Matthieu 5, 17-37
« N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir » — ce qui ne veut pas dire « mettre un terme à », mais, littéralement « observer pleinement ».
Ce propos de Jésus doit être reçu comme une clef d'interprétation de son comportement, de son rapport aux commandements — « qui violera l'un de ces plus petits commandements et qui enseignera aux gens à faire de même sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ». Il est une façon de lire les Évangiles qui revient à faire de Jésus lui-même un de ces plus petits dans le royaume. Un seul exemple, parlant de ce qui pourrait être considéré comme étant des plus petits commandements : lors de la controverse sur le rite du lavement de mains, en Marc 7, on tient trop souvent à ce que Jésus ait aboli la distinction entre nourritures pures et impures. Et on confond, jusque dans plusieurs traductions, Jésus et les latrines, lesquelles, dit-il, « purifient tout ». Les latrines, pas lui ! qui déclarerait tout pur, discréditant ainsi son autorité — là où il ne dit rien d'autre que ce qui est au fond un classique : les rites alimentaires et les rites de purification sont légitimes mais ils ne sont pas une fin en soi, ils sont signe de la nécessité de la pureté intérieure.
Je cite le maître du judaïsme Moïse Maïmonide (XIIe s.), qui ne dit pas autre chose : « La pureté des habits et du corps en se lavant et en enlevant la sueur et la saleté constitue aussi une des raisons de la loi, mais si c’est lié avec la pureté des actes, et avec un cœur libéré des principes inférieurs et des mauvaises habitudes. Il serait extrêmement mal pour quelqu’un de s’efforcer de laver son apparence extérieure en se lavant et en nettoyant ses vêtements tout en étant voluptueux et sans retenue dans les aliments et la luxure… Ils paraissent propres à l’extérieur mais leurs cœurs se soumettent à leurs désirs et à la jouissance corporelle, et ceci est contraire à l’Esprit de la Torah. Car l’objectif principal de la Torah est [d’enseigner à l’homme] de diminuer ses désirs, et de laver son apparence extérieure après qu’il a purifié son cœur. Ceux qui lavent leurs corps et nettoient leurs vêtements tandis qu’ils restent sales de leurs mauvaises actions et [de leurs mauvais] principes, sont décrits par Shlomo (Salomon) comme : "une génération pure à ses propres yeux et qui n’est pas lavée de son ordure une génération,… que ses yeux sont hautains, et ses paupières élevées !" (Proverbes 20, 12-13) » (Maïmonide, Guide des égarés, XXXIII).
Observer pleinement. L'exigence de Jésus est radicale. Les scribes et les pharisiens étaient d'une rigueur morale exemplaire. Et Jésus souligne pour ses disciples, pour nous, que c'est encore insuffisant. C'est à une visée de perfection qu'il ouvre (cf. v. 48), ce qui nous réduit tous à une profonde humilité : nous ne sommes évidemment pas plus à la hauteur que ces exemples de fidélité que sont les scribes et les pharisiens. Nous n'avons de recours, comme eux, que la grâce, ce qui ne rend pas l'exigence de Jésus facultative !
Car si Jésus s’annonce comme celui par qui vient le Règne de Dieu dans l’observance de la Loi jusqu’en son cœur, il ne saurait en abolir le principe, sans lequel il n’y a pas de Règne de Dieu. « Que ton Règne vienne », i. e. « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Ta volonté, à savoir l'observance de tes préceptes. Sans cette observance, pas de Règne de Dieu, ou « des cieux », selon la façon que l’on a alors, et que Jésus ne remet pas en question, d’employer des figures de style pour ne pas prononcer à tout bout de champ le Nom qui est au-dessus de tout nom — pour ne pas, selon les termes de la Torah, prononcer ce Nom en vain.
