dimanche 28 novembre 2021

“Montre-moi, Seigneur, la route qui seule conduit à toi”




Jérémie 33, 14-16 ; Psaume 25 ; 1 Thess 3, 12–4, 2 ; Luc 21, 25-36

Psaume 25
1 De David.
Seigneur, je suis tendu vers toi.
2 Mon Dieu, je compte sur toi ; ne me déçois pas ! Que mes ennemis ne triomphent pas de moi !
3 Aucun de ceux qui t’attendent n’est déçu, mais ils sont déçus, les traîtres avec leurs mains vides.
4 Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur ; enseigne-moi tes routes.
5 Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours.
6 Seigneur, pense à la tendresse et à la fidélité que tu as montrées depuis toujours !
7 Ne te souviens pas des péchés de ma jeunesse ni de mes révoltes ; Souviens-toi de moi selon ta bienveillance, à cause de ta bonté, Seigneur.
8 Le Seigneur est si bon et si droit qu’il montre le chemin aux pécheurs.
9 Il fait cheminer les humbles vers la justice et enseigne aux humbles son chemin.
10 Toutes les routes du Seigneur sont fidélité et vérité, pour ceux qui observent les clauses de son alliance.
11 Pour l’honneur de ton nom, Seigneur, pardonne ma faute qui est si grande !
12 Un homme craint-il le Seigneur ? Celui-ci lui montre quel chemin choisir.
13 Il passe des nuits heureuses, et sa postérité possédera la terre.
14 Le Seigneur se confie à ceux qui le craignent, en leur faisant connaître son alliance.
15 J’ai toujours les yeux sur le Seigneur, car il dégage mes pieds du filet.
16 Tourne-toi vers moi ; aie pitié, car je suis seul et humilié.
17 Mes angoisses m’envahissent ; dégage-moi de mes tourments !
18 Vois ma misère et ma peine, enlève tous mes péchés !
19 Vois mes ennemis si nombreux, leur haine et leur violence.
20 Garde-moi en vie et délivre-moi ! J’ai fait de toi mon refuge, ne me déçois pas !
21 Intégrité et droiture me préservent, car je t’attends.
22 O Dieu, rachète Israël ! Délivre-le de toutes ses angoisses !

*

Avant d'entrer dans la méditation du Ps 25, un extrait de l’Évangile de ce jour, comme fond sonore, basse continue de la prière qu'est le Psaume — prière, selon son étymologie : précaire, et de la part de celui ou celle qui prie, aveu de son impuissance —, tandis que notre temple héberge aujourd'hui une exposition de la Cimade dans cadre de la mémoire des camps de réfugiés, cela aux jours où nombre de nos frères et sœurs en humanité sont déplacés, au prix de leur vie, mourant dans le froid et les flots, écho à cet Évangile du jour de l'entrée dans l'Avent.

Luc 21, 25-26 : "Sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation, tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; car les puissances des cieux seront ébranlées."

“Ce qui m'effraie, écrivait Martin Luther King, ce n'est pas l'oppression des méchants ; c'est l'indifférence des bons.”

*

En son premier sens, dans le contexte proposé aux premiers versets, ce Psaume 25 fait apparaître le roi David aux prises avec des ennemis. Destin normal, au fond, de quiconque est doté ne serait-ce que d'un peu de pouvoir, fût-il seulement symbolique, suscitant la jalousie, même malgré lui. À nouveau Martin Luther King : "Pour se faire des ennemis, inutile de déclarer la guerre, il suffit juste de dire ce que l'on pense".

Face à cela, ce qui peut faire la faiblesse de David attaqué, ce sont ses fautes éventuelles. Que font ses ennemis ? Lui cherchant des poux dans la tête, ils cherchent à le discréditer en appuyant sur ces fautes. Ou à défaut, en en inventant. Quel homme, ou femme en vue ne connaît pas cela ?

Fautes éventuelles… David, on le sait, en a été atteint, hélas ! Le cas le plus connu est l'affaire Bathshéva, où non seulement il a séduit la femme d’un autre, mais pour écarter le mari, un de ses généraux, il l’a exposé sur le champ de bataille de sorte qu’il a été tué. Quant à cet adultère doublé d’un quasi-meurtre, David a eu la chance d’avoir affaire à un prophète discret, le prophète Nathan, qui, par sa discrétion, ne donne pas de grain à moudre aux ennemis de David. Lequel n’en a pas moins été traité très sévèrement par le prophète. Avouant amèrement sa faute devant Dieu, David a dû s’humilier comme il le méritait.

