dimanche 12 février 2017

L’Évangile, la Loi et les Prophètes




Dt 30, 15-20 ; Psaume 119, 1-32 ; 1 Co 2, 6-10 ; Matthieu 5, 17-37

Matthieu 5, 17-37
17 Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir.
18 Amen, je vous le dis, en effet, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, pas un seul iota ou un seul trait de lettre de la Loi ne passera, jusqu'à ce que tout soit arrivé.
19 Celui donc qui violera l'un de ces plus petits commandements et qui enseignera aux gens à faire de même sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. […]
21 Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commet un meurtre sera passible du jugement.
22 Mais moi, je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement. […]
23 Si donc tu vas présenter ton offrande sur l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse ton offrande là, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande.
25 Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison.
26 Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier centime.
27 Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère.
28 Mais moi, je vous dis : Quiconque regarde une femme de façon à la désirer a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur. […]
33 Vous avez encore entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Mais moi, je vous dis de ne pas jurer du tout: […]
37 Que votre parole soit « oui, oui », « non, non » ; ce qu'on y ajoute vient du Mauvais.

*

Jésus s’annonce comme accomplissant la Loi, et ne l'abolissant pas !, et de ce fait comme celui par qui va être instauré le Royaume de Dieu, ou « des cieux » — selon la façon que l’on a alors, et que Jésus ne remet pas en question, d’employer des figures de style pour ne pas prononcer à tout bout de champ le nom de Dieu — pour ne pas, toujours le respect de la Torah, prononcer son nom en vain.

Ne jurez donc pas, rappelle Jésus, si c’est pour mentir, — ni par le ciel, ce mot qu’on emploie pour désigner Dieu — en ayant la prudence de ne pas l’atteindre, ni même, plus prudent encore, par la terre, marchepied de Dieu, ni encore par Jérusalem, ville de l’Envoyé royal de Dieu. Soyez seulement vrais et sincères sans mêler le ciel à tout : « Que votre "oui" soit "oui", votre "non", "non" » (v. 33-37).

En tout cela, c’est bien de notre libération qu’il est question — de notre libération dans l’instauration du Royaume, et de la restauration de la Loi comme Évangile, bonne nouvelle. Y a t-il libération plus rigoureuse que dans une prise au sérieux radicale de la Loi ? Sa réception, intérieure, au cœur de nos êtres ? Où Jésus évoque le commandement du Décalogue sur la convoitise (v. 28) : qu’est-ce que la convoitise sinon un esclavage perpétuel ? Et qu’en est-il de la colère qui gronde (v. 22), du désir de meurtre, ou de vengeance, ou du besoin permanent de se justifier et de contourner la vérité d’une parole droite et humble qui ouvrirait à la réconciliation ? Voilà que Jésus nous ramène au cœur véritable de la libération. Écouter, et entendre la Parole de Dieu.

L’Évangile est toujours un ordre qui libère, un ordre qui ne libère que si on l’exécute : « sors de ta tombe », dit-il à Lazare. La parole de l’Évangile, celle de la Torah, ne libère que si on la prend au sérieux, si on y obéit, que si on la prend radicalement au sérieux, en sortant de tout ce qui nous lie — comme les bandelettes de Lazare. Elle est un ordre qui met en marche… et ce jusqu'à ce qui nous semble ses plus petits préceptes (v. 19), qui se reçoivent dans la confiance — « Lazare sors ! » — qui garde d'être envahis par la crainte, puis la colère et la rumination du meurtre, ou de s’abandonner à la convoitise de ce qui ne nous est pas donné, au désir de vengeance, etc. La parole divine ouvre un chemin de libération, chemin d'Exode dans la confiance en celui qui a accompli ce chemin de liberté devant nous : « je suis venu accomplir ». Cette loi ne sera pas abolie, pas même ses plus petites prescriptions, c’est la même qu'aux jours de l'Exode, même si certains aspects comme les cérémonies varient d’un peuple à l’autre — ce sur quoi Paul insistait ; ou varient d’un temps à l’autre : après la destruction du Temple, les aspects du rite qui y sont liés deviennent inapplicables. Ils seront réorganisés de deux façons différentes. C’est l’origine de la séparation du peuple en deux rites, le rite talmudique et le rite chrétien. Mais la Loi n’est nullement abolie. Elle est la fin de l’esclavage, la norme de la liberté : la Loi est ainsi Évangile de notre libération.

