Deutéronome 30, 10-14 ; Psaume 69, 14-37 ; Colossiens 1, 15-20 ; Luc 10, 25-37
Luc 10, 25-37
Nous sommes tous en dette les uns envers les autres. C’est le sens de la formule bantoue « umuntu ngumuntu ngabantu », qui signifie : « je suis ce que je suis parce que tu es ce que tu es ». Desmond Tutu l'a mise au cœur de sa théologie : « Quelqu'un d'ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu'il ou elle a d'appartenir à quelque chose de plus grand — et qu'il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés. »
Un Samaritain. Ce texte de l’Évangile de Luc vient au terme de plusieurs chapitres ayant en arrière plan le cycle d’Élie, prophète de l’ancien royaume du Nord d’Israël — correspondant à la future Samarie —, Élie qui n’en est pas moins témoin du Dieu dont le temple est au Sud, en Judée, à Jérusalem. Comme le prophète Ésaïe, les prophètes Élie et Élisée espèrent en la promesse de la réconciliation des deux royaumes autour du Messie de Judée. Les Évangiles s'accordent pour voir ce Messie en Jésus. En regard d’Ésaïe pour Matthieu (ch. 1-3), en regard d’Élie et Élisée pour Luc, depuis la veuve de Naïn voyant son fils ressuscité (Lc 7) comme pour la veuve de Sarepta accueillant Élie (1 Rois 17), Élie qui apparaît lors de la transfiguration, Élie sous-jacent quand Jésus dit la radicalité de la vocation (Lc 10, 1 sq) reprenant celle d’Élisée à la suite d’Élie (Élisée qui annoncera la multiplication des pains – 2 Rois 4 / Lc 9). En tout cela, une conviction : la réconciliation est proche autour du Dieu dont la présence est signifiée au temple de Jérusalem — voir aussi en Jean le dialogue avec la Samaritaine —, ce temple qui n'est pas celui du Samaritain de notre parabole. Mais l’heure vient où c’est en Esprit et en vérité (cf. Jn 4) que l’on adore le Dieu dont la présence est symbolisée au temple de Jérusalem, cette présence donnée dans le « fais de même » final de Jésus, qui fait de chacun de nous le débiteur d’autrui, fût-il Samaritain.
Ce mot final de Jésus, « fais de même » n’est-il pas troublant, à bien y regarder ? Que vient de faire le Samaritain ? À travers son acte admirable, il vient de se faire un débiteur — qui ne pourra pas rembourser. Le Samaritain n'est même plus là pour le blessé qui lui doit la vie puisse au moins lui dire « merci » !
Être endetté est un problème. Ne compensons-nous pas notre dette pour un repas en apportant… des fleurs, un gâteau, ou autre ?… Dans notre histoire, on n'en est pas à une simple invitation à dîner… Le blessé doit sa vie à son bienfaiteur.
Quand Jésus conclut en disant de faire comme le Samaritain, cela revient au fond à dire : fais-toi des débiteurs — qui, en plus, ne pourront rien rembourser ! C'est ce qui nous échappe souvent dans ce texte, nous imaginant naïvement que nous pourrions vivre dans la gratuité, sans dette, sans même un merci…
Mais voyons d'abord le début du dialogue entre Jésus et le connaisseur de la Bible qui le questionne. Comme il est coutume dans les évangiles, il veut mettre Jésus à l'épreuve, c'est-à-dire savoir s'il connaît bien la Bible. « Maître », lui demande-t-il donc, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Question à laquelle Jésus répond par une autre question — comment lis-tu ce que dit la Bible ? L’homme, bon connaisseur des Écritures, donne en réponse le résumé de ce qu'elles commandent, aimer Dieu (Dt 6, 5) et son prochain (Lv 19, 18).