À l'heure où il est de bon ton d’être contre la repentance, il n'est pas inutile de noter que le roi se repentant se prémunit devant Dieu face à ceux qui le trahissent, lui et l'alliance, et l’attaquent, comme dans ce Ps 25 — fût-ce par un tissu de faussetés (le Ps 25 ne parle pas d’une quelconque faute précise). Fausses accusations : c'est la méthode classique des harceleurs. Une des leçons importantes du Psaume est de mettre en lumière ce que fait David face à ses accusateurs : il demande à Dieu de le pardonner ! Non pas pour des fautes qu’il n’a pas commises, et dont on l’accuse pour mieux l’abattre ; mais en solidarité, du fait qu’il est un homme, en proie à la faiblesse : si on l’accuse à tort, il se repent de cette faute commise par d’autres contre lui ! Écho lors de notre dernier synode, prononçant une prière de repentance à l’écoute d’un vœu dénonçant le harcèlement moral, sexuel et raciste dont sont victimes pasteurs et pasteures.

Le Psaume nous enseigne à ne pas présumer de ses forces propres face aux harceleurs. David ne s’appuie pas sur son innocence, pourtant réelle en l’espèce, mais sur la fidélité de Dieu, qui s’est allié avec lui. Ici c'est de l’alliance royale qu’il est question — il y fait allusion — alliance selon laquelle son trône subsistera parce que Dieu en est garant. Mais ça vaut aussi pour l’alliance qui nous concerne toutes et tous, scellée avec Abraham, l’alliance de la foi, de la fidélité de Dieu, qui ne laisse pas tomber quiconque compte sur lui ; et de la confiance qu’on peut lui faire.

*

Voilà qui vaut pour chacune et chacun de nous : je suis d’autant plus faible que je suis loin de Dieu, et que donc, je me crois fort ! Ce qui fait de moi la proie de toutes les attaques. Derrière les ennemis de David, on peut imaginer tout ce qui peut nous séparer de Dieu — autant de figures, comme les ennemis de David, de celui que le Nouveau Testament appelle l’ « ennemi de nos âmes » — délivre-nous du Malin.

Alors la prière, le Psaume, commence par : « à toi mon Dieu, mon cœur monte » (selon la traduction de Clément Marot, que nous chantons jusqu'à aujourd'hui) et se termine par : « délivre-moi, ne me déçois pas », avant la louange finale : Dieu a exaucé cette prière.

Auprès de Dieu est la vie : élever son cœur vers Dieu est recevoir la vie, loin de lui sont tous les dangers. Oui en moi je suis faible, susceptible de pécher, de me laisser abattre par mes ennemis, mon ennemi. Et cela je le reconnais : combien de fois m’est-il arrivé de succomber, et de devenir ainsi la proie de ceux qui veulent me séparer de Dieu, rompre l’alliance.

Alors, pardonne les péchés de ma jeunesse, — c’est-à-dire éventuellement ceux d’hier matin. Et garde-moi de présumer de mes forces, et de croire que je puisse me mettre moi-même à l’abri du péché. Dès aujourd’hui je me place devant toi tel que je suis. Et « montre-moi, Seigneur la route, qui seule conduit à toi. » (trad. Marot)

Nous voilà donc entre l’élévation vers Dieu — et l’éloignement de Dieu, qui conduit au péché, et nous laisse en proie à tous les dangers, et à toutes les attaques injustes de l’ennemi qui veut nous abattre, et qui peut être parfois tout à fait personnalisé. « Ils sont plus nombreux que les cheveux de ma tête, ceux qui me haïssent sans cause » (Psaume 69, 5). Inimitié au fond contre une parole qui dérange, et vaut persécution. Rappelez-vous : « heureux serez-vous lorsqu’on dira de vous toute sorte de mal à cause moi » (Matthieu 5, 11).

Face à cela est en effet la montée de notre cœur vers Dieu, qui est notre seul abri. Et déjà ce seul tournement vers Dieu, cette conversion, est le salut, l’entrée sur le chemin de vérité et de vie, quels que soient les dangers, les risques, les tentations, les persécutions, les menaces, etc.

… Jusque lorsque, Évangile de ce jour —

Luc 21, 25-36
25 « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation,
26 tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; car les puissances des cieux seront ébranlées.
27 Alors, ils verront le Fils de l’homme venir entouré d’une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire.
28 « Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche. »
29 Et il leur dit une comparaison : « Voyez le figuier et tous les arbres :
30 dès qu’ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l’été est proche.
31 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche.
32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n’arrive.
33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
34 « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s’alourdissent dans l’ivresse, les beuveries et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste,
35 comme un filet ; car il s’abattra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière.
36 Mais restez éveillés dans une prière de tous les instants pour être jugés dignes d’échapper à tous ces événements à venir et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »

*

Écho au Psaume que cet appel de Jésus à la vigilance : « Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur ; enseigne-moi tes routes. Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours » (Ps 25, 4-5).