Laissez donc au-dessus de toute représentation le Nom qui est au dessus de tout nom, ne l’utilisant pas vainement, rappelle Jésus, même pas pour jurer — jurer ni par son Nom, ni même par le ciel, ce mot qu’on emploie pour désigner celui qui est au-dessus de tout nom — ni même par la terre, devenant comme son marchepied, ni encore par Jérusalem, ville de son Envoyé royal. Plutôt que jurer, c'est-à-dire d'instrumentaliser le nom de Dieu, soyez seulement d’être vrais et sincères, « oui » ou « non ».
En tout cela, c’est bien de la question de notre libération dans l’instauration du Royaume qu’il s’agit, et de la réception de la Loi comme Évangile. Y a-t-il libération plus entière que dans une prise au sérieux radicale de la Loi ? Jésus a parlé de la convoitise concernant l’adultère — pouvant aller, dit-il, jusqu’à briser ce que Dieu a uni. Et qu'on n'aille pas dire : "je n'ai jamais fait cela, j'ai toujours été monogame". Ah bon ? jamais regardé quiconque avec convoitise ? Or qu’est-ce que la convoitise sinon un esclavage perpétuel ? Et qu’en est-il du désir de meurtre, ou de vengeance, ou du besoin permanent de se justifier et de contourner la vérité d’une parole droite ? Ni abolition ni antithèse dans le « moi je vous dis ». Jésus nous ramène au cœur véritable de la libération. Écouter, et entendre la Parole de Dieu.
« Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai libéré de l'esclavage ». L’Évangile est toujours un ordre qui libère, un ordre qui ne libère que si on le met en pratique. Sa parole, celle de la Torah, ne libère que si on la prend au sérieux, si on y obéit, si on la prend radicalement au sérieux. Elle est un ordre qui met en marche… Si on ne se laisse pas envahir par la colère et la rumination du meurtre, si on se s’abandonne pas à la convoitise de ce qui ne nous est pas donné, au désir de vengeance, ou à de toujours fausses imageries sur Dieu.
Cette loi ne sera pas abolie, c’est toujours la même, même si certains aspects comme mœurs politiques ou rites et cérémonies, que Jésus, fils d'Israël, observait, peuvent varier d’un peuple à un autre ; ou d’un temps à un autre : ainsi après la destruction du Temple, les aspects du rite qui y sont liés deviennent inapplicables. Ils seront réorganisés de façons diverses. C’est l’origine de la séparation de deux rites, le rite talmudique et le rite chrétien. Mais la Loi, elle, en son cœur, n’est nullement abolie. Elle est la fin de l’esclavage, la norme de la liberté : la Loi est ainsi l’Évangile de notre libération.
Mais allons plus loin : là où il s’avère qu’accomplir la Loi ne l’abolit pas ! Contrairement à la tentation commune qui revient à considérer que Jésus ayant accompli, i. e. observé pleinement la Loi, jusqu’en son cœur, il n’y aurait plus depuis à l’observer ! — introduisant de la sorte subrepticement l’idée d’abolition de fait sous le terme d’accomplissement.
Certes, on l’a dit, certains aspects, comme les rites et cérémonies, varient selon les lieux, les époques et les circonstances. Ainsi, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit. A fortiori, laisse là ton offrande pour vivre ce qu'elle signifie en termes de réconciliation avec autrui. Cela vaut pour tout précepte en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des traditions. Par exemple, dans le christianisme ou les traditions qui en sont issues, les façons chrétiennes de comprendre et de célébrer la sainte Cène ou comprendre et d’administrer le baptême sont variables.
Variable aussi l’organisation de la vie de la cité, selon les temps et les lieux. Par exemple, les régimes politiques et les formes de gouvernements varient selon les époques et les pays. Autre exemple, les sanctions de justice : quelle sanction pour telle faute, mettons aujourd’hui les abus sexuels ? Sanctionnés dans l’Antiquité d’une façon qui n’est pas la nôtre, il n’est pas question pour autant d’en abolir interdiction et sanction.
Autant d'aspects, cérémonies, organisation de la justice et de la cité toujours à l’ordre du jour, mais variables dans leur application selon les lieux et les temps.
