Daniel 12, 1-3 ; Psaume 16 ; Hébreux 10, 11-18 ; Marc 13, 24-32
Marc 13, 24-32
Avant le signe de la délivrance, le signe du Fils de l’Homme, il est question d’une détresse incomparable. Une détresse qui débouche sur des ténèbres particulièrement intenses : « le soleil s’obscurcira, la lune ne brillera plus, les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées » (v. 24-25).
Voilà qui donne une mesure de la détresse, de l’épaisseur des ténèbres, qui vont, au sens spirituel, jusqu’à la perte du sens de Dieu… Que symbolise d’autre, avec l’obscurcissement du soleil et de la lune, l’ébranlement des puissances des cieux et l'image de la chute des étoiles (sachant qu'une seule étoile « tombant du ciel » suffirait à exploser tout le système solaire !) ?
Symbole très fort que ces ténèbres, où il n’est pas simplement question d’un temps nuageux et de prévisions d’une météo sombre à rendre les astres invisibles ! Quelque chose de plus grave est en question, un véritable enténèbrement spirituel…
Où derrière l’annonce que fait Jésus de la destruction de Jérusalem et de la profanation du Temple, souillé par l’abomination de la désolation (cf. plus haut au v. 14) que portent les symboles païens de la domination romaine — se profile la vision d’un monde qui se perçoit comme abandonné de Dieu, un monde sans Dieu.
… Comme en écho à la parole des anciens prophètes : « jour de ténèbres et non de lumière » que le Jour du Seigneur (Amos 5, 18-20 ; Joël 2, 2). Si la lumière vient, c’est bien comme dévoilement inattendu depuis le cœur des ténèbres : « les puissances des cieux seront ébranlées… Alors on verra le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire. » (Mc 13, 25-26)
C’est là précisément qu’est donné le signe de la venue de la délivrance, comme les pousses du figuier annoncent l’été (v. 28). Les signes comparés aux premières pousses, ce sont les ténèbres et l’épaisseur de la détresse — cette détresse spirituelle profonde au point qu’elle atteint jusqu’à la conscience de Dieu, débouchant sur un temps sans Dieu, a-thée, littéralement.
« Quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à vos portes » (v. 29).
« En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (v. 30). Certes, et bien sûr, il est question ici de la destruction de Jérusalem en 70 et de la profanation du Temple, advenue précisément au terme de la génération d’alors (40 ans après). Mais apparaît aussi une dimension intemporelle de l’annonce de la détresse, jusqu’à l’ébranlement des puissances des cieux, jusqu’à la perte de la perception de Dieu dont la destruction du Temple est le signe — signe annonciateur d’une détresse pire encore — : il y a bien une dimension intemporelle de l’annonce de la détresse atteignant jusqu’aux cieux… Et il y a aussi, du même coup, une dimension intemporelle de la promesse dont la détresse est, en négatif, le signe !
Cela considéré, ce n'est pas une invitation au fatalisme qui nous est adressée. La tentation est pourtant forte, si l'on se dit que les catastrophes sont inéluctables, que notre monde prendra bien fin, de se dire qu'il n'y a donc rien à faire, en décidant, comme cela s'est vu des dizaines de fois dans l'histoire, que c'est pour nos jours qu'il faut être fataliste. Aujourd'hui entre terrorisme (au lendemain du 13 nov.) et catastrophes diverses. Avec le réchauffement de la planète. On peut y voir un accomplissement de prophéties avertissant que notre monde est fragile, menacé, on peut se rappeler que, selon les termes de la seconde épître de Pierre (2 P 3, 12), « les éléments embrasés fondront » ! Cela dit, nous sommes aussi responsables du jardin qui est confié à nos soins depuis les origines, au récit de la Genèse (Gn 2, 15) ; l'on n'est donc pas appelé à baisser les bras sous prétexte d'inéluctable ! Le même livre de l’Apocalypse qui avertit sur l'immensité de la menace, annonce aussi la colère divine contre « ceux qui détruisent la terre » (Ap 11, 18). Façon d'avertir aussi que l'action contre la menace, dans la responsabilité écologique, n'est, de nos jours, pas facultative ! Responsabilité collective dans la destruction de ce qui nous a été confié, responsabilité collective dans l'appel au soin, des chrétiens comme des autres, ce pourquoi il me semble n'y avoir rien de spécifique aux croyants dans la question écologique. Nous sommes toutes et tous, quelle que soit notre foi ou non-foi, dans le même Titanic !