Cf. Jean 14, 4-6 : « "Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin." Thomas lui dit : "Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ?" Jésus lui dit : "Je suis le chemin et la vérité et la vie. Nul ne va au Père si ce n’est par moi." »

Les Psaumes ont été lus dans l’histoire de l’Église comme parlant du Christ pour nous en ce sens que Jésus, Fils de l’Homme qui est dans les cieux, s’est identifié aux pécheurs en devenant chair, comme nous, venant au cœur des détresses du temps annoncées en ce texte de Luc. Le juste, parole éternelle qui ne passe pas, est devenu l’un de nous, un humain mortel. Au point de faire siennes nos prières, nos Psaumes tout humains, au point de faire sienne, sur la croix, avec le Ps 22, notre perte de Dieu — pourquoi m’as-tu abandonné ? —, au point de nous choquer quand on en arrive à des confessions de péché et des demandes de pardon. Mais ce n’est plus le Christ cela, pensons-nous naturellement !

Eh bien en un sens profond, si, c’est lui. Non pas qu’il aurait péché lui-même ! — mais qu’il a fait siennes les conséquences de nos fautes. Et que donc, il confesse notre faute, nos fautes, en solidarité avec nous. Il a fait siennes toutes nos limites, jusqu’à notre mortalité. Lui, la parole éternelle, qui a fondé le monde, connaît tous les méandres de nos vies.

« Montre-moi, Seigneur, la route qui seule conduit à Toi » priait le Psaume de David. Il est entré en nos chemins pour devenir notre chemin, chemin de vérité en qui seul est la vie. Faisant dès lors de la prière du Psaume celle de notre salut. On m’accuse à tort, certes, prie le Psaume ; cela dit, mon salut n’est pas dans ma justice, mais dans la fidélité de Dieu à son alliance. Ma justice n’est rien que petit commencement.

L’ennemi est celui qui voudrait me déstabiliser à cause de cela et me séparer de mon seul soutien, de ma seule assurance : Dieu m’a rejoint dans mon chemin, et m’a ainsi montré le chemin, la vérité et la vie. Alors « à toi mon Dieu mon cœur monte ! »


R.P., Poitiers, 1er dimanche de l'Avent, 28.11.2021
Prédication (verson imprimable)






dimanche 14 novembre 2021

"Alors on verra le Fils de l’homme"




Daniel 12, 1-3 ; Psaume 16 ; Hébreux 10, 11-18 ; Marc 13, 24-32

Marc 13, 24-32
24 « Mais en ces jours-là, après cette détresse, le soleil s’obscurcira, la lune ne brillera plus,
25 les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.
26 Alors on verra le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire.
27 Alors il enverra les anges et, des quatre vents, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel, il rassemblera ses élus.
28 « Comprenez cette comparaison empruntée au figuier : dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l’été est proche.
29 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à vos portes.
30 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive.
31 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
32 Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père. »

*

Avant le signe de la délivrance, le signe du Fils de l’Homme, il est question d’une détresse incomparable. Une détresse qui débouche sur des ténèbres particulièrement intenses : « le soleil s’obscurcira, la lune ne brillera plus, les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées » (v. 24-25).

Voilà qui donne une mesure de la détresse, de l’épaisseur des ténèbres, qui vont, au sens spirituel, jusqu’à la perte du sens de Dieu… Que symbolise d’autre, avec l’obscurcissement du soleil et de la lune, l’ébranlement des puissances des cieux et l'image de la chute des étoiles (sachant qu'une seule étoile « tombant du ciel » suffirait à exploser tout le système solaire !) ?

Symbole très fort que ces ténèbres, où il n’est pas simplement question d’un temps nuageux et de prévisions d’une météo sombre à rendre les astres invisibles ! Quelque chose de plus grave est en question, un véritable enténèbrement spirituel…

Où derrière l’annonce que fait Jésus de la destruction de Jérusalem et de la profanation du Temple, souillé par l’abomination de la désolation (cf. plus haut au v. 14) que portent les symboles païens de la domination romaine — se profile la vision d’un monde qui se perçoit comme abandonné de Dieu, un monde sans Dieu.

