dimanche 29 janvier 2017

Les Béatitudes comme porte de la Torah




Sophonie 2.3 & 3.11-13 ; Psaume: 125 ; 1 Corinthiens 1.26-31 ; Matthieu 5.1-12
Esaïe 58.7-10 ; Psaume 112 ; 1 Corinthiens 2.1-5 ; Matthieu 5.13-16

Matthieu 5, 1-15
1 À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne.
Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Et, prenant la parole, il les enseignait :
3 « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.
4 Heureux les doux : ils auront la terre en partage.
5 Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.
9 Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

13 « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14 « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.
15 Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. »

*

Dans le Sermon sur Montagne — Matthieu 5-7 —, Jésus nous livre sa lecture de la loi donnée au Sinaï, en nous rappelant : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5, 17).

Introduite par les Béatitudes, la Loi se trouve ainsi au cœur du Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile, comme bonne nouvelle de la libération, se trouve aussi dans la Bible hébraïque, Évangile qui est le même que celui du Nouveau Testament. Sous un certain angle il est la Loi elle-même, loi de liberté et de grâce. Jésus annonce le Règne de Dieu, ou « des cieux » — selon le respect de la Torah qui enseigne de ne pas prononcer le Nom en vain.

Des Béatitudes à l'appel à bâtir sur le roc de l'enseignement reçu des Écritures, dont « pas un trait de lettre ne passera » (Mt 5, 18), Jésus nous conduit au cœur du message de libération et de grâce qui retentit comme parole d’Éternité que le temps ne saurait éroder : « le ciel et la terre passeront, la Parole de Dieu subsiste au-delà du temps » (cf. Mt 24, 35 ; Es 40, 8).

« Heureux », le mot des Béatitudes reprend le premier mot des Psaumes, perçus dans le judaïsme comme la relecture priante de la Torah et dont le Notre Père, que l'on trouve au cœur du Sermon sur la montagne, est un résumé, — le premier mot des Psaumes, le premier mot du Psaume 1, « heureux », parle du bonheur de vivre de la Loi, la Torah :

1 Heureux l’homme
qui ne prend pas le parti des méchants,
ne s’arrête pas sur le chemin des pécheurs
et ne s’assied pas au banc des moqueurs,
2 mais qui se plaît à la loi du SEIGNEUR
et récite sa loi jour et nuit !
3 Il est comme un arbre planté près des ruisseaux :
il donne du fruit en sa saison
et son feuillage ne se flétrit pas ;
il réussit tout ce qu’il fait.
4 Tel n’est pas le sort des méchants :
ils sont comme la bale que disperse le vent.
5 Lors du jugement, les méchants ne se relèveront pas,
ni les pécheurs au rassemblement des justes.
6 Car le SEIGNEUR connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perd.

Il s'agit bien là d'observance de la Loi, précisément dans sa racine intérieure, quand plus rien de ce qu'elle promet ne se voit. Ainsi, le bonheur — selon ce sens du mot béatitude — est caché ; il est comme la face cachée de nos échecs, de nos fautes et nos gouffres. Cela est au cœur du message que nous livrent les Béatitudes. Le bonheur est la face cachée de nos défaites lorsqu’elles sont reconnues. Cela à l’encontre de l'apparence… qui fascine.

Alors, selon les quelques versets qui suivent les Béatitudes, nous pouvons devenir sel de la terre, qui lui donne du goût et la préserve de se corrompre ; et lumière du monde, qui rayonne depuis l'être intérieur de qui y scelle l'enseignement de la Parole de vie.

Nous voilà, en d’autres termes, contraints au refus de la superficialité. Refus du creux, copie superficielle de la vie, qui voudrait que le bonheur ne soit nulle part ailleurs que dans l’aisance matérielle, dans le fait d'être rassasié, dans les réjouissances, dans la considération que nous porte autrui. Jésus enseigne que le bonheur est à peu près le contraire. Tout ce qui brille n'est que clinquant et qui s'y fie rate le bonheur. Ce n’est pas qu'il faille souhaiter la pauvreté, la faim, le deuil, et d'être rejeté et haï !… Mais c’est pourtant pas loin de là que demeure, de façon cachée, la source du bonheur (v. 11-12)…

Où la richesse devient signe de malheur, où les fêtes sont une façon d’engloutir dans le bruit le manque et la soif de vérité. Où les réjouissances deviennent comme des cris étouffés de détresse secrète, cris de la faim de lumière, de présence, de justice. Où les rires ne sont plus que signes éclatants de solitude, comme des masques carnavalesques de larmes prêtes à jaillir… Et le désir d'être bien vu une lâcheté paralysant au fond des cœurs les paroles et les gestes de vérité, cette envie qui tenaille d'être enfin vrais ! Ce que Luc, ch. 6, soulignera explicitement. Face à cela est cet étrange bonheur que proclame Jésus ! Un bonheur au-delà des apparences qui est de vivre dans l'intériorité l’enseignement de la Torah.

