dimanche 22 juin 2014

La foule nourrie et la sainte Cène




Deutéronome 8, 1-16 ; Psaume 147 ; 1 Corinthiens 10, 16-17 ; Jean 6, 51-58

Jean 6
5 Ayant levé les yeux, et voyant qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe : Où achèterons-nous des pains, pour que ces gens aient à manger ?
7 Philippe lui répondit : Les pains qu’on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçût un peu.
8 Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit:
9 Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ?
10 Jésus dit : Faites-les asseoir. Il y avait dans ce lieu beaucoup d’herbe. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes.
11 Jésus prit les pains, rendit grâces, et les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des poissons, autant qu’ils en voulurent.
12 Lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde.
13 Ils les ramassèrent donc, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restèrent des cinq pains d’orge, après que tous eurent mangé.
14 Ces gens, ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde.

23 Le lendemain, [...]
24 les gens de la foule, ayant vu que ni Jésus ni ses disciples n’étaient là, [...] allèrent [...] à la recherche de Jésus.
25 Et l’ayant trouvé au delà de la mer, ils lui dirent : Rabbi, quand es-tu venu ici ?
26 Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.

35 Jésus leur dit : Je suis le pain de vie. [...]
49 Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts.
50 C’est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point.

53 [...] En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes.
54 Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. [...]
57 Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi.
58 C’est ici le pain qui est descendu du ciel. Il n’en est pas comme de vos pères qui ont mangé la manne et qui sont morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement.

*

Qui est Philippe ?

Philippe est un disciple de Jésus, qui dans l'évangile de Jean pose beaucoup de questions...
Ici Jésus le devance : « Où achèterons-nous des pains, pour que ces gens aient à manger ? » lui demande-t-il. Il sait que Philippe va forcément être embarrassé : « Les pains qu’on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçût un peu » ! Bref c'est impossible — sauf à croire totalement en Jésus.

Combien valent 200 deniers aujourd’hui ? Et à l’époque ?

Aujourd'hui ça ferait 650 à 700 euros, à l’époque c'était environ un an de salaire de base. On est bien dans l'impossible ! Comment trouver une telle somme ? C'est ainsi que Jésus éprouve Philippe, éprouve la foi de Philippe.

On ne précise pas que les pains et les poissons ont été multipliés.

En effet : on a pris l’habitude d'appeler cela « multiplication des pains » mais le texte ne le dit pas ainsi. On sait juste que Jésus nourrit la foule avec cinq pains et deux poissons et qu'il en reste douze paniers !

Que signifie au-delà de la mer ?

Il s’agit de la mer de Galilée, que Jésus et les douze ont traversée après avoir nourri la foule de l'autre côté. Mais cette précision a aussi une portée symbolique : la mer représente l'agitation de ce monde. « Au-delà de la mer », c'est le signe de l'apaisement, du repos où Jésus se retrouve avec Dieu. Et voilà que la foule l'assaille jusque là. A la prière d’apaisement de Jésus répond une prière pressante et agitée, celles des foules demandant à être rassasiées.

Alors ce n'était pas un repas normal ?

On peut le dire, oui. Parce que dans un repas « normal », il s'agit de nourrir le corps. C'est ce que cherche la foule, précisément ; Jésus le sait :  « vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés. »

Or, ce n'est pas ça le sens profond du miracle. « La chair ne sert de rien » dira Jésus ensuite, au v. 63. Le sens profond du signe que donne Jésus ici est que notre vie a sa source dans la Parole de Dieu. Et ce même évangile de Jean commence en disant que Jésus est la Parole de Dieu devenue chair. La chair, c'est-à-dire la vie dans le temps où Jésus va mourir. C'est pourquoi il dit : « la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Bref, ce n'est pas d'être rassasié qu'il s'agit ici, mais de se relier à la source de ce que nous sommes. C'est ce que nous faisons lors de la sainte Cène.

Pourquoi la sainte Cène n’est pas un repas normal ? Pourquoi si on mange du pain et on boit du vin à la maison ce n’est pas une Cène ?

Parce que, à la différence de la sainte Cène, un repas à la maison est pour nourrir le corps. Bien qu'au début, la Cène se faisait lors d'un repas d’Église. C'est pourquoi Paul fait ce reproche aux Corinthiens : « lorsque vous vous réunissez, ce n’est pas pour manger le repas du Seigneur ; car, quand on se met à table, chacun commence par prendre son propre repas, et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre. N’avez-vous pas des maisons pour y manger et boire ? » (1 Co 11, 20-23.) On en est ainsi venu à ne plus célébrer la Cène lors d'un repas « normal ».

Est-ce que ce texte est à l’origine du mot « sainte Cène » ?

Non, ce texte dit ce que signifie la sainte Cène. Mais le mot Cène n’y est pas. Le mot Cène désigne le repas du soir chez les Romains, la « cena ». Et le dernier repas de Jésus avec ses disciples, où il a institué la Cène, était un repas du soir, celui de la Pâque juive que Jésus a célébrée le jeudi saint avec ses disciples. D'autres Églises ont retenu un autre mot, par exemple le mot « eucharistie », qui veut dire « remerciement » : Jésus rompt le pain « après avoir rendu grâce » — ou remercié Dieu.

Pourquoi du pain ? Pourquoi du vin ? Pourquoi pas autre chose ?