… Comme en écho à la parole des anciens prophètes : « jour de ténèbres et non de lumière » que le Jour du Seigneur (Amos 5, 18-20 ; Joël 2, 2). Si la lumière vient, c’est bien comme dévoilement inattendu depuis le cœur des ténèbres : « les puissances des cieux seront ébranlées… Alors on verra le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire. » (Mc 13, 25-26)

*

C’est là précisément qu’est donné le signe de la venue de la délivrance, comme les pousses du figuier annoncent l’été (v. 28). Les signes comparés aux premières pousses, ce sont les ténèbres et l’épaisseur de la détresse — cette détresse spirituelle profonde au point qu’elle atteint jusqu’à la conscience de Dieu, débouchant sur un temps sans Dieu, a-thée, littéralement.

« Quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à vos portes » (v. 29).

*

« En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (v. 30). Certes, et bien sûr, il est question ici de la destruction de Jérusalem en 70 et de la profanation du Temple, advenue précisément au terme de la génération d’alors (40 ans après). Mais apparaît aussi une dimension intemporelle de l’annonce de la détresse, jusqu’à l’ébranlement des puissances des cieux, jusqu’à la perte de la perception de Dieu dont la destruction du Temple est le signe — signe annonciateur d’une détresse pire encore — : il y a bien une dimension intemporelle de l’annonce de la détresse atteignant jusqu’aux cieux… Et il y a aussi, du même coup, une dimension intemporelle de la promesse dont la détresse est, en négatif, le signe !

Cela considéré, ce n'est pas une invitation au fatalisme qui nous est adressée. La tentation est pourtant forte, si l'on se dit que les catastrophes sont inéluctables, que notre monde prendra bien fin, de se dire qu'il n'y a donc rien à faire, en décidant, comme cela s'est vu des dizaines de fois dans l'histoire, que c'est pour nos jours qu'il faut être fataliste. Aujourd'hui entre terrorisme (au lendemain du 13 nov.) et catastrophes diverses. Avec le réchauffement de la planète. On peut y voir un accomplissement de prophéties avertissant que notre monde est fragile, menacé, on peut se rappeler que, selon les termes de la seconde épître de Pierre (2 P 3, 12), « les éléments embrasés fondront » ! Cela dit, nous sommes aussi responsables du jardin qui est confié à nos soins depuis les origines, au récit de la Genèse (Gn 2, 15) ; l'on n'est donc pas appelé à baisser les bras sous prétexte d'inéluctable ! Le même livre de l’Apocalypse qui avertit sur l'immensité de la menace, annonce aussi la colère divine contre « ceux qui détruisent la terre » (Ap 11, 18). Façon d'avertir aussi que l'action contre la menace, dans la responsabilité écologique, n'est, de nos jours, pas facultative ! Responsabilité collective dans la destruction de ce qui nous a été confié, responsabilité collective dans l'appel au soin, des chrétiens comme des autres, ce pourquoi il me semble n'y avoir rien de spécifique aux croyants dans la question écologique. Nous sommes toutes et tous, quelle que soit notre foi ou non-foi, dans le même Titanic !

À l'inverse de la tentation fataliste, une autre tentation nous guette. Celle de la fuite en avant qui est de s'imaginer être déjà dans le Royaume d'En-haut, au nom de la naissance d'En-haut de Jean 3. Façon d'orgueil spirituel qui fait regarder de haut celles et ceux dont on supposerait par là qu'ils n'y participent pas et qui ne seraient dès lors que des êtres d'en-bas, voués aux choses bassement matérielles auxquelles se croient arrachés ceux qui s'imaginent être pleinement spirituels. C'est oublier que la césure entre le vieux monde et le monde à venir passe au cœur de chacune et chacun de nous.

Entre ces deux tentations inverses, la vocation chrétienne est de témoigner, humblement, de la signification spirituelle des ténèbres qui s'étendent, en ce sens que des textes comme celui que nous avons lu enseignent à notre foi la façon dont le Christ a porté ces ténèbres qui concernent toutes et tous, promettant le don de sa délivrance offert à notre foi pour toutes et tous.

*

Que lit-on en effet dans la suite de cet Évangile de Marc ? Que la résolution de toutes les détresses, cette résolution dont le dévoilement vient au terme des détresses les plus épaisses, va être donnée dans les jours qui suivent la prophétie de Jésus, au sein même de la génération à laquelle il s’adresse —, la croix : voilà le signe de l’approche de l’été, de la venue du Royaume.

Le cœur des ténèbres qui s’est épaissi jusqu’en la perte du sens de Dieu, — Jésus, en qui va apparaître le Fils de l'Homme annoncé, va traverser ce cœur des ténèbres du jeudi au vendredi saint, dans la semaine qui suit cette prophétie.

Les ténèbres, et les ténèbres spirituelles, atteignent alors une intensité telle qu’elle n’a jamais été conçue et qu’il n’en peut se concevoir de plus intense pour un individu humain : celui qui est le Fils de Dieu — selon les mots par lesquels le confesse alors un païen, centurion romain — traverse les plus épaisses des ténèbres spirituelles.

