dimanche 19 janvier 2020

"L'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde"




Ésaïe 49, 3-6 ; Psaume 40 ; 1 Co 1, 1-3 ; Jean 1, 29-34

Jean 1, 29-34
29 Le lendemain, il voit Jésus qui vient vers lui et il dit: "Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
30 C’est de lui que j’ai dit: Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était.
31 Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c’est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau."
32 Et Jean porta son témoignage en disant: "J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui.
33 Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est lui qui m’a dit: Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint.
34 Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu."

*

Voici qu’un homme se présente devant Jean. Celui dont le prophète affirme : « C’est de lui que j’ai dit : Après moi vient un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. » (v. 30). C'est le rôle de Jean : témoigner d’un plus grand que lui. Un témoin. Comme un témoin planté dans le sable du désert apparaît avant la lumière, avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. Invisible dans les ténèbres. « Il vient après moi, mais il était avant moi », dit Jean de Jésus.

Là est toute la mission et la prédication du prophète : s’abaisser, être simple ombre, pour faire apparaître la lumière. Qui s’abaisse jusqu’à jouer son vrai rôle d’ombre-témoin est signe du Christ ; mais qui s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, brillant, exalte sa piété, son savoir, sa beauté, sa richesse, ses titres — autant de pâles loupiotes en regard de la lumière de celui qui est lumière — cherche donc nécessairement à vivre dans les ténèbres pour mettre en relief cela, qui ne se voit pas dans la lumière : si une faible loupiote doit briller, il lui faut du sombre, il ne faut pas qu’elle soit allumée en plein jour…

Jean a choisi : s’effacer ; plus que briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière. En cette semaine de l’unité, savoir que c’est en cette sorte d’humilité seule que peut être fondée l’unité dans la vérité.

Si la prédication de Jean et son baptême sont l’ombre de la lumière, à combien plus forte raison nos paroles et nos gestes à nous. C’est le baptême spirituel, administré de façon invisible, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve — et point les bains et autres ablutions que seules peuvent administrer les hommes. Comme le dit Jean de lui-même, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, pas de communiquer l’Esprit. Ainsi, ce ne sont point nos paroles, aussi pertinentes seraient-elles, qui sont vérité — mais c’est la Parole éternelle seule, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver.

C’est ainsi qu’à présent le témoin Jean, le Baptiste, nous présente Jésus comme l’homme de l’humilité, « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », réminiscence de l’humilité du serviteur du Livre d’Ésaïe en cette section du Livre d’Ésaïe que nous appelons « Chants du Serviteur ». Un Serviteur que le Baptiste et les témoins du Nouveau Testament reconnaissent en Jésus, désigné à présent comme « l'Agneau de Dieu ».

*

« Agneau de Dieu ». À cette formule, à l’époque, se superposent des correspondances, essentiel­lement liées à la Pâque. Cette simple formule de Jean, « l'Agneau de Dieu » signifie alors beaucoup de choses. La signification première étant l’agneau de la fête de la Pâque, l'agneau que l’on mange en famille en se souvenant que sa mort a évité au peuple la mort que subissaient les gens de Pharaon.

Jésus à son tour rappellera l’utilisation de cette parole lors de la commémoration de son dernier repas. À l’instar de l’agneau, il fait don de soi, solidaire de tous les autres. C'est en s'identifiant au peuple pécheur, que Jésus apparaît comme « agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » — qui donc délivre de la mort comme lors de l'Exode. Où l’on retrouve le Serviteur du Livre d'Ésaïe.

C'est comme un être faible (Es 49, 4) au sein d'un peuple opprimé, affaibli, sans force, que le Serviteur du livre d'Ésaïe reçoit de la faveur de Dieu, qui est sa force (v.5), l'investiture qui en fait son porte-parole jusqu'aux extrémités de la Terre (Es 49, 5-6). Un agneau… C'est ce Serviteur-là dont Ésaïe 42 nous disait qu'il n'élève pas la voix, qu'il ne brise pas le roseau blessé, figure qui annonce le ministère de Jésus. Au-delà d’Ésaïe se dessine donc bien l’Agneau de l’Exode auquel Ésaïe renvoie ; ainsi, par-delà l’Exode, qu’à Isaac, le fils d’Abraham au moment de sa ligature. Autant de figures de faiblesse, d’humilité.