C'est la réponse de Jésus qui, du coup, interroge : « fais cela et tu auras la vie ». Réponse évidemment correcte pour l’homme, mais… Qui prétendrait être à la hauteur ? Aimer les siens comme soi-même, oui à la limite, mais quiconque ? C'est ce qui mène l'homme à poser sa seconde question, pour se justifier, dit le texte, ce qui sous-entend bien : « qui, à commencer par moi, prétendra être à la hauteur ? »
Seconde question, donc : allons plus loin… « et qui est mon prochain ? » — car « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment »… (Luc 6, 32). Alors Jésus raconte l’histoire du Samaritain, qui illustre sa lecture du texte d'où est extrait « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Aux versets 17 et 18 de ce passage de Lévitique 19, on trouve trois termes différents, dans cet ordre : le frère au sens familial, né de mêmes parents ; puis le compatriote ; et enfin autrui, sachant que la fin du chapitre précise : « tu aimeras l’étranger comme toi-même » (Lv 19, 34). En cela, Jésus et le bibliste sont certainement d‘accord.
Reprenons l’histoire que propose Jésus : cinq personnages : le blessé, deux serviteurs du temple de Jérusalem, un Samaritain (c'est-à-dire rattaché à un autre temple), et l'hôtelier. Tous sont juifs (comme Jésus et son interlocuteur) ; un seul ne l'est pas, le Samaritain, en voyage. C'est, comme dans le Lévitique, un étranger.
Passant près du blessé après les deux serviteurs du temple de Jérusalem, arrive le Samaritain. À côté du blessé, un pauvre total, dépouillé, roué de coups, laissé « à moitié mort » par les bandits, voilà un homme avec une monture et assez d'argent pour que le blessé puisse arriver à l'auberge et y rester autant qu'il le faudra. Cela pour traduire une vraie richesse intérieure, cette richesse d’âme qui le conduit à son attitude envers un blessé qu'il ne connaît pas, dont il prend soin comme si c'était un de ses proches — se montrant ainsi son prochain au sens du livre du Lévitique : souvenez-vous : frère, compatriote, autrui, étranger.
Pauvreté totale d'un blessé d'un côté, richesse indubitable du bienfaiteur de l'autre. Voilà qui va faire du blessé le tenant d'une dette — il doit la vie au Samaritain — qu'il ne pourra pas rembourser : d'autant que son bienfaiteur est parti sans laisser d'adresse ! Et Jésus de conclure par : « fais de même » !
Ayant répondu par son histoire à la seconde question : « qui est mon prochain ? » — c'est celui dont tu fais ton prochain, que tu considères ainsi, même s'il n'est pas des tiens, même si tu ne le connais pas —, Jésus est revenu à la première question, sur la vie éternelle, en reprenant à la fin la même réponse, en l’ayant précisée par sa petite histoire : « fais cela ». La question « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » est la même que celle de l'homme riche un peu plus loin (Luc 18, 18-27), et là aussi la réponse que donne Jésus interroge de la même façon…
Sa réponse ne semble-t-elle pas rendre impossible l’accès à la vie éternelle pour les pauvres humains que nous sommes ?, incapables comme le chameau de passer par le trou de l'aiguille dans le cas de l'homme riche, se demandant : est-ce que j’ai fait cela dans l'autre cas ?… Ai-je tant donné, à faire des endettés qui ne peuvent rien rendre… avec une dette qui ne pourra pas être remboursée. Et Jésus qui conclut : « Toi aussi fais de même » ! L'auditeur attentif a de quoi être troublé ! Et c’est vraisemblablement ce que cherche Jésus…
Une réflexion sérieuse sur la dette nous conduit à sortir de la naïveté qui verrait Jésus inviter à on ne sait quelle gratuité qui serait censée nous libérer de la logique de la dette — où l'on bute à nouveau sur l'impossibilité de passer par le trou d'une aiguille : on sait que l'aide aux pays endettés, dépouillés par les bandits, aide comme don supposé gratuit, ne fait que renforcer leur dépendance et les priver de leur dignité ! Y a-t-il cela au bout de la parabole du bon Samaritain ?