À l'inverse de la tentation fataliste, une autre tentation nous guette. Celle de la fuite en avant qui est de s'imaginer être déjà dans le Royaume d'En-haut, au nom de la naissance d'En-haut de Jean 3. Façon d'orgueil spirituel qui fait regarder de haut celles et ceux dont on supposerait par là qu'ils n'y participent pas et qui ne seraient dès lors que des êtres d'en-bas, voués aux choses bassement matérielles auxquelles se croient arrachés ceux qui s'imaginent être pleinement spirituels. C'est oublier que la césure entre le vieux monde et le monde à venir passe au cœur de chacune et chacun de nous.
Entre ces deux tentations inverses, la vocation chrétienne est de témoigner, humblement, de la signification spirituelle des ténèbres qui s'étendent, en ce sens que des textes comme celui que nous avons lu enseignent à notre foi la façon dont le Christ a porté ces ténèbres qui concernent toutes et tous, promettant le don de sa délivrance offert à notre foi pour toutes et tous.
Que lit-on en effet dans la suite de cet Évangile de Marc ? Que la résolution de toutes les détresses, cette résolution dont le dévoilement vient au terme des détresses les plus épaisses, va être donnée dans les jours qui suivent la prophétie de Jésus, au sein même de la génération à laquelle il s’adresse —, la croix : voilà le signe de l’approche de l’été, de la venue du Royaume.
Le cœur des ténèbres qui s’est épaissi jusqu’en la perte du sens de Dieu, — Jésus, en qui va apparaître le Fils de l'Homme annoncé, va traverser ce cœur des ténèbres du jeudi au vendredi saint, dans la semaine qui suit cette prophétie.
Les ténèbres, et les ténèbres spirituelles, atteignent alors une intensité telle qu’elle n’a jamais été conçue et qu’il n’en peut se concevoir de plus intense pour un individu humain : celui qui est le Fils de Dieu — selon les mots par lesquels le confesse alors un païen, centurion romain — traverse les plus épaisses des ténèbres spirituelles.
Je lis dans ce même évangile de Marc, quelques pages plus loin, ch 15, v. 33-38 :
C’est là qu’est le signe promis : une détresse incomparable, celle du Fils de Dieu rejoignant, faisant siennes, toutes les détresses du temps, toutes nos détresses, jusqu’au cœur des ténèbres spirituelles, jusqu’à la perte du sens de Dieu. Il a ainsi rejoint l’humanité sans Dieu, a-thée, fait semblable aux humains athées au moment même de sa mort : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Et c’est ainsi qu’il est devenu le salut de tous les hommes et femmes, Sauveur du monde jusqu’en ses profondeurs les plus sombres. Et c’est ainsi que la croix est devenue le signe du Fils de l’Homme venant « dans la plénitude de la puissance et dans la gloire » (v. 26).
Cela parce qu’il a partagé le cœur de plus intense de nos ténèbres : telle est la bonne nouvelle que nous ne pouvions même pas concevoir. Quand nos détresses spirituelles nous ont réduits aux ténèbres et à la plus totale impuissance, quand on ne sait plus même comment croire, alors la délivrance est proche : c’est dans ces ténèbres mêmes qu’il nous a rejoints sur la croix jusqu’au gouffre de la mort : sachez donc que « le Fils de l’homme est proche », tout proche…
Marc 13, 24-32
24 « Mais en ces jours-là, après cette détresse, le soleil s’obscurcira, la lune ne brillera plus,
25 les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.
26 Alors on verra le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire.
27 Alors il enverra les anges et, des quatre vents, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel, il rassemblera ses élus.
28 « Comprenez cette comparaison empruntée au figuier : dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l’été est proche.
29 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à vos portes.
30 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive.