*

… Tout comme l'humilité de Jésus nous rejoint jusqu'à la douleur de sa mort : il nous rejoint jusqu'aux sinuosités de nos égarements, par quoi il nous garantit que rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu (Romains 8, 38-39), pas même nos propres tortuosités. Il « enlève le péché du monde ».

On est bien alors dans une relecture d'Ésaie 53 : « il enlève le péché du monde ». Ésaie 53 : un homme est mis en cause, persécuté, exécuté… Quel délit présumé ? Qu’est-ce qui a mené à la situation qui voit le Serviteur du livre d’Ésaïe subir la violence persécutrice ? Ésaïe l’ignore ! Aucun acte d’accusation, pas procès verbal. La cause, le prétexte de la mise à mort du Serviteur n’ont manifestement pas d’importance ici ! C’est un prétexte, précisément !

De même qui est ce Serviteur souffrant ?… Il y a eu de nombreux débats pour savoir de qui il s’agit, sans que l'on parvienne à trancher… Voilà un texte apparemment difficilement compréhensible : sauf à le prendre comme parole — poétique — dévoilant autre chose. Au-delà de l’enracinement historique, que le texte ne donne pas, ce qui est dévoilé là est un phénomène humain, universellement humain…

On connaît la lecture que René Girard a faite du phénomène universel du sacrifice, et la particularité de la reprise de ce phénomène dans la tradition biblique : toute querelle est le dévoilement d’une imitation les uns des autres dans la convoitise de ce qui est jugé désirable : tous désirent la même chose et cela finit invariablement en conflit. Entre temps, l’objet de la querelle initiale a été oublié, tandis que les rivalités se sont propagées. Le conflit s’est généralisé en « guerre de tous contre tous » — « crise mimétique » dit René Girard.

Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, les hommes ont trouvé « l'idée » d'un « bouc émissaire » (le terme réfère à l'animal expulsé au désert chargé symboliquement des péchés du peuple selon Lévitique 16) : au paroxysme de la crise, du conflit de tous contre tous se produit éventuellement un « mécanisme victimaire », mécanisme salvateur : le conflit généralisé se transforme en un tous contre un (ou une minorité), qui n'a d'ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ !

L’élimination de la victime éteint le désir de violence qui pouvait animer chacun juste avant que celle-ci ne meure. Le groupe — « nous » (v. 2-6) — retrouve alors son calme via « le châtiment qui nous donne la paix » (És 53, v. 5). Cela « nous » concerne (le nombre de « nous » dans les versets 2 à 6). La victime apparaît alors comme fondement de la crise et comme auteur de la paix retrouvée — par une sorte de « plus jamais ça ».

La caractéristique de la Bible est de révéler que la victime est innocente, ce qu’ignorent les mythes des autres traditions. On est au cœur d’Ésaïe 53 : le persécuté est innocent (v. 6). On comprend dès lors pourquoi les chrétiens on vu là la figure du Christ, qui n’a sans doute pas manqué de méditer lui-même la profonde leçon d’Ésaïe 53 : la violence est vaincue quand la victime ne joue pas le jeu. « Agneau de Dieu », qui comme tel, « enlève le péché du monde », en le dévoilant comme péché : accuser et condamner l'innocent !

*

L' « Agneau de Dieu », innocent, nous a rejoints, devant Jean « baptisant en vue de la repentance », jusqu'à nos repentirs et jusqu'à nos prières. Il nous rejoint jusqu'à nos prières avec tout ce qu'elles peuvent avoir de tortueux, mesquin ou commerçant ; ou au mieux ce qu'elles peuvent avoir de marqué par ce que nous sommes. Le Christ n'a-t-il pas fait siens les Psaumes d'hommes chargés de faiblesses, de désirs de vengeance et d'auto-justifications ? Et c'est pour cela que nous louons Dieu avec les Psaumes, ces Psaumes qui nous ressemblent.

Jésus nous rejoint dans les faiblesses qui sont les nôtres, et élève par sa mort, dans les eaux de cet autre baptême, qui « lui viennent jusqu'à la gorge », ces prières de nos faiblesses jusqu'à la gloire de la filiation éternelle. Il nous rejoint, aux pieds du Baptiste, jusque dans nos repentirs, accomplissant toute justice. Et moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu, peut dire le Baptiste.

