trop pour que nous le pratiquions comme lui ? Certes.

La parole qu'il nous faut garder est à vivre par chacun comme il est, chacun à sa mesure, par le don de l'Esprit consolateur — déjà un peu, à la mesure de l'humilité de chacun —, « aimez-vous comme je vous ai aimés », chacune et chacun comme il est, à la mesure de l'humble possibilité d'empathie de chacune et chacun. Se mettre à la place d'autrui dans une humble mesure, ne pas en vouloir à celle, celui, que Jésus a aimé.

Alors la parole gardée commence à porter son fruit, « comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». Ce n'est pas un fardeau accablant que garder sa parole — « je vous donne ma paix », pas à la manière du monde. C'est juste commencer à apprendre que dans la brièveté de la vie, faite de tant de misères, il est plus que temps de s'ouvrir à la bonté, de s’autoriser à aimer.


RP, Poitiers 22/05/22
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