Mais l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection que Jésus rappelle avec force dans ce texte, n’est pas sujet aux variations culturelles. L’aspect moral peut être considéré comme se déployant en vertus. Accomplir la Loi, comme Jésus le fait, n’est donc pas l’abolir par la petite porte. Accomplir, c’est tout simplement observer, observer pleinement, jusqu’au cœur ; à la lettre, jusqu’en la plus petite lettre : la Loi demeure tant que dure le monde, étant en son cœur la bonne nouvelle, l'Évangile de notre libération — selon la première parole du Décalogue : « Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t’ai libéré de l’esclavage », de tout esclavage, jusqu’à l’esclavage du péché et de la mort ! Choisi donc la vie, nous enjoint le texte du Deutéronome proposé aussi aujourd’hui.
Deutéronome 30, 15-20
17 « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir.
18 Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé.
19 Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux ; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.
20 Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des [meilleurs, à savoir] scribes et pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux.
21 « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal.
22 Et moi, je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère : "Raqa", "Vaurien", sera passible du Sanhédrin ; celui qui dira : “Fou” sera passible de la géhenne de feu.
23 Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire, tant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le juge au gendarme, et que tu ne sois jeté en prison.
26 En vérité, je te le déclare : tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas payé jusqu’au dernier centime.
27 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère.
28 Et moi, je vous dis : quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son cœur, commis l’adultère avec elle.
29 « Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne.
30 Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car il est préférable pour toi que périsse un seul de tes membres et que ton corps tout entier ne s’en aille pas dans la géhenne.
31 « D’autre part il a été dit : Si quelqu’un répudie sa femme, qu’il lui remette un certificat de répudiation [à savoir de renvoi – qui n’est pas le divorce moderne].
32 Et moi, je vous dis : quiconque renvoie sa femme – sauf en cas d’union illégale [à savoir si elle est déjà adultère] – la pousse à l’adultère ; et [donc] si quelqu’un épouse une femme ainsi renvoyée, il est [de facto, lui aussi] adultère.
33 « Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Et moi, je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le ciel car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre car c’est l’escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c’est la Ville du grand Roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
37 Quand vous parlez, dites “Oui” ou “Non” : tout le reste vient du Malin.
*
« N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir » — ce qui ne veut pas dire « mettre un terme à », mais, littéralement « observer pleinement ».
Ce propos de Jésus doit être reçu comme une clef d'interprétation de son comportement, de son rapport aux commandements — « qui violera l'un de ces plus petits commandements et qui enseignera aux gens à faire de même sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ». Il est une façon de lire les Évangiles qui revient à faire de Jésus lui-même un de ces plus petits dans le royaume. Un seul exemple, parlant de ce qui pourrait être considéré comme étant des plus petits commandements : lors de la controverse sur le rite du lavement de mains, en Marc 7, on tient trop souvent à ce que Jésus ait aboli la distinction entre nourritures pures et impures. Et on confond, jusque dans plusieurs traductions, Jésus et les latrines, lesquelles, dit-il, « purifient tout ». Les latrines, pas lui ! qui déclarerait tout pur, discréditant ainsi son autorité — là où il ne dit rien d'autre que ce qui est au fond un classique : les rites alimentaires et les rites de purification sont légitimes mais ils ne sont pas une fin en soi, ils sont signe de la nécessité de la pureté intérieure.