Mais allons plus loin : là où il s'avère qu’accomplir la Loi ne l’abolit pas ! Contrairement à cet artifice, à la tentation commune qui revient à considérer que Jésus ayant accompli la Loi, il n’y aurait plus à l’observer !

Accomplir la loi, comme Jésus le fait, n'est pas l’abolir par la petite porte : elle demeure tant que dure le monde, étant en son cœur la bonne nouvelle, l’Évangile de notre libération — selon la première parole du Décalogue : « Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t’ai libéré de l'esclavage », de tout esclavage, jusqu'à l'esclavage du péché et de la mort !

Ainsi, si l’on ne réintroduit pas subrepticement l’idée d’abolition de fait sous le terme d’accomplissement, si donc on lit le propos de Jésus jusqu’au bout, la question reste entière : celle de notre observance de cette Loi qui vaut pour tous les temps. Cette question demeure, rappelons-le, qui a débouché sur la distinction, formalisée par Calvin et dans sa lignée, en trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

Aucun des trois aspects n'est aboli, d’autant que les trois sont strictement imbriqués, pouvant se retrouver dans le même commandement : par exemple le Shabbath est en soi cérémoniel, exprimé strictement, historiquement, en Israël, le samedi. Mais il comporte aussi une dimension sociale (relevant de l’aspect judiciaire, organisation de la Cité, et là c'est le rythme qui entre en jeu : au moins un jour par semaine) et une dimension morale (comme respect d’autrui, qui a droit au repos). C'est de la sorte qu'il n'est ni aboli, ni transgressible, au-delà des débats sur la façon d'appliquer son aspect cérémoniel.

Allons un peu plus loin encore : ce à quoi Jésus s’oppose (« vous avez entendu qu'il a été dit, mais moi je vous dis »), ce n’est pas à la Torah, c’est à une interprétation accommodante et laxiste de la Torah. Comme à l’idée que l’amour du prochain qu’elle commande s’arrêterait aux frontières de la nationalité, de la religion, que sais-je encore. C’est à cela que Jésus s’oppose, et pour ce faire, c’est à la Torah qu’il renvoie.

Jésus se veut non pas innovateur en train d’inventer une nouvelle Torah, mais réformateur d’un judaïsme que certains ne prenaient pas assez au sérieux. Et en cela, il est pleinement d'accord avec les plus attentifs des docteurs pharisiens : il suffit de lire par exemple la parabole du Bon Samaritain pour voir que c’est le pharisien lui-même qui présente à Jésus ce commandement comme central : tu aimeras pour ton prochain comme pour toi-même. Il n'est pas juste de dire que Jésus innove en ce point — et de penser pour cela que la Torah enseignait la haine des ennemis. La Torah ne dit jamais ça !

Ainsi, la Loi se trouve aussi bien dans le Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile sous l’angle où ce mot désigne le salut pas la foi seule, se trouve aussi dans la Bible hébraïque, Évangile qui est le même que celui du Nouveau Testament. L’Évangile est au cœur de la Loi. Sous un certain angle il est la Loi elle-même, qui est Évangile libérateur dans la mesure où elle est observée au cœur de nos êtres, selon la parole du Deutéronome (30, 15-20) :
15 Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal.
16 Car je te prescris aujourd’hui d’aimer le Seigneur, ton Dieu, de marcher dans ses voies, et d’observer ses commandements, ses lois et ses ordonnances, afin que tu vives et que tu multiplies, et que le Seigneur, ton Dieu, te bénisse dans le pays dont tu vas entrer en possession.
17 Mais si ton cœur se détourne, si tu n’obéis point, et si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir,
18 je vous déclare aujourd’hui que vous périrez, que vous ne prolongerez point vos jours dans le pays dont vous allez entrer en possession, après avoir passé le Jourdain.
19 J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité,
20 pour aimer le Seigneur, ton Dieu, pour obéir à sa voix, et pour t’attacher à lui : car de cela dépendent ta vie et la prolongation de tes jours, et c’est ainsi que tu pourras demeurer dans le pays que le Seigneur a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob.

RP, Poitiers, 12/02/17


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