Exode 12, 1-14 ; Psaume 116 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jean 13, 1-15
Jean 13, 1-15
Jeudi saint, entre deux dimanches, Rameaux et Pâques. Lors du premier de ces deux dimanches, lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, on ne sait pas exactement ce qu’on demande, — comme Abraham (Genèse 22), quand il commence avec Isaac sa montée vers le mont Morija, ne sait pas encore. La figure d’Abraham « sacrifiant » Isaac peut être prise comme étant en arrière-plan : les textes que nous avons lus aujourd'hui nous font entrer plus loin dans ce parallèle qui s’ouvre lors de l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. Abraham ne sait pas encore qu'il s'agit de retrouver Isaac en vérité, et non plus tel qu'il le connaissait jusque là. À Rameaux, en ce jour de joie, on ne sait pas que celui que l'on acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle dévoilée lors du dimanche qui vient, Pâques.
Abraham a dû trouver un autre Isaac que le jeune homme avec lequel il est monté. Où est l’agneau ? a demandé Isaac. Rameaux annonce le sacrifice de l'agneau au vendredi saint, pour la résurrection du Christ éternel au dimanche Pâques.
Il s'agit de renoncer, comme Abraham a renoncé. Il lui a fallu laisser Isaac être ce qu'il est devant Dieu. Il lui a fallu en sacrifier ce qu'il croyait en savoir. Il nous faut sacrifier nos Isaac tels que nous les comprenons pour recevoir Isaac libre devant Dieu.
Il s’agit, de Rameaux à Pâques, d'apprendre à sacrifier le Messie tel que nous le concevons — « qui dites-vous que je suis ? » avait-il demandé — pour retrouver dès maintenant le Sauveur éternel, révélé au dimanche de Pâques.
Il s’agit de le découvrir dans sa vérité éternelle. Pour cela, il faudra sacrifier ce que l'on croyait en savoir. Et cela coûte des larmes, celles d’Abraham montant avec Isaac, celles des disciples perdant le Christ, celles des femmes au pied de la croix.
Écho à ce que dit Jésus à ses disciples au moment de sa mort : « vous ne me verrez plus ». Et puis vous me verrez, ajoute-t-il. Un Jésus est sacrifié, celui que l'on croyait connaître, pour qu’apparaisse le vrai Jésus, que l'on ne peut saisir — Jésus Christ éternel.
Cela est donné à valoir pour nous, pour chacune et chacun de nous. Il nous faut sacrifier ce que l'on croit pouvoir posséder de ses proches, et de soi-même, pour paraître en pleine lumière, né de Dieu. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » dira Paul aux Colossiens (Col 3, 3).
Et aujourd'hui, Jeudi saint, Jésus nous montre comment.
On est au soir du dernier repas, qui ne sera pas relaté en Jean. C'est pourtant ce à quoi on s’attendait. Or il vient toujours comme on ne s'y attend pas. Jésus nous donne à présent à la place du dernier repas sa signification. Il faut abandonner ce que l'on croyait de lui. Il s'offre pleinement. Et voilà qu'au grand bouleversement de ses disciples, il leur lave les pieds. Non pas que le geste n’existe pas jusque là : il existe bel et bien au contraire. C'est un geste courant à l'époque, où l'on marche longtemps sur les routes poussiéreuses. Mais ce geste reposant, offert après la route, c'est normalement un serviteur qui est est chargé, pas le maître !
À présent le maître se montre tel qu'il est : serviteur. Il faut alors pour les disciples abandonner la figure du maître : ils ne verront plus son visage. Il faut renoncer à la figure maître tel qu'on l'attend pour le trouver serviteur. Et ça coûte, ça coûte beaucoup, ça coûte tout.