Je lis dans ce même évangile de Marc, quelques pages plus loin, ch 15, v. 33-38 :
33 A la sixième heure, il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure.
34 A la neuvième heure, Jésus cria : Eloï, Eloï, lema sabachthani ? ce qui se traduit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
35 Quelques-uns de ceux qui étaient là l’entendirent ; ils disaient : Tiens, il appelle Élie.
36 Quelqu’un courut remplir de vinaigre une éponge et la fixa à un roseau pour lui donner à boire, en disant : Laissez, voyons si Élie va venir le descendre de là.
37 Mais Jésus laissa échapper un grand cri et expira.
38 Le voile du sanctuaire se déchira en deux, d’en haut jusqu’en bas.
39 Voyant qu’il avait expiré de la sorte, le centurion qui était là, en face de lui, dit : Cet homme était vraiment Fils de Dieu.

C’est là qu’est le signe promis : une détresse incomparable, celle du Fils de Dieu rejoignant, faisant siennes, toutes les détresses du temps, toutes nos détresses, jusqu’au cœur des ténèbres spirituelles, jusqu’à la perte du sens de Dieu. Il a ainsi rejoint l’humanité sans Dieu, a-thée, fait semblable aux humains athées au moment même de sa mort : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Et c’est ainsi qu’il est devenu le salut de tous les hommes et femmes, Sauveur du monde jusqu’en ses profondeurs les plus sombres. Et c’est ainsi que la croix est devenue le signe du Fils de l’Homme venant « dans la plénitude de la puissance et dans la gloire » (v. 26).

Cela parce qu’il a partagé le cœur de plus intense de nos ténèbres : telle est la bonne nouvelle que nous ne pouvions même pas concevoir. Quand nos détresses spirituelles nous ont réduits aux ténèbres et à la plus totale impuissance, quand on ne sait plus même comment croire, alors la délivrance est proche : c’est dans ces ténèbres mêmes qu’il nous a rejoints sur la croix jusqu’au gouffre de la mort : sachez donc que « le Fils de l’homme est proche », tout proche…


R.P., Poitiers, 14.11.21
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dimanche 7 novembre 2021

Prenez garde aux amateurs de prestige !




1 Rois 17, 10-16 ; Psaume 146 ; Hébreux 9, 24-28 ; Marc 12, 38-44

Marc 12, 38-44
38 Dans son enseignement, il disait : "Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques,
39 à occuper les premiers sièges dans les lieux de culte et les premières places dans les dîners.
40 Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement, ils subiront la plus rigoureuse condamnation."
41 Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup.
42 Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes.
43 Appelant ses disciples, Jésus leur dit : "En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc.
44 Car tous ont mis en prenant sur leur superflu ; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre."

*

Avant d’en venir aux grandes robes et premières places dans les lieux de culte et autres dîners, intéressons-nous à la veuve de notre texte.

Une veuve pauvre qui, avec ses deux petites pièces, donne en fait beaucoup (même si ça semble peu), puisque cela empiète sur son nécessaire, son minimum vital (à l’époque, une veuve est sans ressources financières) : « gardez-vous des gens à la piété exemplaire… » (v. 38-40), vient — en résumé — de dire Jésus. Les scribes et d'autres, qui, certes, font de belles offrandes — c’est qu'ils ont les moyens, contrairement à la veuve ; certes ils font de belles prières, signe d’une belle aisance intellectuelle et sociale qui se voit jusque dans les dîners. Ils ont déjà leur récompense : avoir brillé. D’autant qu’ils brillent au cœur d’une institution devenue injuste… à laquelle la veuve donne quand même… donnant de son nécessaire pour entretenir ceux qui ainsi s’avèrent par le fait-même dévorer ses biens !

Il faut, pour éclairer le propos, se rappeler que les dons d’argent qui se font au temple renvoient à la pratique nommée en hébreu « justice ». Ces dons symbolisent la restitution d’un équilibre qui a été rompu. La richesse, sous l’angle où elle est productrice de déséquilibres, est mal notée par les auteurs bibliques.

La richesse devient mauvaise si elle n'est pas purifiée par ce geste de justice, qui corrige le déséquilibre qu’elle produit naturellement, puisqu’il est dans sa nature de croître exponentiellement ; déséquilibre, injustice, si cela n’est pas purifié par ce qui qui ne signifie donc rien d’autre que la « justice ».