À moins d’admettre que cette dette, celle d'un débiteur ne pouvant pas rembourser, soit la nôtre. À moins donc qu'on entende l'enseignement de Jésus d'une autre façon… Et si c'était moi le blessé ? Avec cette question : quelle est ma dette ? Alors une voie s'ouvre, qui fait de chacune et chacun de nous un blessé, et par là un autre possible Samaritain attentionné parce qu'un blessé sachant l’être, chargé d'une dette immense, non remboursable, un blessé soigné par un Samaritain absenté… Faisant, dans une chaîne, de chacune et chacun de nous des débiteurs inaptes à rembourser et dès lors appelés à faire à leur tour autant de débiteurs propres à faire à leur tour de même, puisque sachant que leur propre dette n'est pas remboursable (voir à l’inverse la parabole du débiteur impitoyable — Matthieu 18, 23-35).
Alors s'ouvre le cœur de la bonne nouvelle au cœur de l’enseignement de la Bible : aime sans autre raison que de savoir que tu as été aimé, d'une façon que tu ne peux rembourser (dette infinie au Dieu sauveur : 1er commandement, qui se traduit, comme gratitude, en imitation de Dieu : 2e commandement, semblable au 1er). Comment entrer dans la vie ? En entrant dans le double commandement comme porte de la vie d'éternité, selon l'enseignement de Jésus au Notre Père peu après : « remets-nous nos dettes/péchés comme nous remettons à nos débiteurs » (Lc 11, 1-4).
Nous voilà comme des blessés au bord de la route, quand tel le Samaritain de la parabole, Jésus est venu à notre secours. Nous avons à son égard une dette que nous ne pourrons pas lui rendre — que nous ne pourrons que traduire en reconnaissance, en l’imitant à notre façon, sans s’imaginer orgueilleusement que nous sommes capables comme Dieu de don gratuit : nous sommes bien des débiteurs qui n’ayant pas les moyens de rembourser, pouvons déjà nous essayer à faire de même à notre tour et à notre mesure. « Umuntu ngumuntu ngabantu ». Étant tous en dette les uns aux autres, faire comme le Samaritain est juste une modeste façon de dire merci.
Luc 10, 25-37
25 Voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : "Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ?"
26 Jésus lui dit : "Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ?"
27 Il lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même."
28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie."
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?"
30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
32 Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de compassion.
34 Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.
36 Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?"
37 Le légiste répondit : "C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Jésus lui dit : "Va et, toi aussi, fais de même."
*
Nous sommes tous en dette les uns envers les autres. C’est le sens de la formule bantoue « umuntu ngumuntu ngabantu », qui signifie : « je suis ce que je suis parce que tu es ce que tu es ». Desmond Tutu l'a mise au cœur de sa théologie : « Quelqu'un d'ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu'il ou elle a d'appartenir à quelque chose de plus grand — et qu'il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés. »
Un Samaritain. Ce texte de l’Évangile de Luc vient au terme de plusieurs chapitres ayant en arrière plan le cycle d’Élie, prophète de l’ancien royaume du Nord d’Israël — correspondant à la future Samarie —, Élie qui n’en est pas moins témoin du Dieu dont le temple est au Sud, en Judée, à Jérusalem. Comme le prophète Ésaïe, les prophètes Élie et Élisée espèrent en la promesse de la réconciliation des deux royaumes autour du Messie de Judée. Les Évangiles s'accordent pour voir ce Messie en Jésus. En regard d’Ésaïe pour Matthieu (ch. 1-3), en regard d’Élie et Élisée pour Luc, depuis la veuve de Naïn voyant son fils ressuscité (Lc 7) comme pour la veuve de Sarepta accueillant Élie (1 Rois 17), Élie qui apparaît lors de la transfiguration, Élie sous-jacent quand Jésus dit la radicalité de la vocation (Lc 10, 1 sq) reprenant celle d’Élisée à la suite d’Élie (Élisée qui annoncera la multiplication des pains – 2 Rois 4 / Lc 9). En tout cela, une conviction : la réconciliation est proche autour du Dieu dont la présence est signifiée au temple de Jérusalem — voir aussi en Jean le dialogue avec la Samaritaine —, ce temple qui n'est pas celui du Samaritain de notre parabole. Mais l’heure vient où c’est en Esprit et en vérité (cf. Jn 4) que l’on adore le Dieu dont la présence est symbolisée au temple de Jérusalem, cette présence donnée dans le « fais de même » final de Jésus, qui fait de chacun de nous le débiteur d’autrui, fût-il Samaritain.