31 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
32 Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père. »
*
Avant le signe de la délivrance, le signe du Fils de l’Homme, il est question d’une détresse incomparable. Une détresse qui débouche sur des ténèbres particulièrement intenses : « le soleil s’obscurcira, la lune ne brillera plus, les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées » (v. 24-25).
Voilà qui donne une mesure de la détresse, de l’épaisseur des ténèbres, qui vont, au sens spirituel, jusqu’à la perte du sens de Dieu… Que symbolise d’autre, avec l’obscurcissement du soleil et de la lune, l’ébranlement des puissances des cieux et l'image de la chute des étoiles (sachant qu'une seule étoile « tombant du ciel » suffirait à exploser tout le système solaire !) ?
Symbole très fort que ces ténèbres, où il n’est pas simplement question d’un temps nuageux et de prévisions d’une météo sombre à rendre les astres invisibles ! Quelque chose de plus grave est en question, un véritable enténèbrement spirituel…
Où derrière l’annonce que fait Jésus de la destruction de Jérusalem et de la profanation du Temple, souillé par l’abomination de la désolation (cf. plus haut au v. 14) que portent les symboles païens de la domination romaine — se profile la vision d’un monde qui se perçoit comme abandonné de Dieu, un monde sans Dieu.
… Comme en écho à la parole des anciens prophètes : « jour de ténèbres et non de lumière » que le Jour du Seigneur (Amos 5, 18-20 ; Joël 2, 2). Si la lumière vient, c’est bien comme dévoilement inattendu depuis le cœur des ténèbres : « les puissances des cieux seront ébranlées… Alors on verra le Fils de l’homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire. » (Mc 13, 25-26)
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C’est là précisément qu’est donné le signe de la venue de la délivrance, comme les pousses du figuier annoncent l’été (v. 28). Les signes comparés aux premières pousses, ce sont les ténèbres et l’épaisseur de la détresse — cette détresse spirituelle profonde au point qu’elle atteint jusqu’à la conscience de Dieu, débouchant sur un temps sans Dieu, a-thée, littéralement.
« Quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à vos portes » (v. 29).
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« En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive » (v. 30). Certes, et bien sûr, il est question ici de la destruction de Jérusalem en 70 et de la profanation du Temple, advenue précisément au terme de la génération d’alors (40 ans après). Mais apparaît aussi une dimension intemporelle de l’annonce de la détresse, jusqu’à l’ébranlement des puissances des cieux, jusqu’à la perte de la perception de Dieu dont la destruction du Temple est le signe — signe annonciateur d’une détresse pire encore — : il y a bien une dimension intemporelle de l’annonce de la détresse atteignant jusqu’aux cieux… Et il y a aussi, du même coup, une dimension intemporelle de la promesse dont la détresse est, en négatif, le signe !
Cela considéré, ce n'est pas une invitation au fatalisme qui nous est adressée. La tentation est pourtant forte, si l'on se dit que les catastrophes sont inéluctables, que notre monde prendra bien fin, de se dire qu'il n'y a donc rien à faire, en décidant, comme cela s'est vu des dizaines de fois dans l'histoire, que c'est pour nos jours qu'il faut être fataliste. Aujourd'hui entre terrorisme (au lendemain du 13 nov.) et catastrophes diverses. Avec le réchauffement de la planète. On peut y voir un accomplissement de prophéties avertissant que notre monde est fragile, menacé, on peut se rappeler que, selon les termes de la seconde épître de Pierre (2 P 3, 12), « les éléments embrasés fondront » ! Cela dit, nous sommes aussi responsables du jardin qui est confié à nos soins depuis les origines, au récit de la Genèse (Gn 2, 15) ; l'on n'est donc pas appelé à baisser les bras sous prétexte d'inéluctable ! Le même livre de l’Apocalypse qui avertit sur l'immensité de la menace, annonce aussi la colère divine contre « ceux qui détruisent la terre » (Ap 11, 18). Façon d'avertir aussi que l'action contre la menace, dans la responsabilité écologique, n'est, de nos jours, pas facultative ! Responsabilité collective dans la destruction de ce qui nous a été confié, responsabilité collective dans l'appel au soin, des chrétiens comme des autres, ce pourquoi il me semble n'y avoir rien de spécifique aux croyants dans la question écologique. Nous sommes toutes et tous, quelle que soit notre foi ou non-foi, dans le même Titanic !