*

Jean, le plus grand des prophètes, en dira Jésus, a su la grandeur du Royaume de Dieu qui se manifeste devant lui en Jésus. La grâce précédant l'univers, devançant les prophètes, qui se présente aujourd'hui, en Jésus Christ — « il était avant moi » —, est plus grande que nos désespoirs. C'est là ce que voient ces premiers disciples que nous présente l'Évangile de Jean : ils voient où Jésus demeure (Jean 1, 39). Dès avant que le monde fût, il demeure dans le sein du Père, d'où il répand la grâce et la vérité.

C’est tout le sens de ce propos étrange : « Un homme qui m’a devancé, parce que, avant moi, il était. Moi-même, je ne le connaissais pas ». Voilà un homme qui vient d’auprès de Dieu en qui il demeure dans toute l’éternité, et qui de la gloire éternelle vient nous rejoindre au cœur de nos réalités, même les plus désespérantes.

C'est là l'Agneau de Dieu, le Serviteur humilié, qui ainsi, enlève le péché du monde.


RP, Poitiers, 19/01/20



Samuel Barber - Agnus Dei | King's College Choir


dimanche 12 janvier 2020

"Celui-ci est mon Fils bien-aimé"




Ésaïe 42, 1-7 ; Psaume 29 ; Actes 10, 34-38 ; Matthieu 3, 13-17

Matthieu 3, 13-17
13 Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu’au Jourdain auprès de Jean, pour se faire baptiser par lui.
14 Jean voulut s’y opposer : "C’est moi, disait-il, qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi !"
15 Mais Jésus lui répliqua : "Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice." Alors, il le laisse faire.
16 Dès qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau. Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Et voici qu’une voix venant des cieux disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir."

*

Le baptême de Jean renvoie aux bains rituels du judaïsme, il renvoie au miqvé, ce bain dans de l’eau vive, bassin non fermé ou rivière. Ici le Jourdain. Le Jourdain, et en arrière-plan la Mer Rouge, renvoient aux grandes traversées historiques des exodes et des retours d’exil — on revenait d’exil en traversant forcément le Jourdain — ; ces exils fruits de catastrophes qui ont marqué les mémoires en Israël. Baptême de « retour », et en vérité de retour à Dieu, « repentance » donc, que le baptême de Jean.

Où on a aussi une allusion au déluge ! — sortie de l'eau, une colombe —, et par-delà le déluge aux eaux primordiales de la Genèse, comme un lieu du chaos du fond de nos âmes, dont les exils réactivent la mémoire enfouie, forgeant l’attente d’une naissance nouvelle dans un nouvel Exode.

Mais dans tous les cas : l’exil, le déluge ou les eaux primordiales, on a le vis-à-vis de l’Esprit, comme la touche d’espérance, qui « planait au-dessus des eaux » au début de la Genèse, reconnu dans la présence de la colombe au déluge. On se souvient du retour de la colombe qui annonce la fin de la catastrophe. Et puis, « Jésus sortit de l’eau. Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. » (v. 16)

Où le baptême de Jésus renvoie à quelque chose de profondément inscrit dans nos angoisses. Référence à cette dimension enfouie d’un sens du chaos signifié par le déluge inscrit dans la valeur symbolique du baptême, et donc du baptême de Jésus par Jean. Jésus est descendu, il est descendu avec nous au cœur de nos peurs les plus enfouies, au cœur du chaos, au cœur du déluge — c’est aussi ce que nous dit son baptême —, mais il y est descendu pour nous en faire remonter, pour donner un sens à tout ce qui ne semble que chaos, un sens porté par l’Esprit de Dieu, le souffle de Dieu.

Une descente aux enfers, annoncée à son baptême, qui est le trajet qui sera celui de son ministère, et qui débouche de la sorte — 1 Pierre 3, 18-21 — :

18 Le Christ lui-même a souffert pour les péchés, une fois pour toutes, lui juste pour les injustes, afin de vous présenter à Dieu, lui mis à mort en sa chair, mais rendu à la vie par l’Esprit.
19 C’est alors qu’il est allé prêcher même aux esprits en prison,
20 aux rebelles d’autrefois, quand se prolongeait la patience de Dieu aux jours où Noé construisait l’arche, dans laquelle peu de gens, huit personnes, furent sauvés par l’eau.
21 C’était l’image du baptême qui vous sauve maintenant.

