Luc 10, 25-37
Résumons l’histoire que propose Jésus : cinq personnages : le blessé, deux responsables du temple de Jérusalem, un Samaritain (c'est-à-dire rattaché à un autre temple), et l'hôtelier. Tous sont juifs (comme Jésus et son interlocuteur) ; un seul ne l'est pas, le Samaritain, en voyage.
Un blessé au bord d’un chemin en pente raide descendante (900 m de dénivelé sur 27 km), dangereux, propice aux embuscades. Puis trois hommes passent. Après les deux responsables du temple de Jérusalem, arrive le Samaritain. À côté du blessé, un pauvre total, dépouillé, roué de coups, laissé « à moitié mort » par les bandits, voilà un homme avec une monture et assez d'argent pour que le blessé puisse arriver à l'auberge et y rester autant qu'il le faudra. Cela pour dire une vraie richesse intérieure, cette richesse d’âme qui le conduit à son attitude envers un blessé qu'il ne connaît pas, dont il prend soin comme si c'était un de ses proches.
Pauvreté totale d'un blessé d'un côté, richesse indubitable du bienfaiteur de l'autre. Voilà qui va faire du blessé le tenant d'une dette — il doit la vie au Samaritain — qu'il ne pourra pas rembourser : d'autant que son bienfaiteur est parti sans laisser d'adresse ! Et Jésus de conclure par : « fais de même » ! N’est-ce pas un peu troublant ? Que vient de faire le Samaritain ? À travers son acte admirable, il vient de faire un endetté — qui sera dans l'impossibilité de rembourser : le Samaritain n'est même plus là pour recevoir ne serait-ce qu'un « merci » d'un blessé qui lui doit la vie !
Être endetté est un problème. Ne compensons-nous pas notre dette pour un repas en apportant… des fleurs, un gâteau, ou autre ?… Dans notre histoire, on n'en est pas à une simple invitation à dîner… Le blessé doit sa vie à son bienfaiteur.
Quand Jésus conclut en disant de faire comme le Samaritain, cela revient au fond à dire : fais des endettés — qui, en plus, ne pourront rien rembourser ! C'est ce qui nous échappe souvent dans ce texte, nous imaginant naïvement que nous pourrions vivre dans la gratuité, sans dette, sans même un merci…
Mais voyons d'abord le début du dialogue entre Jésus et le connaisseur de la Bible qui le questionne. Comme il est coutume dans les évangiles, il veut mettre Jésus à l'épreuve, c'est-à-dire savoir s'il connaît bien la Bible. « Maître », lui demande-t-il donc, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Question à laquelle Jésus répond par une autre question — comment lis-tu ce que dit la Bible ? L’homme, bon connaisseur des Écritures, donne en réponse le résumé de ce qu'elles commandent, aimer Dieu (Dt 6, 5) et son prochain (Lv 19, 18).
C'est la réponse de Jésus qui, du coup, interroge : « fais cela et tu auras la vie ». Réponse évidemment correcte pour l’homme, mais… Qui prétendrait être à la hauteur ? Aimer les siens comme soi-même, oui à la limite, mais quiconque ? C'est ce qui le mène à poser sa seconde question, pour se justifier, dit le texte, ce qui sous-entend bien : « qui, à commencer par moi, prétendra être à la hauteur ? »
Seconde question, donc : « allons plus loin… et qui est mon prochain ? » — car « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment »… (Luc 6, 32) que faites vous d'extraordinaire ? selon ce que dit Jésus lui-même. Alors Jésus raconte l’histoire du Samaritain, qui illustre le texte d'où est extrait « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). En cela, Jésus et le bibliste ne peuvent qu'être d‘accord.
Mais, ayant répondu par son histoire à la seconde question : « qui est mon prochain ? » — c'est celui dont tu fais ton prochain, que tu considères ainsi, même s'il n'est pas des tiens, même si tu ne le connais pas —, Jésus est revenu à la première question, sur la vie éternelle, en reprenant à la fin la même réponse, en l’ayant précisée par sa petite histoire : « fais cela ».
Cela ne rend-il pas impossible l’accès à la vie éternelle pour les pauvres humains que nous sommes ? Est-ce que j’ai fait cela ?… Ai-je tant donné, à faire des endettés qui ne peuvent rien rendre… avec une dette qui ne pourra pas être remboursée ? Et Jésus qui conclut : « Toi aussi fais de même » ! L'auditeur attentif a de quoi être troublé ! Et c’est sans doute ce que cherche Jésus…
Telle est la réalité de la dette : on ne vit pas dans la gratuité, sans dette ni « merci ». Ainsi l'aide aux pays endettés, dépouillés par les bandits, que l’on croirait gratuite, ne fait que renforcer leur dépendance et les priver de leur dignité ! Y a-t-il cela au bout de la parabole du bon Samaritain ?