Ne pas le voir est pour nous tout simplement une façon subtile de nous masquer qu’il est un certain déséquilibre, accepté, jugé normal ou fatal, mais qui relève tout simplement du péché. « Malheur à ceux qui ajoutent champ à champ » clamait le prophète (Ésaïe 5, 8) — à propos de ce qui est pourtant censé être signe de bénédiction ! Exemple concret, pourtant, de la liberté devenant celle du plus fort d’opprimer le plus faible. Où l’accumulation des uns spolie les autres. Ce que dénonce à nouveau Jésus : « ils dévorent les biens des veuves ».

*

Les déambulations en grandes robes deviennent alors symptôme du problème. On risque aisément de s’en tenir au symptôme tel qu’il apparaît à l’époque et de ne pas voir le problème que le symptôme révèle. Le problème n’est pas les tenues, souvent prescrites par la Tora. Parallèle en Matthieu (ch. 23, v. 5) : “Toutes leurs actions, ils les font pour se faire remarquer des hommes. Ils élargissent leurs phylactères et allongent leurs franges.” Franges que Jésus lui-même porte : cf. Mt 9, 20 (c'est le même mot), conformément au précepte de Nombres 15, 38, comme signe et rappel des commandements, ainsi que le sont aussi les phylactères (Deutéronome 11, 18-19). Dans les temps anciens, les tenues symbolisaient un statut, une profession, une appartenance religieuse ou autre. Pensons aux tenues de métiers, tabliers ou bleus de travail. Dans telle ou telle profession ou tel ou tel pays, cela demeure : pensons aux tenues des juristes ou aux blouses blanches médicales en France, ou aux “uniformes” scolaires ou universitaires dans d’autres pays que le nôtre.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, les tenues attitrées ne sont pas des signes d'originalités individuelles, mais réduisent au contraire les originalités à l’humilité. Mais ce qui est devenu commun en notre temps, se distinguer individuellement par ses tenues, existe comme tentation de tout temps.

Pour les scribes de notre texte, les robes plus amples que la norme et les franges plus longues qu’il n’est requis sont une façon de détourner leur sens. Aujourd’hui on ne se plus donne du prestige de cette façon, mais au contraire plutôt par des tee-shirts branchés et autres fioritures originales revendiquées par la jet-set et ses imitateurs. Dans tous les cas, au-delà du symptôme, la réalité que vise Jésus est l'injustice qui se cache derrière le prestige de ceux qui se montrent, qu’il dénonce comme dévorant les biens des plus pauvres… La question de l’abîme entre les richesses, que pose Jésus à la suite des prophètes, a pris de nos jours la taille d’un problème qui atteint des proportions internationales aux conséquences considérables, internationales elles aussi.

Combien de veuves, ou autres misérables, qui aujourd’hui livrent leur richesse, leurs piécettes, sans calcul, à telle ou telle institution, à commencer trop souvent par l'institution ecclésiale devenue déplorable ! Sans doute pire que l’institution du temps des scribes visés par Jésus. Mais qu’importe si cette institution enseigne encore à donner ! Car le don libère ! En libérant d'abord de la peur de manquer qui signe l’avarice comme captivité et souffrance.

Institution pourtant déplorable que celle du temps de notre texte, connue à l’époque comme déplorable. Que dire alors de la nôtre ! Comme Église, comment ne pas penser aux crimes terribles qui souillent et enténèbrent une autre Église, partie de la même Église universelle dont nous sommes participants aussi. J’ai eu l’occasion d’évoquer cette chose terrible à Poitiers : il me semble qu’un tel problème ne peut être ignoré, même si c’est une autre Église que la nôtre qui est au cœur de cette tourmente, de ce mal. Il me semble falloir reprendre cette réflexion ici aussi, à Châtellerault. Comment une institution censée porter le nom du Christ a-t-elle pu devenir si déplorable ?

* * *

Malaise dans les Églises, d'autant plus catastrophique que les chrétiens sont dans le monde victimes des pires persécutions (ce dimanche de l'Église persécutée vient nous le rappeler) ; malaise dans les Églises et plus largement dans notre civilisation, qui éclate aujourd’hui par des scandales, principalement dans l’Église catholique, longtemps prestigieuse, mais aussi ailleurs, à commencer par la famille, mais aussi le monde enseignant ! Malaise criant en nos jours héritiers d’un changement civilisationnel initié il y a quelques décennies. “Malaise dans la civilisation”, ou “dans la culture” — on a reconnu le titre d’un livre de Sigmund Freud, où il tire lui-même des conclusions de ses observations en matière de sexualité : c’est la frustration sexuelle, explique-t-il, imposée par la civilisation, qui, dans un apparent paradoxe, produit stabilité culturelle et développements économiques et techniques. Car Freud enseignait un vrai pessimisme en matière de sexualité, que l’on semble avoir oublié depuis…

Déjà un disciple de Freud, Wilhelm Reich, proposait, à peu près à l’inverse du “Malaise dans la civilisation”, de libérer la sexualité via une interprétation toute personnelle des découvertes du maître. Reich élaborait une théorie de “la fonction de l’orgasme”, selon le titre d’un de ses livres, débouchant sur “la révolution sexuelle” (autre titre de Reich), révolution qui compléterait bientôt heureusement toutes les autres et amènerait l’humanité au plus parfait bonheur.