Le rapport entre baptême et déluge, autour de la plongée du Christ dans notre chaos, se précise bien. C’est sans doute tout le sens de la descente aux enfers de ce passage de 1 Pierre, qu’un Calvin considère comme concernant essentiellement l’agonie à Gethsémané.

Ainsi, la mort du Christ est bien un élément de sa plongée dans notre chaos, notre enfer d’ici-bas, annoncée à son baptême. Voilà qui donne aussi toute une signification à la remarque de Jean choqué par ce baptême — une signification portée par la réponse de Jésus : « Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. »

Le Christ plongeant au plus bas de l’humanité, là où la présence Dieu ne peut se signifier que par le retour à Dieu, le repentir, tel est le signe de l’accomplissement de la justice, marqué par la présence de cet autre signe, la colombe, rappel de la fin du déluge, et signe de l’Esprit de Dieu qui va donner forme au chaos. Le baptême dit aussi cela, et nous conduit donc a une parole terrible sur nous-mêmes, nous-mêmes, humanité.

Pourquoi se soumettre à ce signe de repentir qu'est le baptême de Jean pour un homme qui n'a pas à se repentir, Jésus ?! C'est ce qui choque Jean — quand Jésus lui répond qu'il s'agit d'accomplir toute justice —, c'est ce qui est fondé à nous choquer aussi : le Christ nous rejoignant au point que, lui qui n'a pas commis de péché, Paul en dira qu' « il a été fait péché pour nous »(1 Corinthiens 5, 21) ! Voilà qui nous indique de quoi Jésus se repent dans ce baptême de repentir : nous rejoignant jusqu'en ce que nous, voire nos prières, avons de plus trouble, il se repent de nos péchés. Il se solidarise avec nous à ce point !

Voilà qui nous dit aussi pourquoi des prières comme les Psaumes, bardés de paroles de repentance, sont vraiment et sérieusement les prières de Jésus : avec les Psaumes, Jésus, qui n'a jamais commis le péché, se repent sérieusement en solidarité avec nous : il a pris nos péchés à ce point-là. Voilà ce que nous enseigne sa réponse à Jean : laisse moi plonger dans le repentir avec les autres humains, pour accomplir toute justice.

Voilà qui nous conduit dès lors très loin dans le tragique de notre condition… — pour nous en faire enfin sortir : c’est la bonne nouvelle que porte pour nous Jésus à son baptême.

Mais en vis-à-vis de cela, en deçà de cela, nous sommes renvoyés à la parole la plus terrible prononcée par la Bible à propos de l’humanité : Genèse 6, 6 : « le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. » Parole qui précède et origine le déluge.

Dieu « se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » ! Dieu ne s’est pas repenti d’avoir fait les cafards, les crocodiles, les requins et autres animaux, mais l’homme ! — Un repentir tel qu'il débouche sur l’engloutissement du déluge !

Où l’on trouve peut-être les protestations de Job ! — auquel Dieu répond, justement, qu’il a aussi créé les monstres et autres crocodiles.

Quant à l’homme, il aurait peut-être fallu y penser avant, avant de le créer, plutôt que de se repentir après, semble dire Job, et avec lui Jérémie, et pas mal d’autres dans l’histoire : il aurait mieux valu que je ne naisse pas ! — disent-ils ! Parole insensée, parole de révolté !

Parole de sagesse aussi, selon l’Ecclésiaste : « L’avorton, celui qui n’a pas vu le jour, vaut mieux que celui qui ne se rassasie pas de bonheur » (Ecclésiaste 6, 3), mais qui à la place ne voit que le malheur qui se vit sous le soleil !

Eh bien c’est au cœur de ce chaos-là, au cœur de ce drame, que Jésus nous rejoint par son baptême, début d’un ministère qui à vue humaine laisse à se demander si la vie de cet homme, Jésus, valait bien d’être vécue ! — pour se terminer comme elle s’est terminée…

« Jésus sortit de l’eau » annonce alors l’évangile !