À moins d’admettre que cette dette qui ne pourra pas être remboursée soit la nôtre. À moins donc qu'on entende l'enseignement de Jésus d'une autre façon… Et si c'était moi le blessé ? Avec cette question : quelle est ma dette ? Alors une voie s'ouvre, qui fait de chacune et chacun de nous un blessé, et par là un autre possible Samaritain parce qu'un blessé qui sait l’être, chargé d'une dette immense, non remboursable, un blessé soigné par un Samaritain absenté… Faisant, dans une chaîne, de chacune et chacun de nous des endettés inaptes à rembourser et dès lors appelés à faire à leur tour autant d’endettés propres à faire à leur tour de même, puisque sachant que leur propre dette n'est pas remboursable.
Alors s'ouvre la bonne nouvelle au cœur de l’enseignement de la Bible : aime sans autre raison que de savoir que tu as été aimé, d'une façon que tu ne peux rembourser (dette infinie au Dieu sauveur : 1er commandement, qui se traduit, comme gratitude, en imitation de Dieu : 2e commandement, semblable au 1er). Comment entrer dans la vie ? En entrant dans le double commandement comme porte de la vie d'éternité, selon l'enseignement de Jésus au Notre Père peu après : « remets-nous nos dettes/péchés comme nous remettons à ceux qui nous doivent » (Luc 11, 1-4).
Nous voilà comme des blessés au bord de la route, quand tel le Samaritain de la parabole, Jésus est venu à notre secours. Nous avons à son égard une dette que nous ne pourrons pas lui rendre — que nous ne pourrons que traduire en reconnaissance, en l’imitant à notre façon, sans s’imaginer orgueilleusement que nous sommes capables comme Dieu de don gratuit : nous sommes bien des endettés qui n’ayant pas les moyens de rembourser, pouvons déjà nous essayer à faire de même à notre tour et à notre mesure. Faire de même devient juste une modeste façon de dire merci.
25 Voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : "Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ?"
26 Jésus lui dit : "Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ?"
27 Il lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même."
28 Jésus lui dit : "Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie."
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : "Et qui est mon prochain ?"
30 Jésus reprit : "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
32 Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance.
33 Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de compassion.
34 Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.
36 Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ?"
37 Le légiste répondit : "C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Jésus lui dit : "Va et, toi aussi, fais de même."
*
Résumons l’histoire que propose Jésus : cinq personnages : le blessé, deux responsables du temple de Jérusalem, un Samaritain (c'est-à-dire rattaché à un autre temple), et l'hôtelier. Tous sont juifs (comme Jésus et son interlocuteur) ; un seul ne l'est pas, le Samaritain, en voyage.
Un blessé au bord d’un chemin en pente raide descendante (900 m de dénivelé sur 27 km), dangereux, propice aux embuscades. Puis trois hommes passent. Après les deux responsables du temple de Jérusalem, arrive le Samaritain. À côté du blessé, un pauvre total, dépouillé, roué de coups, laissé « à moitié mort » par les bandits, voilà un homme avec une monture et assez d'argent pour que le blessé puisse arriver à l'auberge et y rester autant qu'il le faudra. Cela pour dire une vraie richesse intérieure, cette richesse d’âme qui le conduit à son attitude envers un blessé qu'il ne connaît pas, dont il prend soin comme si c'était un de ses proches.
Pauvreté totale d'un blessé d'un côté, richesse indubitable du bienfaiteur de l'autre. Voilà qui va faire du blessé le tenant d'une dette — il doit la vie au Samaritain — qu'il ne pourra pas rembourser : d'autant que son bienfaiteur est parti sans laisser d'adresse ! Et Jésus de conclure par : « fais de même » ! N’est-ce pas un peu troublant ? Que vient de faire le Samaritain ? À travers son acte admirable, il vient de faire un endetté — qui sera dans l'impossibilité de rembourser : le Samaritain n'est même plus là pour recevoir ne serait-ce qu'un « merci » d'un blessé qui lui doit la vie !
Être endetté est un problème. Ne compensons-nous pas notre dette pour un repas en apportant… des fleurs, un gâteau, ou autre ?… Dans notre histoire, on n'en est pas à une simple invitation à dîner… Le blessé doit sa vie à son bienfaiteur.