Je cite le maître du judaïsme Moïse Maïmonide (XIIe s.), qui ne dit pas autre chose : « La pureté des habits et du corps en se lavant et en enlevant la sueur et la saleté constitue aussi une des raisons de la loi, mais si c’est lié avec la pureté des actes, et avec un cœur libéré des principes inférieurs et des mauvaises habitudes. Il serait extrêmement mal pour quelqu’un de s’efforcer de laver son apparence extérieure en se lavant et en nettoyant ses vêtements tout en étant voluptueux et sans retenue dans les aliments et la luxure… Ils paraissent propres à l’extérieur mais leurs cœurs se soumettent à leurs désirs et à la jouissance corporelle, et ceci est contraire à l’Esprit de la Torah. Car l’objectif principal de la Torah est [d’enseigner à l’homme] de diminuer ses désirs, et de laver son apparence extérieure après qu’il a purifié son cœur. Ceux qui lavent leurs corps et nettoient leurs vêtements tandis qu’ils restent sales de leurs mauvaises actions et [de leurs mauvais] principes, sont décrits par Shlomo (Salomon) comme : "une génération pure à ses propres yeux et qui n’est pas lavée de son ordure une génération,… que ses yeux sont hautains, et ses paupières élevées !" (Proverbes 20, 12-13) » (Maïmonide, Guide des égarés, XXXIII).
Observer pleinement. L'exigence de Jésus est radicale. Les scribes et les pharisiens étaient d'une rigueur morale exemplaire. Et Jésus souligne pour ses disciples, pour nous, que c'est encore insuffisant. C'est à une visée de perfection qu'il ouvre (cf. v. 48), ce qui nous réduit tous à une profonde humilité : nous ne sommes évidemment pas plus à la hauteur que ces exemples de fidélité que sont les scribes et les pharisiens. Nous n'avons de recours, comme eux, que la grâce, ce qui ne rend pas l'exigence de Jésus facultative !
Car si Jésus s’annonce comme celui par qui vient le Règne de Dieu dans l’observance de la Loi jusqu’en son cœur, il ne saurait en abolir le principe, sans lequel il n’y a pas de Règne de Dieu. « Que ton Règne vienne », i. e. « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Ta volonté, à savoir l'observance de tes préceptes. Sans cette observance, pas de Règne de Dieu, ou « des cieux », selon la façon que l’on a alors, et que Jésus ne remet pas en question, d’employer des figures de style pour ne pas prononcer à tout bout de champ le Nom qui est au-dessus de tout nom — pour ne pas, selon les termes de la Torah, prononcer ce Nom en vain.
Laissez donc au-dessus de toute représentation le Nom qui est au dessus de tout nom, ne l’utilisant pas vainement, rappelle Jésus, même pas pour jurer — jurer ni par son Nom, ni même par le ciel, ce mot qu’on emploie pour désigner celui qui est au-dessus de tout nom — ni même par la terre, devenant comme son marchepied, ni encore par Jérusalem, ville de son Envoyé royal. Plutôt que jurer, c'est-à-dire d'instrumentaliser le nom de Dieu, soyez seulement d’être vrais et sincères, « oui » ou « non ».
En tout cela, c’est bien de la question de notre libération dans l’instauration du Royaume qu’il s’agit, et de la réception de la Loi comme Évangile. Y a-t-il libération plus entière que dans une prise au sérieux radicale de la Loi ? Jésus a parlé de la convoitise concernant l’adultère — pouvant aller, dit-il, jusqu’à briser ce que Dieu a uni. Et qu'on n'aille pas dire : "je n'ai jamais fait cela, j'ai toujours été monogame". Ah bon ? jamais regardé quiconque avec convoitise ? Or qu’est-ce que la convoitise sinon un esclavage perpétuel ? Et qu’en est-il du désir de meurtre, ou de vengeance, ou du besoin permanent de se justifier et de contourner la vérité d’une parole droite ? Ni abolition ni antithèse dans le « moi je vous dis ». Jésus nous ramène au cœur véritable de la libération. Écouter, et entendre la Parole de Dieu.
« Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai libéré de l'esclavage ». L’Évangile est toujours un ordre qui libère, un ordre qui ne libère que si on le met en pratique. Sa parole, celle de la Torah, ne libère que si on la prend au sérieux, si on y obéit, si on la prend radicalement au sérieux. Elle est un ordre qui met en marche… Si on ne se laisse pas envahir par la colère et la rumination du meurtre, si on se s’abandonne pas à la convoitise de ce qui ne nous est pas donné, au désir de vengeance, ou à de toujours fausses imageries sur Dieu.