En écho : « Choisis la vie » a ordonné la Torah ! « Choisis la vie » ! Eh bien : c’est cette parole qu’est venu sceller Jésus au baptême, tout simplement : « Jésus sortit de l’eau ». C’est ce que confirme la présence de l’Esprit qui va mener en lui toute chose à sa fin, au projet caché de Dieu, dont on sait à présent, dont on a su, qu’il débouchait sur la résurrection proclamée au dimanche de Pâques.

Telle est la parole qui nous est confiée depuis les cieux ouverts au baptême de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir. » Une parole qui nous rejoint au cœur de nos détresses, de nos engloutissements dans le non-sens et le chaos, pour donner cette orientation qui dit que cela vaut encore, quand même et malgré tout, la peine.

« Choisis la vie », comme un acte de foi, que l’on peut encore poser : « le juste vivra par sa foi » (Hab 2, 4) — malgré tout : « c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » — « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir. » Voilà qui donne tout son sens à la foi dont vit le juste. Alors aujourd’hui encore : « Choisis la vie, afin que tu vives ».


RP, Poitiers, 12/01/20


dimanche 5 janvier 2020

"Des nations marcheront à ta lumière"




Ésaïe 60, 1-6 ; Psaume 72 ; Ep 3, 2-3a & 5-6 ; Matthieu 2, 1-12

Ésaïe 60, 1-6
1 Lève-toi, brille, car ta lumière paraît,
Et la gloire du Seigneur se lève sur toi.
2 Car voici que les ténèbres couvrent la terre
Et l’obscurité les peuples ;
Mais sur toi le Seigneur se lève,
Sur toi sa gloire apparaît.
3 Des nations marcheront à ta lumière
Et des rois à la clarté de ton aurore.
4 Porte tes yeux alentour et regarde :
Tous ils se rassemblent,
Ils viennent vers toi ;
Tes fils arrivent de loin,
Et tes filles sont portées sur les bras.
5 A cette vue tu seras radieuse,
Ton cœur bondira et se dilatera,
Quand les richesses seront détournées de la mer vers toi,
Quand les ressources des nations viendront vers toi.
6 Tu seras couverte d'une foule de chameaux,
Ainsi que de dromadaires de Madian et d’Épha ;
Ils viendront tous de Saba ;
Ils porteront de l’or et de l’encens
Et annonceront les louanges du Seigneur.

*

Toutes choses ont commencé ainsi : dans une Parole qui fait venir le monde des ténèbres à la lumière — « que la lumière soit, et la lumière fut » ; Parole créatrice qui a fait naître le chaos de 13, 8 milliards d’années pour le jour de la Parole prononcée dans la lumière créatrice ; une Parole qui résonne dans le temps du récit de la Genèse selon la tradition juive il y a 5780 ans.

Et à nouveau, comme reprise, la promesse d’Ésaïe (ch. 9, v. 1) :
Le peuple qui marchait dans les ténèbres
voit une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre,
une lumière resplendit.
Ce texte lu à Noël nous rappelle que cette même Parole qui fait sortir la vie des ténèbres est à nouveau au recommencement de toute chose. Car le monde, qui n’est pas pleinement sorti de la nuit, est appelé à renaître, à accéder à sa plénitude en paraissant en pleine lumière. Alors, « Lève-toi, brille, car ta lumière paraît ».

C’est cette espérance séculaire de la venue de la lumière de la délivrance, signifiée par toutes les fêtes de lumière des différents cultes, qui s’est ouverte à Noël.

L’origine la plus vraisemblable du mot Noël serait dans le gaulois noio hel signifiant « nouveau soleil ». Les origines de la fête s’enracinent dans les célébrations de la lumière, comme le culte du « soleil invaincu » chez les Romains et les autres fêtes de solstice des pays nordiques. Avant la réforme du calendrier par Jules César, le solstice d’hiver correspondait au 25 décembre du calendrier romain. Les festivités ont continué de se tenir à cette date après que le solstice eût correspondu au 21 décembre du calendrier julien.

C’est cette espérance d'une lumière nouvelle, qui nous a rejoints en l’enfant de Bethléem. Ici, comme nouveau soleil, c’est à la Parole créatrice qu’il est fait référence, et à la lumière qui en est le premier effet. Une lumière qui précède toute lumière, symbolisée par l’astre des Mages.