Quand Jésus conclut en disant de faire comme le Samaritain, cela revient au fond à dire : fais des endettés — qui, en plus, ne pourront rien rembourser ! C'est ce qui nous échappe souvent dans ce texte, nous imaginant naïvement que nous pourrions vivre dans la gratuité, sans dette, sans même un merci…
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Mais voyons d'abord le début du dialogue entre Jésus et le connaisseur de la Bible qui le questionne. Comme il est coutume dans les évangiles, il veut mettre Jésus à l'épreuve, c'est-à-dire savoir s'il connaît bien la Bible. « Maître », lui demande-t-il donc, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Question à laquelle Jésus répond par une autre question — comment lis-tu ce que dit la Bible ? L’homme, bon connaisseur des Écritures, donne en réponse le résumé de ce qu'elles commandent, aimer Dieu (Dt 6, 5) et son prochain (Lv 19, 18).
C'est la réponse de Jésus qui, du coup, interroge : « fais cela et tu auras la vie ». Réponse évidemment correcte pour l’homme, mais… Qui prétendrait être à la hauteur ? Aimer les siens comme soi-même, oui à la limite, mais quiconque ? C'est ce qui le mène à poser sa seconde question, pour se justifier, dit le texte, ce qui sous-entend bien : « qui, à commencer par moi, prétendra être à la hauteur ? »
Seconde question, donc : « allons plus loin… et qui est mon prochain ? » — car « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment »… (Luc 6, 32) que faites vous d'extraordinaire ? selon ce que dit Jésus lui-même. Alors Jésus raconte l’histoire du Samaritain, qui illustre le texte d'où est extrait « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). En cela, Jésus et le bibliste ne peuvent qu'être d‘accord.
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Mais, ayant répondu par son histoire à la seconde question : « qui est mon prochain ? » — c'est celui dont tu fais ton prochain, que tu considères ainsi, même s'il n'est pas des tiens, même si tu ne le connais pas —, Jésus est revenu à la première question, sur la vie éternelle, en reprenant à la fin la même réponse, en l’ayant précisée par sa petite histoire : « fais cela ».
Cela ne rend-il pas impossible l’accès à la vie éternelle pour les pauvres humains que nous sommes ? Est-ce que j’ai fait cela ?… Ai-je tant donné, à faire des endettés qui ne peuvent rien rendre… avec une dette qui ne pourra pas être remboursée ? Et Jésus qui conclut : « Toi aussi fais de même » ! L'auditeur attentif a de quoi être troublé ! Et c’est sans doute ce que cherche Jésus…
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Telle est la réalité de la dette : on ne vit pas dans la gratuité, sans dette ni « merci ». Ainsi l'aide aux pays endettés, dépouillés par les bandits, que l’on croirait gratuite, ne fait que renforcer leur dépendance et les priver de leur dignité ! Y a-t-il cela au bout de la parabole du bon Samaritain ?
À moins d’admettre que cette dette qui ne pourra pas être remboursée soit la nôtre. À moins donc qu'on entende l'enseignement de Jésus d'une autre façon… Et si c'était moi le blessé ? Avec cette question : quelle est ma dette ? Alors une voie s'ouvre, qui fait de chacune et chacun de nous un blessé, et par là un autre possible Samaritain parce qu'un blessé qui sait l’être, chargé d'une dette immense, non remboursable, un blessé soigné par un Samaritain absenté… Faisant, dans une chaîne, de chacune et chacun de nous des endettés inaptes à rembourser et dès lors appelés à faire à leur tour autant d’endettés propres à faire à leur tour de même, puisque sachant que leur propre dette n'est pas remboursable.
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Alors s'ouvre la bonne nouvelle au cœur de l’enseignement de la Bible : aime sans autre raison que de savoir que tu as été aimé, d'une façon que tu ne peux rembourser (dette infinie au Dieu sauveur : 1er commandement, qui se traduit, comme gratitude, en imitation de Dieu : 2e commandement, semblable au 1er). Comment entrer dans la vie ? En entrant dans le double commandement comme porte de la vie d'éternité, selon l'enseignement de Jésus au Notre Père peu après : « remets-nous nos dettes/péchés comme nous remettons à ceux qui nous doivent » (Luc 11, 1-4).
Nous voilà comme des blessés au bord de la route, quand tel le Samaritain de la parabole, Jésus est venu à notre secours. Nous avons à son égard une dette que nous ne pourrons pas lui rendre — que nous ne pourrons que traduire en reconnaissance, en l’imitant à notre façon, sans s’imaginer orgueilleusement que nous sommes capables comme Dieu de don gratuit : nous sommes bien des endettés qui n’ayant pas les moyens de rembourser, pouvons déjà nous essayer à faire de même à notre tour et à notre mesure. Faire de même devient juste une modeste façon de dire merci.
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