jeudi 18 mai 2023

Ascension - Nouvelle absence, nouvelle présence




Actes 1, 1-11
1 J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné, depuis le commencement
2 jusqu’au jour où, après avoir donné, dans l’Esprit Saint, ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis, il fut enlevé.
3 C’est à eux qu’il s’était présenté vivant après sa passion : ils en avaient eu plus d’une preuve alors que, pendant quarante jours, il s’était fait voir d’eux et les avait entretenus du Règne de Dieu.
4 Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, "celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche :
5 Jean a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours."
6 Ils étaient donc réunis et lui avaient posé cette question : "Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ?"
7 Il leur dit : "Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ;
8 mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre."
9 A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards.
10 Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté
11 et leur dirent : "Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel."

Jean 17, 1-11
1 […] Jésus leva les yeux au ciel et dit : "Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
2 et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire.
5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 "J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole.
7 Ils savent maintenant que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m’as données. Ils les ont reçues, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés : ils sont à toi,
10 et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et j’ai été glorifié en eux.
11 Désormais je ne suis plus dans le monde ; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous sommes un.

*

Lorsque Jésus prie, on le sait, il se retire, comme il enseigne à ses disciples de le faire — « quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret » (Mt 6, 6). Ce chapitre 17 de l’Évangile de Jean est la seule prière de Jésus dite publiquement. Prière liturgique de sanctification de ses disciples, comme prière liturgique d'ouverture de la nouvelle Création, écho à la liturgie divine du récit de la première Création dans la Genèse. ‭« Car en lui, le Christ, ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles » (Col 1, 16). À présent, dans cette prière, cela est révélé : c'est à la croix qui s'approche que le Fils, retiré à ses disciples, est glorifié.

« Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie » : dans cette glorification du Christ, son départ, qui est sa mort, sa crucifixion, se superpose à son Ascension. Apparaissent deux plans : au premier plan la croix et la mort, à l’arrière-plan, comme par transparence, l’Ascension.

Dans l’Ascension comme dans la crucifixion, le Christ nous est « enlevé » (Actes 1, 2). « Vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba à leurs yeux » (Actes 1, 9) ; « puis vous me verrez encore » : bientôt sa présence en gloire.

L'Ascension, comme la mort, est tout d'abord la marque d'une absence, au cœur de la nouvelle Création inaugurée au dimanche de Pâques, dans le signe du tombeau vide, écho à l'absence de Dieu ressentie dans la première Création.

Reprenons le récit de la Genèse…

‭Genèse 1, 1-4
1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.‭
‭2 La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.‭
3 Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut.‭
4 ‭Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres.‭
‭Genèse 2, 2
‭2 Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite.‭

La terre était informe et vide, littéralement tohu-bohu. Dieu est infini, il est présent partout. Ce qui fait qu'il n'y a en principe pas de place pour le monde. Alors Dieu s'est contracté, a créé en lui un espace, comme une femme en qui une place se crée pour laisser place à ce qui deviendra son enfant. Par des contractions, dans la douleur. Contraction : vous avez reconnu l’enseignement du judaïsme, tsimtsoum – le mot hébreu pour contraction.

Écho en Romains 8, 18-24a : « J’estime, écrit Paul, que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des enfants de Dieu : livrée au pouvoir du néant — non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. »

Dieu s’est retiré pour nous laisser une place (ce que redit le v. 2 du ch. 2 de la Genèse), une place dans l'espérance. Nous pouvons donc advenir, le monde peut exister, mais — c'est à ce prix — Dieu n'est pas là où est le monde. D’où le désordre de ce monde — la menace de la nature, son dérèglement, qui sont dans ce tohu-bohu, et jusqu’à la violence qui y prend place. Parole de foi, bien sûr : là où la source du bon est en retrait, là est le mal. Il a fallu que Dieu se retire, avec tous les risques que cela suppose, pour que le monde soit. Le monde peut devenir lui-même, mais c'est au prix du manque de Dieu, et donc au prix du défaut de plénitude de protection. Telle est notre situation vis-à-vis de Dieu. Nous pouvons devenir nous-mêmes, puisqu'il s'est retiré, mais c'est au prix de son manque, avec ce que cela a de tragique.

*

Alors Dieu, toutefois, a prévu une autre présence de lui-même, cachée, souffrante, nous accompagnant dans notre exil loin de lui, comme le souci et la prière des parents accompagne l'exil de l'enfant qui a voulu devenir sans eux.

Élie Wiesel à Auschwitz, à la question : « où est Dieu ? » répondait, voyant un adolescent pendu par ses bourreaux : il est là, qui pend.

C'est ce type de présence qui nous est donnée en Jésus-Christ. Une présence qui ne fait pas défaut mais qui n'empiète pas non plus : retrait, contraction. Au cœur de notre exil, il est là.

*

Dans l’absence du Christ, à nous retiré par la Croix et l'Ascension, Dieu nous ouvrant la nouvelle Création nous a ouvert une autre présence.

Comme Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir ; comme, entré dans son repos, il s'est retiré pour que nous puissions être, le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu.

C'est en ce sens que le départ de Jésus est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.


RP, Poitiers, Ascension, 18.05.2023
Prédication (format imprimable)


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