Celle du soleil vient ensuite (au 4e jour selon la Genèse. Elle ne fait que commencer à naître selon le temps du solstice d’hiver) : mais la lumière que nous célébrons nous est donnée comme la vraie lumière, qui éclaire tout être humain venant dans le monde.

Un monde extrait des ténèbres qui précèdent cette Parole illuminatrice. Ésaïe 9, 1 & 5 :
Le peuple qui marchait dans les ténèbres
voit une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre,
une lumière resplendit.
[…]
Car un enfant nous est né,
un fils nous est donné.

RepriseMatthieu 2, 1-9
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des Mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent : "Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les Mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant : "Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu'ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.

Voilà donc que se présentent les fameux Mages venus d’Orient (Matthieu 2, 1-12). Les voilà bientôt sacrés rois (en regard d’Ésaïe 60 que nous avons lu, ou du Psaume 72, Psaume de ce jour, etc.), trois rois représentant les trois continents d’alors (Afrique, Asie, Europe), là où Matthieu les présentait comme des sortes de prêtres de la religion mazdéenne d'alors, la religion des Mages. Selon la prophétie d’Ésaïe, le Messie biblique concerne aussi les païens / les nations.

Les nations comme son peuple s’originent en la Parole créatrice qui est « la lumière du monde » (Jean 8, 12), avant la lumière naturelle (Jean 1, 9-10). Lorsqu'elle s'exprime, la lumière apparaît : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut » (Genèse 1, 3). Cette vraie lumière est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme.

Cette lumière nous est donnée comme celle de Noël, ici symbolisée dans un astre se levant à l’Orient. Le déroulement ultérieur de la création est le développement de l’illumination donnée à Noël, illumination du monde pour sa sortie du chaos et des ténèbres. Les choses s’ordonnent en se distinguant, en se séparant : ainsi en premier, dit la Genèse, le jour d’avec la nuit.

C’est cette même Parole qui nous fait venir à l’être qui peut aussi nous faire venir à la vie de Dieu, à la vie éternelle, pourvu que nous l’accueillions. Car le monde, dès lors qu’il ne reçoit pas cette Parole par laquelle il existe, est dans les ténèbres, selon que c’est cette Parole qui sépare la lumière des ténèbres.

Cette Parole de lumière est venue à Noël, comme petit enfant, de sorte que nous puissions l’accueillir le plus simplement… Donnant, à qui l’accueille, le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Autant de porteurs de cette Parole qui fait venir à la vie, lesquels ne sont pas nés de la chair, mais de Dieu. Recevoir la Parole qui fait advenir à la vie dans l’éternité.

Face à cela, les ténèbres naturelles sont le signe qu’il est une seule limite au déploiement de la lumière. Ne pas l’accueillir. Mais que de possibilités s’ouvrent au contraire par cet accueil : le pouvoir de devenir enfants de Dieu, par l’accueil, dans la foi, de cette Parole et de sa lumière. C'est là le vrai cadeau de Noël.

Matthieu 2, 10-11
10 À la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Que cette Parole, dont nous célébrons la naissance en Marie il y a deux mille ans, Parole éternelle qui nous a créés, promise à une souveraineté sans fin, Parole éternelle qui nous illumine — naisse en chacun de nous pour nous rendre féconds en Dieu.

Ésaïe 60, 1-3
1 Lève-toi, brille, car ta lumière paraît, Et la gloire du Seigneur se lève sur toi.
2 Car voici que les ténèbres couvrent la terre Et l'obscurité les peuples ;
Mais sur toi le Seigneur se lève, Sur toi sa gloire apparaît.
3 Des nations marcheront à ta lumière Et des rois à la clarté de ton aurore.

Que cette Parole fasse germer en nous la grâce de l’accueillir d’où qu’elle vienne ; de ne pas endurcir notre cœur lorsque nous l’entendons où nous ne l’attendrions pas ; car Dieu a pour habitude de déguiser ses anges, comme il a déguisé Marie et Joseph en étrangers que l’on n’a pas su accueillir. Accueillir la Parole créatrice, illuminatrice, source de la vie nouvelle. Cette Parole nous est donnée comme le Fils unique de Dieu, « Prince de la paix » en qui demeure pour nous le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

Matthieu 2, 12
Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, les Mages se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.


RP, Châtellerault, 5/01/2020