Ce mot final de Jésus, « fais de même » n’est-il pas troublant, à bien y regarder ? Que vient de faire le Samaritain ? À travers son acte admirable, il vient de se faire un débiteur — qui ne pourra pas rembourser. Le Samaritain n'est même plus là pour le blessé qui lui doit la vie puisse au moins lui dire « merci » !
Être endetté est un problème. Ne compensons-nous pas notre dette pour un repas en apportant… des fleurs, un gâteau, ou autre ?… Dans notre histoire, on n'en est pas à une simple invitation à dîner… Le blessé doit sa vie à son bienfaiteur.
Quand Jésus conclut en disant de faire comme le Samaritain, cela revient au fond à dire : fais-toi des débiteurs — qui, en plus, ne pourront rien rembourser ! C'est ce qui nous échappe souvent dans ce texte, nous imaginant naïvement que nous pourrions vivre dans la gratuité, sans dette, sans même un merci…
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Mais voyons d'abord le début du dialogue entre Jésus et le connaisseur de la Bible qui le questionne. Comme il est coutume dans les évangiles, il veut mettre Jésus à l'épreuve, c'est-à-dire savoir s'il connaît bien la Bible. « Maître », lui demande-t-il donc, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Question à laquelle Jésus répond par une autre question — comment lis-tu ce que dit la Bible ? L’homme, bon connaisseur des Écritures, donne en réponse le résumé de ce qu'elles commandent, aimer Dieu (Dt 6, 5) et son prochain (Lv 19, 18).
C'est la réponse de Jésus qui, du coup, interroge : « fais cela et tu auras la vie ». Réponse évidemment correcte pour l’homme, mais… Qui prétendrait être à la hauteur ? Aimer les siens comme soi-même, oui à la limite, mais quiconque ? C'est ce qui mène l'homme à poser sa seconde question, pour se justifier, dit le texte, ce qui sous-entend bien : « qui, à commencer par moi, prétendra être à la hauteur ? »
Seconde question, donc : allons plus loin… « et qui est mon prochain ? » — car « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment »… (Luc 6, 32). Alors Jésus raconte l’histoire du Samaritain, qui illustre sa lecture du texte d'où est extrait « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Aux versets 17 et 18 de ce passage de Lévitique 19, on trouve trois termes différents, dans cet ordre : le frère au sens familial, né de mêmes parents ; puis le compatriote ; et enfin autrui, sachant que la fin du chapitre précise : « tu aimeras l’étranger comme toi-même » (Lv 19, 34). En cela, Jésus et le bibliste sont certainement d‘accord.
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Reprenons l’histoire que propose Jésus : cinq personnages : le blessé, deux serviteurs du temple de Jérusalem, un Samaritain (c'est-à-dire rattaché à un autre temple), et l'hôtelier. Tous sont juifs (comme Jésus et son interlocuteur) ; un seul ne l'est pas, le Samaritain, en voyage. C'est, comme dans le Lévitique, un étranger.
Passant près du blessé après les deux serviteurs du temple de Jérusalem, arrive le Samaritain. À côté du blessé, un pauvre total, dépouillé, roué de coups, laissé « à moitié mort » par les bandits, voilà un homme avec une monture et assez d'argent pour que le blessé puisse arriver à l'auberge et y rester autant qu'il le faudra. Cela pour traduire une vraie richesse intérieure, cette richesse d’âme qui le conduit à son attitude envers un blessé qu'il ne connaît pas, dont il prend soin comme si c'était un de ses proches — se montrant ainsi son prochain au sens du livre du Lévitique : souvenez-vous : frère, compatriote, autrui, étranger.