Optimisme un peu rapide quant aux pulsions, éventuellement destructrices, de tout un chacun. Pour savoir que le domaine sexuel n’est peut-être pas si sujet à optimisme que ça, il aurait suffi d’entendre sérieusement un Sade, qu’on lisait alors, mais sans autre regard que celui des enthousiasmes libérés. Sade nous conduit pourtant sans doute aux sources de la généalogie de cet optimisme : l’opposition à un certain Augustin dont Sade précisément, en son XVIIIe s. optimiste, est un des rares — avec les augustiniens jansénistes — à ne s’être pas débarrassé.

Augustin, futur saint Augustin, écrit, quelque 13 siècles avant Sade, et 15 siècles avant nous, en des termes si pessimistes en matière de sexualité, qu’il juge devoir… y renoncer : “Sans doute l’Apôtre ne m’interdisait point le mariage, dit-il, bien que dans son ardent désir de voir tous les hommes semblables à lui, il recommande un état plus parfait. Mais moi, trop faible encore, je choisissais la voie paresseuse, et c’était la seule raison de mes incertitudes en tout le reste […]” (Confessions VIII, I).

La suite est bien connue. Augustin raconte : “[…] voici que j’entends, qui s’élève de la maison voisine, une voix, voix de jeune garçon ou de jeune fille, je ne sais. Elle dit en chantant et répète à plusieurs reprises : ‘Prends et lis ! Prends et lis !’ […] Je revins donc en hâte à l’endroit où [j’avais] laissé, en me levant, le livre de l’Apôtre. Je le pris, l’ouvris, et lus en silence le premier chapitre où tombèrent mes yeux : ‘Ne vivez pas dans la ripaille et l’ivrognerie, ni dans les plaisirs impudiques du lit, ni dans les querelles et jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne pourvoyez pas à la concupiscence de la chair’. Je ne voulus pas en lire davantage, c’était inutile” (ibid. VIII, XII).

Augustin est dès lors converti, chrétien, ce qui pour lui, débouche sur le dépassement de toute vie sexuelle. Il poursuit ainsi son récit : “Aussitôt nous [son ami Alypius et lui] nous rendons auprès de ma mère, nous lui disons tout : elle se réjouit. […] Vous m’aviez si bien converti à vous que je ne songeais plus à chercher femme et que je renonçai à toutes les espérances du siècle” (ibid.).

On ne s’arrêtera pas à la question évidemment troublante de la joie de sa mère, sainte Monique, qui, on le sait, avait mis auparavant toute son énergie à séparer son fils de sa concubine, dont il avait tout de même eu un enfant, Adeodat. On se contentera de rappeler qu’il n’est pas excessif de dire que tout le rapport du christianisme occidental ultérieur à la sexualité est lié à ce carrefour. Augustin l’a dit lui-même, si le mariage n’est certes pas interdit, il s’assimile à la concupiscence des “plaisirs impudiques du lit” (ce sont ses mots), dont il pense, pour les avoir connus, qu’y succomber relève d’une sorte de paresse spirituelle (toujours ses mots). Le célibat, dans la chasteté, est nettement plus “parfait”, dit-il, au point que la conversion, ultimement, s’y assimile.

Hiérarchie à deux pôles donc, pour Augustin : le vécu de la sexualité, le mariage, relevant de la chair, au cœur duquel subsiste le péché, lié à la concupiscence qui accompagne l’union sexuelle et par laquelle se transmet le péché originel. Et le célibat dans la chasteté, état de perfection, que désire tout chrétien médiéval. L’enseignement d’Augustin veut que, toutefois, le péché inévitable dans l’union sexuelle soit couvert par ce résultat positif de ladite union : la procréation. En deçà du péché, inévitable, l’union sexuelle est le lieu d’une œuvre créatrice de Dieu, qui couvre donc le péché inévitable qui l’accompagne ; qui le couvre, pourvu que l’intention des parents s’unissant soit précisément la procréation. D’où la possibilité d’une dimension sacramentelle du mariage, en lien avec cette couverture du péché qui y demeure toutefois. La future sacramentalisation du futur mariage d'Église (XIIe s.), va, non pas éliminer la hiérarchie des deux états avec supériorité du célibat, mais atténuer l’abrupt de l’abîme qui les sépare.