Cette loi ne sera pas abolie, c’est toujours la même, même si certains aspects comme mœurs politiques ou rites et cérémonies, que Jésus, fils d'Israël, observait, peuvent varier d’un peuple à un autre ; ou d’un temps à un autre : ainsi après la destruction du Temple, les aspects du rite qui y sont liés deviennent inapplicables. Ils seront réorganisés de façons diverses. C’est l’origine de la séparation de deux rites, le rite talmudique et le rite chrétien. Mais la Loi, elle, en son cœur, n’est nullement abolie. Elle est la fin de l’esclavage, la norme de la liberté : la Loi est ainsi l’Évangile de notre libération.
Mais allons plus loin : là où il s’avère qu’accomplir la Loi ne l’abolit pas ! Contrairement à la tentation commune qui revient à considérer que Jésus ayant accompli, i. e. observé pleinement la Loi, jusqu’en son cœur, il n’y aurait plus depuis à l’observer ! — introduisant de la sorte subrepticement l’idée d’abolition de fait sous le terme d’accomplissement.
Certes, on l’a dit, certains aspects, comme les rites et cérémonies, varient selon les lieux, les époques et les circonstances. Ainsi, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit. A fortiori, laisse là ton offrande pour vivre ce qu'elle signifie en termes de réconciliation avec autrui. Cela vaut pour tout précepte en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des traditions. Par exemple, dans le christianisme ou les traditions qui en sont issues, les façons chrétiennes de comprendre et de célébrer la sainte Cène ou comprendre et d’administrer le baptême sont variables.
Variable aussi l’organisation de la vie de la cité, selon les temps et les lieux. Par exemple, les régimes politiques et les formes de gouvernements varient selon les époques et les pays. Autre exemple, les sanctions de justice : quelle sanction pour telle faute, mettons aujourd’hui les abus sexuels ? Sanctionnés dans l’Antiquité d’une façon qui n’est pas la nôtre, il n’est pas question pour autant d’en abolir interdiction et sanction.
Autant d'aspects, cérémonies, organisation de la justice et de la cité toujours à l’ordre du jour, mais variables dans leur application selon les lieux et les temps.
Mais l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection que Jésus rappelle avec force dans ce texte, n’est pas sujet aux variations culturelles. L’aspect moral peut être considéré comme se déployant en vertus. Accomplir la Loi, comme Jésus le fait, n’est donc pas l’abolir par la petite porte. Accomplir, c’est tout simplement observer, observer pleinement, jusqu’au cœur ; à la lettre, jusqu’en la plus petite lettre : la Loi demeure tant que dure le monde, étant en son cœur la bonne nouvelle, l'Évangile de notre libération — selon la première parole du Décalogue : « Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t’ai libéré de l’esclavage », de tout esclavage, jusqu’à l’esclavage du péché et de la mort ! Choisi donc la vie, nous enjoint le texte du Deutéronome proposé aussi aujourd’hui.
Deutéronome 30, 15-20
15 Vois, j'ai placé aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur.
16 Ce que je t'ordonne aujourd'hui, c'est d'aimer le Seigneur, ton Dieu, de suivre ses voies et d'observer ses commandements, ses prescriptions et ses règles, afin que tu vives et que tu fructifies, et que le Seigneur, ton Dieu, te bénisse […].
17 Mais si ton cœur se détourne, si tu n'écoutes pas et si tu te laisses entraîner à te prosterner devant des idoles et à les servir,
18 je vous le dis aujourd'hui, vous disparaîtrez […].
19 J'en prends aujourd'hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j'ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et les tiens,
20 en aimant le Seigneur, ton Dieu, en l'écoutant et en t'attachant à lui : c'est lui qui est ta vie, la longueur de tes jours […].
(Textes du jour : Deutéronome 30, 15-20 ; Psaume 119, 1-32 ; 1 Co 2, 6-10 ; Matthieu 5, 17-37)
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