À l'inverse de la tentation fataliste, une autre tentation nous guette. Celle de la fuite en avant qui est de s'imaginer être déjà dans le Royaume d'En-haut, au nom de la naissance d'En-haut de Jean 3. Façon d'orgueil spirituel qui fait regarder de haut celles et ceux dont on supposerait par là qu'ils n'y participent pas et qui ne seraient dès lors que des êtres d'en-bas, voués aux choses bassement matérielles auxquelles se croient arrachés ceux qui s'imaginent être pleinement spirituels. C'est oublier que la césure entre le vieux monde et le monde à venir passe au cœur de chacune et chacun de nous.
Entre ces deux tentations inverses, la vocation chrétienne est de témoigner, humblement, de la signification spirituelle des ténèbres qui s'étendent, en ce sens que des textes comme celui que nous avons lu enseignent à notre foi la façon dont le Christ a porté ces ténèbres qui concernent toutes et tous, promettant le don de sa délivrance offert à notre foi pour toutes et tous.
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Que lit-on en effet dans la suite de cet Évangile de Marc ? Que la résolution de toutes les détresses, cette résolution dont le dévoilement vient au terme des détresses les plus épaisses, va être donnée dans les jours qui suivent la prophétie de Jésus, au sein même de la génération à laquelle il s’adresse —, la croix : voilà le signe de l’approche de l’été, de la venue du Royaume.
Le cœur des ténèbres qui s’est épaissi jusqu’en la perte du sens de Dieu, — Jésus, en qui va apparaître le Fils de l'Homme annoncé, va traverser ce cœur des ténèbres du jeudi au vendredi saint, dans la semaine qui suit cette prophétie.
Les ténèbres, et les ténèbres spirituelles, atteignent alors une intensité telle qu’elle n’a jamais été conçue et qu’il n’en peut se concevoir de plus intense pour un individu humain : celui qui est le Fils de Dieu — selon les mots par lesquels le confesse alors un païen, centurion romain — traverse les plus épaisses des ténèbres spirituelles.
Je lis dans ce même évangile de Marc, quelques pages plus loin, ch 15, v. 33-38 :
33 A la sixième heure, il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure.
34 A la neuvième heure, Jésus cria : Eloï, Eloï, lema sabachthani ? ce qui se traduit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
35 Quelques-uns de ceux qui étaient là l’entendirent ; ils disaient : Tiens, il appelle Élie.
36 Quelqu’un courut remplir de vinaigre une éponge et la fixa à un roseau pour lui donner à boire, en disant : Laissez, voyons si Élie va venir le descendre de là.
37 Mais Jésus laissa échapper un grand cri et expira.
38 Le voile du sanctuaire se déchira en deux, d’en haut jusqu’en bas.
39 Voyant qu’il avait expiré de la sorte, le centurion qui était là, en face de lui, dit : Cet homme était vraiment Fils de Dieu.
C’est là qu’est le signe promis : une détresse incomparable, celle du Fils de Dieu rejoignant, faisant siennes, toutes les détresses du temps, toutes nos détresses, jusqu’au cœur des ténèbres spirituelles, jusqu’à la perte du sens de Dieu. Il a ainsi rejoint l’humanité sans Dieu, a-thée, fait semblable aux humains athées au moment même de sa mort : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Et c’est ainsi qu’il est devenu le salut de tous les hommes et femmes, Sauveur du monde jusqu’en ses profondeurs les plus sombres. Et c’est ainsi que la croix est devenue le signe du Fils de l’Homme venant « dans la plénitude de la puissance et dans la gloire » (v. 26).
Cela parce qu’il a partagé le cœur de plus intense de nos ténèbres : telle est la bonne nouvelle que nous ne pouvions même pas concevoir. Quand nos détresses spirituelles nous ont réduits aux ténèbres et à la plus totale impuissance, quand on ne sait plus même comment croire, alors la délivrance est proche : c’est dans ces ténèbres mêmes qu’il nous a rejoints sur la croix jusqu’au gouffre de la mort : sachez donc que « le Fils de l’homme est proche », tout proche…
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