Et Pierre ne veut pas : « Toi ? Me laver les pieds à moi ! Jamais ! »
Pierre dit son refus à plusieurs reprises : il ne peut renoncer à la figure du maître qu'il a conçue. Jusque, devant l’insistance de Jésus, à tenter de comprendre ce geste comme n'impliquant pas ce renoncement à ce qu'il croit savoir du maître… Ah oui, il parle de sa puissance de sauveur, qui nous a lavés de toutes nos fautes : « Alors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Bien sûr Jésus est le sauveur, qui les a purifiés. Mais ce geste-ci, à présent, est celui du serviteur, celui par lequel Jésus leur dit le sacrifice de toute image que l'on peut avoir de lui auquel il faut consentir, et par là le sacrifice de l'image que chacun de nous a de lui-même.
« Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »
Non pas qu'il faille reproduire ce geste-là. L’Église ancienne n'a pas retenu ce geste comme pratique liturgique — ce qui aurait pu en faire manquer le sens, les premiers disciples qui ont retenu ce souvenir l'ont bien senti : il ne s'agit pas d'un rite, pas d'une pratique liturgique mais d'un modèle de vie, d'un exemple, dont le cœur est le renoncement. À travers le renoncement à l’image du maître, à toute image du maître — qui s'apprête à mourir avec lui sur la croix, il s'agit à présent de renoncer à toute image de soi, à tout ce que l'on croit de soi. Comme Abraham renonçant à ce qu'il croit d'Isaac. Mourir à soi-même. Jésus l'a souvent dit. À présent, il a montré comment : « c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »
Aujourd'hui, au jour où Jésus renonce à sa vie pour entrer dans l'éternité du matin de Pâques, il s’agit pour nous de renoncer à tout ce que nous concevons de nous-mêmes, pour recevoir la vie d'éternité qui est dans le renoncement du Christ.
Jean 13, 1-15
1 Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue, l’heure de passer de ce monde au Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême.
2 Au cours d’un repas, alors que déjà le diable avait jeté au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, la pensée de le livrer,
3 sachant que le Père a remis toutes choses entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu,
4 Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint.
5 Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.
6 Il arrive ainsi à Simon-Pierre qui lui dit : « Toi, Seigneur, me laver les pieds ! »
7 Jésus lui répond : « Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, mais par la suite tu comprendras. »
8 Pierre lui dit : « Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi. »
9 Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
10 Jésus lui dit : « Celui qui s’est baigné n’a nul besoin d’être lavé, car il est entièrement pur : et vous, vous êtes purs, mais non pas tous. »
11 Il savait en effet qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il dit : « Vous n’êtes pas tous purs. »
12 Lorsqu’il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus prit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Savez-vous ce que je vous ai fait ?
13 Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis.
14 Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ;
15 car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi.
*
Jeudi saint, entre deux dimanches, Rameaux et Pâques. Lors du premier de ces deux dimanches, lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, on ne sait pas exactement ce qu’on demande, — comme Abraham (Genèse 22), quand il commence avec Isaac sa montée vers le mont Morija, ne sait pas encore. La figure d’Abraham « sacrifiant » Isaac peut être prise comme étant en arrière-plan : les textes que nous avons lus aujourd'hui nous font entrer plus loin dans ce parallèle qui s’ouvre lors de l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. Abraham ne sait pas encore qu'il s'agit de retrouver Isaac en vérité, et non plus tel qu'il le connaissait jusque là. À Rameaux, en ce jour de joie, on ne sait pas que celui que l'on acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle dévoilée lors du dimanche qui vient, Pâques.
Abraham a dû trouver un autre Isaac que le jeune homme avec lequel il est monté. Où est l’agneau ? a demandé Isaac. Rameaux annonce le sacrifice de l'agneau au vendredi saint, pour la résurrection du Christ éternel au dimanche Pâques.
Il s'agit de renoncer, comme Abraham a renoncé. Il lui a fallu laisser Isaac être ce qu'il est devant Dieu. Il lui a fallu en sacrifier ce qu'il croyait en savoir. Il nous faut sacrifier nos Isaac tels que nous les comprenons pour recevoir Isaac libre devant Dieu.
Il s’agit, de Rameaux à Pâques, d'apprendre à sacrifier le Messie tel que nous le concevons — « qui dites-vous que je suis ? » avait-il demandé — pour retrouver dès maintenant le Sauveur éternel, révélé au dimanche de Pâques.