Le pain et le vin sont dans la Pâque juive, dont l'élément central est un agneau sacrifié. Et les textes du Nouveau Testament voient en Jésus lui-même l'agneau, bientôt crucifié. Il reprend des gestes et des paroles du repas de la Pâque juive pour désigner le pain comme son corps et le vin comme son sang.

Pourquoi dit-on que le pain c’est le corps du Christ ? Pourquoi on « mange » le Christ ?

Quand le Christ Jésus parle de « le manger », il s'agit de recevoir la Parole de Dieu dont il est la présence « en chair » ; comme le pain nourrit le corps, la Parole de Dieu nourrit nos vies. C'est ce qui compte, non la chair, comme il le dit au v. 63 : « mes paroles sont esprit et vie ».

Mais cependant, quand la Parole de Dieu devient chair, on doit comprendre que cela concerne tout notre être et pas simplement notre esprit et ce que nous comprenons, comme dans la prédication. Nous sommes nourris dans tout ce que nous sommes, comme lorsqu'on mange du pain dans un repas « normal ». Mais là tout notre être est nourri d'un pain miraculeux, comme la manne.

La manne ? Qu'est-ce que c'est ?

La manne, c'est ce qui nourrissait le peuple dans le désert à la sortie d'Égypte. Le peuple trouvait cela chaque matin et ne sachant pas ce que c'était, on disait « man ou ? » en hébreu, c'est-à-dire : « qu'est-ce que c'est ? » C'est resté le nom de cette nourriture, que l'on a aussi appelée « pain du ciel ». Or le pain du ciel, rappelle Jésus, c'est la Parole de Dieu : « l'homme ne vit pas de pain seulement mais de toute parole de Dieu ». Et c'est pour ça que Jésus, Parole de Dieu devenue chair dit : « je suis le pain du ciel ».

Pourquoi on boit son sang ? Pourquoi dit-on que le vin est le sang du christ ?

Le sang c'est la vie. Pas plus qu'on ne mange le Christ, on ne boit son sang. Mais boire de ce vin, c'est recevoir l'assurance qu'on est uni à sa vie, que notre vie est comme irriguée de son sang. C'est ce qu'on appelle être en « communion avec lui », ce que le Nouveau Testament appelle aussi « former un seul corps avec lui ». Une union très forte donc, qui nous est donnée dans ces signes : être nourri de la Parole de Dieu et irrigué de sa vie.

C'est ce que dit Paul dans l’épître de ce jour (1 Corinthiens 10, 16-17) : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang de Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion au corps de Christ ? Puisqu’il y a un seul pain... »

Je ne comprends pas cette dernière phrase : « Puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps ; car nous participons tous à un même pain. »

C'est le signe de ce que Jésus enseigne en Jean ch. 6. Et ici Paul souligne, que non seulement nous sommes unis au Christ qui nous fait vivre de sa vie et irrigue nos vies de la sienne, mais aussi, nous sommes unis les uns aux autres parce qu'ensemble nous recevons nos vies de Dieu même, nous vivons de sa Parole donnée non seulement à nos intelligences, mais à nos êtres entiers.

Pourquoi on se met en rond ?

Justement pour dire cela : nous sommes unis les uns aux autres par le Christ qui nous irrigue de sa propre vie en participant avec nous au même repas auquel il nous invite lui-même. Cela est signifié par ce que quelqu'un porte cette invitation de Jésus : c'est pour cela que tout le monde ne peut pas présider la sainte Cène.

Tout le monde ne peut pas présider la Cène ? Qui peut le faire ?

On ne s'invite pas soi-même, on est invité. L’Église dit cela en réservant la présidence de la Cène à certains : les pasteurs, c'est leur tâche, selon les Réformateurs : prêcher et administrer les sacrements ; et à côté d'eux, l’Église peut ouvrir à des non-pasteurs de les assister ou même de les remplacer, par ce qu'on appelle une « délégation pastorale » — ce qui permet aussi de comprendre que les pasteurs n'ont pas un pouvoir magique. Simplement, le fait qu'ils sont chargés de présider la Cène veut dire que l'on ne s'invite pas soi-même. On reçoit l’invitation comme on reçoit le pain et le vin : c'est pour cela qu'il est préférable que le pain et le vin nous soient donnés par un/e autre, plutôt que de les prendre soi-même.

À partir de quand a-t-on commencé à communier ?

Dès le premier jeudi saint, la sainte Cène est mise en place, et va devenir un moment important du culte chrétien, enracinée dans l'enseignement de Jésus que nous avons lu en Jean, et plus avant, dans la Pâque juive. S'il l'on a parfois opté pour une participation restreinte en fonction des réserves de Paul aux Corinthiens soulignant, on l' a vu, qu'il ne s'agit pas d'un repas ordinaire, la participation de la foule en Jean et de tout le peuple lors de la Pâque de la sortie d'Égypte a conduit plusieurs courants dans l'Église à considérer que la Cène était ouverte à une large participation, y compris des enfants. Dès les origines, la Cène témoigne de ce que la vie précède ce qu'on en comprend... « Je te remercie, Père de ce que ces choses cachées aux sages et aux intelligents, tu les as révélées aux tout petits ».


RP, avec Mélissande et Zoé, Poitiers, 22/06/14


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