Pauvreté totale d'un blessé d'un côté, richesse indubitable du bienfaiteur de l'autre. Voilà qui va faire du blessé le tenant d'une dette — il doit la vie au Samaritain — qu'il ne pourra pas rembourser : d'autant que son bienfaiteur est parti sans laisser d'adresse ! Et Jésus de conclure par : « fais de même » !
Ayant répondu par son histoire à la seconde question : « qui est mon prochain ? » — c'est celui dont tu fais ton prochain, que tu considères ainsi, même s'il n'est pas des tiens, même si tu ne le connais pas —, Jésus est revenu à la première question, sur la vie éternelle, en reprenant à la fin la même réponse, en l’ayant précisée par sa petite histoire : « fais cela ». La question « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » est la même que celle de l'homme riche un peu plus loin (Luc 18, 18-27), et là aussi la réponse que donne Jésus interroge de la même façon…
Sa réponse ne semble-t-elle pas rendre impossible l’accès à la vie éternelle pour les pauvres humains que nous sommes ?, incapables comme le chameau de passer par le trou de l'aiguille dans le cas de l'homme riche, se demandant : est-ce que j’ai fait cela dans l'autre cas ?… Ai-je tant donné, à faire des endettés qui ne peuvent rien rendre… avec une dette qui ne pourra pas être remboursée. Et Jésus qui conclut : « Toi aussi fais de même » ! L'auditeur attentif a de quoi être troublé ! Et c’est vraisemblablement ce que cherche Jésus…
*
Une réflexion sérieuse sur la dette nous conduit à sortir de la naïveté qui verrait Jésus inviter à on ne sait quelle gratuité qui serait censée nous libérer de la logique de la dette — où l'on bute à nouveau sur l'impossibilité de passer par le trou d'une aiguille : on sait que l'aide aux pays endettés, dépouillés par les bandits, aide comme don supposé gratuit, ne fait que renforcer leur dépendance et les priver de leur dignité ! Y a-t-il cela au bout de la parabole du bon Samaritain ?
À moins d’admettre que cette dette, celle d'un débiteur ne pouvant pas rembourser, soit la nôtre. À moins donc qu'on entende l'enseignement de Jésus d'une autre façon… Et si c'était moi le blessé ? Avec cette question : quelle est ma dette ? Alors une voie s'ouvre, qui fait de chacune et chacun de nous un blessé, et par là un autre possible Samaritain attentionné parce qu'un blessé sachant l’être, chargé d'une dette immense, non remboursable, un blessé soigné par un Samaritain absenté… Faisant, dans une chaîne, de chacune et chacun de nous des débiteurs inaptes à rembourser et dès lors appelés à faire à leur tour autant de débiteurs propres à faire à leur tour de même, puisque sachant que leur propre dette n'est pas remboursable (voir à l’inverse la parabole du débiteur impitoyable — Matthieu 18, 23-35).
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Alors s'ouvre le cœur de la bonne nouvelle au cœur de l’enseignement de la Bible : aime sans autre raison que de savoir que tu as été aimé, d'une façon que tu ne peux rembourser (dette infinie au Dieu sauveur : 1er commandement, qui se traduit, comme gratitude, en imitation de Dieu : 2e commandement, semblable au 1er). Comment entrer dans la vie ? En entrant dans le double commandement comme porte de la vie d'éternité, selon l'enseignement de Jésus au Notre Père peu après : « remets-nous nos dettes/péchés comme nous remettons à nos débiteurs » (Lc 11, 1-4).
Nous voilà comme des blessés au bord de la route, quand tel le Samaritain de la parabole, Jésus est venu à notre secours. Nous avons à son égard une dette que nous ne pourrons pas lui rendre — que nous ne pourrons que traduire en reconnaissance, en l’imitant à notre façon, sans s’imaginer orgueilleusement que nous sommes capables comme Dieu de don gratuit : nous sommes bien des débiteurs qui n’ayant pas les moyens de rembourser, pouvons déjà nous essayer à faire de même à notre tour et à notre mesure. « Umuntu ngumuntu ngabantu ». Étant tous en dette les uns aux autres, faire comme le Samaritain est juste une modeste façon de dire merci.
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