Il s’agit de le découvrir dans sa vérité éternelle. Pour cela, il faudra sacrifier ce que l'on croyait en savoir. Et cela coûte des larmes, celles d’Abraham montant avec Isaac, celles des disciples perdant le Christ, celles des femmes au pied de la croix.
Écho à ce que dit Jésus à ses disciples au moment de sa mort : « vous ne me verrez plus ». Et puis vous me verrez, ajoute-t-il. Un Jésus est sacrifié, celui que l'on croyait connaître, pour qu’apparaisse le vrai Jésus, que l'on ne peut saisir — Jésus Christ éternel.
Cela est donné à valoir pour nous, pour chacune et chacun de nous. Il nous faut sacrifier ce que l'on croit pouvoir posséder de ses proches, et de soi-même, pour paraître en pleine lumière, né de Dieu. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » dira Paul aux Colossiens (Col 3, 3).
Et aujourd'hui, Jeudi saint, Jésus nous montre comment.
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On est au soir du dernier repas, qui ne sera pas relaté en Jean. C'est pourtant ce à quoi on s’attendait. Or il vient toujours comme on ne s'y attend pas. Jésus nous donne à présent à la place du dernier repas sa signification. Il faut abandonner ce que l'on croyait de lui. Il s'offre pleinement. Et voilà qu'au grand bouleversement de ses disciples, il leur lave les pieds. Non pas que le geste n’existe pas jusque là : il existe bel et bien au contraire. C'est un geste courant à l'époque, où l'on marche longtemps sur les routes poussiéreuses. Mais ce geste reposant, offert après la route, c'est normalement un serviteur qui est est chargé, pas le maître !
À présent le maître se montre tel qu'il est : serviteur. Il faut alors pour les disciples abandonner la figure du maître : ils ne verront plus son visage. Il faut renoncer à la figure maître tel qu'on l'attend pour le trouver serviteur. Et ça coûte, ça coûte beaucoup, ça coûte tout.
Et Pierre ne veut pas : « Toi ? Me laver les pieds à moi ! Jamais ! »
Pierre dit son refus à plusieurs reprises : il ne peut renoncer à la figure du maître qu'il a conçue. Jusque, devant l’insistance de Jésus, à tenter de comprendre ce geste comme n'impliquant pas ce renoncement à ce qu'il croit savoir du maître… Ah oui, il parle de sa puissance de sauveur, qui nous a lavés de toutes nos fautes : « Alors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Bien sûr Jésus est le sauveur, qui les a purifiés. Mais ce geste-ci, à présent, est celui du serviteur, celui par lequel Jésus leur dit le sacrifice de toute image que l'on peut avoir de lui auquel il faut consentir, et par là le sacrifice de l'image que chacun de nous a de lui-même.
« Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »
Non pas qu'il faille reproduire ce geste-là. L’Église ancienne n'a pas retenu ce geste comme pratique liturgique — ce qui aurait pu en faire manquer le sens, les premiers disciples qui ont retenu ce souvenir l'ont bien senti : il ne s'agit pas d'un rite, pas d'une pratique liturgique mais d'un modèle de vie, d'un exemple, dont le cœur est le renoncement. À travers le renoncement à l’image du maître, à toute image du maître — qui s'apprête à mourir avec lui sur la croix, il s'agit à présent de renoncer à toute image de soi, à tout ce que l'on croit de soi. Comme Abraham renonçant à ce qu'il croit d'Isaac. Mourir à soi-même. Jésus l'a souvent dit. À présent, il a montré comment : « c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »
Aujourd'hui, au jour où Jésus renonce à sa vie pour entrer dans l'éternité du matin de Pâques, il s’agit pour nous de renoncer à tout ce que nous concevons de nous-mêmes, pour recevoir la vie d'éternité qui est dans le renoncement du Christ.
RP, Poitiers, jeudi saint, 14/04/22
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