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On voit nettement cela chez Thomas d’Aquin (XIIIe s.), célèbre entre autres pour avoir réhabilité la nature. Du même coup, il réhabilite d’une certaine façon la sexualité, sans se départir totalement de l’enseignement normatif augustinien concernant sa dimension pécheresse. Le mariage est cependant naturel, au point que sous cet angle précis la relation sexuelle n’est pas péché, puisque le corps a été créé bon. “Les inclinations naturelles dans les choses viennent de Dieu […]”, dit-il. Il poursuit : “Or chez tous les animaux parfaits, se trouve cette inclination naturelle au commerce charnel ; celui-ci ne peut donc être de soi un mal” (Somme contre les Gentils, CXXVI).

Toutefois, si le commerce charnel n’est pas un mal, la hiérarchie augustinienne demeure. Je cite toujours : “[…] certains hommes, sans rejeter la continence perpétuelle, ont accordé au mariage une même valeur. C’est une hérésie (l’hérésie de Jovinien). La fausseté de cette erreur apparaît [en ce que] la continence rend l’homme plus apte à élever son âme jusqu’aux choses spirituelles et divines” (ibid., III, CXXXVII).

“[…] la jouissance [des plaisirs charnels], et particulièrement des plaisirs sexuels, ramène l’esprit à la chair […]” (ibid., III, CXXXVI). La hiérarchie demeure, mais se nuance, puisque le plaisir, étant le moteur par lequel Dieu met en œuvre cette fonction naturelle et voulue de lui — la procréation —, n’est pas foncièrement mauvais.

En résumé, chez Thomas d’Aquin, fidèle à Augustin, la malignité de la relation sexuelle se nuance de ce qu’elle ne concerne que la nature déchue. En soi la nature est bonne et la sexualité en relève tout de même. S’infiltreront plus tard dans ce soupçon de réhabilitation de la sexualité les prémices de l’optimisme moderne du fait, déjà avant Sade et Reich, de jésuites dont Pascal dénoncera l’abandon d’Augustin.

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Quant aux Réformateurs protestants, eux aussi se réclament d’Augustin, mais ils débouchent sur l’inversion de la proposition antécédente. Auparavant le célibat était quasi-obligatoire, sauf l’exception de l’incapacité à se contenir. Dorénavant, le mariage est pleinement réhabilité, comme ordre de Dieu, sauf le don exceptionnel de se contenir.

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Reste que l’affirmation augustinienne et médiévale sur la supériorité du célibat et de l'abstinence, fondant le pouvoir sans contre-pouvoir d’hommes qui, dans l’Église catholique ont adopté ce célibat longtemps proclamé supérieur — cette affirmation ancienne est progressivement venue se heurter contre l’injonction inverse, postulant la toute bonté du sexe, qui trouve ses prémisses depuis la fin du Moyen Âge, puis au XVIIIe s., et qui a culminé au XXe siècle, constatant, avec Freud, un véritable malaise dans la civilisation qui peine à assumer l’abîme de cette injonction contradictoire.

Le choc dont vient de nous assommer l’actualité, avec le désormais fameux rapport Sauvé, est terrible quant à l’abîme qu’il a dévoilé.

Un fait incontournable s’y révèle, qui est qu’une institution plus stricte, au moins théoriquement, quant à ses mœurs, et plus rigide quant à son pouvoir, est par cela-même d'autant plus aveuglée sur elle-même. À travers cela, l’actualité nous révèle un véritable aveuglement civilisationnel, qui frappe au cœur une des plus anciennes institutions de ladite civilisation, mais qui vaut aussi, ne nous leurrons pas, hors de ladite institution, pour les autres Églises, dont la nôtre, et la société dans son ensemble.

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Où résonne dans toute son actualité l'avertissement de Jésus : “Prenez garde aux scribes, aux ecclésiastiques, aux politiques, aux enseignants, qui tiennent à déambuler en grandes robes ou autres vêtements à la mode ou branchés, à être salués sur les places publiques, à occuper les premiers sièges dans les lieux de culte, d'associations, de festivités municipales ou autres, et les premières places dans les dîners.”

Croyez plutôt en celui qu’ils annoncent, quand ils l'annoncent encore, et qui les dénonce pour vous conduire à celui qui vous est donné dans l'humilité, le Dieu dont le Nom même est au-delà de tout prestige, au-delà de tout nom.


R.P., Châtellerault, 7.11.21
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