Ce faisant, en cela aussi on est très proche des Psaumes, comme le Psaume 1 que nous venons de lire. Très proche aussi de l'Ecclésiaste qui conclut son discours par « crains Dieu et observe ses commandements, c'est là tout l'homme » (Ecc 12, 13), l'Ecclésiaste dont on retrouve bien des accents dans le Sermon sur la montagne.

Et cela nous permet de ne pas recevoir le bonheur dont il est question comme un bonheur d'arrière-monde qui serait le lot futur de ceux qui décideraient de ne pas vivre dans le temps !

Ecclésiaste 5, 18-20 :
18 Voici ce que j’ai vu : c’est pour l’homme une chose bonne et belle de manger et de boire, et de jouir du bien-être au milieu de tout le travail qu’il fait sous le soleil, pendant le nombre des jours de vie que Dieu lui a donnés ; car c’est là sa part.
19 Mais, si Dieu a donné à un homme des richesses et des biens, s’il l’a rendu maître d’en manger, d’en prendre sa part, et de se réjouir au milieu de son travail, c’est là un don de Dieu.
20 Car il ne se souviendra pas beaucoup des jours de sa vie, parce que Dieu répand la joie dans son cœur.

Chez l'Ecclésiaste, la conscience permanente de la condition qui permet en tout temps la perception de ce rachat : la conscience du don de Dieu.

Ecclésiaste 6:2 : « Il y a tel homme à qui Dieu a donné des richesses, des biens, et de la gloire, et qui ne manque pour son âme de rien de ce qu’il désire, mais que Dieu ne laisse pas maître d’en jouir, car c’est un étranger qui en jouira. C’est là une vanité et un mal grave. »

« Correctif » de cette vanité, qui reste vanité quoiqu'il en soit : la conscience du don de Dieu. Là est la racine du bonheur, bref, les Béatitudes…

*

Mais cependant, on ne sache pas que les chrétiens observent les 613 mitsvoth — les 613 commandements de la Loi biblique ? me direz-vous ! Où il faut parler de ces trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect cérémoniel (les cérémonies religieuses de la Loi) et l’aspect judiciaire (dans la gestion de la vie le la Cité), sont perçus, quant à leur lettre, comme correspondant à un temps et à une culture donnée. Mais ils peuvent varier dans leur pratique selon les circonstances. Pour l’aspect judiciaire : par exemple les formes de gouvernements, qui sont variables selon les lieux. Quant à l’aspect cérémoniel, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit (sacrifices correspondant pourtant à des préceptes cérémoniels). Cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des traditions culturelles.

*

Cela dit, l’aspect cérémoniel de la Loi est essentiel, comme fondement céleste. C’est le sens du culte : dessiner la dimension verticale de nos vies, la dimension de la relation avec Dieu, qui occupe fortement les quatre premières paroles du Décalogue. Car la dimension verticale de nos vies se dessine pour nous via des rites et des cérémonies, que ces rites soient chrétiens, juifs, ou autres. Il se trouve que pour Jésus, ce sont des rites juifs, ceux de la Torah. C’est aussi le cas pour le Nouveau Testament et le rituel chrétien qui en est issu.

Sous cet angle, l’observance de la Loi de Moïse pour les chrétiens est le fait d’Israël ! Quelle observance chrétienne de la Loi de Moïse ? L’observance juive vivante. Le christianisme des nations sans Israël est tout simplement bancal. Cela nous conduit à réaliser la nature relationnelle du christianisme : sa nature est d’être en relation, en vis-à-vis d’Israël.

*

Quant à l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection — qui au-delà du Décalogue, se résume au « double commandement » : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton être et ton prochain comme toi-même » ; et « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse / fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fasse » — ; cet aspect de la Loi n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances. Il concerne donc tous, au-delà du seul Israël.

En son cœur on retrouve le « tu choisiras la vie » du Deutéronome, se déployant en injonctions comme « lève-toi et marche », commandement adressé par Pierre au paralytique dans les Actes de Apôtres ; ou, en Jean 11 : « sors de ta tombe », commandement adressé par Jésus à Lazare, autant d’applications du fameux « va pour toi » (lekh lekha) commandement adressé dans la Genèse à Abraham — et donc « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que donne le Deutéronome.

Heureux celui, celle, qui entre ainsi dans la vie du Royaume des cieux, ancré au plus intime de l'être intérieur.

« Ceux qui se confient en l’Éternel
Sont comme la montagne de Sion : elle ne chancelle point,
Elle est affermie pour toujours. »
(Psaume 125, 1)


RP, Exoudun, 29/01/17 / Poitiers 05/02/17


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